Chapitre 3
Mon sac en bandoulière calé sur l'épaule, j'attends Jonas devant le portillon de ma résidence. Il est presque sept heures, le soleil est levé depuis un moment et je suis intenable. J'ai eu un mal fou à m'endormir et j'étais déjà en train de tourner en rond au réveil.
Une jeep se gare alors devant moi et je me tends devant le regard sombre de Kim. A l'intérieur, Jonas se penche et me fait signe de monter à l'arrière sauf que je n'ai pas le temps de poser la main sur la poignée que la porte s'ouvre déjà sur Lael.
— Allez, on active, le nouveau ! Memphis nous attend déjà, on est à la bourre.
Je grimpe à côté de lui et Jonas repart sur la route.
— Stressé ? demande Lael en me tendant un gobelet fumant. Café, j'espère que t'en bois.
— Merci. Je dirai plus paumé que stressé, j'ai aucune idée de ce que je fous avec vous en fait.
— Nous non plus, crache Kim devant moi.
— Le coach t'expliquera mais t'as fait une sacrée impression à l'équipe, aux sélections.
— Vous ne m'avez pas choisi, je rappelle à Lael qui hausse les épaules. Vous avez carrément pris un bulldozer qui a failli vous coûter la saison dès votre premier match.
Les yeux braqués sur Lael dont le sourire s'agrandit, j'aperçois quand-même l'air étonné de Jonas qui ne quitte pas la route du regard. Kim marmonne une connerie que je ne prends même pas la peine d'écouter.
— Je vous l'avais dit qu'il était là ! s'exclame Lael. Mais Daren est un bon élément malgré son comportement. Et on est toujours dans la course pour le championnat donc tout va bien !
— En le recrutant, on est sûr d'aller droit dans le mur.
— Si t'es venu pour le démonter à la moindre occasion, tu dégages, siffle Jonas en jetant un regard noir à Kim. Je suis clair ?
Il me faut une seconde pour comprendre que cet abruti ne faisait pas référence au bulldozer mais à moi. L'envie d'enfoncer mon poing dans l'arrière de son crâne me chatouille mais je me concentre sur le café entre mes doigts. Par chance, on arrive au stade et dès que la voiture est garée, j'en sors. De l'autre côté, Jonas et Lael font la même chose en discutant. Je n'ai pas fait un pas que Kim agrippe mon poignet et se rapproche de moi, menaçant.
— T'as pas intérêt d'ouvrir ta gueule sur tout notre bordel. Ils ne savent rien et ça ne regarde personne ici.
— Au moins une chose sur laquelle on est d'accord.
Kim contracte les mâchoires, prêt à renchérir, mais je me dégage de sa prise et contourne la voiture pour rejoindre Lael, bien plus chaleureux. Les yeux de Jonas font des allers-retours entre Kim et moi mais je l'ignore. Qu'ils réalisent qu'on ne peut pas se blairer, je m'en fous, mais qu'ils apprennent tout le reste, je refuse. Kim fait partie du passé et il va y rester, même si on doit partager le même terrain.
— Tu connais le stade en tant que spectateur mais maintenant, et si on te garde, tu passeras par là.
Je suis Lael jusqu'à une porte privée et il tape un code sur l'écran de sécurité avant de me passer devant. Pendant qu'on longe le couloir, il m'apprend le code et m'indique les espaces. A la fin du couloir, on tombe sur un salon et une petite cuisine. Une télé est accrochée au mur, plusieurs canapés forment un cercle et des poufs sont posés à même le sol, devant la table basse. De l'autre côté, un frigo, des plaques, un micro-onde et une cafetière font office de cuisine ainsi que table ovale, assez grande pour y caler une vingtaine de personnes.
Lael continue son chemin vers le fond ouvert sur un hall. Au bout, il y a l'accès pour rejoindre le terrain et les espaces dédiées aux équipes lors des rencontres. Sur le mur de droite, trois portes donnent accès à l'infirmerie, le bureau de Memphis et le débarras. A gauche, en plus des bancs qui longent le mur, il n'y a qu'une double-porte qui donne sur les vestiaires.
— Vous êtes enfin là. Charleston, Romeo et Omare sont déjà sur le terrain en tenue. Changez-vous et toi, tu me suis.
Je papillonne des yeux, complètement perdu, alors que Memphis retourne dans son bureau sans un autre mot. Lael me tapote l'épaule avant de suivre le duo dans les vestiaires. Je balance mon café vide dans la poubelle du hall et entre dans le bureau du coach.
