Chapitre 14 :
DEOTILE M'ATTENDAIT sur le pas de sa porte. Elle me salua d'un rapide baiser avant de remettre mes lunettes en place, les renfonçant sur mon nez puis de sourire.
"Je te le répéterais sûrement chaque fois que je te verrais avec, mais t'es encore plus mignon avec tes lunettes."
Elle glissa sa main dans la mienne, me laissant l'emmener vers le cinéma.
"T'as une idée de quoi voir ? Parce que moi oui, finalement.
- Va-y.
- Valerian !"
Je fronçais les sourcils : ce n'était pas le Teen movie dont Gene m'avait parlé. Tant pis, ça ferait aussi bien l'affaire. Je n'avais aucune idée de ce que Valerian pouvait bien raconter, de toute manière. Mais si ça intéressait Déotile, ça ne devait pas être mauvais.
"Tu sais de quoi ça parle, au moins ? demanda-t-elle dans un rire moqueur.
- Bah, ouais. C'est avec le mannequin, là. Carla quelque chose. Super belle.
- Cara Delevingne, peut-être, supposa-t-elle avec un grand sourire moqueur. Mais oui, super belle, je te l'accorde."
Elle prit les devants et ce fut elle qui me mena vers le cinéma. Ce fut aussi elle qui demanda deux tickets et sortit un billet de sa poche avant de me tendre mon ticket d'un sourire radieux.
"C'est moi qui t'ai invitée, protestais-je.
- Tu payes déjà le pop-corn. Allez zou, va le prendre, je dois faire un passage urgence aux toilettes."
De ce que j'avais compris, le passage urgent aux toilettes chez les femmes, c'était leurs obligations mensuelles. Quand ma mère disait ça, mon père s'exclamait "ah, les anglais ont débarqué". Ma mère préférait dire "tiens, ton petit frère ça sera pas pour aujourd'hui" et Déotile se contentait d'un sobre "je vais mourir on est en train de m'exploser les ovaires". Si ça arrivait quand on était ensembles elle en profitait même pour me demander de lui apporter de la glace et de lui faire des massages.
Dans la salle, je ne profitais pas tant que ça du film. Les effets spéciaux étaient sympas mais l'histoire était un peu trop prévisible pour me plaire. Déotile, en revanche, était à fond dedans. Dans un mouvement de surprise, elle me prit la main. Pourtant, ça ne faisait pas réellement peur. Je me demandais si elle ne s'était pas servie de ça comme prétexte.
Comme si on avait besoin d'un prétexte pour se prendre la main.
A la fin, elle sortit, des étoiles dans les yeux. Quant à moi, j'étais un peu plus sceptique. J'avais trouvé le scénario trop peu poussé, les relations pas assez creusées. Tout était basé sur cette création d'univers.
"Me dis pas que t'as pas aimé, ronchonna-t-elle. J'ai vu la tête que t'as fait devant la danse de Rihanna.
- C'était le seul moment appréciable du film, je te l'accorde.
- Ca je veux bien te croire."
Elle s'arrêta à un fast-food où elle commanda un grand coca. Je pris la même chose et nous revoilà partis à errer en ville, pailles en bouche, jusqu'à ce qu'elle trouve un petit endroit où s'asseoir. Me fixant dans les yeux, elle tripotait nerveusement sa paille.
"Je crois que je t'en ai jamais parlé mais, hm, je..."
Je l'encourageais à continuer.
"C'est débile parce que tu l'acceptes, je sais, mais c'est toujours un peu bizarre à dire surtout que je l'ai jamais dis à voix haute mais, euh..."
Déotile prit une grande inspiration avant de m'annoncer :
"Je suis bi. Ca veut pas dire que j'ai une copine secrète mais, voilà, maintenant on va pouvoir parler des plus belles filles du monde tout les deux."
J'éclatais de rire et pris sa tête entre les mains. Elle me souriait d'un air un peu bête, comme si elle était gênée.
"Je suis fier de toi.
- Ah bon ? Pourquoi ?
