Chapitre 9

J'avais oublié à quel point courir en ayant mal était compliqué. En sueur, je force quand-même en serrant les dents et feinte de faire une passe avant de taper le ballon pour qu'il passe entre les jambes d'Anton. Je le dépasse, récupère la balle et accélère sur quelques mètres avant de l'envoyer à Jonas. Il le laisse à Kim et sans difficulté, il marque alors que Ness croise les bras en regardant le ballon retomber contre le filet.

J'entends à peine Kim hurler contre le goal à cause du bourdonnement dans mes oreilles. La douleur remonte jusqu'à mon genou et je me baisse en faisant semblant de refaire mes lacets pour laisser reposer ma cheville. Une semaine est passée et demain a lieu notre premier match des sélections. J'ai la rage de m'être fait mal en me réceptionnant, au début de l'entrainement. Mais personne ne l'a vu alors j'ai fermé ma bouche et j'ai continué. Je ne peux pas déjà être sur le banc de touche, et encore moins laisser ma place à Daren alors que mon jeu avec Kim et Jonas s'est nettement amélioré.

— Enfin fini, clame Lael en se laissant tomber en face de moi. Memphis essaye de nous tuer.

— On doit être prêt pour demain, réplique Jonas quand je m'assois. N'oubliez pas de vous étirer avant de partir. On se voit ce soir.

Je lève la main tandis que Lael le salue. Les gars rejoignent les vestiaires pour se doucher avant d'aller en cours. Ce que j'apprécie avec le mardi, c'est que je n'ai cours que l'après-midi. Et demain, on part tôt le matin pour être à quinze heures au stade des Bears, nos premiers adversaires. Cinq heures de route pour y aller, autant de temps pour revenir et Memphis ne veut pas qu'on dorme sur place.

— Tu vas faire quoi ?

— Dormir, je souffle en me relevant. Ou bosser mes cours, j'ai mille trucs à faire.

Lael ne compatit absolument pas et en rajoute une couche en m'affirmant que je devrais être plus organisé. L'image d'un Charleston penché tous les soirs sur ses cours s'impose à moi. Je suis incapable d'être comme ça. Tout en rejoignant le hall, je m'oblige à marcher normalement alors que la douleur irradie un peu plus. Lael ne remarque rien, évidemment, et je suis soulagé de constater qu'il n'y a déjà plus personne dans les vestiaires. On se sépare pour se doucher puis il part en direction de la bibliothèque tandis que je rejoins le dortoir.

J'entre à peine dans l'appartement que j'arrête de m'appuyer sur mon pied. Je sautille jusqu'au frigo et ouvre le petit congélateur d'où je sors une poche de gel. Je la glisse dans un torchon et m'allonge ensuite dans le canapé, mon sac sur la table-basse avant de retirer mes chaussures. C'est gonflé mais rien d'inquiétant. Le frais sur ma cheville me fait d'abord grimacer mais rapidement, je me détends. Quand la douleur est moins présente, je m'assois au sol en étirant mes jambes, laissant tout de même la poche sur ma peau, et je m'attelle à mes devoirs sans grande conviction.

L'après-midi est déjà un peu plus supportable, assis à écouter des profs balancer un charabia que je ne retiens pas du tout. Mais je n'ai presque plus mal et c'est juste ce qu'il me faut. Omare m'envoie un message pour savoir à quelle heure je finis et je lui rappelle que mon emploi du temps est placardé sous le sien, sur le frigo. Un pouce fait office de réponse et je me replonge dans mon cours.

A vingt heures, je sors enfin du bâtiment et m'assois sur les marches de l'entrée. Je retire ma chaussures, baisse ma chaussette, resserre la bande sur ma cheville puis remets le tout avant de prendre le chemin pour le dortoir. J'évite de m'appuyer dessus mais ce n'est pas évident. Heureusement, il n'y a plus grand monde sur le campus : personne pour me reconnaitre et me demander ce que j'ai.

Depuis que j'ai emménagé chez les sportifs, je n'ai pas repris l'ascenseur. Mais ce soir, je m'appuie contre un mur en tapant sur le numéro de mon étage. En ouvrant la porte de l'appartement, quelques minutes plus tard, je découvre qu'une grosse partie de l'équipe est là. Je réalise qu'il ne manque que Ness, Daren et deux remplaçants. Autant l'absence de l'arc-en-ciel ne m'étonne pas vu qu'il n'est jamais là quand on se retrouve, autant celle des trois autres me fait froncer les sourcils.

— Enfin ! chantonne Lael en me rejoignant. Tu es le dernier, on n'attendait que toi pour commencer.

— Il manque encore des gens, je marmonne en rejoignant ma chambre pour poser mon sac. Ils ne viennent pas ?

— Non, soi-disant ils se reposent pour le match. C'est juste qu'ils sont dépité de ne pas faire partie des joueurs sélectionnés.

Lael ricane alors que les menaces de Daren essayent de forcer les barrières de mon esprit. Je les éloigne aussi vite que possible. Je jette un regard à mon portable et le laisse sur mon bureau avant de suivre le blond au salon. Cette fois, agir normalement est plus compliqué et je m'assois rapidement au sol avant de me trahir. Une seconde table basse est collée à la nôtre et je me retrouve dos à la télé entre Charleston et Kim. Deux plats sont posés à côté d'assiettes et couverts. Brett finit le service pendant que Jonas détaille pour la énième fois la liste des joueurs de nos adversaires. La pression qu'il nous met pour notre premier match des sélections est justifiée mais s'il pouvait arrêter, ce serait sympa aussi.