— Tu vas bien ?
— Je sais plus vraiment.
Il hausse un sourcil en relevant les yeux d'un paquet de feuilles. Maintenant qu'il est devant moi, sans personne d'autre autour, je me concentre plus facilement sur lui. Ses yeux verts me scrutent, attendant que je m'explique et son t-shirt me permet de constater qu'il n'a pas que les mains de tatouées. Un sourire en coin vient alors étirer ses lèvres et je me renfrogne. Je n'ai aucune discrétion mais j'ai pris cette sale habitude de détailler les gens.
— J'imagine que de te retrouver ici, de cette façon, est un peu précipité, il commence en se redressant. Tu as été naze aux sélections pendant la seconde période, quelques gars de l'équipe ont refusé de te prendre pour diverses raisons et j'étais d'accord avec eux. Tu n'as pas d'endurance, tu es lent et le ballon t'échappe trop facilement. Il...
— Si je suis venu pour me faire lyncher, je connais la sortie.
— Il va y avoir du travail pour te remettre à niveau sur ces points-là, continue Memphis en ignorant ma remarque. Si tu joues sur mon terrain, tu dois être capable de suivre le rythme de Jo et Kim. Officiellement, tu auras le poste de libéro. Officieusement, tu seras la défense de mon duo d'attaquant.
Je laisse mon sac retomber au sol alors que derrière nous, les garçons sortent des vestiaires. Des pas se rapprochent du bureau mais pas assez pour qu'ils nous aient rejoint tous les trois. Quand seul Jonas s'arrête à côté de moi, je me permets de lancer un regard au-dessus de mon épaule. Kim est seul, bras croisés contre la chambranle de la porte, et tout en lui hurle qu'il est contre ce choix.
— Je ne comprends pas, je finis par dire en me tournant vers Memphis. C'est le rôle de vos milieux défensifs et du bulldozer. Pourquoi vous me voulez alors que vous avez déjà des bons éléments ?
— Bulldozer ?
— Daren, répond Jonas. Au lieu de lui expliquer, on peut lui montrer sur le terrain. Ce sera plus simple.
Le coach ne dit rien, ses yeux me détaillent simplement. Je ne sais pas ce qu'il cherche, ou ce qu'il finit par trouver, mais il hoche la tête et me lance un sachet plastique encombrant par-dessus son bureau. Je l'attrape et un frisson glisse sur ma colonne. La couleur de l'université, ce vert pâle, menthe, que je rêvais de porter en juin. Je l'ai entre les mains.
— Ce n'est pas ta tenue officielle, mais ça fera l'affaire pour aujourd'hui et la semaine prochaine, si tu restes. Va te changer et rejoins-nous sur le terrain.
J'acquiesce sans un mot, tirant déjà sur le plastique alors que mes pieds m'amènent à la double-porte. Je ne mets pas plus d'une minute pour me déshabiller et enfiler l'équipement. Je replace mes protège-tibias correctement en remontant mes chaussettes puis en rejoignant l'extérieur, je tire mes manches longues pour dégager mes poignets.
— Ça te va carrément bien, cette couleur !
Deux nouvelles têtes me font alors face. Un métis me tend sa main que j'attrape alors qu'il se présente : Omare, milieu défensif, numéro 11. Il fait bien une tête de plus que moi, tout comme l'autre garçon à l'allure latino, dont le sourire éloigne mon inquiétude.
— Romeo, je suis son meilleur pote, il se présente en rattachant ses cheveux en un chignon bordélique. Je suis en défense aussi, mais latéral.
— En gros, il rattrape mes conneries, renchérit Omare. Et on va te faire vivre un enfer ce matin.
Mon inquiétude remonte finalement en flèche alors qu'ils se marrent. Comme si Lael sentait le désespoir m'envahir, il apparait derrière les deux gars, passant ses bras sur leurs épaules.
— Ne martyrisez pas le nouveau, les perruches. Hé, ça te va bien le vert !
— Ils vont me faire vivre un enfer ? je répète en espérant que Lael nie. C'est vrai ?
— Ouais. C'est un peu ton épreuve d'admission. On aurait voulu que Brett soit là mais pas dispo. Donc tu vas faire face aux perruches, et à moi.
Je fronce les sourcils alors que le trio devant moi parait bien sûr de lui. Leur sourire pourrait faire jalouser le soleil.
— Oh, quand vous voulez ! Max a cours dans une heure et demi, Charleston dans deux heures ! On n'a pas toute la matinée !
