Chapitre 4 - partie 1
Samedi après-midi a été un calvaire auquel le coach Memphis n'était pas prêt. Mon bordel familial lui a compliqué la tâche lorsqu'il a dû faire une demande de licence pour que je puisse jouer dans son équipe. Puis le changement de mon emploi du temps a été tout aussi désastreux. Passer de six matières à quatre, pour alléger ma charge de travail, est un choix coriace et j'ai salement joué avec la patience de Memphis. Il a fini par me balancer ses stylos au visage alors que je râlais contre son ordi qui date des dinosaures. En clair, on a passé plus de trois heures à faire mon dossier, aménager mon nouvel emploi du temps pour que mes heures d'entrainements ne gênent pas mon cursus scolaire et m'expliquer le fonctionnement de l'équipe. Pourtant, à chaque instant, j'étais aux anges dans ce bureau, à écouter Memphis me parler de mes coéquipiers, la saison qui arrive, les objectifs qu'ils se sont fixés et les événements auxquels je devrais participer. Hormis sa patience inexistante, il a été compréhensif lorsque j'ai refusé de lui parler de mon passé, de ma famille, de tout ce que mon dossier ne mentionne pas.
Puis avant que je quitte le stade avec un nouveau semestre entre les doigts, Memphis m'a annoncé que je changeais de dortoir. Je quitte la résidence universitaire et mes neuf mètres carré pour rejoindre le dortoir des équipes sportives.
C'est ainsi que je me retrouve dans la voiture d'Omare, propre cette fois, mes affaires entassées sur les sièges arrières et dans le coffre en ce dimanche matin. Sauf qu'au lieu du métis derrière le volant, c'est encore Charleston. Je soupire quand il change pour la énième fois la station de radio. Le trajet est un peu plus long que je le pensais : le dortoir est un peu excentré pour permettre aux sportifs d'accéder aux différents complexes sportifs qui sont éparpillés à l'arrière de l'université.
— La prochaine fois que tu changes, je balance l'autoradio par la fenêtre, je menace Charleston quand son doigt se rapproche de l'engin.
— Omare te brisera la main.
— Puis ton crâne pour trafiquer sa bagnole.
— Cette colocation commence bien.
J'esquisse un sourire alors qu'il abandonne la musique, posant sa main sur le pommeau de vitesse. Quand Memphis m'a annoncé que la seule chambre de dispo était dans l'appart d'Omare et Charleston, je me suis d'abord demandé comment ces deux-là pouvaient vivre ensemble. Puis je me suis demandé comment moi j'allais faire pour apprendre à vivre avec eux alors qu'ils ont déjà leurs propres habitudes. L'angoisse de m'immiscer dans un endroit où je n'ai pas ma place a été balayée lorsque Charleston m'a annoncé qu'Omare avait déjà fait de la place dans la salle de bain.
La voiture-épave se gare enfin sur le parking du dortoir et je me penche sur le tableau de bord pour regarder la devanture de l'immeuble. Cinq étages, aucun balcon et un hall d'entrée sécurisé par un badge. Je sors de la caisse en même temps que Charleston avant d'attraper mon sac et deux cartons.
— J'y croyais plus ! Lael, ouvre le coffre et prends ce que tu peux, lance Omare en sortant de l'immeuble. Romeo, aide-le. Et toi, donne-moi ça.
Mes cartons disparaissent entre les mains de mon nouveau colocataire alors que Lael pose une main sur mon épaule, un sourire de dingue sur le visage avant de suivre Romeo jusqu'au coffre. Charleston retient la porte du hall, les bras croisés, et je me dépêche de récupérer d'autres cartons à l'arrière. Les bras chargés, on se glisse dans l'ascenseur et j'écoute Omare et Romeo parler de la soirée qu'ils organisent pour m'accueillir. Je tente de les dissuader mais ils ne veulent rien entendre et Charleston me pousse hors de l'ascenseur quand on arrive au quatrième étage. Une immense fenêtre habille le mur du fond tandis qu'il y a deux portes sur le mur de gauche et une à droite. Trois appartements et je sais déjà que nous ne sommes pas tous logés ici.
— Le troisième étage et celui-ci appartiennent aux joueurs de foot, m'annonce Lael tandis que je suis Omare jusqu'à la deuxième porte de gauche. Ici, tu as la plupart des joueurs dit officiel. Dessous, il y a le reste de l'équipe et un appartement vide, en cas.
