Chapitre 27 - partie 2

C'est la première chose que je vérifie en clignant des yeux, encore dans les vapes, le lendemain. Les photos placardées au-dessus de mon bureau m'assurent que je suis toujours au dortoir et qu'on est dimanche, vu la luminosité dans ma chambre. Toute l'équipe sera au complet ce soir. Et je vais devoir me confronter à Ness parce que si j'annule, il comprendra qu'il y a un problème.

Je serre les dents et me décide à me redresser. La douleur a décidé de réélire domicile à plusieurs endroits mais je m'empresse de prendre de nouveaux cachets avec le verre d'eau, plein. Charleston a dû passé. Son appel d'hier me revient en tête et je fronce les sourcils en posant les pieds au sol. Je dois attendre une autre minute avant de tenter de me lever. Ma tête tourne légèrement et je souffle longuement en cherchant mon équilibre. Puis, un pied devant l'autre, j'arrive à sortir de ma chambre en me traînant. Charleston relève immédiatement les yeux de son ordi, assis à table, et je me tends devant son regard noir.

— Salut...

— Tu te sens comment ?

— Mieux, je réponds en détournant les yeux sur la cafetière. Omare rentre vers quelle heure ?

— J'en sais rien.

— Et tu sais si Jonas est repassé ?

Je parviens à lever le bras pour prendre une tasse mais je lâche un sifflement entre mes dents en le rebaissant. Charleston ne répond pas et je lui lance un coup d'œil en me servant un café. Ses yeux me fusillent, ses poings sont serrés autour de sa tasse.

— Tu m'en veux.

— Que c'est étonnant, grince-t-il. J'ai passé ma nuit à me battre pour savoir ce que je devais faire. Et j'ai décidé de ne rien dire.

— Mer...

— Surtout, tu la fermes et tu m'écoutes.

En deux pas, il est devant moi. Je recule légèrement et il desserre les mâchoires quand il se rend compte que je suis crispé.

— Je ne préviens pas Memphis parce que je sais ce que c'est, de se raccrocher à quelque chose pour survivre. Ne me dis pas merci alors que je suis terrifié à l'idée de faire la mauvais choix, enchaine-t-il quand j'ouvre la bouche. Par contre, mon silence a un prix, Max et tu n'auras pas le choix de t'y plier.

— Ce que tu veux.

— Tu le dis à Ness. Je veux qu'il y ait toujours l'un de nous deux avec toi. Il est hors de question que tu te retrouves tout seul jusqu'à ce qu'on gagne ce championnat à la con.

Je secoue la tête, c'est instinctif. Ness ne peut pas être au courant. Il va péter les plombs et c'est certain que le coach saura dans la seconde. Charleston le sait aussi, c'est bien pour ça qu'il me fout au pied du mur. La colère embrase mes pensées.

— Tu me prends pour un abruti ? Je ne lui dirai rien ! je crache en affrontant son regard. Il va courir balancer l'histoire à Memphis et au final, tu auras ce que tu veux ! Alors tu peux rêver : Ness ne saura rien et tu ne vas pas me coller.

— Je ne te laisse pas le choix.

— C'est con, moi non plus. Tu sais pourquoi ? Si Ness en parle à Memphis, on revient à la case départ : je perds tout. Si tu me colles, Daren comprendra que tu sais et ça aggravera les choses.

— Max... grogne Charleston mais je secoue la tête. Tu réalises ce qu'il s'est passé hier, ou pas ? Il t'a pris pour un morceau de viande !

Des images défilent dans ma tête et je blêmis. C'est à peine si j'entends Charleston s'excuser, je m'écarte juste brusquement de lui quand je vois sa main se lever. Il suspend son geste alors que je repose ma tasse avant de la laisser tomber au sol. Je passe une main sur mon visage, enfouis les sensations au plus profond de mon âme comme un lâche et prends une inspiration. Puis j'agis comme si de rien n'était. Comme si mon torse n'était pas lacéré. Comme si chaque mouvement ne frottait pas contre les compresses et échauffaient ma peau. Je bois d'une traite mon café, ignore Charleston en posant la tasse dans l'évier.

