Chapitre 7 - partie 1
Le reste de la semaine passe à une vitesse affolante. Hier, Jonas a décidé d'arrêter les entrainements à six heures pour laisser Kim s'occuper de mon endurance. Ainsi, la semaine prochaine, je garde les mêmes horaires pourries de vie mais je serai lâché entre les mains du seul gars qui rêve de m'encastrer dans un mur. Un plaisir. Sauf qu'avant, pour ce samedi soir, on a un match à remporter.
Je resserre mes protège-tibias au moment où l'arbitre fait signe à Memphis que la mi-temps est presque finie. Autour de moi, l'équipe termine de se préparer pour reprendre le match, où on mène un-zéro. Je lance un regard à Brett qui discute toujours avec Daren. C'est lui qui a joué pendant la première période, le coach a préféré me garder pour l'effet de surprise lors de la seconde. Je ne sais pas à quel miracle il s'attend mais il est clair que cette semaine d'entrainement ne m'a pas permis de rattraper mon retard. Il n'y a qu'une chose qui s'est améliorée : ma réactivité quand je joue avec Kim et Jonas.
— On est là pour la victoire, et seulement pour la victoire ! scande le coach en attirant notre attention. La semaine prochaine, les sélections commencent pour la League One et on fera face à meilleur que cette équipe. Donc vous allez me faire le plaisir de les humilier ce soir, sur leur propre terrain !
— Romeo et Ishan, vous tenez la défense avec Brett et vous mâchez le travail pour Ness, ordonne ensuite Jonas. Les milieux, vous continuez votre jeu avec Daren qui prend la place de Georges.
Lael, Daren, Omare et Anton hochent la tête et je détourne les yeux quand le capitaine prononce mon prénom.
— Max, tu entres en jeu. C'est ton premier match et tu as interdiction de te foirer.
Kim ricane à ma droite et je lui lance un regard noir. Cette ordure n'a pas respecté une seule fois mes efforts, il a passé son temps à me rabaisser et à côté de ça, il ne fait rien pour me permettre de me surpasser. Il fuit Brett quand il est question de mon endurance, il m'a ignoré lorsque je lui ai demandé comment on s'organiserait, à partir de lundi. Il va me planter, à coup sûr, et je vais devoir trouver une solution par moi-même.
Jonas lui fait remballer son sourire en quelques mots et l'arbitre revient au même moment. Il indique à Memphis qu'on doit rejoindre le terrain dans une minute. Je survole l'équipe du regard, les sens en ébullition par l'adrénaline, alors qu'ils se mettent en mouvement comme dans une fourmilière. Brett demande le silence, qu'il obtient rapidement, tandis qu'il se tient à côté de Jonas. Face à moi, les deux capitaines me dévisagent et je fronce les sourcils.
— Tu as quarante-cinq minutes à tenir, tu suis Jo et Kim et tu nous fais gagner. Quelque chose à redire sur ça ?
— Je devrais y arriver, je réponds à Brett qui secoue la tête.
— Tu dois y arriver. Maintenant, sur le terrain et donnez tout ce que vous avez.
Un cri de guerre résonne dans les vestiaires avant qu'on sorte. En passant à côté de Memphis, nos mains tapent dans la sienne et je suis Jonas sur le gazon, un sourire en coin qui commence à orner mon visage. Le fait de jouer en seconde partie me donne l'avantage d'avoir étudié le jeu de nos adversaires. On a une avance considérable sur eux à partir de maintenant, et Kim le sait. Il s'arrête devant moi, cogne son poing contre celui de Jonas puis me lance un regard par-dessus son épaule.
— Un dernier conseil : ne loupe aucune passe.
J'acquiesce, conscient de la menace qui plane derrière ses mots et son regard sombre. Quand les deux équipes sont enfin placées et le ballon aux pieds de Jonas, le coup d'envoi est donné. Le duo part en trombe vers le goal adverse et je les poursuis. Le plaisir de me retrouver sur un terrain, avec la couleur des Racoons, mon nom et le numéro 16 dans le dos, me pousse à donner le maximum. Mon cerveau ne s'arrête pas de tourner alors qu'il enregistre tout ce qu'il passe, analyse chaque mouvement et contre la défense adverse en une fraction de seconde. Mon corps répond aux ordres, Kim et Jonas ne me regardent quasiment pas lorsqu'ils rattrapent mes passes. Notre jeu est presque parfaitement synchronisé.