— Je partage ma piaule avec Ishan, Brett et Daren, en face de la vôtre, lance Romeo en m'indiquant sa porte du menton. La dernière porte, à côté de la tienne, c'est l'appartement de Lael, Kim et Jo.
— Mais la plupart du temps, on se retrouve tous dans leur appartement, se marre Omare en désignant son meilleur ami. Ils ont le plus grand salon.
— Magnez-vous.
Lael tire la langue à Charleston quand il ouvre la porte à la place d'Omare. Les gars entrent tous avant moi et se dirigent déjà vers la chambre qui m'a été attribuée pour y déposer les cartons. Je m'arrête dans l'entrée et j'ignore le regard clair de Charleston posé sur moi. Ça n'a rien à voir avec ma chambre étudiante. La cuisine est toute équipée à ma gauche, une porte à deux mètres du frigo est entre-ouverte et j'aperçois une douche. Deux grandes fenêtres laissent entrer la lumière avec entre elles, une bibliothèque. Une télé d'angle fait face à deux canapés installés en biais dans la pièce. Une table ronde me fait face et j'y dépose mes cartons tandis que les gars repartent chercher mes dernières affaires. Je sais que je devrais les suivre mais je suis hypnotisé par ce luxe qu'on m'offre sur un plateau d'argent.
Je n'ai jamais vécu dans un appart aussi grand, je n'ai jamais eu de vraie chambre. J'ai toujours tout partagé avec d'autres personnes et aujourd'hui, malgré le fait de vivre en coloc, j'ai l'impression d'avoir enfin mon propre espace. Parce que sur la bibliothèque, une étagère est libre, un meuble de cuisine est vide, et l'une des trois portes sur le mur de droite me mène à ma chambre. J'ai déjà les pieds dans celle du milieu et mes yeux farfouillent absolument tout l'espace. Un lit un peu plus grand qu'une place m'attend dans un angle, une commode en face et à l'opposé, un bureau, un petit meuble de rangement et une penderie. Les gars ont laissé mes cartons au centre de la pièce et je laisse mon sac en bandoulière retomber sur mon lit alors que je m'y assois pour tester le matelas, les yeux posés sur la fenêtre en face de la porte.
— Où est-ce qu'ils trouvent l'argent pour payer des appartements aussi bien meublés ?
Charleston hausse les épaules en rapportant les cartons que j'ai abandonné dans le salon. Il les laisse sur mon bureau avant de faire le tour de la chambre des yeux. Je l'imite tout en réfléchissant déjà à ce que je vais coller aux murs pour me sentir un peu plus chez moi. J'ai une dizaine de cartons à vider mais ils ne contiennent pas grand-chose côté décorations. Ce sont surtout des fringues, produits et babioles pour mes études. Et un carton est rempli de photos mais la plupart y restera bien enfermée.
— Vous priez ?
Lael se marre quand Omare nous fixe tour à tour en déposant les derniers cartons sur les autres. Charleston me lance un regard puis quitte la pièce sans un mot.
— J'espère sincèrement que tu seras plus bavard que lui, me glisse Omare en ouvrant ma fenêtre. Bon, je dis ça mais je suis rarement ici : c'est pour ça qu'ils nous ont mis dans le même appart quand je suis arrivé, ça lui permet d'être seul.
— Pourquoi m'avoir mis avec vous alors ? je demande en le rejoignant.
— C'est lui qui a demandé au coach. Me regarde pas comme ça, je ne comprends pas non plus !
Je secoue la tête au moment où la cafetière chauffe dans l'autre pièce. Omare pose une main sur mon épaule, tout sourire, et ça renforce ce sentiment de bien-être qui m'envahit. Pourtant, la chaleur de son corps n'a aucun effet sur le mien, comme d'habitude. Je parviens néanmoins à sourire en coin.
— Bienvenue chez toi. Si tu veux, tu peux déballer tes affaires maintenant. Romeo a déjà commandé japonais pour ce midi, j'espère que t'aimes ça.
— Jamais goûté, j'avoue et il écarquille les yeux. C'est si grave que ça ?
— C'est un crime. Encore heureux qu'on remédie à ça rapidement.
Je souris un peu plus alors qu'il s'éloigne vers la porte. Je m'arrête près des cartons et commence à en ouvrir un que je dépose sur ma commode. Dans l'embrasure de la porte, Omare s'arrête et tourne légèrement sa tête vers moi, alors que deux petits mètres nous séparent.
— Je suppose que Charleston ne te l'a pas dit mais je t'ai fait de l'espace dans le meuble de la salle de bain.