Quand Brett me tend mon assiette, je le remercie et commence à manger alors que les autres ont presque fini. Ils ne m'ont pas attendu pour commencer. A ma droite, Romeo et Ishan parlent de leur stratégie de défense et le reste de l'équipe finit par rejoindre leur discussion. Kim et Jonas leur expliquent notre tactique d'attaque pour détourner la défense adversaire alors que Brett a déjà prévu comment il comptait m'utiliser pour feinter les attaquants qui parviendront à rejoindre Charleston au goal. J'ai l'impression d'être un pantin lorsqu'ils parlent de moi ainsi et pourtant, je me sens parfaitement à mon aise. Tant qu'ils me laissent jouer et que je leur suis réellement utile, ils peuvent me traiter comme un objet.

— Au fait, je ne vous ai pas redemandé. Mais Max, ça se passe comment ton entrainement avec Kim ?

Je remarque immédiatement Kim se tendre alors que Brett se penche vers nous, sa fourchette pointée dans notre direction. J'avais espéré qu'il nous fasse confiance et qu'il ne remette pas ça sur le tapis. Je hausse les épaules et réponds avant que Kim ne le fasse.

— Pour l'instant, il ne m'a pas tué. Je fais des progrès, même si ça ne va pas aussi vite qu'on aimerait.

— Bien. J'espère que tu n'es pas trop horrible avec lui, rajoute Brett en lançant un regard à Kim. C'est un bon gars.

J'esquisse un sourire alors qu'il hoche la tête, figé. Brett est attiré par Omare et Kim me lance un regard incompréhensible, comme s'il cherchait à comprendre à quoi je joue. Je viens de lui sauver la vie, on en est conscient tous les deux. J'ai omis le fait qu'il ne se pointe jamais mais ça, Brett n'a pas besoin de le savoir. Je suis le programme, je m'améliore à mon rythme et c'est ce qu'il nous faut.

Kim ouvre la bouche pour dire quelque chose mais la referme juste après et secoue la tête en évitant mon regard jusqu'à la fin du repas. Charleston se contente de nous écouter, Jonas me fait répéter les caractéristiques de chaque joueur des Bears, les perruches prévoient déjà la façon dont ils comptent fêter notre victoire pendant que les autres parlent de tout sauf du match.

Enfin, l'équipe se décide à aller se coucher. J'aide à débarrasser et ordonne à Anton de virer ses mains de notre évier où on entasse la vaisselle. Ça attendra demain, pour le moment je rêve de m'effondrer dans mon lit. Il rit en levant les mains puis suit le reste de nos coéquipiers jusqu'à la porte. Omare, sac sur le dos, nous souhaite aussi une bonne nuit et je referme derrière lui.

Le silence englobe alors le salon et je ferme les yeux, mon front contre le bois. Doucement, je fais bouger ma cheville quand Charleston entre dans la salle de bain. Elle tire légèrement mais c'est acceptable. Je rejoins le brun et attrape le tube de crème pour mon épaule. La bosse à dent dans sa bouche, il hausse un sourcil.

— J'ai mal.

J'évite de lui dire que ce n'est pas pour mon épaule. Je risquerai de finir attacher au banc dès mon pied posé sur le terrain, demain. Charleston se rince la bouche et il attrape la manche de mon pull pour me retenir. Un fourmillement me surprend là où sa main pèse mais ça disparait tout aussi vite.

— Tu peux jouer ?

— Evidemment, je réponds avec un sourire en coin. Il m'en faut plus.

— C'est sérieux.

Je roule des yeux et esquive cette conversation en sortant de la pièce. Je n'ai pas besoin d'entendre un discours moralisateur : je sais ce que je risque en insistant mais je ne perdrai pas ma place. Charleston ne doit pas avoir fini parce qu'il se plante devant moi au milieu du salon et ses doigts agrippent fermement mon menton. Pendant une courte seconde, la chaleur qui s'en dégage me coupe le souffle. Sauf que ça ne dure pas et je laisse simplement mon regard courir sur le visage de Charleston. Le contact est redevenu supportable, enfin.

— Ne joue pas avec le feu, murmure-t-il en desserrant sa prise quand je tressaille.

— Je connais mes limites. Je le dirai, quand ça n'ira pas.

Il m'étudie une longue minute sans répondre. Ses doigts finissent alors par glisser sur mon cou alors que nos regards ne se quittent pas. A la lisière de mon sweat, il s'arrête et j'ignore les battements de mon cœur qui deviennent plus lourd, je repousse la chaleur fugace qui a suivi le chemin de sa main.

— Ne donne pas plus que ce que tu es capable d'offrir.

Charleston me tourne le dos et rentre dans sa chambre sans un autre mot. La pression de ses doigts persiste un moment contre mon cou, même lorsque je me couche quelques minutes plus tard après m'être mis la crème. Et ses mots tournent en boucle dans ma tête, me laissant l'impression que quelque chose m'échappe. Je m'endors finalement et quand mon réveil sonne, je l'éteins avec l'impression de n'avoir dormi qu'un dizaine de minutes.

