Chapitre 10 :

  LES REPAS à la maison étaient devenus insupportables. Mon père reprochait tout à ma mère qui partait au quart de tour et je n'intervenais jamais, espérant que tout finisse au plus vite. Mais rien ne se finissait vite.

   Mais un jour ma tranquillité fut rompue, lorsque mon père me reprocha d'être tellement absent et passif qu'en fait mes parents pourraient crever sous mes yeux je m'en foutrais. Ce qui était totalement faux, même pour lui.

   Je protestais vivement, sous.le choc. Leurs disputes et cris incessants m'épuisaient, alors, à bout de nerfs, je finis par hausser le ton, à les égaler dans les décibels.

« Mais t'as pété un câble ou quoi ? Arrête de t'en prendre à moi comme ça surtout pour dire des trucs aussi cons ! 

  — De toute façon, t'es que le pantin de ta mère, elle t'a montée contre moi, suffit de t'entendre parler. T'as le même opinion qu'elle. T'es qu'un incapable, Augustin ! »

J'encaissais. Mon père s'emportait, faisait voler les insultes tant qu'il lui plaisait. Il fallait juste faire le roseau. Plier sans rompre sous les bourrasques de colère.

« Mais est-ce que t'es vraiment mon fils ? continua mon père. Putain regarde moi ça ! Parle bon sang ! T'es devenu muet ou quoi ?

— Vu comme maman a souffert à cause de toi, je trouve ça assez déplacé de dire ça, répondis-je du plus posément que je le pouvais. »

   Je n'allais pas tenir longtemps. Mon cerveau n'en pouvait plus, mon cœur allait imploser et j'avais envie de hurler à n'en plus finir.

« C'est beau ça, comment ta mère t'as monté la tête contre moi ! Ton père a fait ci, ton père est méchant... pour bientôt on va entendre que je te maltraitais ! Ca se trouve c'est ce que tu répètes à ta petite Déotile que tu vois plus que nous, t'es en train de pleurnicher dans ses jupes !

— FOUS MOI LA PAIX ! hurlais-je finalement à m'en glacer le sang. »

Je quittais la pièce en claquant la porte et m'enfermais dans ma chambre, le sang battant aux tempes et le cœur retourné, l'impression que ma tête me tournait et un malaise croissant. Les larmes coulaient sur mes joues sans que je puisse lutter.

Je saisis mon téléphone et entre deux respirations saccadées réussit à envoyer :

Jpeux venir?

Mon monde intérieur se déchirait. La violence me sidérait et mon envie de vomir ne diminuait pas.

Déo, à l'instant :
Gus ???? A cette heure là ? Mes parents ??

Déo, à l'instant :
y a un problème ?

L'écran m'indiqua qu'elle entrait un appel. Heureusement qu'il y avait bien quelqu'un de toujours là pour moi. Quelqu'un d'important.

« Gus ? Qu'est-ce qu'il y a ? Un zombie chez toi ? Un tueur ? Euh, t'as besoin de me voir parce que je suis irrésistible ? Merde répond !

— Mon père...

— Il est à côté ? Genre tu peux pas en parler ? Dis, euh, parle moi de pizza si c'est le cas, c'est ce qu'ils font tout le temps ! Non, c'est cramé...euh...

   — Je suis tout seul.

   — C'est quoi le problème ? Il t'a frappé ? Oh putain s'il t'a frappé je viens m'occuper de lui je te jure que ça se passera pas comme ça !

— Est-ce que c'est moi qui peut venir plutôt ? demandais-je faiblement. »

Elle acquiesça, totalement paniquée. J'éteignis la lumière de ma chambre et passait par la fenêtre, portable en poche, courant à en perdre haleine sur l'asphalte. L'adrénaline ne me faisait pas encore réaliser ce que j'étais en train de faire. Je cédais simplement à cette terrible envie de fuite, depuis si longtemps.

   J'arrivais finalement chez ma copine, qui ne vivait pas bien loin. Seulement, je venais de me souvenir d'un léger détail : la chambre de Déotile était au premier étage. Accoudée à sa fenêtre, elle me disait de l'attendre et qu'elle allait ouvrir la baie vitrée qui donnait au jardin. On avait vu meilleure idée niveau discrétion, mais c'était ça ou mettre à l'épreuve mes talents d'escalades. J'avais eu 7 en troisième. 

