Chapitre 6 - partie 2
— Qu'on soit clair, notre but est d'arriver aux vacances d'hiver avec notre nom inscrit sur la liste des équipes sélectionnées pour la League One.
Les gars autour de moi se mettent à sourire alors que Brett est devant nous, entre Jonas et Memphis. Mon entrainement personnel avec le capitaine et Kim s'est fini il y a quarante minutes mais je ne sens toujours pas mes jambes. Finalement, j'ai compris qu'ils y étaient allés doucement hier. Aujourd'hui, ils m'ont fait trimer comme un dingue parce qu'on n'a pas de temps à perdre et je me suis pris en plein tronche tout le retard que j'ai. Ils étaient déjà loin sur le terrain quand je me mettais à peine en route, le souffle court. Kim a été plus qu'infect à chaque parole qui sortait de sa bouche et Jonas n'a pas pu prendre ma défense vu mes piètres capacités.
J'inspire, le dos collé au béton, alors qu'à côté de moi, Lael a les coudes posés sur ses genoux, le corps penché en avant. Il est suspendu aux lèvres de notre co-capitaine, tout comme le reste de l'équipe assis sur les bancs. Le soleil nous réchauffe à peine, l'herbe commence enfin à sécher et notre entrainement a débuté il y a dix minutes. Sauf qu'au lieu de courir, Brett s'apprête à nous annoncer les nouveaux duo de progression ainsi que le nom de celui qu'il va garder.
Je tourne à peine la tête vers Daren. En entrant sur le terrain, il m'a contourné sans un mot. Lael a ricané en soufflant qu'il était vexé d'être mis sur la touche. Je n'ai même pas réagi : s'il veut agir comme un gamin, il le fera seul. Il a eu la place en premier mais ils m'ont rappelé pour combler ses lacunes. Ce n'est pas mon problème s'il n'a pas su être à la hauteur.
— Maintenant, si on veut y parvenir, il va falloir qu'on accélère le rythme et pour ça, il n'y a pas dix solutions. Juste une : jouer.
— C'est pour ça que les duo n'ont pas énormément changé, reprend Jonas. On a besoin de garder notre équipe soudée et certains d'entre vous bossent ensemble depuis un moment. Mais avec l'arrivée de Max, on a dû faire des ajustements. Donc : le trio perruches-Lael, vous ne bossez plus ensemble. Idem pour les goals, Kim et moi.
— Ça m'étonne, marmonne Omare à ma droite. Qui bosse avec qui, du coup ?
Je jette un regard à Kim qui serre les dents, debout contre le mur. Il ne fait aucune réflexion mais ses épaules parlent pour lui : il n'aime pas du tout ce qui se prépare. Jonas tape alors ses doigts contre le bois de son support et lit la fiche.
— Lael et Romeo, vous restez ensemble. Kim bosse avec Charleston et je vais avec Ness.
— Toi et moi ? le coupe alors l'arc-en-ciel avec son habituel sourire malicieux. Je pourrais savoir pourquoi ? La dernière fois, tu m'as assuré qu'on ne serait plus ensemble.
Je fronce les sourcils alors que le visage de Jonas se referme. Quelque chose lui déplaît mais impossible de mettre le doigt sur ce que c'est.
— On n'a pas le choix, répond finalement Brett. J'aurai préféré te laisser avec Kim mais ça ne fonctionne pas pour la suite.
— Ça, ça ne fonctionnera pas non plus.
La main de Ness fait un signe entre lui et Jonas. Romeo grogne avant de cogner son genou contre celui de Ness qui l'ignore. Il se tourne alors vers moi, se penchant en avant pour ne pas être gêné par les perruches entre nous tandis qu'il me fixe avec mesquinerie.
— Pourquoi tu ne dis rien le troisième ? Je suis sûr que tu te poses des questions.
— On m'a fait comprendre que tu n'y répondrais pas, je lâche sans détourner les yeux.
— Parce qu'ils t'ont répondu, eux ?
— Ness, claque sèchement Jonas mais il l'ignore.
— Ne leur en veux pas, ils ne comprennent pas plus que toi en réalité.
— Ça suffit.
Le voix grondante de Brett suffit à faire taire Ness. Il se rassoit correctement et joue avec ses gants, ignorant les regards qui nous dévisagent tour à tour. Mes yeux se posent sur Jonas qui scrute Ness, furieux. D'autres questions viennent s'ajouter à toutes celles qui tournent dans mon crâne mais une seule me torture réellement : c'est quoi le problème de Ness avec moi ?
— On ne changera plus les duos alors tu devras faire avec, affirme Brett quand Ness le regarde. Ensuite, Omare. Tu seras avec Daren.
Je me fige brusquement, tout comme Omare. Si lui et Bulldozer sont ensemble...
— Je suis avec Max, confirme le co-capitaine en me lançant un regard. Tu t'es adapté à mon jeu sans difficulté avant de reprendre ta place avec le duo juste après. T'as encore beaucoup de lacunes mais...
— C'est une blague ! s'emporte Daren en se relevant. Ça fait deux mois que je bosse avec toi et lui, il débarque et tu le choisis alors qu'il ne vaut rien ?