— Je vais voir Jonas.

— Max, attends, soupire Charleston en me retenant, son bras qui me bloque le passage. Excuse-moi. Mais je ne peux pas rester là sans rien faire. Et en plus, tu me demandes de me taire, de faire comme si de rien n'était ? Essaye de me comprendre.

J'enfonce mes mains dans les poches de mon jogging, écartant légèrement les bras pour pas frotter mon haut. Son regard pèse sur moi alors que je le fuis en prenant conscience que je lui en demande beaucoup, voire trop. Une personne normale aurait déjà un téléphone dans la main, à dénoncer l'autre enflure et m'aurait déposé à l'hôpital pour s'assurer que ce n'est rien d'important. Mais Charleston s'est plié à ma demande, en sachant qu'on joue gros. Je ne peux pas le repousser comme ça, aussi froidement. Je n'en ai même pas envie. Sauf que je refuse d'inclure Ness dans ce bordel, ou un autre gars. On ne doit pas changer de comportement soudainement, ce serait encore plus suspect.

— Je pensais que tu avais appelé Memphis, hier soir, je finis par répondre. Je t'ai entendu au téléphone.

— C'était Ness.

Le frisson qui glisse dans mon dos ne me rassure pas. Je croise le regard de Charleston, ayant peur qu'il lui ait déjà tout déballé mais il secoue la tête quand il voit la panique peindre mon visage.

— Je ne lui ai rien dit. Et il est clair que tu ne comptes pas le faire non plus.

— Merci, je souffle. Même si tu n'en veux pas.

— Je ne te garantis pas de pouvoir faire semblant mais je vais essayer. Par contre, ne me cache plus rien, grogne Charleston en posant un doigt sous mon menton. Ça, tu me le dois.

Je hoche la tête et il détourne le regard un instant sur le vide. Je réalise qu'il n'a dû que très peu dormir, à cause de la rougeur de ses yeux et de la fatigue qui étire ses traits. Je regrette presque de lui imposer cette situation, jusqu'à ce qu'il me sourit en coin. Il ne rayonne pas mais il éloigne la pression sur mon cœur.

— Au fait, Jo est bien passé. Il t'attend et je crois qu'il est vraiment énervé.

— Fais chier. Je vais y aller maintenant.

— Je dois d'abord vérifier que... ça va, lance Charleston en frôlant le bas de mon dos quand je lui passe à côté. Il faut que je te les désinfecte.

Je me tâte à partir en courant puis me défile lorsqu'il pose ses doigts sur ma nuque. Doucement, il me fait avancer vers la salle de bain. Je remarque nos téléphones posés sur la table en passant devant. Les écrans sont fissurés, le mien est à peine en meilleur état que le sien. Je lui ai explosé son portable en le jetant hier, et je regrette violemment mon geste. Charleston doit remarquer où mes yeux sont figés parce qu'il remonte ses doigts dans mes cheveux et m'oblige à détourner le regard.

— C'est qu'un téléphone.

— Je vais t'en racheter, je déglutis en m'arrêtant au milieu de la pièce. J'aurai pas dû faire ça, je suis...

— Désolé ? Ca m'étonnerait, ricane Charleston en attrapant une compresse. Vu le vol qu'il a fait, tu l'aurais brisé entre tes mains si tu en avais eu la force.

— Pas faux. Mais je vais quand-même t'en reprendre un.

— Pour le moment, retire ton haut.

Je pince les lèvres en attrapant le bas de mon t-shirt. Je ne fais plus aucun mouvement à partir de là car j'appréhende de lever les bras, d'étirer ma peau et de réveiller la douleur encore plus qu'elle ne l'est. Charleston esquisse un sourire et repose ce qu'il a dans la main avant de la tendre vers moi. Lentement, il m'aide à le retirer et je ne peux pas m'empêcher de couiner. Une à une, il retire les compresses qui habillent mes côtes gauches, le bas de mon ventre, mes hanches, mes reins et je regarde le lustre de la salle de bain. Mon cerveau veut absolument analyser les traits de Charleston, pour constater les dégâts, comprendre à quel point je réalise la même erreur. Je refuse de me laisser déborder par les souvenirs, par les fourmillements qui veulent se loger sous ma peau. Donc je fixe un point et je serre les poings autour de ma nuque en attendant que Charleston ait fini. Le désinfectant m'arrache quelques gémissements et je me rends compte que la peau de Charleston ne me fait aucun effet. Pour la première fois.