— Bon courage, me souffle Romeo avant de me tourner le dos.
Lael me fait un clin d'œil alors qu'ils trottinent vers les cages à droite. Memphis m'indique de le rejoindre. Mes yeux suivent le mouvement des joueurs en même temps que je traverse le terrain. Appuyé sur un poteau des buts, Charleston ne me quitte pas du regard.
— Tu vas t'échauffer dix minutes avec Jo et Kim, m'annonce Memphis dès que je suis devant lui. Comme ça, tu vas pouvoir t'adapter à leur vitesse, dans la limite de ce que tu peux faire. Ne force pas, ne t'épuise pas, fais à ton rythme.
— Pourquoi ?
— Parce que c'est comme ça qu'on pourra juger de ce dont tu as besoin.
Il me jauge de haut en bas avant d'approuver de la tête ma tenue. S'il me dit aussi que le vert me va bien, je vomis sur son gazon artificiel, ça leur fera passer l'envie de me complimenter.
— Ensuite, tu vas jouer une période à trois contre trois. Les perruches et Lael protégeront les cages et Charleston sera le goal. Toi, tu dois créer des occasions pour que Jo et Kim marquent. Tu fais ce que tu sais faire, tu joues comme tu sais jouer.
— Je pourrais pas avoir plus de détails ? je marmonne en direction de Jonas. Si je suis ta défense, je fais comment pour t'ouvrir la voie ?
— C'est exactement pour répondre à ça qu'ils t'ont demandé de venir.
Je tourne lentement la tête vers Kim qui ne rajoute plus rien. Je hais ce que ses mots réveillent en moi, car ils me ramènent à des mois en arrière, quand c'était avec lui que je jouais sur un terrain.
— Joues comme tu l'as fait pendant la première période aux sélections, c'est tout ce qu'on veut.
Je hoche la tête en direction de Memphis puis il tape dans ses mains et nous ordonne de nous échauffer. Jonas me donne des indications tout le long pour garder un bon rythme pendant la course, lors des étirements, puis des quelques exercices de renforcement. Kim ne m'adresse pas un mot mais ses yeux n'arrêtent pas de faire des allers-retours entre Jonas, le coach et moi.
Quand on se retrouve enfin sur le terrain face à Lael, Romeo et Omare, la tension grimpe immédiatement. Leurs sourires n'ont plus rien d'amical, ils sont affamés et je m'attends déjà à des coups fourbes de leur part. Je recule de deux pas, Jonas et Kim devant moi. Ils se lancent un regard entendu avant que le capitaine ne se tourne vers moi. Memphis envoie le ballon à Kim en même temps.
— N'oublie pas : tu crées des opportunités et tu ne cherches pas à tenir notre rythme.
Je hoche la tête et il cogne son poing contre celui de Kim, comme à chaque début de match. Puis Memphis donne le coup d'envoi et les garçons se lancent déjà vers Lael. Je trottine derrière eux et lorsque le jeu démarre réellement, mon cerveau oublie complètement avec qui je joue, pourquoi et l'enjeu. Il n'y a plus que leurs mouvements, leurs placements, les crispations et les hésitations. Les tactiques, les jeux de jambes et les feintes. Je ne loupe rien de ce qu'ils font et je n'ai pas besoin d'intervenir pendant les cinq premières minutes parce que Jonas et Kim ne perdent pas le ballon une seule fois. Pourtant, ils n'ont aucune possibilité de tirer : Omare et Romeo forment une défense solide. Jusqu'à ce que l'un d'eux s'écarte un peu trop par mégarde et laisse une ouverture.
— Jonas !
Le capitaine fait un demi-tour sous le nez de Lael qui hurle quand le ballon s'envole dans ma direction. Je le réceptionne d'un coup de genou et le lance vers la droite. Kim fronce les sourcils mais se dirige, tout comme Jonas, vers les cages quand je leur fais signe alors que je continue d'avancer vers Romeo. Omare s'écarte vers le duo pour les empêcher de réceptionner la balle alors que Lael me fonce dessus. Prévisible.
A peine à la hauteur de Romeo qui se place comment je m'y attendais, je passe mon pied devant la balle, lui donne un coup de talon qui l'a fait repartir en arrière et je m'écarte d'un bond avant que Lael ne me touche. Son corps esquive de justesse son coéquipier mais je suis déjà reparti avec le ballon au pied. Ils me poursuivent de nouveau et je sais que dans trois secondes, ils seront sur moi.