Pourtant, il est bien huit heures et je grogne en enfonçant mon visage dans mon coussin. Dans le salon, j'entends les perruches rire et la voix de Lael débattre sur un truc futile. Ma porte s'ouvre alors et je jette un œil par-dessus mon épaule. Ness fait un pas en avant et referme la porte d'un coup de pied alors qu'il tient un gobelet de café.

— Deux choses, le troisième. Tu as une sale tronche alors prends ça, sourit-il en me tendant le café. Et sois bon, aujourd'hui. Personne ne veut perdre ce match.

Je me redresse en attrapant le gobelet. Ness s'assoit déjà sur le matelas, prenant ses aises, et ses yeux font le tour de la pièce. J'apprécie la chaleur de la boisson et espère qu'il ne l'a pas empoisonné. Je bouge doucement ma cheville puis j'esquisse un sourire satisfait en réalisant que je n'ai plus mal. Aucune raison que je foire pendant ce match, Ness n'a pas à s'en faire.

— Finalement, j'ai une troisième chose à te dire.

— Tu es vraiment obligé de me prendre la tête aussi tôt ? je grince en croisant son regard.

— Je t'offre le café, tu m'écoutes, réplique-t-il en tapotant son doigt sur le gobelet. Tu sors du terrain dès que tu as mal. Tu ne serviras à rien avec une épaule en moins.

Je tressaille alors qu'il indique la crème par terre. La tête penchée sur son épaule, il m'étudie tout en atténuant son sourire. La malice est toujours là mais le sérieux dans son regard le rend plus froid. Ce changement d'attitude ne me plait pas du tout.

— Tu ne dis rien aux autres.

— Pourquoi je ferai ça ? s'amuse-t-il en tirant mon t-shirt. Tu n'es pas très gentil avec moi depuis que tu es arrivé.

— Jonas et Kim ont besoin de moi pour gagner.

Comme je m'y attendais, ma réponse ne joue pas en ma faveur. Ness hausse les épaules et je serre les dents. Romeo avait raison de préciser qu'il est spécial : il ne fait aucun effort pendant les entrainements, il envoie constamment Jonas voir ailleurs et n'obéie qu'à Brett, seulement quand ça l'arrange. Il ne nous rejoint jamais quand on fait des repas et ne participe qu'aux cérémonies de la League One. C'est un électron libre, atteignable seulement par Charleston.

— Je ne dis rien à condition que tu me parles de ça.

Je fronce les sourcils quand son doigts remonte mon bras et soulève la manche courte jusqu'à mon épaule. La mâchoire contractée, je garde les yeux posés sur son visage qui étudie les traces laissées par Daren. Je déteste ma peau, elle marque trop vite par endroit. Et cet enfoiré a serré assez fort pour y incruster ses doigts. C'est léger, mais c'est là et jusqu'à maintenant, j'avais parfaitement réussi à l'ignorer.

Les yeux de Ness reviennent à la recherche d'une réponse. Je pourrais l'envoyer balader mais ce serait risquer ma place sur le terrain. Je ne peux pas non plus dire la vérité car il ne tiendrait pas sa langue. Mentir va contre mes principes alors je résume la réalité.

— Mauvaise rencontre.

— Qui ?

— Je ne mets pas de noms sur chaque visage que je croise.

— On peut savoir ce que vous foutez ? râle soudain Romeo en entrant dans la chambre. On doit partir dans cinq minutes !

Ness baisse immédiatement ma manche et se lève, l'expression malicieuse revenant à la charge. Le sérieux s'est envolé et il se dirige vers la porte, les mains dans les poches.

— Je m'assurais que notre poulain était en forme.

— C'est le cas, je marmonne en sortant du lit. Je fais mon sac et j'arrive.

— Zéro organisation, s'écrie Lael dans le salon et je roule des yeux.

Romeo sourit et referme à moitié la porte en sortant après Ness. Je finis le café en quelques gorgées, m'habille et évite de regarder mes bras. D'ici quatre ou cinq jours, il n'y aura plus rien mais je dois faire avec en attendant. Et je ne peux pas me promener en t-shirt alors qu'il est évident que ce sont des mains qui m'ont fait ces marques.

J'enfile un sweat et attrape mon sac de cours dans lequel je glisse de quoi m'occuper pendant le trajet ainsi que la crème. Poser mon pied ne me fait pas mal pour le moment, ce qui me rassure. En rejoignant le salon, je suis soulagé de ne trouver que mes colocs et Romeo. J'attrape un paquet de gâteaux avant qu'Omare nous mette dehors et on rejoint le parking. Le trajet jusqu'au stade est rapide et je salue Memphis devant l'entrée avant de continuer jusqu'aux vestiaires, un biscuit dans la bouche. Je l'entends vaguement demander à Romeo ce que j'ai pris ce matin. Je croise Brett et Jonas dans le salon, ignore Daren et tape dans la main des autres joueurs puis je récupère mon sac de sport. Tout en vérifiant qu'il contient ma tenue, je suis les garçons jusqu'au bus qui nous attend dehors.