— Doucement, grince Lael. S'il est ici, c'est qu'il le mérite.
— Me parle pas de mérite quand il crache ses poumons au bout de dix minutes. Un mec comme ça ne devrait même pas être sur un terrain !
— C'est pour ça que Kim va se charger d'améliorer son endurance et sa vitesse.
Cette fois, je suis certain que je ne verrai pas la fin de cette semaine. Tout ça parce que d'un côté, Daren explose de rire en assurant à qui veut l'entendre que c'est voué à l'échec et que de l'autre côté, Kim écarquille les yeux avant de s'opposer à cette décision.
— Je ne te demande pas ton avis, tranche Brett en plantant son doigt dans le torse de Kim. Tu es le plus endurant de cette foutue équipe et que ça te plaise ou non, c'est toi qui va t'occuper de travailler sur les lacunes de Max. J'en ai rien à foutre que vous ne pouvez pas vous blairer. Tu veux arriver en finale ? Tu fais ce que je te dis.
— C'est hors de question ! Ca sera juste une perte de temps, il est incapable d'atteindre mon niveau !
— C'est ton problème à partir de maintenant. Le mien, c'est de diriger cette équipe pendant les entrainements pour en tirer le meilleur. Ton but, c'est de gagner. Tu ne pourras y arriver que si tes coéquipiers ont le niveau. A toi de permettre à Max de l'atteindre.
Brett n'attend pas que Kim renchérisse : il le repousse et se tourne vers le reste de l'équipe. Mais je reste figé sur la silhouette du buteur dont les poings forment deux ronds parfaits. Jonas lui lance un regard lourd de sens mais la voix de Daren me force à détourner mon attention.
— C'est vraiment sérieux cette histoire ? Max est chouchouté par toute l'équipe en fait ?
— Jaloux ? ricane Lael.
— Rien à voir ! J'ai fait tout ce que tu m'as demandé pendant des semaines, cingle Daren devant Brett. Et tout ça pour me la foutre à l'envers à la fin ?
— A ce que je sache, on n'est pas marié et je ne te dois rien.
Le choc épouse parfaitement les traits du bulldozer au moment où les perruches émettent un bruit qui ressemble à un rire étouffé. Les bras croisés, Brett ne démord pas de son choix et Memphis reste en retrait, les yeux qui virevoltent sur nous. Quand il s'arrête sur moi, l'ébauche d'un sourire apparait avant qu'il ne soit obligé de revenir à Daren.
— Vous allez regretter cette décision.
— Ce sont des menaces ?
— Juste la vérité.
Puis le bulldozer s'écarte froidement et rejoint la ligne de touche. Le poids qui pèse soudain sur mes épaules est purement psychologique. Ils ont tous constaté que je n'étais pas à la hauteur pour tenir un match entier et les mots de Daren viennent d'installer le doute sur le visage de mes coéquipiers. Je n'ai gagné la confiance de personne et il me reste un sacré trajet avant d'y parvenir.
— Omare, ça ira ? souffle Jonas au bout de plusieurs secondes.
— Oui, aucun problème pour moi.
— Alors on s'y met, ordonne Brett en tapant dans ses mains. Footing, étirements, renforcement puis exercices de passes. Mettez-vous en binôme. Ness, une critique et tu dégages.
— Sage comme une image.
Mes yeux le suivent quand il se lève pour rejoindre Jonas. Les autres l'imitent et se regroupent mais je ne vois que le froncement de sourcils du capitaine et le sourire de Ness qui s'agrandit. Puis, Brett se plante devant moi et retient Kim par le poignet lorsqu'il tente de nous éviter.
— Pendant les entrainements, je me charge de Max. Mais en parallèle, je veux que tu lui fasses un programme de remise à niveau. Il doit tenir un match entier avant décembre. C'est clair ?
— Pourquoi c'est pas Jo qui s'en occupe ? crache Kim en me fusillant du regard.
— Parce qu'il est capitaine. Maintenant, rejoins Charleston et fais ce que je dis. Ma patience a atteint ses limites.
Kim s'arrache à la poigne de Brett et dépasse le goal sans un mot. Charleston pose ses gants sur le banc et nous lance un regard avant de le suivre. Le co-capitaine soupire en passant une main sur son visage comme si tout ce bordel venait de pomper son énergie.
— A toi. Tu as quelque chose à dire ?
— Pourquoi m'avoir choisi ? je lance en me levant. Daren a raison, vous avez bossé votre jeu depuis plus longtemps et tout ce travail est inutile maintenant.
— Ce qu'il n'a pas réalisé, c'est qu'on a mis un mois à se coordonner quand, en vingt minutes, tu t'es calé sur mon rythme.
Brett lève une main entre nous, m'interdisant de demander plus d'explications. Je referme la bouche, décidé à ne pas l'énerver plus qu'il ne l'est déjà et le suis quand il me fait signe de le rejoindre. Je découvre alors pourquoi Romeo disait que l'équipe a un fonctionnement différent des autres.