   Après être monté du plus discrètement que je pouvais dans la chambre de Déotile, je me laissais tomber sur la chaise de son bureau pendant qu'elle refermait la porte. Je réalisais alors qu'en passant par la fenêtre de ma chambre, je m'étais râpé le bras. Ca saignait un peu mais moins que mon coeur. 

   « Tu ferais un très mauvais Roméo, à pas savoir escalader les balcons. 

   — Et toi une super Juliette.

   — Oulah, qu'est-ce qu'il se passe ? Pourquoi tant de compliments ? Déjà, tu comptes m'expliquer pourquoi tu désertes le foyer familial à presque minuit ? J'ai rien contre t'accueillir dans mon lit, au contraire, mais...

   — Mon père avait dit qu'il avait hâte que je me casse, j'ai exaucé ses vœux. Pour une fois. Il a aussi dit que j'étais un bon à rien, que j'étais pas vraiment son fils et que...

   — Emménage chez moi dans ce cas, ton père et moi on sera contents, me coupa-t-elle en entendant que ma voix faiblissait. »

   Elle alluma la lumière et prit le paquet de mouchoir sur son bureau pour tamponner mon bras et sa blessure. Je me laissais faire, même si je pouvais tamponner mon bras tout seul. C'était toujours agréable de voir quelqu'un prendre soin de soi. Surtout quand, au fond, on n'était pas capable de le faire soi-même.

   Elle vit mes yeux remplis de larmes et baissa les épaules, se sentant impuissante.

   « Écoute pas ton père, ok ? Il se rend pas compte qu'il a de la chance d'avoir un fils comme toi. Et...oh non Gus pleure pas, je t'en prie... y a des tas de gens qui t'aiment tu sais, écoute pas l'avis de ton père. Regarde ta mère, elle vendrait ses yeux pour sentir ton sourire. Vois la elle. Et puis moi. Pense à moi, aussi, pense à tout ces gens. Je... »

   Ce qu'elle voulait dire se perdit dans ses lèvres. Comme si c'était trop dur à dire pour elle. 

   Déotile prit ma main et me força à me lever. 

   « J'ai une idée, lâcha-t-elle finalement. Je vais te passer un tee-shirt, déjà, parce que t'as tout dégueulassé le tien.

   — On fait pas la même taille.

   — Eh, je dors avec les tee-shirt de mon père, t'inquiète tu devrais trouver ton bonheur. »

   J'avais déjà trouvé mon bonheur et ce n'était pas un vieux haut trop grand pour moi. C'était la fille qui me le tendait. Et quand je passais son tee-shirt Hard Rock Café qui me tombait trop bas, elle me regarda avec un sourire si tendre que je ne savais plus trop où j'en étais, si j'étais triste ou béni par mon père.

   « C'est marrant, d'habitude c'est les copains qui prêtent les habits. T'es vraiment pas comme les autres. »

   Et elle me fit m'allonger tellement doucement que son amour me mettait les larmes aux yeux. Je me laissais faire et elle s'y prenait tellement lentement que j'avais l'impression d'être blessé de partout. Mais non, seul mon coeur me faisait mal.

   Dans la nuit, nos mains s'entremêlaient et plutôt que de s'encombrer de mots, ma copine me faisait écouter sa propre musique en me faisant des petits baisers sur le crâne. Et, stupidement, ça allait un peu mieux.

   Mes paupières se fermaient d'elles-mêmes et la tête de Déotile, calée contre mon épaule, chuchotait des paroles que je n'essayais pas de comprendre, parce que les nymphes ont leur propre langage et qu'ils ne allaient jamais percer le secret des nymphes sinon ça finissait mal.

Lorsque je rouvris les yeux, je réalisais que je m'étais endormi. Déotile était à son bureau et s'appliquait à colorier quelque chose avec des marqueurs.

« Il est quelle heure ? demandais-je d'une petite voix.

— Deux heures, t'inquiète rendors toi, j'avais juste une idée de dessin je retourne dormir bientôt.

— Tu dessines quoi ?

— Je te montrerais demain. »

Elle sourit et me tendis son majeur avec un clin d'œil. Encore amorphe, j'enfonçais juste ma tête sous les draps. Ce qui était en train de se passer était irréel et j'en avais conscience. Aussi, je profitais de tout. De l'odeur de ses draps frais, des craquements du parquet quand elle marchait dessus, du chant des criquets qu'on entendait à sa fenêtre ouverte et l'ombre de la plus belle créature au monde qui dessinait.