Ness attire alors mon attention, entre Anton et Charleston. Il ne m'a pas confirmé qu'il comptait la fermer et je commence à m'inquiéter quand Charleston fronce les sourcils. Anton est tourné vers Lael, ce qui m'assure que Ness ne parle bien qu'à mon coloc. Je me dirige rapidement vers eux et pose une main sur l'épaule de l'arc-en-ciel quand je suis à leur hauteur. Amusé, il me fait face tandis que Charleston nous dévisage tour à tour.

— Tu as oublié de me répondre tout à l'heure, je lui murmure froidement et il penche la tête. Ne joue pas au plus con, Ness.

— Silencieux comme une tombe, concernant les deux.

J'ai besoin de réfléchir une courte seconde pour comprendre qu'il ne dira rien aux sujets des légers hématomes. Je pince les lèvres en attendant qu'il me demande une nouvelle faveur pour acheter son silence. Pourtant, il ne rajoute rien et Memphis nous fait monter dans le bus après s'être assuré que nous sommes tous là.

Cette fois, Lael rejoint les perruches et je me retrouve seul sur la banquette. Les jambes croisés, je sors un de mes manuels pour éviter Jonas qui veut discuter. Lael l'interpelle et je passe les deux premières heures à bûcher sans motivation. Memphis prend alors une sortie pour rejoindre une aire d'autoroute et je soupire de soulagement. J'ai besoin de prendre l'air, le brouhaha commence à m'oppresser.

— On fait un arrêt de quinze minutes, juste le temps de remettre de l'essence, nous annonce le coach en se garant. Ne vous perdez pas et n'achetez pas de conneries.

J'entends le petit rire d'Omare alors que je me lève déjà pour sortir. Mes affaires en vrac à ma place, je ne range rien et suis Kim jusqu'à la porte. Devant lui, Jonas nous fait signe vers le petit restaurant qui sert des cafés et les perruches acceptent immédiatement la proposition. Je tâtonne ma poche, trouve mon porte-monnaie et accompagne le groupe jusqu'au présentoir, à l'intérieur. Nos cafés commandées, Romeo les paye sans rien dire et je tente de le rembourser avant qu'Omare pose une main sur ma tête et me fasse reculer.

— Laisse tomber, sourit-il. Ce ne sont pas quelques cafés qui lui feront mal.

— J'aime pas ça.

— Dépendre des gens ? demande Jonas en me lançant un regard. Ou qu'on t'offre quelque chose ?

— Les deux. Je me suis toujours démerdé seul, je grince en attrapant mon café. Je ne veux pas que ça change.

— Sauf que tu fais partie d'une équipe et chez nous, ça ne fonctionne pas comme ça.

Romeo me fait face, toujours un sourire amical aux lèvres. J'aimerai lui dire que chez moi, c'est l'inverse. Quand tu coules, personne ne te tend la main pour te trouver une solution. Tu te démènes pour sortir de ta galère ou tu te noies. Pourtant, à une période, j'avais quelqu'un derrière moi, je pouvais me reposer sur lui et demander de l'aide. J'ai tout perdu, je me suis écroulé et aujourd'hui, j'évite de voir les gosses du centre subir ça, à leur tour.

Les garçons retournent dehors et je les suis, refoulant les souvenirs qui s'apprêtent à me bouffer le moral. Les cheveux multicolores de Ness sont la seconde chose que je vois, après le regard noir de Daren. J'ignore le second et me concentre sur l'arc-en-ciel qui penche la tête. Sauf que ce n'est pas moi qu'il regarde mais le bulldozer à quelques mètres de nous. Je déglutis en m'approchant de lui et sans réfléchir, je lui bloque la vue. Devant lui, avec les autres, je bois mon café alors qu'il plisse les yeux, son sourire s'étendant un peu plus. Le groupe discute et ne fait pas attention à nous. Charleston s'adosse au mur à côté de Ness et écoute Omare tandis que Lael pose son coude sur mon épaule, toute son attention dirigée vers Jonas et Kim.

Memphis nous rappelle et je balance mon café vide avant de remonter dans le bus. Lael s'assoit à côté de moi et j'abandonne mes cours, le dos contre la vitre pour écouter les gars. On fait un deuxième arrêt pour manger et on arrive enfin au stade des Bears. Les couleurs bleu et violet rendent l'endroit fantastique mais je n'ai pas le temps d'étudier plus que ça le bâtiment. Charleston a une main dans mon dos et me force à avancer. Il la retire tout aussi vite mais la pression de ses doigts persiste avant de s'évanouir. Mon regard cherche le sien mais il se tourne déjà vers Lael.

Le temps de se changer, de s'échauffer, de voir la liste des noms des Bears qui joueront et de rencontrer les arbitres, quinze heures arrivent beaucoup trop vite. Je rentre sur le terrain et me positionne à mi-chemin entre le rond central et la surface de réparation. Brett a décidé que je jouerai les deux périodes parce qu'il ne veut pas concéder le premier match aux Bears. Je peux le comprendre : en trois semaines, mes progrès avec Jonas et Kim sont fulgurants. Ils n'ont plus besoin de me chercher du regard et courent sur le terrain, en confiance, alors que je leur donne toutes les opportunités possibles. Pourtant, en face de vrais adversaires et non de coéquipiers dont je connais le jeu par cœur, je ne sais pas si on pourra garder la même cohésion. Je dois analyser l'autre équipe, retenir leurs mouvements, contrer leurs tactiques et donner le ballon à nos tireurs. Ça paraissait faisable, avant que les matchs de sélections ne commencent. C'est un autre niveau et je ne suis toujours pas à la hauteur.