- Parce que tu t'assumes, affirmais-je avant de l'embrasser sur le front."
La jeune fille me sourit, comme si ce que je venais de dire comptait énormément pour elle.
Je repensais alors à ce qu'avait dit Gene. Ce qu'on pensait était différent de ce que la personne disait réellement. Et Déotile avait besoin d'entendre des encouragements. Elle ressentait ce besoin d'être aimée, appréciée, qu'on soit fier d'elle et qu'on apprécie ce qu'elle fasse.
"Et puis, tu sais..."
Elle m'encouragea à continuer d'un coup d'oeil bleu.
"Je t'aime comme tu es. Je t'aime tout court, en fait."
Déotile rougit subitement, tournant de la tulipe rose à la rose rouge en quelques secondes seulement. Puis elle me décocha un autre sourire encore plus brillant que le premier.
Elle passa ses doigts tremblants dans mes cheveux, comme si elle ne savait pas quoi répondre. Puis elle enleva mes lunettes et les rangea précautionneusement dans son sac. Se tourna doucement.
Elle bougeait comme dans un film au ralenti. Ou alors c'était moi qui voyait tout en slow-motion.
"Je t'aime aussi, murmura-t-elle comme un secret qu'on ne devait pas entendre."
Puis elle se pencha vers moi et m'embrassa, du bout des lèvres, comme si c'était quelque chose d'interdit.
Dans un coin de ma tête, je me promis d'envoyer un message de remerciement à Gene; j'avais beau avoir imaginé cette scène une centaine de fois, ce qu'il se passait là me renvoyait une sensation unique que même mon imaginaire n'avait su rendre aussi douce et en même temps si dévorante.
"Et maintenant, on fait quoi ?
- On reste là un peu et on tombe encore plus amoureux l'un de l'autre ?
- Ca me va, assura-t-elle en plongeant de nouveau ses lèvres sur les miennes."
*
Lorsque je rentrais chez moi, je ne pouvais pas m'empêcher de sourire. C'était comme si mes muscles s'étiraient tout seuls sans que je le veuille. Ma mère remarqua tout de suite ma bonne humeur puisqu'elle me demanda directement :
"T'as vu Déotile ?
- M-mh. On a été au cinéma.
- Ah, ça me rappelle le début, avec ton père, soupira-t-elle."
Mon père, qui réalisa qu'il faisait partie de la discussion, leva la tête de son ordinateur.
"Ah, exact. Une fois par mois je montais sur Lille et on allait au cinéma tout les deux. C'était la bonne époque.
Mes parents se mirent à échanger les souvenirs qu'ils avaient de leur rencard. Ils dépensaient tout leurs forfaits pour se téléphoner l'un à l'autre, se retrouvaient à Lille, chez ma mère où mon père faisait semblant d'aller dormir dans la petite chambre d'amis et finissait par retrouver ma mère en plein milieu de la nuit. Ce qui me rappelait vaguement quelque chose.
Finalement, ils avaient l'air d'avoir vécu d'assez belles choses tout les deux. Je pouvais penser qu'au moins, dans un instant passé, ils s'étaient aimés.
"Comment vous vous êtes rencontrés ? demandais-je."
Ma mère, qui nous préparait du thé à tout les trois, s'arrêta dans ses mouvements, comme si se rappeler de cette histoire la faisait sourire.
"Son oncle tenait un café dans le coin. Il a été racheté depuis des années, maintenant, mais c'était là où je passais le plus clair de mon temps, à ton âge. Et il se trouve que le vieux tonton Coupeau n'arrêtait pas de nous parler de sa jolie nièce Sophie qui allait descendre de Lille pour travailler ici.
- Mon oncle n'arrêtait pas de me dire qu'il voulait me voir me faire de amis là-bas, alors il m'a poussé à sortir un après-midi avec ton père, se rappela ma mère en riant."
Elle me tendit une tasse en m'embrassant le crâne puis se dirigea vers mon père pour lui donner la sienne.