Lorsque j'allais m'endormir je sentis son corps frais glisser sous les draps à mes côtés. Mon nez se retrouva niché contre ses côtes et mon front près de ses seins. Je faisais même pas exprès c'était elle qui s'était placée ainsi et j'étais trop fatigué pour bouger. 

Mais lorsque je sentis sa crispation, je décalais ma tête et la sortit des draps. J'étais calé de manière à voir son visage et c'était pas mal aussi. 

« Tu dessines souvent à une heure pareille ?

— Parfois. L'inspiration vient toujours tard, tu sais. Sinon, demain, tu vas pas pouvoir manger chez moi. Ou alors on s'arrange.

— Je sais pas m'arranger ni faire de plan, grognais-je en enfonçant mon nez dans un de ses oreillers. Et je suis con. Et j'ai envie de dormir.

— Je sais faire des plans parce que moi je suis pas con. Il est hors de question que tu rentres chez toi donc on va s'arranger.

— T'as dit que j'étais con.

— Tu l'es. Fais attention à ce que je dis d'important au lieu de remarquer les détails. »

Elle rit et me pinça la joue.  

Les paroles de Lana Del Rey me revenaient en tête. Heaven is a place on earth with you. Oui c'était le cas. Le paradis c'était un endroit où Déotile se trouvait.

« Écoute, tu vas descendre par la fenêtre, entrer par la porte d'entrée, je vais prétexter que je t'ai invité et puis voilà, on ira manger des céréales devant un dessin animé et c'est un excellent plan.

— J'aime pas les céréales. Me frappe pas. En plus j'ai rien compris à ton plan.

— J'en mange pas non plus.

— On forme vraiment un couple parfait, ironisais-je. Marions-nous. »

Elle souffla de mécontentement dans mon cou pour me faire échapper un rire, et c'était le cœur plus léger que je réalisais que nos rôles pouvaient s'inverser.

   Je n'allais pas forcément être le gentil copain aidant, qu'elle n'allait pas forcément être la triste copine aidée.

   On n'était pas dans une comédie romantique clichée, on était dans la vraie vie.

   Et que parfois on s'engueulait pour rien, parce qu'elle avait les nerfs pour un rien, que j'étais vachement susceptible et qu'on se comprenait pas toujours. Mais ça c'était rien, c'était normal. L'important, c'était que ce ne soit plus la tristesse mais Déotile qui me tienne compagnie lors de mes pires moments.

   Et dans mon sommeil j'entendais encore son rire comme une comptine céleste.

*

   Lorsque je rouvris les yeux, il faisait plein jour et Déotile punaisait quelque chose au dessus de son bureau. Sur la pointe de ses pieds nus, le mouvement fluide de sa robe en tissu blanc coincé entre ses cuisses, une punaise glissée entre ses lèvres et un semblant de chignon au milieu du crâne. Les fenêtres ouvertes faisaient voleter ses cheveux, sa robe à fleurs et le papier qu'elle tenait entre les mains.

   Sur un déchirement de papier rose, elle avait dessiné une lune et des étoiles au marqueur jaune, toutes reliées entre elles et cernées de bleu. C'était pas spécialement joli mais mignon.

   « Arrête de traîner au lit et viens m'aider, lança-t-elle après m'avoir brièvement regardé.

   — T'aider à enfoncer une punaise ? maugréais-je en enfonçant mon nez dans l'oreiller. 

   — Je pensais que l'envie de m'aider quoi qu'il arrive allait te faire lever du lit.

   — Au risque de te décevoir, non. »

   Elle posa les mains sur ses hanches avec ce relevé de menton d'artiste satisfaite.

   « Est-ce que c'est droit ?

   — C'est pas grave si c'est pas droit, tu peux même mettre ton truc à l'envers et justifier ça par "l'art".

   — Mon truc ? »

   Oups. Il fallait croire que tout les artistes étaient susceptibles. 

   « Bon. Maintenant que c'est fait, je te propose quelque chose de partir d'ici. Pour revenir.

   — Développe ?

   — Tu redescends en toute discrétion et sonne à ma porte comme si de rien n'était.

   — Pourquoi pas simplement dans ta chambre si c'est pour y retourner dix minutes plus tard en ayant pris des risques incommensurables pour ma cheville ? geignis-je.

   — Parce que si mes parents te voient ici, toi et moi allons nous faire défoncer, hm. Allez bouge toi ! »

   Elle pinça ma hanche et entreprit d'enlever le haut qu'elle m'avait prêté. J'étais plus ou moins coopératif, elle manqua s'écraser sur moi à deux reprises. Lorsqu'elle réussit enfin à me passer le tee-shirt au dessus de la tête, elle le lança par dessus son épaule.