— Tu supposes mal : il me l'a dit. Merci d'ailleurs.
L'impression qu'Omare arrête de respirer me stoppe dans mes mouvements et je lui lance un regard surpris. Il ouvre la bouche, la referme avant de jeter un œil dans le salon puis de revenir sur moi. Il passe alors une main dans ses cheveux crépus et penche la tête sur le côté, ses doigts sur sa nuque.
— Il te l'a dit, il répète doucement. Il y a vraiment un truc qui m'échappe.
— Je comprends pas.
— Moi non plus.
Puis il sort simplement de ma chambre sans aucune explication. Ma curiosité me hurle de le suivre mais je m'oblige à ranger mes fringues. Je n'aurai pas le temps de m'y mettre cet après-midi et l'équipe a déjà décidé qu'on faisait un repas ce soir.
— Café, m'annonce Lael quand il entre dans ma chambre et dépose une tasse sur le bureau à sa gauche. Alors, première impression ?
— L'équipe de foot est riche.
Il éclate de rire en s'asseyant sur le bureau, son propre café à la main. Il me tend le mien quand je le rejoins et je retourne vers les cartons au centre.
— On se donne à fond pour avoir des sponsors et des aides financières. Tu as vu la salle de bain ?
— Toujours pas.
— J'ai hâte de voir ta tête, alors.
Je fronce les sourcils et attrape mon carton pour cette pièce avant de traverser le salon et d'ouvrir la porte d'un coup de pied. Lael se cale contre le mur quand j'entre dans la salle de bain et il s'émerveille devant ma tronche choquée. Ce n'est pas une salle de bain, ça. La douche que j'ai aperçu est bien plus grande que je ne l'imaginais et prend la moitié du mur. L'autre moitié est remplie par un lavabo et une machine à laver. En face, le fameux meuble de rangement est au deux-tiers rempli.
— Avoue, ça tue.
Je secoue la tête, le carton sous le bras alors que j'ouvre la porte de la douche. Elle est carrément équipée pour les jets d'eau de massage et la musique ! Je remarque alors la cloison qui cache les toilettes mais reviens rapidement à la douche.
— Il faut absolument que vous m'expliquiez comment ça marche, je lance à Omare et Charleston qui sont entrés dans la pièce. Attendez, ça marche vraiment au moins ? Ou c'est juste là pour la frime ?
— Ça fonctionne et c'est putain d'agréable, se marre le métis. Les jets de massage sont une tuerie après un match.
— Je suis au paradis.
— C'est souvent l'effet que ça fait, rit Lael. Il n'y a que Charleston qui ne s'émerveille pas devant ce bijou.
— Aucune utilité, souffle ce dernier.
— On en reparlera le jour où tu t'en seras servi !
Le brun ignore Lael mais ne me lâche pas du regard alors que je guette tous les boutons incrustés dans le mur. Il y a trop d'options pour que ce soit humain de tous les utiliser en une douche.
— Salut tout le monde. Vous avez une fuite d'eau ?
Je sursaute quand la voix de Jonas sort de nulle part. Mes yeux le trouvent dans le salon, derrière Lael, qui lui explique que je découvre simplement les merveilles d'une douche toutes fonctions. Leurs sourires amusés me font lever les yeux au ciel et je m'éloigne de la douche.
— L'appart te plait ?
— Je passe d'une cage à hamster à ça, alors ouais.
J'entends le rire de Romeo et Jonas acquiesce, moqueur, avant de suivre Lael dans le salon. Mes colocataires les suivent et je vide mon carton, mes yeux revenant dès qu'ils le peuvent sur la douche. Je dois être dans un rêve, ce n'est pas possible. Fini les douches collectives, les regards des uns et des autres, les moqueries. Entre la salle de bain ici et les cabines individuelles au stade, je n'ai plus l'obligation de me foutre à poil avec une bande de gars. J'ai enfin de l'intimité.
Quand je retourne dans ma chambre, l'esprit en ébullition, je me fige devant la clef posée sur mon bureau. Un porte-clef en bois pend au bout d'une corde et je le lève pour y découvrir une gravure de la rose des vents.
— Ta clef pour l'appart.
Je hoche la tête alors que la voix de Charleston me parvient de derrière. La sensation du porte-clef dans ma main est étrange, encore plus lorsque j'y rajoute le poids de la clef. Quand j'ai récupéré celle de ma niche étudiante, je n'étais pas autant chamboulé. Je soupire silencieusement pour repousser la boule dans ma gorge avant de faire face à Charleston. Je réalise alors qu'il a légèrement rabattu la porte derrière lui et que son sourire en coin est revenu.