Je ferme les yeux quand l'arbitre nous lance qu'il reste trente secondes avant le début. Je secoue mes bras, recentre ma concentration sur ce qui est primordiale et en ouvrant les yeux, je vois Kim et Jonas cogner leur poing. Deux secondes plus tard, le coup d'envoi est lancé.

Jusqu'à la mi-temps, nos deux équipes se battent mais aucune ne marque. Je ne force pas plus que nécessaire pour m'économiser afin de tout donner pour la seconde période. Les milieux se volent la balle sans arrêt, Jonas essaye de tirer à deux reprises mais le goal n'a aucun mal à garder ses buts. Kim tente une feinte mais se met en hors-jeu. De notre côté, Charleston retient à trois reprises le ballon et une autre fois, il le récupère à pleine main avant que le joueur tire. Forcément, le pied de l'adversaire cogne son poignet avant qu'il ne saute par-dessus Charleston en s'excusant.

Dans le carré de notre équipe, j'attrape la bouteille que me lance Anton et écoute Memphis donner ses recommandations pour les quarante-cinq prochaines minutes. Je retrouve mon souffle en hochant la tête quand il m'ordonne de percer la ligne défensive ennemie et il se tourne vers Charleston pour s'assurer que son poignet tient le coup. Le brun acquiesce en serrant ses doigts.

— C'était risqué, marmonne le coach en le forçant à mettre un bandage par sécurité. De peu, c'était ton visage.

— Je vais bien.

— Tu me fais signe si t'as besoin de sortir. Ness, tu prendras la relève.

Je me tourne vers l'arc-en-ciel, derrière moi, quand Memphis claque ses doigts dans sa direction. Ness ne répond pas, sourire en coin, alors qu'il fixe Charleston. Les sourcils froncés, mon regard passe de l'un à l'autre puis Ness hausse les épaules.

— Il ne sortira pas.

— Je n'y compte pas non plus, assure Memphis. Mais s'il...

— Vos joueurs aiment jouer en étant blessé, coupe Ness dans un rire sarcastique. Vous le savez alors pourquoi vouloir nous faire perdre notre temps ?

Memphis se passe une main sur le visage, les épaules tendues. Il contrôle sa colère comme il peut alors que Jonas fusille Ness du regard. Pourtant, ce dernier s'en désintéresse et se tourne vers moi. Pour le coup, c'est à mon tour d'être figé quand son sourire devient plus narquois. Ses grands yeux passent sur mon épaule mais je me détourne avant qu'il ne dise quoi que ce soit. Seul son petit rire me confirme qu'il a saisi le message.

— Je tiendrai coach, conclut Charleston en remettant ses gants.

— Je te fais confiance. Et toi, Max, tu te sens comment ?

— Tu comptes te bouger un peu plus ? siffle Kim et je plante mon regard dans le sien.

— Si tu te décides à marquer, peut-être.

— J'attends que tu fasses ta part du boulot, pour ça.

— T'étais pas censé ne pas avoir besoin de moi ? je l'attaque froidement et la fureur passe sur son visage. T'as été très clair sur ce point, quand je suis arrivé.

— Arrêtez ça, tranche Jonas en nous écartant. On s'était tous mis d'accord pour que Max ne force pas la première période. Donc tu ne peux pas le lui reprocher, Kim. Par contre, toi, t'as intérêt à te défoncer pour la seconde. Je ne finirai pas ce match sans avoir mis deux buts. Je suis clair ?

J'acquiesce alors qu'il enfonce son doigt dans mon torse. Mes yeux ne lâchent pas Kim qui doit rêver de m'encastrer la tête contre le béton. Une main se pose sur mon épaule et Omare m'oblige à m'écarter pour les cinq dernières minutes de pause. Je les passe à ruminer, dépité par les reproches de Kim. J'étais certain qu'on avait réussi à trouver un semblant de terrain d'entente mais il est évident que non. Il me hait toujours autant et ça a le don de réveiller toute ma rancœur. Kim a encore trop d'emprise sur moi, malgré mes efforts pour ne voir en lui qu'une pièce du passé, un étranger de mon présent et une poussière dans le futur.

En rentrant sur le terrain, je lui passe à côté pour rejoindre ma position sans un mot. Je sens son regard me suivre mais il ne dit rien non plus. Je fais rouler mes chevilles en attendant le coup d'envoi et tardivement, je prends conscience du tiraillement qui commence à apparaitre. Devant moi, les garçons cognent leur poing et le match démarre quelques secondes plus tard.

Cette fois, je fonce. Je dépasse un attaquant adverse et contourne Anton alors qu'il maintient le ballon entre Lael, Omare, Georges et lui. Nos quatre milieux se déploient pour remonter le terrain et Jonas reste en retrait, prêt à réceptionner la balle si elle arrive vers lui. Ce jeu du chat et de la souris dure plusieurs minutes pendant lesquelles chaque équipe se vole la balle. Mais on ne bouge pas tant que ça et je lorgne sur les buts adverses, plus proches que les nôtres.