Mais ce sera trop tard. L'opportunité est créée et Kim le sait. Il bondit devant les cages alors que Jonas s'écarte de son adversaire. Mon pied tape le ballon droit sur lui et il le renvoie directement à Kim. La seconde d'après, il est dans les mains de Charleston. Et même s'ils n'ont pas marqué, on a traversé la défense des garçons. Juste ce qu'il me fallait pour sentir l'adrénaline circuler dans mon corps.
— Joli, me glisse Lael en cognant son coude contre mon épaule.
— Ils n'ont pas mis le but.
— Face à Charleston, c'était presque évident. Ils parviennent à peine à mettre deux buts sur six lors des entrainements donc pour un premier essai avec toi, c'était certain de foirer.
— Il est si fort que ça ? je déglutis en détaillant le goal qui écoute Jonas, ballon sous le bras. Pendant les matchs, il a laissé passer des balles faciles.
— Il se challenge. Tu comprendras ça rapidement, en jouant avec lui.
— Max.
Je détourne le regard vers Kim qui se dirige vers nous. Lael lève les deux mains en signe d'excuse alors qu'il s'écarte pour rejoindre les deux meilleurs amis. Je le maudis mais je n'ai pas le temps de le retenir : Kim est devant moi, les yeux furieux.
— Pourquoi t'as envoyé le ballon à Jo ? J'étais devant toi et l'espace était libre !
— Non, je réplique froidement. Si je te l'avais envoyé, il y avait une possibilité que Romeo l'intercepte. En faisant la passe à Jonas, je savais qu'il pourrait te la renvoyer sans prendre de risque. Votre jeu à tous les deux n'a presque aucune faille, vous vous connaissez et vous vous faites confiance.
— On a travaillé pour en arriver là.
— C'est pour ça que c'était plus sûr de le laisser te faire cette passe pour que tu marques. Tu sais comment il joue alors tu n'as pas hésité. Avec moi, tu n'aurais pas eu cette même confiance aveugle.
Les dents serrés, Kim me dévisage. Son regard noir glisse alors sur Jonas quand il nous indique de nous repositionner. Je m'écarte de Kim et me retrouve de nouveau derrière eux. Du coin de l'œil, j'aperçois Memphis bouger mais je suis rattrapé par le ballon qui m'arrive dessus. Mon corps agit déjà : je recule, éloignant ainsi Lael du duo. Il ne s'en rend pas compte, essayant de me reprendre la balle.
— Pas rapide, mais vif !
— Je ne te le fais pas dire, je souris avant de passer la balle entre ses jambes. Bye !
— Enfoiré !
Je sprinte sur quelques mètres, Lael sur mes talons, mais je n'ai pas besoin de m'arrêter pour tirer. Omare et Romeo sont tendus : ils comptent sur leur coéquipier pour me reprendre l'avantage. Chose qui aurait dû se produire, étant donné que je suis lent, mais si j'ai réussi à marquer leur esprit, c'est grâce à mon jeu. Ils devraient savoir que je peux compenser la vitesse par mon cerveau.
Mon pied ripe sur le sol, je cogne la balle et m'écarte avant que Lael ne me tombe dessus. Il se retrouve alors devant moi et Romeo fonce vers nous pour le soutenir.
Première erreur. Kim est libre, il se déplace vers le couloir gauche avec un grand signe pour que je lui envoie la balle. Je ne quitte pas Lael des yeux qui tend la jambe, prêt à me péter le mollet pour qu'on perde. Vicieux, je le laisse frôler le ballon avant de l'éloigner.
— Bordel, tu fais chier !
Quand Romeo est enfin à notre hauteur, c'est leur seconde erreur. L'ouverture est là. Je refais un petit pont à Lael qui explose de colère, esquive le bras du défenseur qui tente de me retenir et lance la balle à Kim. Jonas parvient sans difficulté à berner Omare et il fonce vers Charleston. Mes deux adversaires sont déjà derrière eux mais c'est trop tard. Jonas a tiré, Charleston a retenu la balle mais Kim tape sa main contre la sienne, galvanisé par leur jeu combiné.
— Encore un pont et je te fais bouffer l'herbe, grogne Lael en se tournant vers moi. Je t'apprécie alors fais gaffe.
— Il est vraiment doué, lance Omare à Romeo quand je fais signe à Lael que ça me passe au-dessus. Il vous a doublé en cinq secondes.
— Continue de retourner le couteau dans la plaie et c'est toi que je transforme en mouton.