"Parce qu'il avait pas menti, l'oncle Coupeau. Sa nièce Sophie elle était vraiment jolie. Alors oui, on est sortis une fois. Puis je lui ai demandé son numéro et elle m'a mis une des plus grandes hontes de ma vie.
- Ca existait déjà les téléphones portables, à votre époque ?
- Tintin, quand même ! On est pas si vieux ! s'offusqua ma mère."
Ils continuèrent de se rappeler de leur premier baiser et, ça avait beau m'intéresser, j'avais l'impression que leur discussion devenait un peu trop personnelle pour moi.
"Je dois avoir des cassettes de l'époque, se rappela ma mère. Je vais aller les chercher, je ne sais plus où je les ai mises."
Elle s'en alla d'un pas décidé, me laissant seul avec mon père, qui me souriait, comme s'il considérait pour la première fois que c'était le fruit de sa chair qui se tenait devant lui.
"Cette discussion me mène a un point important, Tintin."
Je voyais vaguement où il voulait en venir.
"Ta mère et moi, on est pas dupes. Tu passes autant de temps que tu veux chez ta copine, c'est pas ça le soucis. Je te demande pas de nous en parler.
- On a rien fait, pour l'instant, si tu veux tout savoir, avouais-je."
Il eut un demi-sourire quand je prononçais le 'pour l'instant'.
Je ne voulais pas être complètement fermé à ce type de discussion avec mes parents. Ils avaient raison de m'en parler et j'avais de la chance qu'ils soient plutôt ouverts sur le sujet.
"Je sais que t'as déjà entendu ça quinze fois au moins, mais protégez-vous. C'est vraiment important, d'accord ? Pour tout, même les préliminaires. On peut choper des maladies avec ça, je rigole pas."
J'acquiesçais en silence. Il fallait bien que le sujet arrive sur le tapis un jour.
"Et surtout, si jamais, malgré vos précautions, elle tombe enceinte, tu nous en parle, d'accord ? Vous devez pas avoir de honte à nous en parler. Surtout pas."
Mon père semblait étrangement trop emballé dans la dernière phrase. Toute la discussion avait eu un ton un peu monocorde, mais ses dernières phrases semblaient vraiment comme une alerte.
"Tu sais si elle prend la pilule ?
- Non, je sais pas, avouais-je."
Il approuva en silence, ne sachant plus quoi dire.
Il n'eut pas besoin de trouver d'autre sujet puisque ma mère surgit dans le salon, brandissant glorieusement une boîte en carton. Elle avait de la poussière dans les cheveux et son tee-shirt était maculé de poils de chiens.
"Vous parliez de moi ? demanda-t-elle en se rendant compte du silence qui planait depuis son arrivée.
- Tu n'es pas notre centre du monde, Fifi."
Ma mère lui répondit par une grimace et mon père ajouta :
"On avait une discussion de père et de fils.
- Je vois. Vous gardez des secrets. Très bien."
Et le reste de l'après-midi se déroula dans la bonne humeur, où je pus observer mes parents dans des looks qu'on ne voyait que dans les séries, avec presque vingt ans de moins et se regardaient comme si le monde entier s'offrait à eux dans le regard de l'autre.
*
Depuis, la vie me semblait un peu plus agréable : je savais que je n'étais déjà pas à plaindre.
Mais je pouvais officiellement dire que je sortais avec une fille qui m'aimait, que mes parents s'entendaient mieux et que j'avais rétabli ma relation avec une de mes meilleures amies. Puisque les vrais amis, on ne les perdait jamais vraiment.
J'espérais naïvement que Gene allait faire partie de ma vie encore longtemps, pour ne pas dire toujours. C'était une des personnes à qui je tenais le plus, bien que je ne lui ai jamais dit.
Valérie m'envoyait des messages où je ne trouvais jamais le temps de répondre. Je ne savais pas quoi lui dire. Des fois je ne prenais pas vraiment la peine de les lire. Ce n'était pas bien, mais je ne me sentais pas réellement capable de lui envoyer un message pour m'excuser. Et plus le temps passait, pire c'était. Malgré ses relances, je ne savais pas quoi dire, je ne savais pas quoi faire.