Kim passe alors derrière moi et je fais un bond sur le côté, levant la main vers les cages. En une seconde, il s'éloigne dans cette direction et je me glisse entre deux type en violet. Leurs yeux écarquillés me dévisagent sauf que je repars déjà avec le ballon. Lael me suit avec un sourire affamé et je lui laisse la balle. Il la renvoie à Omare alors que mon cerveau étudie le position de nos ennemies. Le ballon revient à mes pieds et il ne me faut qu'un mouvement infime pour percevoir enfin l'opportunité que je cherche. Le numéro 6 fonce vers moi alors que la défense protège ses cages et retient mes coéquipiers. Je feinte, dépasse le type et tape le plus fort possible le ballon. Mes dents s'enfoncent dans ma lèvre quand la douleur explose dans ma cheville mais je ne lâche pas la trajectoire des yeux. Comme prévu, Kim met un coup de tête en direction de Jonas.

J'accélère le rythme sans prendre en compte mon corps qui me hurle de m'arrêter et m'interpose entre un défenseur et mon capitaine. Le ballon revient à mes pieds et je fais un tour sur moi-même. Toutes les positions sont ancrées dans ma tête et l'incertitude du goal me percute. Je lève la main et souris méchamment quand ses yeux lâchent le ballon pour se concentrer sur mes doigts. L'instant d'après, j'envoie la balle à Kim qui s'est démarqué et on marque notre premier point.

J'entends le rire des perruches avant de sentir le bras de Lael sur mes épaules. Jonas et Kim échangent une accolade tout en nous suivant vers le rond central. Nos adverses grognent en se replaçant et je ne réponds pas à l'insulte du goal. Omare tourne la tête vers nous et je suis surpris de voir de la violence dans le regard qu'il lance au goal. Je souris en tapant son épaule et on se remet en position.

C'est quand j'arrête de bouger que la douleur se réveille à nouveau. Je serre les dents devant l'intensité de la brûlure qui remonte dans mon mollet et je ne perds pas un instant à me remettre en mouvement quand le ballon est en jeu. Courir m'empêche de penser à ça, analyser ce qu'il se passe autour de moi occulte la douleur et permettre à Jonas de mettre le second point annihile complètement les regards lourds des Bears.

A quelques minutes de la fin, la tension est au maximum. Je n'arrête pas de les faire tourner en rond avec les milieux défensives de mon équipe. Omare s'est pris au jeu dès que je lui ai suggéré l'idée et Georges n'a aucun mal à suivre, amusé devant leur colère. Pourtant, ils finissent par voler la balle à Anton et remontent le terrain comme des dingues. Dans nos cages, Charleston a encaissé deux buts durant cette période sans difficulté, comme si le niveau des Bears était pourri.

— Romeo, à gauche, je hurle en rejoignant la surface. Brett avec Ishan !

Ils ne réfléchissent pas et suivent mes indications dès la seconde où ils les entendent. Je rejoins Romeo et oblige l'attaquant à reculer d'un mouvement du pied. Lael est prêt à intervenir avec Omare pour reprendre la balle. Sauf qu'ils n'y arrivent pas. A bout de souffle, le cerveau qui n'arrive presque plus à suivre les joueurs, je ne peux presque plus anticiper nos adversaires. Les tenir en respect est faisable, surtout lorsque c'est Brett qui retient un joueur quand il reçoit le ballon. Je me rapproche de lui, essuyant mes yeux et bloque l'accès aux cages d'un coup de pied. Je ferme les yeux une demi-seconde à cause de la douleur et reprends ma course. J'entends vaguement Ishan donner des ordres quand mes yeux fouillent l'espace pour chercher la faille. Il faut qu'on les éloigne de Charleston. Ils ne doivent pas marquer un point maintenant, si proche de la fin.

Je pousse une nouvelle fois sur mes jambes et écarquille les yeux devant mon erreur. Le sourire du tireur adverse me coupe le souffle quand il réceptionne le ballon. J'ai à peine le temps de faire demi-tour et de tendre la jambe qu'il tire. La balle passe à côté de moi alors que je retombe sur ma cheville douloureuse.

Puis l'expression de son visage change du tout au tout et le dégoût prend place dans ses yeux. Il n'a pas marqué. J'expire en me tournant vers Charleston pour m'excuser d'avoir foiré sauf que ma cheville lâche. La contraction de ma jambe me prend par surprise et je couine de douleur sans le vouloir.

— Hé.

Une main se plaque en bas de mon dos quand je retrouve mon équilibre. J'attrape le bras de Charleston tout en mettant de côté la douleur comme je peux. Ses yeux me dévisagent et je secoue la tête, optant pour changer de sujet.

— J'ai pas été assez rapide, désolé.

— La balle est passée au-dessus. Il ne sait pas viser, souffle-t-il. Tu t'es fait mal ?

— Juste une crampe, ça va passer.

Ses doigts se resserrent déjà sur mon t-shirt pour me retenir mais je m'écarte et rejoins Brett en marchant à peu près normalement. Le co-capitaine me jauge de haut en bas et hoche la tête quand je lui répète la même chose. Les trois dernières minutes, je les passe à épuiser mes dernières forces pour percer la défense adverse. On ne marque pas d'autre point mais le match se finit avec un deux-zéro en notre faveur. Notre équipe au complet entre sur le terrain et je me retrouve contre Lael dès qu'il me rejoint. C'est à peine si je réussis à tenir debout alors qu'ils explosent de joie pour notre première victoire. Leurs mains dans mes cheveux, sur mes épaules, ne sont que des poids, ne laissent rien derrière elles et je retiens le haut-le-cœur qui me tord les tripes. Mon sourire fatigué ne trompe personne alors que je respire mal et on s'éloigne vers les gradins après avoir salué tout le monde.