La balle finit par revenir entre les mains de nos adversaires après une faute d'Anton et Lael hurle à l'autre bout du terrain alors qu'il aide notre coéquipier à se redresser. L'autre joueur est affalé sur le sol, une main sur la cheville, et je trottine pour rejoindre Jonas.
— Il simule, je lui glisse discrètement en serrant les dents. Anton l'a frôlé et ce connard s'est jeté pour faire croire à un contact.
— Je hais ça. Jouer les poupées de chiffon pour gratter des fautes et des points.
Je ne peux pas contredire Jonas : le foot est salement réputé à cause de ces joueurs beaucoup trop nombreux. Faire semblant, jouer la comédie et minauder pour arriver à leur fin. C'est enrageant de constater que ça fonctionne. Les Racoons sont à l'opposé de ça : lorsqu'ils tombent, ils se relèvent. Point final.
Une fois que l'arbitre s'est assuré que le joueur peut continuer, le match reprend et Anton a un carton jaune. Je grogne avant de m'éloigner du capitaine pour reprendre ma position. Un peu plus loin, Kim s'assure qu'on est à nos places avant que le ballon revienne en jeu. Nos adversaires foncent alors vers nos cages comme des forcenés. Mon jeu s'adapte en quelques secondes à celui de Brett et je deviens son ombre, glissant entre les équipes pour éloigner les attaquants et renvoyer la balle vers les couloirs. Ce manège dure plusieurs minutes avant qu'Omare ne fasse un écart et que le tireur adverse ait une ouverture pour tirer. Les yeux écarquillés, je me jette vers le ballon mais ne parviens pas à l'arrêter.
— Et merde !
Un genou à terre, la main sur la pelouse, je me redresse avec l'aide de Brett avant de constater que la balle est passée au-dessus des cages. Je soupire de soulagement, comme le reste de l'équipe, puis croise les yeux de Ness. Il penche la tête, me souriant avec malice, le ballon sous le bras. Tout en approchant la limite de sa surface, il me fait signe de reprendre ma place et je prends de la distance, surveillant à nouveau l'emplacement de mes adversaires. Mon cerveau fuse à toute vitesse, Jonas me fait un signe vers Kim, les milieux se gênent entre eux et Ness se prépare à lancer le ballon.
— Ne te loupe pas, le troisième !
L'instant d'après, Kim et Jonas courent vers les buts adverses alors que je réceptionne le ballon, nous éloignant des nôtres. Les regards plein de rage qu'on me lance me galvanisent quand je dévie la balle, qu'un joueur adverse glisse sur le sol, qu'un autre jure alors que je l'esquive. Mon équipe suit mon jeu, récupère mes passes, me les renvoie sans mal et c'est ainsi que je parviens à rejoindre Kim. Je lui passe devant, laissant mon ballon entre ses pieds, et il se remet déjà en mouvement. La défense adverse pousse un cri en me fonçant dedans et je roule au sol.
Les hurlements de joie explosent sur le terrain et je me redresse, une main plaquée sur l'épaule qui m'a réceptionné. Je repère immédiatement l'enfoiré qui m'a plaqué, près de son équipe dépité. Puis c'est sur Kim et Jonas que mes yeux se posent et leur sourire incroyable. Ma tête fait un cent quatre-vingt vers le panneau au-dessus des gradins et je me lève d'un bond en constatant qu'il a réussi à mettre le point. On est à deux-zéro et il reste cinq minutes de jeu.
— Tonnel ! Tout va bien ?
Surpris, je me tourne vers un des arbitres assistants sur la ligne de touche. Il indique son épaule et je fais rouler la mienne en retenant une grimace. Je lève mon pouce et rejoins enfin mon équipe qui se replace. Le souffle court, j'évite de laisser la douleur se réveiller et me concentre sur la fin du match.