Alors j'attendais que ça passe, que ma gêne se décoince. Mais elle s'empirait au fur et à mesure que le temps passait.
C'était décidé, j'allais lui écrire un long message pour son anniversaire.
Je laissais reposer mon téléphone sur la table de nuit et me replongeais dans mon film.
de : gene 'alors ??? on se fait une soirée avec ta meuf ou pas ???'
Je m'emparais de mon téléphone pour lui écrire rapidement une réponse :
< 'je sais pas t'as un endroit ?'
'justement!!!! ma pote margot en organise une. Elle veut rencontrer du nouveau monde, elle dit. Ca te tente ?' >
< 'tant que c'est pas tara jsuis chaud. C'est quand ?'
'bon ok sortir avec tara c'était une des pires idées de ma vie mais laisse moi avec ça! sinon elle pensait fin août, genre la dernière soirée de l'année. T'en parles à Déo et tu me dis ?' >
< 'comme si déo allait me dire non mdrr'
'pourtant je pense que c'est elle qui porte la culotte dans le couple hein' >
< 'dire non pour la soirée. Connasse.'
La conversation dériva sur sa rupture avec Tara.
Elle avait été douloureuse mais nécessaire : Gene avait compris que son ex se foutait ouvertement d'elle et se servait d'elle. Elles s'étaient séparées de nombreuses fois pour revenir ensembles, puisque Gene retombait à chaque fois dans ses bras, dans l'espoir que les choses s'améliorent. Mais Tara ne l'avait jamais réellement assumée, l'appelant toujours comme "sa meilleure amie" en public. Finalement, suite au soutien de ses amies Margot et Tiffany, Gene avait réussi à tirer pour de bon un trait sur la blonde.
Au final, Gene se sentait libérée depuis que la rupture avait eu lieu.
Valérie, constatant que j'étais en ligne, m'envoya un énième message.
Je le fixais quelques secondes avant d'ouvrir la conversation. Elle me disait que sa correspondante partait bientôt et qu'elle voulait arranger une rencontre entre nous. Que tant pis, sa corress était partie, mais qu'est-ce que ça faisait du bien d'être seule. Elle racontait quelques petites anecdotes sur la néo-zélandaise et ses habitudes, que sa mère était toujours aussi chiante. Entre deux photos, je vis un accusateur "j'ai l'impression de parler toute seule. C'est pas grave, tu vas devenir mon journal intime alors" qui montrait qu'elle était blessée.
Je lus tout ça d'un oeil attentif, rongé de culpabilité.
Puis je pris une longue inspiration et commençais à taper :
"Salut, Val. Je voulais t'écrire pour ton anniversaire parce que je sais que j'ai été un meilleur ami de merde et j'ai jamais su comment te répondre; je laissais couler, je pense. Et je ne trouve pas vraiment les mots pour dire tout ce que je ressens, parce que sur le coup, j'ai vraiment été nul. J'ai vécu quelques choses un peu compliquées à gérer (mais ça va mieux). Si tu veux, je sors le 30 août : ça te dit de venir avec moi ? Y'aura Gene, je sais que tu t'entendais bien avec elle."
Sa réponse ne se fit pas attendre. A peine avais-je lancé ma musique que la blonde me répondit :
'donc maintenant il faut prendre rendez-vous pour passer du temps avec toi ?' >
Je soupirais, épuisé d'avance par la tournure que prendrait la conversation.
< écoute, val, oui ou non ?
'de toute façon y'aura ta copine jsuis sûre' >
'non laisse tomber j'viens de voir que j'avais repas de famille le 30 août. Merci d'avoir proposé :).' >
Ce smiley n'annonçait rien de bon. Elle était vexée.
Malgré ce que je proposais, elle était vexée. Valérie était comme ça. Susceptible. Il fallait du temps pour qu'elle me pardonne.
Je laissais mon téléphone de côté et pris mon livre. Ca faisait bien de couper un peu la conversation pour se plonger dans un autre univers, de temps en temps.
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