— Tu peux être fier de toi, me lance Memphis quand je me laisse tomber sur le banc. Peut-être que tu es sur le point de mourir mais tu as tenu le match en entier et la seconde période, tu as été incroyable.

— Merci coach.

— Vous avez tous été incroyables, se reprend-il en tapant sa main sur le dos de Jonas. Vous les avez mené par le bout du nez, on finit avec un deux-zéro et ils vont retourner sous les jupes de leur mère pleurnicher.

L'équipe ricane alors que je vide ma bouteille d'eau d'une traite. Brett s'accroupie devant moi et tâte ma jambe à travers ma chaussette. Je suis incapable de protester alors je le laisse faire. Tant qu'il garde ses doigts loin de ma cheville, ça me va.

— Qu'est-ce qu'il y a ? intervient alors le capitaine en se penchant vers nous.

— Toujours mal ?

Je hausse les épaules. En réalité, la douleur est de pire en pire. Elle remonte jusqu'à mon genou et je n'ose même pas bouger mes orteils. Le moindre mouvement me fait un mal de chien alors l'idée de devoir marcher jusqu'au douche puis retourner au bus me donne déjà envie de m'évanouir.

— Selena, t'as quelque chose pour les crampes ? demande Brett en se relevant. Il a joué les dernières minutes comme ça.

— Seulement les dernières ?

— Oui, je réponds brusquement. Ça va passer.

Comme si je n'avais rien dit, Selena me fourre un tube entre les mains et Memphis nous envoie à la douche avant qu'on ne tombe malade. Soulagé d'avoir l'excuse pour boiter, j'évite un maximum de poser mon pied et Lael vient m'aider. Les perruches se foutent de nous et j'ignore le regard de Ness quand on lui passe devant.

Je referme la cabine et me déshabille en faisant chauffer l'eau. En retirant ma chaussette puis le strap, je réalise que je vais avoir un problème. Ma cheville a doublé de volume et elle est rouge, trop rouge pour que ce soit normal. Je laisse l'eau chaude ruisseler sur mes épaules plusieurs minutes puis tourne la température de l'eau. Gelée, je me mords la main quand elle me brûle le pied. Ça soulage partiellement la douleur alors je reste un moment comme ça. Le rire des autres autour de moi m'oblige à me concentrer sur leur conversation et je souris en coin quand il parle du but manqué par le tireur adverse. A écouter Kim, il a vraiment fait de la merde et Charleston n'avait aucune raison de se sentir menacé.

Je coupe l'eau et me sèche avant d'enfiler mon caleçon. Je m'accroupis et ouvre l'anti-inflammatoire de la dernière fois que je passe sur ma cheville. Le front contre le carrelage, je retiens un grognement en massant ma peau. Je me rince les mains et mets un bandage avant de mettre des chaussettes, mon short et un sweat. Le tube pour les crampes est comme neuf alors je l'ouvre, jette une noisette de produit dans la douche et le referme. Ça m'évitera les questions.

Quand je retrouve les autres, je le rends à Selena en la remerciant puis m'assois à côté de Lael pour enfiler mes chaussures. Memphis est au téléphone et commande des pizzas qu'on passe récupérer quand on reprend la route. Assis dans un parc, on fête ainsi notre première victoire pour les sélections. Les perruches organisent déjà une vraie soirée pour vendredi soir, à laquelle je me retrouve d'office obligé d'aller. Les cinq heures du retour, je les passe à débattre avec les perruches et Lael contre Jonas, Kim et Brett. Par un miracle, il s'est retrouvé à côté de Ness et ça rend le temps moins long, plus supportable.

Memphis nous dépose au stade au alentour de minuit et je me laisse tomber derrière Omare, dans sa voiture. Charleston remballe Romeo pour une connerie et je ferme les yeux, épuisé. Pourtant, je suis obligé de sortir de la voiture quand on est au dortoir. Je me traine à la suite de l'équipe à l'intérieur et étudie l'ascenseur d'un regard. Ness est devant, dos à moi, et penche la tête en regardant nos coéquipiers s'y entasser. Puis il secoue la tête et prend les escaliers avec un signe de main. Je le rejoins sur un coup de tête avant de réaliser que Charleston est derrière moi.

Ness nous lance un regard étonné et ralentit. Dès que les portes de l'ascenseur se referme, je capitule et retire mes chaussures. Je perçois clairement le sourire de Ness s'étirer mais il ne dit rien et on monte les marches en silence, à un rythme d'escargot. C'est arrivé au premier palier qu'il se décide à parler.

— Tu boites.

— La crampe, je marmonne en sachant que je ne convaincs personne. Fous-moi la paix, je suis claqué.

— La crampe, répète-t-il. On a dit que tu sortais du terrain si ça n'allait pas.

— Tu as dit. Je n'ai pas écouté.