Quelques minutes plus tard, le coup de sifflet termine cette rencontre mais mon adversaire ne s'arrête pas, à un mètre de moi. Frustré de s'être fait berné pour la énième fois, son sourire sadique m'assure un vol qui ne loupe pas. Je gémis en sentant son épaule contre la mienne puis mon dos cogner contre le sol. Puis cette enflure s'écarte en levant les mains avant de rejoindre son équipe. La respiration hachée, je tente de la maîtriser alors que les perruches me passent à côté en gueulant. Ce sont finalement des cheveux aux couleurs pastels qui apparaissent au-dessus de mon visage, ainsi que le sourire de Ness.
— On se fait déjà des ennemies, le troisième ?
— Il m'adore en réalité.
Un petit rire sarcastique lui échappe puis il tapote mon épaule douloureuse sans me quitter des yeux. Il s'apprête à rajouter quelque chose mais Brett se plante devant moi et agrippe mon coude sans douceur pour me lever.
— On se tire d'ici avant que Romeo bute quelqu'un, grogne le co-capitaine. Allez remercier les arbitres et revenez aux vestiaires.
En quelques secondes, Ness se retrouve devant eux, leur serre la main puis s'échappe, moi sur ses talons et mes doigts contractés autour de mon épaule. La douleur ne se dissipe pas mais elle est moins violente. En arrivant aux bancs de notre équipe, je me retrouve propulsé entre Lael et Omare qui respirent la victoire. Leurs bras, autour de moi, ne sont que des poids mais leurs rires m'obligent à sourire, satisfait.
Le coach monte alors sur le banc et tape dans ses mains. Toutes nos têtes se tournent vers lui et j'essaye de m'éloigner des corps contre moi qui commencent à m'oppresser. Du coin de l'œil, j'aperçois Charleston et Ness s'échanger une bouteille d'eau et je fronce les sourcils en cherchant les autres du regard. Un bras passe devant Lael et il s'écarte alors que Brett plaque ma gourde et une serviette sur mon torse. Je le remercie avant de fixer le coach.
— Les sélections vont être une partie de plaisir quand je vous vois jouer avec autant de ferveur ! Vous avez été exceptionnels et je vous offre la première tournée quand on rentre au stade, s'exclame Memphis en croisant ses bras. Donc allez vous doucher et on prend le chemin du retour !
J'esquive Selena, notre infirmière rencontrée quelques jours plus tôt, dans le hall quand Ness s'arrête à sa hauteur en me pointant du doigt et je m'enferme dans une douche, mon sac pendu à un crochet.
Une demi-heure plus tard, on est dans le bus et cette fois, elle m'attrape le bras et m'oblige à m'asseoir à côté d'elle. Memphis s'installe derrière le volant, les perruches, Jonas, ses colocataires et les goals s'installent au fond du bus alors que les autres se regroupent devant. L'avantage de ce bus, et ce qui m'a conquis quand je l'ai découvert, c'est qu'il y a seulement dix rangées et qu'au lieu de deux sièges, ce sont des de mini-banc. Il y a donc la place pour étaler ses jambes et le couloir du milieu entre les deux lignes permet de se déplacer aisément.
— Tu dois me dire si tu as mal, lance alors Selena. Une blessure ignorée peut te coûter toute une saison. Tu en es conscient ?
— Ça ne pressait pas, je marmonne pendant que ses doigts massent mon épaule. Je n'ai déjà presque plus mal.
Selena m'écoute à peine, plus concentrée sur ce qu'elle fait que sur ce que je lui dis. Le bus prend la route et je regarde l'heure sur mon portable : il sera presque minuit quand on arrivera. Selena hoche alors la tête, satisfaite et elle resserre sa pince dans ses cheveux foncés avant d'attraper sa sacoche d'où elle sort une crème.
— Ça, avant d'aller te coucher et au lever, pendant six jours. Ton épaule risque de chauffer, ça te soulagera.
— Merci.
J'attrape le tube, le fourre dans ma poche et fuis vers Lael qui me fait signe de le rejoindre. La banquette du fond est prise par les perruches qui s'étalent. A gauche, Charleston est assis devant eux puis nous. De l'autre côté, Ness a le dos appuyé contre la vitre, les pieds posés sur le cuir et il me sourit, toujours avec autant de malice. Devant lui, Kim et Jonas regardent un truc sur un téléphone et ne s'intéressent à personne d'autre.