Puis elle me fixa, descendit le regard sur mon torse et se mit à rougir. Elle tourna précipitamment le dos pour chercher mon propre – ou sale, tee-shirt et me le lancer en quatrième vitesse.

« Quoi ? C'est pas la première fois que tu me vois torse nu, tu sais. C'est moi qui devrait être gêné.

— Oui, marmonna Déotile, les joues étrangement cramoisies.

— Je suis pas gêné hein.

— Moi non plus, s'étrangla-t-elle. Pourquoi est-ce que je serais gênée ? »

Elle avait les doigts qui s'entrechoquaient. Je ne comprenais pas mais ne posais plus de questions et enfilait mon haut jusqu'à ce qu'elle reprenne une couleur normale.

« Je suis en caleçon, je peux me lever ou tu vas faire une attaque ?

— C'est pas drôle, sale abruti, souffla-t-elle en me tendant mon jean. »

   Ses lèvres se relevèrent. Sa gêne avait disparu.

   « Mimi, il y a ta copine à l'entrée !

   — Ma copine ?

   — Oui, tu sais, celle qui fait de la danse avec toi.

   — Ah. Deux secondes je...me maquille ! »

   Elle prit un regard paniqué.

   « Merde, depuis quand Émilie s'invite chez les gens ? Faut que tu te casses mais... »

   Des bruits de pas dans l'escalier. Émilie marchait vraiment vite pour quelqu'un avec des talons – de ce que j'entendais du moins.

   Déotile, paniquée, me jeta un drap à la figure juste quand Émilie ouvrit la porte.

   Perchée sur des sandales plateformes noires et vêtue d'un short en jean assorti d'un débardeur au décolleté en dentelle. Souriante, éclatante : elle donnait plus le sourire que Valérie et son éternel air grincheux.

   « Salut Déo.. Je savais pas qu'il y avait ton copain chez toi sinon je serais pas venue. J'aime pas débarquer à l'improviste mais ça faisait longtemps que je t'avais pas vue, tu vois. Y a une petite soirée à la plage ce soir, tu peux venir si tu veux. Je voulais t'inviter, pour pas que tu refasses le coup de la méchante reine. Oh, et il peut venir aussi, c'est pour tout le monde, fit-elle en me désignant d'un coup de menton.

   — Calme toi, Em. »

   Émilie éclata de rire et souleva le drap sur mon corps. Elle avait coupé ses cheveux en un carré châtain qui encadraient ses joues encore rondes de bébé. Ses yeux noisettes était maquillés d'une poudre rosée qui faisait ressembler ses paupières à une coque de litchi. Cette fille était définitivement mignonne.

Pas jolie à en crever avec ses grand yeux océans et les légères boucles brunes qui chutaient dans la courbure de son cou, la forme parfaite de ses lèvres pleines et d'un rose marron, le grain de beauté qui la rendait putain de belle juste au milieu de sa pommette droite et son air doux comme les peaux de pêches.

   Non, elle était pas belle comme Déotile, Émilie.

« Vous alliez passer aux choses sérieuses ? demanda-t-elle avec un sourire en coin.

— Arrêtez de tous demander ça quand on est en couple, c'est fatiguant à la longue.

— Parce que j'en entends pas parler, moi. Je me pose des questions sur ta vie sexuelle-

— Elle est aussi existante que ta vie amoureuse, rétorqua Déotile en fronçant les sourcils. »

Émilie laissa échapper un léger rire.

« Je me disais bien que tu allais m'en parler, si jamais ça arrivait.

— C'était pas vraiment dans mes projets, souffla ma petite amie.

— Oh, commenta Émilie, l'air légèrement déçue, en s'asseyant à côté de moi sur le lit. Salut. Pour la deuxième fois. T'as pas répondu à mon premier salut t'es pas poli mais Titile a l'air beaucoup trop dingue de toi pour que j'ai le droit de te critiquer donc au lieu de dire que t'es un sale impoli je vais dire que t'as l'air gentil.

— Salut ? répondis-je, un peu perdu devant un tel débit de paroles. »

Une mèche coula devant les cheveux de la jeune fille. Légèrement à l'ouest. Elle tenta un sourire en glissant ses cheveux châtains entre ses doigts pour les caler derrière son lobe. Ses yeux pétillaient presque.

« Vous êtes pas très bavards, je vous dérange ?