Un rire lui échappe et je soupire quand il se plante sur la marche devant moi. Déjà que je me sens petit, il m'oppresse un peu plus en se penchant. A côté de moi, Charleston fronce les sourcils en s'arrêtant à son tour.

— A quoi tu joues, le troisième ?

— Au foot.

— Mauvaise idée de me prendre pour un abruti, siffle-t-il alors que son sourire devient froid.

— Ne me force pas à le faire alors.

Brusquement, ses doigts agrippent ma nuque et je me tétanise. La main de Charleston est autour de son poignet l'instant d'après alors qu'il lui ordonne de me lâcher. Ness lève un sourcil dans sa direction mais à la place, il resserre sa prise, son visage toujours aussi près du mien. Quand ses yeux reviennent dans les miens, quelque chose se détend en moi. Parce qu'il n'a pas ce regard, il n'y a pas cette menace au fond de ses iris brunes. Juste cette foutue malice qui le caractérise.

— Tu vois, Charleston, il accepte que je le touche cette fois.

— Ness, gronde mon coloc et je secoue la tête.

— C'est bon.

Du coin de l'œil, je le vois me lancer un regard pour s'assurer que je ne mens pas. Pourtant, il ne retire pas sa main. Ness desserre légèrement ses doigts et j'inspire lentement. Ce n'est qu'un poids contre ma peau : son contact ne me fait rien. Absolument rien. Ses mots, par contre, ont l'effet d'un tsunami. Les deux goals savent. Les pièces se mettent en place rapidement et je réalise qu'ils ont parlé de moi, de toutes ces fois où j'ai fui le contact en espérant que ce soit discret ou que ça ne créerait pas de questions. Si je m'en fous que Charleston l'ait compris, c'est une autre histoire avec Ness. Parce qu'il dépassera mes limites sans réfléchir, parce qu'il ne s'arrêtera pas si je lui dis stop.

— Ça a été si facile de comprendre ça, susurre Ness en tapotant ses doigts sur ma peau. Trop de gens, tu paniques. Trop de mains, tu paniques. Et à ce moment-là, tu t'écartes de tout le monde pour éviter le moindre contact.

— Au moins, je fais l'effort de me montrer et de m'inclure, je réplique sèchement. Je ne reste pas terrer dans ma piaule, à fuir le monde.

— Je ne fuis personne.

— Bien sûr.

J'imite son sourire sans le vouloir. Le sarcasme épouse nos traits avec une facilité déconcertante. J'ai beau vouloir l'effacer, le retenir, je n'y arrive pas et je m'écœure. Alors je serre les dents et remonte ma main contre ma nuque pour attraper ses doigts et le forcer à me lâcher. Mais il reste bien en place et je pâlis devant sa force. Il parait tellement fragile avec sa tête et ses cheveux que j'en oublie à chaque fois qu'il serait capable de me briser sans peine.

— Je ne fuis personne, répète-t-il. J'évite simplement de me faire plus de mal que nécessaire.

— C'est sûr que t'as l'air de t'épanouir.

— Max, claque sèchement Charleston.

— Laisse-le, murmure Ness. Je le préfère comme ça. Silencieux, tu n'es pas aussi attractif.

— Je ne suis pas un divertissement.

Ness acquiesce mais ça n'a aucun effet. Charleston est encore plus tendu que moi, l'air d'attendre qu'une bombe explose quelque part dans les escaliers. Peut-être l'un de nous. Ness se rapproche alors de moi et je me fige quand ses cheveux frôlent mon visage et que nos nez se touchent légèrement. Cette fois, il est trop près et il le sait : mes ongles s'enfoncent dans sa main quand il la resserre sur ma peau.

— Je dis et tu écoutes, cette fois, m'ordonne-t-il à voix basse. Ton manège ne marchera pas longtemps et tu finiras par regretter tes choix. Si tu as mal, tu te soignes. Si tu te sens oppressé, tu en parles. Si...

— Si je voulais qu'on prenne soin de moi, je ne serai pas là.

Autre chose que la malice passe dans son regard quand je le coupe. Mais je ne peux pas en entendre plus, encore moins venant d'un mec dont le visage est quasiment collé au mien et qui refuse de respecter mes limites.

— Sauf que tu es là.

— Donc tu comprends le reste.

— Il y aura forcément quelqu'un derrière ton dos, sourit Ness en s'écartant brusquement. Que tu le veuilles ou non. C'est l'esprit des Racoons.

— Qui est derrière toi alors ? je grince. Tu fuis les trois-quarts de l'équipe.

— En quoi ça te regarde ?

Ses doigts ont enfin quitté ma peau et tapotent son pantalon. Puis il me tourne le dos et recommence à monter les marches sans attendre ma réponse, Charleston sur les talons. Je reste planté là, les poings serrés et le cœur comprimé. Cette ordure n'a rien laissé derrière lui, pas même un semblant de pression, de chaleur, de dégoût. C'est comme s'il ne m'avait jamais touché et je ferme les yeux en repoussant la rage.

— Ramène-toi, les autres doivent se poser des questions.

Le souffle court, mes sentiments qui partent dans tous les sens, je regarde Ness qui m'attend sur le palier. Comme s'il ne s'était rien passé. C'est trop. Je secoue la tête et l'instant d'après, je pars à l'opposé pour sortir d'ici. Aucun des deux ne me suit, ne me retient. Tant mieux.

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