Lael s'appuie contre la vitre et je m'assois, dos à l'avant du bus, les jambes croisés et les bras posés sur le dossier de notre banc. Charleston hausse un sourcil quand nos yeux se croisent mais Omare se penche déjà vers moi, son index en direction de mon épaule.
— Tu as mal ?
— Maintenant qu'elle m'a tripoté, ouais, je siffle. Mais j'ai rien d'important.
— C'est ce qu'on dit jusqu'à ce qu'on soit obligé d'arrêter de jouer, le troisième.
Je jette un œil à Ness et il pose ses bras sur ses genoux, se calant mieux sur son banc. J'aimerai lui faire ravaler son sourire narquois et il doit le comprendre. Son rictus s'agrandit un peu plus avant qu'il attrape un truc entre ses pieds et le lance à Charleston, qui me le tend à son tour. Une petite fiole de whisky se retrouve entre mes mains et je les regarde tour à tour, sans comprendre.
— Pour ta première victoire, finit par dire Charleston et j'aperçois le froncement de sourcils d'Omare. Dis merci et bois.
Je m'apprête à renchérir sauf que je me retiens quand il fait un infime mouvement de la tête. A peine perceptible mais je le vois. On ne s'est pas énormément croisé cette semaine, Omare n'était presque jamais là et j'étais trop épuisé par mes journées pour traîner le soir, en rentrant. Néanmoins, une assiette m'attendait toujours sur la table-basse, le plus souvent avec la sienne déjà vide et ses cours en bordel. J'ai essayé d'assouvir ma curiosité et obtenir des réponses mais Charleston a constamment refusé, d'un non catégorie ou d'un simple mouvement. A force, j'ai fini par décrypter ses refus sans qu'il ne dise un mot.
— Le troisième aurait peur qu'on le drogue ?
Je sursaute et baisse les yeux sur la petite bouteille alors que la voix moqueuse de Ness attire le regard de Charleston. Je l'ouvre et avale une gorgée tandis que les garçons se mettent à parler du match, des points que nos tireurs ont mis, de notre jeu et de l'équipe adverse. Personne ne parle de mon placage, de la grimace que je tire quand la main de Lael serre mon épaule et ça me convient.
— On est arrivé ! clame Memphis quand il se gare devant le stade. Brett et Anton, vous m'aidez à faire nos verres. Ness, tu gères Max avec Charleston. Les autres, vous pouvez vous poser et vous faire servir !
Ness est déjà debout et il agrippe mon poignet en passant devant moi. Je n'ai pas d'autre choix que de le suivre : sa force me prend par surprise et je ne suis pas certain de vouloir me débattre. Derrière moi, Lael récupère la fiole qu'on a vidé et rapidement, il n'y a plus personne dans le bus. Memphis et Selena nous ouvrent la voie et l'équipe se retrouve dans le salon. Brett et Anton ont déjà les mains dans les placards, le reste se mélange, Selena fait le tour des joueurs et Ness s'arrête juste le temps de récupérer une clef dans le bureau de Memphis, ses doigts toujours entourés sur mon poignet.
— On va faire quoi, au fait ? je lui demande quand il reprend le chemin vers le terrain. Je suis incapable de courir deux minutes de plus.
— Je m'en doute, raille-t-il sans se tourner. On va à la salle de muscu. Charleston a peut-être envie de t'expliquer ?
— Non.
— Merci, je lui lance froidement et il hausse les épaules. Vous êtes aussi peu bavard l'un que l'autre.
— C'est drôle, de ta part.
Je fronce les sourcils, les yeux sur la nuque dégagée de Ness alors qu'on approche de la porte de la salle de muscu. Il l'ouvre, allume la lumière en relâchant mon bras et c'est Charleston, d'une pression dans mon dos, qui me fait entrer.
— Ton cerveau a déjà dû remarquer ceci, le troisième. Pas vrai ?
Je suis du regard l'endroit qu'il m'indique en sachant déjà ce que je vais trouver. Il y a une porte près du grand miroir du fond mais aucun gars ne l'a ouverte de la semaine. Romeo était tellement sur mon dos à chaque séance que je n'ai pas pensé à lui demander non plus.