Jonas éclate de rire mais ça ne calme pas la colère de Lael. S'ils m'ont donné une seconde chance, c'est qu'ils savent de ce dont je suis capable. Memphis nous oblige alors à enchainer et chacun retrouve sa place. Les vingt dernières minutes se déroulent de la même façon : le duo d'attaquant garde la balle puis finit par me la céder quand ils ne peuvent pas avancer et je berne alors la défense pour leur permettre de tirer. Ils ne marquent qu'un but sur la dizaine de lancer qu'ils tentent mais ça n'a pas l'air de les déranger.
— Période finie ! Venez me voir, on va faire un récap.
Accroupi, je reprends ma respiration. Je n'ai pas forcé, comme ils me l'ont demandé mais les quelques courses que j'ai dû me taper pour assurer nos arrières m'ont épuisées. J'ai les jambes en feu, les poumons prêt à exploser et la bouche pâteuse. Je vais peut-être même m'évanouir. J'ai clairement pris la bonne décision en affirmant à Memphis que j'étais incapable de tenir un match entier : il en a la preuve en direct.
— Debout.
A travers les mèches de cheveux châtains collées à mon front, je distingue Charleston, main tendue vers moi, alors qu'il tient ses gants de l'autre. J'agrippe ses doigts et il me lève avec une force surprenante. Je piétine le sol jusqu'au banc où je m'affale entre Lael et lui. Le blond me fourre une serviette et une bouteille d'eau dans les mains, que j'ouvre avant de la vider en quelques gorgées.
— C'est un plaisir de réaliser que sans le reste de la défense, vous êtes mauvais, les perruches.
— On a tout donné coach ! s'écrie Omare avant de me pointer du doigt. C'est pas de notre faute si il a contré nos tactiques, c'est un putain de génie !
— Jo ?
Je capte alors le regard bleu foncé du capitaine tandis que Memphis attend son avis. Un sourire imperceptible frôle ses lèvres avant qu'il ne se tourne vers Kim. Ce dernier secoue la tête et je sais déjà ce qu'il veut dire.
— Pour moi, ça reste un non catégorique.
— Il a fait ce qu'on lui a demandé, lui rappelle Jonas. Il a ouvert la voie, il a éloigné la défense et...
— Il est trop lent, complètement à bout de souffle après une seule période.
— Ça se travaille.
— Aucun de nous n'a de temps à perdre avec ça ! On a des matchs à préparer et à gagner !
Jonas fronce les sourcils alors que Kim lui fait face, hors de lui. Lael murmure un truc à l'oreille de Omare et je remarque que le coach roule des yeux, sûrement habitué.
— Je t'ai dit que je t'amènerai en finale, tranche brusquement le capitaine. Alors on va y arriver mais pour ça, on a besoin de Max. Tu l'as observé, comme moi, et tu as vu de quoi il est capable. On prendra le temps qu'il faudra pour améliorer ses défauts et en même temps, on perfectionnera notre jeu. Tu me fais confiance, non ?
Kim s'apprête à renchérir mais Jonas lui tourne le dos et se plante devant moi. Son sourire s'est volatilisé.
— Le coach te veut. L'équipe te veut. Je te veux parce que tu es utile. Kim finira par s'en rendre compte mais en attendant, tu devras faire avec son comportement à la con. Tu t'en sens capable ?
— Va te faire foutre Jo, crache alors Kim avant de se tirer dans le hall.
— Tu t'en sens capable ?
Nos yeux accrochés, je réfléchis à ce que je risque en acceptant de rentrer dans leur équipe et de devenir leur défense. Je serai un joueur des Racoons, officiellement, comme j'en rêve depuis que Kim m'a montré un de leur match il y a des années. Puis la chance a tourné : il a réussi à rentrer dans l'équipe espoir il y a quatre ans tandis que je n'y parvenais pas. On a continué de se soutenir, de se porter vers le haut jusqu'à il y a deux ans où tout a littéralement explosé. Mon bonheur s'est brisé sous mes yeux, Kim a disparu de ma vie en une fraction de seconde et il a été pris dans l'équipe quelques mois plus tard.
Malgré tout ça, je n'ai jamais perdu de vue mon objectif d'y entrer à mon tour. Et cette année, ma première à l'université, j'ai la chance de le voir se concrétiser. Mais est-ce que je peux vraiment faire face à Kim tous les jours ? Est-ce que je vais supporter sa haine, sa rancœur ? J'en sais rien. Mais je ne laisserai pas cette opportunité passer. On aurait dû y entrer ensemble, au départ.