— Omare était surpris quand je lui ai dit que tu m'avais prévenu pour la salle de bain. Pourquoi ?
La surprise passe sur son visage une courte seconde. Je ne m'attendais pas non plus à dire ça mais les mots m'ont échappé. Charleston hausse simplement les épaules, comme si ça n'avait aucune importance puis il sort de ma chambre, lançant un dernier regard à la clef dans ma main. L'idée que le porte-clef lui appartienne me traverse alors l'esprit mais je ne le rattrape pas pour lui poser la question. Il ne me répondra pas, je l'ai bien saisi.
Une grosse heure plus tard, je déplie mon dernier carton et le glisse sous mon lit, avec les autres. Dans le salon, la télé diffuse un match de sport et les commentaires des perruches et de Lael me parviennent avec véhémence. Je ne sais pas qui joue contre qui mais les deux équipes ont l'air d'être de belles tâches. Jonas est reparti après s'être assuré qu'on serait là ce soir.
J'attrape la boîte en métal laissée sur mon bureau et l'ouvre enfin. Des centaines de photos sont entassées et j'en sors les premières, les posant à côté de la patafixe. Mon bureau est en ordre mais je sais que ça ne durera pas, comme le dessus de ma commode où j'ai déjà entassé mon portefeuille, portable, chargeur, ordi.
Quand j'ai enfin les photos que je désire, je referme la boîte et la glisse en bas de ma penderie, où une seconde boîte en ferraille est déjà stockée. La première pour ces deux dernières années et la seconde pour toutes celles d'avant, bien plus imposante. De nouveau devant mon bureau, je colle les photos une à une sur le mur avec des petites boules de patafixe, mon cœur s'allégeant devant le sourire de tous ces gens qui m'attendent cet après-midi.
— Le repas est arrivé. Ramène-toi, je dois t'apprendre à manger avec des baguettes maintenant, me lance Omare en passant la tête dans ma chambre. Ça a déjà plus de gueule maintenant que t'as vidé tes cartons !
— Les murs sont encore trop vides. Et je mange avec une fourchette, pour info.
Son visage se fige avant qu'il ne prenne un air offusqué, la main sur le torse. Je plisse les yeux, inquiet, lorsqu'il se tourne vers le salon.
— Romeo ! Le nouveau veut manger avec une fourchette !
— Au bûcher !
— N'exagère pas ! je hurle en le rejoignant pour fixer Romeo dans le canapé. Je sais pas manger avec des baguettes !
Assis par terre, Charleston relève les yeux de son carton dans lequel il touille ses baguettes. A côté de lui, Lael attrape une brochette, la bave aux lèvres. Romeo secoue la tête et je n'ai pas fait un pas vers la cuisine qu'Omare me tire déjà vers la table basse qu'ils ont largement remplie de nourriture. Plusieurs pots cartonnés sont plein de nouilles, il y a des boîtes de sushis, d'autres de brochettes, d'algues, de légumes grillées et devant Lael, j'aperçois des nems bien entamés.
— Assis, et apprend.
— Je vais m'en mettre partout, je geins en attrapant les baguettes que me fourre Romeo de force dans les mains. Pour un premier repas, c'est pas la meilleure impression que je puisse faire !
— Tu ne feras pas pire que moi, ricane Lael. Je leur ai vomi dessus.
— On mange, siffle Charleston.
— Tu manges. Pour l'instant, Max regarde la table comme si Dieu allait intervenir.
Je tends mon majeur à Lael qui explose de rire en face de moi. Romeo à ma gauche et Omare à ma droite, je me retrouve avec des plats japonais sous le nez et un cours sur l'utilisation des baguettes en moins de cinq secondes. Heureusement que mon cerveau est une vraie éponge : j'observe et je répète leurs gestes. A mon grand soulagement, je parviens à manger sans ressembler à un bébé. La discussion s'oriente rapidement sur les goûts culinaires de chacun et je découvre que je ne connais vraiment rien à la bouffe. Charleston ne participe presque pas, Omare me promet qu'il va me faire goûter toutes sortes de plats tandis que Lael et Romeo lui rappellent qu'on a une ligne à garder. Leur complicité m'explose au visage alors qu'ils se charrient et je perçois même le sourire de Charleston à plusieurs reprises.
Je débarque vraiment dans un autre monde et je peine à réaliser la chance que j'ai.
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