Les duo de progression ne sont pas simplement fait pour l'échauffement et la salle de muscu. Ils sont aussi sur le terrain à jouer l'un contre l'autre et monter de nouvelles tactiques. Les milieux ensemble au centre du terrain, les arrières latéraux qui les suivent, les tireurs et goals dans une surface de réparation puis Brett et moi. Memphis passe de groupe en groupe, avec Jonas quand il ne s'entraine pas, laissant Ness avec l'autre goal. Mais ils ne viennent jamais vers nous, comme si la présence de Brett nous exemptait de tout conseil. Ce qui est le cas, vu la façon dont le stoppeur dirige notre entrainement.
— En position.
Je grogne en rattrapant le ballon qu'il m'envoie. Mes poumons sont en feu, je m'essuie le front avec le bas de mon t-shirt puis secoue mes bras avant de recommencer. Balle au pied, j'essaye une nouvelle fois de dépasser Brett en analysant son comportement. Mon jeu de jambe ne lui plait pas, ma vitesse le fait gronder dès qu'il m'arrache le ballon et je n'ai pas le droit de prendre une pause.
Pour la énième fois, son épaule rencontre la mienne quand son pied me vole la balle. Mon corps capitule et je roule dans l'herbe, gémissant sous l'impact. Sur le dos, j'inspire alors que Brett vient me surplomber.
— Relève-toi. C'était minable.
— Je n'en peux plus.
— Et ? Tu crois que tes adversaires vont attendre sagement que tu reprennes ta respiration ? ricane Brett en me tendant sa main. Dès que tu tombes, tu te relèves et tu enchaînes. La moindre seconde peut nous faire perdre un match.
Je serre les dents quand il me tire vers le haut sans aucune douceur. Je fais rouler mon épaule tandis qu'on se remet en position. Puis le ballon atterrit à mes pieds et le co-capitaine n'attend pas que je prenne les devants cette fois-ci. Il me tombe dessus en moins de deux secondes et je fais au mieux pour garder la balle, les jambes en coton, le souffle court et l'impression que la mort glisse lentement vers moi.
Une grosse heure plus tard, Memphis siffle et nous fait signe de prendre une pause. Mais Brett, comme moi, ne bouge pas. Les bras écartés, il guette mes pieds tandis que je cherche une faille. Nos cheveux sont plaqués contre nos visages, je suis en sueur, mon corps entier est lourd mais je sais que je peux réussir. Brett commence à fatiguer, à force de tourner en rond à cause de la frustration. Il adule ma capacité à anticiper et prévoir les mouvements mais il déteste tout le reste, ce qui l'a poussé à me rentrer dedans. Il s'est donc fatigué tout seul, pour mon propre plaisir.
Mon pied tape alors le ballon et je vire sur la droite à l'instant où Brett se décale sur ma gauche. Je fonce, fais un demi-tour quand il change de trajectoire et esquive son pied d'un petit saut pour continuer de courir vers le goal. Je serre les dents et puise de l'énergie dans le peu de force qu'il me reste. Brett me dépasse sans aucun mal et je ralentis brusquement en écartant le ballon qu'il frôle. J'aurai aimé être satisfait devant son regard furieux mais je suffoque, complètement à bout. Pourtant, je ne lâche pas. Je tente une nouvelle feinte mais Brett réagit immédiatement et je suis obligé de reculer. Mes yeux fouillent l'espace, mémorise ses gestes mais mon cerveau en compote ne tire plus rien de ce qu'il voit.
Et ça, Brett s'en rend compte. Il sourit soudainement et la seconde suivante, il est devant moi, son corps qui se penche pour me bloquer la vue du ballon tandis qu'il le cogne sans douceur. L'instant d'après, il est à plusieurs mètres de moi, victorieux. Mes genoux lâchent et je me retrouve assis, les jambes étendues, à la recherche d'air. Une main derrière moi, j'essaye de me soutenir comme je peux alors que mon corps s'engourdit.
— Il t'en fait baver, rit Romeo en s'accroupissant à côté de moi. Vu que j'imagine que tu es incapable de te lever, je t'ai ramené ça.
Je lui arrache presque la bouteille d'eau et l'ouvre avant de la vider. Une serviette tombe sur mes cheveux et je me redresse. Ma main libre l'agrippe et je repose la bouteille avant de me la passer sur le visage puis la nuque.
— Pause de vingt minutes et on reprend.
J'acquiesce à peine alors que Brett rejoint les autres sur les bancs. J'aurai eu la force de me lever, j'y serai allé. A la place, je grimace en m'étirant pour éviter les courbatures. Romeo me sourit avant de suivre le co-capitaine.
Vingt minutes, ça ne m'a pas suffi pour reprendre l'entrainement dans un meilleur état. Et quand Brett a décidé de faire une match de quarante minutes pour finir, j'ai simplement été une serpillière sur laquelle Kim n'a pas arrêté de cracher pendant que Daren ne se gênait pas pour faire des remarques de plus en plus tranchantes. Personne n'a rien dit, je ne me suis pas défendu. J'ai simplement quitté le stade en silence dès que Memphis nous a autorisé à partir.
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