— Tiens. A toi l'honneur de l'ouvrir.
— Je vais découvrir quoi ? je lance en attrapant la clef qu'il me tend. Les cadavres de l'équipe ?
— Peut-être bien, sourit un peu plus Ness.
— Tout le monde y est déjà allé ?
— Plus de questions. Ouvre-la, c'est tout.
Je me tourne vers Charleston. Je sens le regard de Ness faire des allers-retours entre nous mais je ne m'en préoccupe pas. Depuis lundi, il n'arrête pas de faire ça et j'ai fini par laisser courir. S'il doit dire quelque chose, il le fera.
Charleston me pousse de nouveau, doucement, et je m'écarte brusquement de lui. La sensation de ses doigts persiste et j'enfouis au mieux tout ce qui tente de faire surface, mes pieds me menant vers la porte pour fuir leur regard. Je ne veux pas voir l'incompréhension, la surprise sur leur visage. La clef dans la serrure, j'ouvre enfin la porte et enclenche la lumière puis fais un pas à l'intérieur de la pièce. Au premier coup d'œil, je ne remarque que les coupes de leurs précédentes victoires, une bibliothèque remplie de classeurs, une table contre le mur d'en face et une porte ouverte sur une cage d'escaliers qui mène sûrement aux gradins. Sauf qu'en m'approchant de la table, je me fige. Il n'y a pas une once de terreur, d'angoisse en moi, c'est l'extrême opposé. Lentement, je fais glisser mes doigts sur le tissu et lève le blouson pour être certain de ne pas rêver. Je le tourne, relis une dizaine de fois mon nom, l'essaye, l'enlève, l'étudie sous toutes les coutures et le repose. Memphis m'avait dit qu'il n'était pas encore arrivé mais visiblement, il m'attendait ici, au chaud.
Je le laisse de côté, évitant de l'épier de trop, et attrape plutôt la feuille à côté. Celle qui a attiré mon attention. Licence professionnelle de Max Tonnel, joueur officiel de l'équipe des Racoons. Mon droit de jouer, mon accréditation à être sur le terrain, au poste de libéro, derrière Kim et Jonas. Un simple papier pour lequel Memphis a galéré, parce qu'il a été refusé une première fois, mercredi. Aujourd'hui, trois jours plus tard, je le tiens entre mes mains. Brusquement, je serre les dents. Les larmes me montent aux yeux et je suis soulagé que les gars soient dans mon dos.
Précieusement, je repose ma licence et attrape mon blouson. Mes yeux survolent alors les photos placardées sur le mur. L'équipe qui a évolué ses quatre dernières années. Jonas et Brett, côte à côte, souriant. Charleston dans les cages, l'air affamé face aux perruches. Anton et Lael qui s'entrainent. D'autres plus anciens qui ne sont plus là aujourd'hui. Kim tout seul, ballon au pied, la tête penchée en arrière. Selena et Memphis en train de hurler et je reconnais les bannières le long des gradins : un des matchs de la League One de l'année dernière. L'équipe regroupée autour d'une table pleine de plats. Les photos ne s'arrêtent pas et les mêmes visages reviennent la plupart du temps, et souvent accompagnés des mêmes personnes. Je trouve Ness avec Brett ou Charleston. Jonas est un peu partout, les perruches sont rarement séparés, avec Lael.
— Tu auras le temps de les regarder plus tard. On monte.
Je m'oblige à détourner les yeux d'une photo où Charleston et Omare sont assis côte à côte, un sourire à peine perceptible sur les lèvres. Ness m'indique la cage d'escaliers et je le suis, mes doigts se resserrant sur mon blouson. Le vert pâle fait battre mon cœur un peu plus fort.
Ness s'arrête alors sur le petit palier devant une porte, la seule, et je prends conscience qu'on a dépassé l'accès aux gradins. Il tapote du doigt le panneau « interdiction de sortir » en regardant Charleston. Puis il revient à moi et penche la tête, son sourire se fanant légèrement.
— Le coach m'a demandé de t'amener ici, comme il a demandé à Jonas de te donner la clef du toit, murmure Ness en se rapprochant de moi. Il y a quelque chose chez toi qui lui fait prendre ses précautions et j'aimerai beaucoup comprendre ce qu'il a vu.