— Je m'en sens capable.
— Alors bienvenue dans l'équipe des Racoons.
Mon souffle m'échappe quand Lael m'éclate le dos d'une main, son rire résonnant contre le mur des gradins. Les perruches me félicitent tour à tour alors que le coach me promet que ma tenue officielle arrivera dans la semaine. Je remercie Jonas entre deux éclats de joie de Lael et il hoche la tête.
— Par contre, on a deux mois de perdu. Tu n'as pas eu la possibilité de bosser cet été avec nous alors tu dois rattraper ton retard le plus vite possible.
— Je ferai ce qu'il faut.
— Tant mieux, il souffle avant de me pointer le terrain derrière lui. La semaine prochaine, tu viendras ici à six heures avec Kim et moi. Pendant deux heures, on établira notre jeu pour réussir à nous équilibrer sur le terrain. Vu qu'à huit heures, on...
— Je crois que ça peut attendre Jo, l'arrête Memphis en posant une main sur son épaule. Je m'occuperai de lui parler de tout ça cet après-midi, quand il reviendra remplir ses papiers d'inscription.
— Je suis dans l'équipe.
Mes mots sortent étouffés par la voix des garçons qui veulent déjà faire une énorme soirée pour fêter mon admission. Mes doigts jouent avec l'écusson brodé sur le haut de mes chaussettes, en-dessous de mon genou. Les Racoons, j'en fais partie.
Soudain, les doigts de Charleston claquent sous mes yeux et je lui lance un regard, surpris.
— T'as cours dans trente minutes.
— Quoi ? je hurle avant de lever les yeux sur l'énorme pendule digitale du stade. Merde, je vais être à la bourre !
Memphis ricane avant de m'indiquer d'y aller et je m'empresse de rejoindre les vestiaires, Charleston dans mon dos. Je ne croise pas Kim lorsque je récupère mon sac laissé dans le bureau du coach. Je ne m'étais jamais douché et habillé aussi rapidement mais un quart d'heure plus tard, je suis dans le salon où les garçons sont entassés sur les poufs, un tas de feuilles posé sur la table basse.
— Reviens vers seize heures Max, on s'occupera de la paperasse et tout ça à ce moment-là. Ça te va ?
— Parfait coach.
Alors que je rejoins la porte de sortie, Charleston entre dans le salon et il attrape d'une main les clefs que lui lance Omare. L'instant d'après, il pose une main entre mes omoplates, qui me fait serrer les dents, et me force à sortir devant lui tandis que les autres nous souhaitent une bonne matinée.
— La voiture rouge, lance Charleston dès qu'on a les pieds dehors. Je te dépose.
— Merci.
Comme si je n'avais rien dit, il trace tout droit vers une bagnole qui a plus l'air prête à tomber en ruine qu'autre chose. Ça n'a rien à voir avec la jeep de Jonas, garée à côté. Je fronce les sourcils en ouvrant la porte et je remarque immédiatement le sourire moqueur de Charleston.
— Omare en prend soin, même si on ne dirait pas.
— Ce n'est pas la tienne ? je lance, étonné, alors qu'on s'installe dedans. Bordel, mais c'est plus sa baraque que sa voiture !
— C'est Omare.
Je grimace en repoussant les bouteilles de sodas vides, les emballages de bouffe et des paquets de cigarettes du bout des pieds. Charleston a déjà pris la route et monté le son de la radio, ce qui ne m'étonne pas vraiment. Lael m'a prévenu durant le match : Charleston ne leur parle presque pas et lorsqu'il le fait, c'est rapide et concis.
Je lui indique où j'ai cours lorsqu'on arrive sur le campus et il finit par se garer sur le parking derrière mon bâtiment. Je le remercie avant de descendre et il m'appelle avant que je referme la porte.
— Ouais ? je marmonne en guettant l'heure sur mon téléphone. Je suis à la bourre.
— Bienvenue dans l'équipe, newbie.
Son rictus moqueur m'irrite et je claque simplement la portière avant de m'éloigner, une main en l'air pour le saluer. Parce qu'il m'a quand-même évité de marcher vingt minutes pour rejoindre ma salle de cours. Je n'ai donc que cinq minutes de retard lorsque j'entre. Et le regard courroucé du prof n'affecte pas le sentiment de bien-être qui se loge dans ma poitrine.
Je suis dans l'équipe officielle des Racoons.
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