C'est le même poids mort que les autres, c'est juste un contact, une friction qui ne laisse rien. Pas de chaleur, pas de dégoût, pas de frisson. Seulement du vide et ça me comprime le cœur. J'étais habitué à la sensation qu'il laissait, à ce qu'il me faisait ressentir. Et retourner au point zéro me fout en vrac mais je le cache, serrant les dents alors que mon cœur sombre dans mon torse. L'autre enfoiré m'a flingué et je suis de nouveau complètement déglingué. Tous mes efforts sont partis en fumée : Max est juste une enveloppe. Rien de plus, rien de moins. Mon cerveau a cessé de fonctionner, je ne suis plus capable de ressentir quoi que ce soit.

Quand Charleston replace des bandes propres sur ma peau, je grimace à chaque fois qu'il appuie pour faire tenir le sparadrap. Il ne s'excuse pas, il évite simplement d'insister. Lorsqu'il s'écarte en me tendant mon haut, je le remercie du bout des lèvres en acceptant son aide.

— Tu veux toujours aller voir Jo ?

— Il va débarquer ici et me démonter si je n'y vais pas, je réponds dans un murmure. Mais à tout moment, il nous défonce...

Je récupère une veste dans ma chambre que je laisse ouverte. Impossible de mettre un pull dans cet état et je ne compte pas obliger Charleston à s'occuper de moi dès que je ne peux plus lever les bras. En repassant dans le salon, je jette un œil à mon portable sans le prendre. J'attrape juste un biscuit dans le paquet à côté et sors de l'appart. Je n'ai pas le temps de fermer la porte que Charleston me pousse avec douceur en avant et referme derrière nous. Je hausse un sourcil, surpris, mais il se dirige déjà vers la piaule du capitaine.

Il a vraiment décidé de me suivre quand il le peut. L'envie de le retenir me démange quand je percute qu'il s'apprête à entendre qui est Kim. On a tenté de garder cacher cette histoire mais Jonas mérite la vérité, et je la dois aussi à Charleston. Je n'ai aucun droit de lui dire de partir après hier, avec ce que je lui ai imposé. Il me jette un coup d'œil avant de toquer à la porte et Jonas ouvre la seconde d'après.

— Je n'y croyais plus ! Viens là.

Je me retrouve propulsé en avant, la main du capitaine sur mon poignet je retiens le gémissement qui veut m'échapper. Sur le canapé, Kim s'est assis en indien et les coudes sur ses genoux, il regarde la table-basse comme s'il ne la voyait pas. Puis il tourne la tête vers moi lorsque je m'approche. Charleston a attrapé Jonas pour le trainer dans la cuisine, ce qui m'arrange. Le regard de Kim passe à toute vitesse sur moi avant de plonger dans le mien : il est autant incertain que moi. Ses dents maltraitent sa lèvre, ses doigts tapotent ses cuisses et il m'indique le pouf du menton. Un des avantages d'avoir déjà eu à cacher des blessures, c'est que savoir comment feindre et leurrer les autres. Je m'assois sans me crisper, sans couiner, sans rien montrer.

— Bonnes vacances ? je demande et il fronce les sourcils. Quoi ?

— C'est tout ? il chuchote. Merde, Max, on lui raconte quoi à Jonas ?

— Tu peux me faire confiance pour ça ? je réponds aussi doucement. Il est hors de question qu'il sache... ça. Mais on ne peut pas lui mentir.

— Vous vous racontez comment étaient vos vacances ? se marre alors Jonas en s'affalant à côté de Kim. Ou comment vous comptez m'expliquer ce qu'il s'est passé à Noël ?

Charleston s'assoit en face de moi et je vois son froncement de sourcils en même temps que Kim soupire en attrapant la bouteille de jus d'orange qu'il fait glisser sur la table, ainsi que quatre verres. J'accepte qu'il remplisse le mien et ça fait hausser un sourcil à Jonas.