— Prendre ses précautions ? je répète. Il ne me fait pas confiance ?
— Rien à voir avec la confiance qu'il te porte. C'est plus ce qu'il y a là-dedans.
L'index de Ness vient se poser sur ma tempe et j'évite de flancher sous leurs yeux qui me dévisagent. Sauf que mon regard parle pour moi et Ness écarte sa main la seconde suivante, ne laissant rien. Pas de chaleur, pas de frisson, pas de dégoût, juste le néant. Son sourire revient et il fait tinter une clef avec la sienne, sur son trousseau.
— Au dortoir, tu as accès au toit. Ici, ton échappatoire est derrière cette porte. Tout le monde sait qu'elle existe mais ils ne savent pas qu'on est trois à avoir la clef. Charleston, toi et moi.
— Pourquoi ?
— Parce que les autres n'en ont pas besoin, répond Ness en déverrouillant la porte.
— Non, je veux dire : pourquoi moi ? Pourquoi encore une clef ? Je n'ai rien dit, rien fait qui...
— Est-ce que tu aurais peur que quelqu'un découvre tes secrets ? m'arrête Ness, malicieux. Je me ferai une joie de le faire, si tu veux le savoir.
— Bougez-vous, les autres nous attendent.
— Et moi, j'ai besoin de réponses, je crache à Charleston qui fronce les sourcils. Elles signifient quoi, ces clefs ?
— Tu finiras par le comprendre par toi-même.
— C'est ça, ta réponse ? Tu peux pas faire plus explicite ?
Ness s'écarte quand je me plante devant mon coloc, furieux. Il n'a rien voulu me dire pour le toit, il ne m'explique rien, il est vague et ce soir, entre la fatigue, mon épaule qui commence à me faire mal et Ness qui cherche à lire en moi, je sature. Le visage de Charleston me fait comprendre de me stopper là, de ne pas pousser trop loin. Je ferme les yeux et prends une longue inspiration avant de repousser violemment la main de Ness sur mon bras.
— Ne me touche pas, je siffle en le dévisageant. Et garde ta foutue clef, je n'en veux pas. J'ai aucun putain de problèmes.
Charleston se décale quand je fais un pas vers lui pour descendre les escaliers. La tension dans mes épaules descend d'un cran : je ne le frôle pas. Par contre, je l'entends retenir Ness alors que mes pieds cognent contre le béton. Peu de temps après, je me retrouve sur le terrain et je m'arrête sur le rond central, le cœur qui bat à tout rompre. Je prends une longue minute pour me calmer, mettre de côté les insinuations de Ness et ces sentiments qui se battent dans ma tête. Je ne sais pas à quoi joue le coach mais il va falloir qu'il s'arrête. Je n'ai pas besoin de cachette secrète, de clef pour fuir ou d'une épaule pour pleurer. Mon passé est enfermé à double-tour derrière moi. Et la présence de Kim ne changera rien à tout ça.
J'enfile mon blouson et rejoins le salon, où les verres ont déjà trouvé des mains libres et rapidement, les miennes ne sont plus vides. Le sourire d'Anton et ses félicitations éloignent ma rancœur, les perruches occupent mon esprit et Lael s'extasie devant mon blouson. Brett finit par nous rejoindre et il me serre l'épaule, un sourire victorieux aux lèvres.
— On a eu raison de te prendre, tu as ta place dans l'équipe. C'est un plaisir de partager le terrain avec toi.
— Il a raison ! s'exclame Jonas en s'incrustant. En une semaine, tu t'es habitué à chacun d'entre nous et tu t'es adapté pendant le match sans aucun soucis. C'était incroyable.
— Passable, corrige Kim en me lançant un regard. T'as encore énormément de choses à bosser. Mais peut-être qu'on va réussir à faire quelque chose de toi.
Surpris, je suis incapable de lui répondre et il me tourne le dos, suivi par Jonas qui lève son pouce dans ma direction une dernière fois. Les perruches s'extasient à ma place des compliments et je finis par remercier Brett qui m'assure avoir apprécié jouer avec moi. Finalement, on passe notre soirée ici, au stade, entre nous, à finir les bouteilles que le coach avait acheté en prévision.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top