— Bah disons que...

— Oui ? Légèrement ? On était en train de planifier un plan parce que je suis partie de chez moi pour la soirée et que...

— Quel bad boy ! siffla Émilie en me décochant un second clin d'œil. Tu fumes aussi ? Et t'es en L ? Si c'est le cas t'es l'homme parfait ma parole.

— L'homme parfait c'est pas du tout un bad boy, Em, commenta Déotile d'un ton réprobateur. Et fumer ça rend pas quelqu'un parfait. »

Émilie éclata de rire et fit un clin d'œil.

« Je rigolais. »

Déotile haussa un sourcil avant de s'asseoir à côté de moi et prendre ma main. C'était beau la confiance entre amies.

« Plan d'évasion, nous disions donc ?

— Exact, répondit ma copine d'un ton légèrement plus pincé en promenant son pouce sur le dos de ma main. »

   L'intruse se mit à sourire et regarda les rideaux volants..

   « Passe par la fenêtre, vous êtes cons ou quoi ?

   — C'est ce qu'on voulait faire avant que t'arrives, rétorquais-je.

   — Je ne te retiens pas, que je sache.

   — J'avoue, Gus, va-y. »

Émilie, océan de pragmatisme, ouvrit la fenêtre et se mit à regarder le sol.

« Tranquille.

— Essaye, toi, si c'est si facile !

— J'ai des talons ! protesta-t-elle.

   — Et elle est passée par la porte d'entrée, elle, soutint Déotile. »

Elle me poussa contre le mur et je manquais tomber à la renverse. C'est en enjambant la fenêtre que je réalisais que je n'étais absolument pas à l'aise et le vide avait les bras de la terreur. Je n'avais pas le vertige mais je n'étais pas rassuré.

Je me laissais tomber et fit une mauvaise chute, ma cheville ne me soutint pas. Je ne semblais pas avoir d'os cassé, en revanche, ma cheville me tirait douloureusement. Clopin-clopant, je me rendis jusqu'à la porte d'entrée et pressais mon doigt contre la sonnette. Qu'est-ce qu'il était con, ce plan.

   Une femme m'ouvrit. Le teint hâlé, les cheveux bouclés et des rides aux coins des joues.

   « Oui ? Oh, tu es Augustin, c'est ça ? Tu viens voir Déotile je suppose. 

   — Oui, c'est bien ça. Ravi de vous rencontrer, formulais-je en lui tendant la main. »

   Elle la serra poliment en retour mais ne me laissa pas rentrer pour autant.

   « Dis moi, tu n'aurais pas disparu de chez toi par hasard ? J'ai reçu un appel de ta mère ce matin. 

   — Euh, si, c'est possible...vous vous connaissez ?

   — C'est l'amie d'une amie, oui. Tu comprendras évidemment que je vais l'appeler pour lui dire où tu es. Ce n'est pas à moi de te faire la morale mais tu comprends bien qu'est très irresponsable de faire ça, ta mère se rongeait les sangs.

   — Je n'ai rien dit à Déotile, je suis allé dormir chez une vieille amie, ne la punissez pas surtout.

  — Je sais. Déotile ne ferait pas ça, sourit la femme. »

   A cet instant, je compris qu'il y avait un fossé entre Déotile vue par sa mère et qui elle était véritablement. J'avais bien fait de la couvrir. 

   Je montais donc comme si de rien n'était, accompagné par ma copine qui feignit me voir pour la première fois depuis une poignée de jours, jusqu'à la chambre où j'étais quelques minutes avant.

   Mais la paix fut de courte durée lorsque la mère de Déotile toqua à la porte ; Emilie la regarda entrer avec des grands yeux de Bambi. 

   « Vous deux, fit-elle en nous désignant, Déotile et moi. Vous pouvez descendre s'il vous plaît ?

   — Je vais m'en aller moi, mon devoir est fait, proposa Emilie en se levant. »

   Nous descendîmes tous les escaliers et après avoir salué Emilie d'une rapide bise, je me tournais vers Déotile, qui regardait quelque chose avec des yeux ronds. Ou plutôt quelqu'un.

   Ma mère. 

   Le regard perdu dans le vide, ses cernes violettes épousaient les coulées noires sous ses yeux. Elle n'avait pas dormi mais beaucoup pleuré, les yeux rouges la trahissaient. A cet instant là je me haïssais pour l'avoir fait se sentir si mal. Après tout, elle n'était pas responsable de ce qu'avait dit mon père.

   « Bonjour, prononça Déotile en se forçant à sourire. »

   Ma mère lui rendit un sourire froid et tourna rapidement les yeux, remercia la mère de Déotile et m'indiqua de la suivre. 

   Une fois dehors et assez éloignés, elle s'arrêta et je fis de même, profil bas.

« Tu te rends compte de la peur que tu nous as fait, à ton père et moi ? Déjà, de pas pouvoir ouvrir ta chambre, je trouvais ça louche, mais le lendemain, quand on avait toujours aucune nouvelle et qu'on a réalisé que tu étais parti, tu penses qu'on a réagi comment ? 

  — Désolé.

  — Ne t'excuse pas. »

Elle puait la cigarette. Pas son fort parfum habituel, juste le tabac à plein nez. Et ma mère ne fumait pas beaucoup, seulement quand elle était très stressée. J'étais le problème. Le pur problème.

  « Ne refais juste plus jamais ça. »

    Ma mère m'avait pardonné. Et c'était l'essentiel.

« Espèce d'abruti ! Tu te rends compte d'à quel point tu nous as fait peur ? Disparu, comme ça !

— C'est bien ce que tu voulais, non ? Que je me casse. Tes désirs sont des ordres, tu le sais bien. Tu es roi à la maison, après tout.

— Ne t'avise pas de me parler une fois de plus sur ce ton ! grinça mon père, le poing serré et tremblant.

— Ne t'avises pas de me frapper non plus. »

Ma mère, qui ne voulait pas me lâcher depuis que j'étais rentré, me serra un peu plus contre elle.

« Tu te sens indestructible parce que t'as passé la nuit chez ta copine ? Oh, allez, t'as beau mentir on est pas dupes. Tu sais que dans deux semaines, elle t'aura oublié ? Redescends sur Terre, Augustin, c'est pas ses jolis yeux bleus qui vont t'offrir loyer et études plus tard. Je t'ai pas élevé comme ça. Et apprends à respecter tes aînés.

— Tu m'achètes ?

— Arrête de te croire dans un film de pseudo libération où tu vivras heureux sans foyer ni travail, c'est que dans les films que ça se voit. »

Ma mère me serrait contre elle, toute tremblante, n'osant s'imposer entre mon père et moi.

Plus je grandissais, plus leur relation m'attristait et plus je me prenais à penser que plus tard, je ne voulais pas devenir comme mon père. Je ne voulais pas avoir un mariage qui finirait comme le leur.

« Va dans ta chambre et n'en sors plus sauf nouvel ordre. Oh, et donne moi ton portable.

— Marcus, protesta ma mère. On devrait en parler tout les trois, plutôt que de s'enfermer dans des punitions qui n'ont jamais marché.

— C'est ton blabla qui sert à rien, Sophie. Il va pas parler et il va finir libre. Pas étonnant qu'il se comporte comme ça vu l'éducation que tu lui as donné. »

Ma mère devint pâle comme la mort et baissa les yeux sur le sol.

C'était beaucoup trop facile de dire ça. C'était beaucoup trop méchant.

Mais je restais là, impuissant, à regarder le sourire narquois de mon père, la cigarette coincée entre les lèvres et mon portable dans sa main, à regarder les yeux baissés de ma mère remplis de désespoir et sa main tremblante.

   « C'est clair que si je suivais ton éducation à toi, bah je serais expulsé de mon lycée. »

   Si seulement je l'avais vraiment dit. Mais non. Je n'avais pas osé. J'étais trop faible pour le faire.

Je laissais mon père prendre mon téléphone, le sourcil arqué.

« Y a Déotile qui t'envoie pas mal de messages.

— Les lis pas ! Papa t'as pas intérêt à les regarder !

— Je suis pas un connard de dictateur, c'est juste tes notifications, soupira mon père en fourrant mon téléphone dans sa poche après l'avoir éteint. »

Son regard bleu affronta le mien et il eut l'air peiné.

« Je veux que ton bien, tu sais. »

Il le montrait très mal, il s'y prenait très mal, mais je savais que c'était la vérité. Je baissais la tête et ma mère me serrait contre elle.

« Pardonne moi pour ce que j'ai dit hier soir mon Gus, j'ai de la chance d'avoir un fils comme toi parce que si t'existais pas faudrait t'inventer. Je t'aime mon Tintin, tu le sais, ça ? »

Dans les bras de ma mère, je manquais fondre en larmes.


la. CHANSON.

PUTAIN 

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