— Vous comptez m'ignorer ?

— J'hésite encore sur la meilleure façon de passer par la fenêtre sans avoir à te répondre, je lance avec un sourire narquois.

— Très drôle. On pourrait déjà commencer par : vous vous connaissez depuis combien de temps exactement ?

Cette fois, Charleston ne cache même pas son étonnement. Il recrache son jus dans son verre alors que Kim se fout de lui en ignorant totalement le regard désapprobateur de Jonas. C'est donc sur moi qu'il reporte son attention et j'échange un coup d'œil avec Kim. Il acquiesce discrètement la tête en se renfonçant dans le canapé et je comprends qu'il me fait confiance. Qu'il accepte que je raconte un bout de notre histoire avec mes mots.

— Treize ans.

— Quoi ? s'écrie Jonas en écarquillant les yeux. Bordel, c'est vrai Kim ?

— Oui, ça remonte au primaire. Il venait d'être inscrit en primaire et vu que les petits de mon école devaient avoir une sorte de grand frère, c'est moi qui me suis occupé de lui.

— Et vous avez fait semblant de ne pas vous connaître à cause de quoi ? Du fait que ce serait du favoritisme ? ironise-t-il en nous dévisageant.

— On a arrêté de se voir il y a un peu plus de deux ans, je marmonne en baissant les yeux sans le vouloir. On a eu quelques... soucis et on a préféré en rester là.

— C'est pour ça que tu étais aussi agréable avec lui à son entrée ?

Jonas se tourne vers Kim qui hausse simplement les épaules. Là, j'ai envie de le secouer pour qu'il agisse avec un peu plus de regret. Mais c'est trop lui en demander alors je me contente de le dévisager avant de me concentrer sur Jonas qui me regarde, suspicieux.

— Comment il sait, pour l'orphelinat ?

Mes yeux se déportent un instant sur Charleston. Il ne réagit pas, la tête penchée et son regard qui m'étudie. Il nous écoute simplement.

— J'étais petit, je réponds finalement à Jonas. Et comme c'était mon ami, je lui ai expliqué que mes parents m'avaient abandonné et que je vivais avec pleins d'enfants. Il les a rencontré en venant quelques fois au centre.

— Donc vous étiez proches ?

Ma voix se bloque dans ma gorge alors que je serre mes doigts autour de mon verre en le buvant. C'est peut-être une des questions que je redoute parce que je ne sais pas comment y répondre. Bien sûr qu'on était proche, sinon on ne se serait pas autant déchiré quand on nous a séparé. Mais l'affirmer aujourd'hui est beaucoup plus difficile qu'avant, car on a pris des chemins différents. On a grandi loin l'un de l'autre en nourrissant une haine à l'égard de ce qu'on a subi dans cette histoire.

— Ça changerait quoi ? siffle Kim. C'est le présent qui importe, pas ce qu'on était avant.

— Kim, je murmure et il plante son regard dans le mien, furieux. Ne t'en prends pas à moi.

— Tu aimerais lui répondre quoi, toi ? il sourit avec ironie en me pointant Jonas de l'index. Vas-y, dis-moi. Je suis certain qu'on est d'accord sur un point : ce qu'on était avant, on ne l'est plus aujourd'hui. Donc tu veux vraiment remuer le passé ?

— Va te faire foutre.

— Toi aussi !

— Vous avez vraiment un problème de communication, soupire Jonas.

Kim a un petit rire sarcastique et je me mords la langue pour m'empêcher de lui balancer mon verre au visage. C'est exactement ce qu'il m'a reproché à l'époque, et ce qu'il me reproche encore aujourd'hui. Je lui ai caché tellement de choses que ça a fait explosé notre vie.

— On était que des potes, je crache alors en me levant. Rien d'exceptionnel, si tu veux mon avis.

— Fais attention à ce que tu dis, me prévient Kim en me suivant du regard.

— Pourquoi ? Tu comptes me le faire payer ?

La fureur passe dans son regard. Et j'enfonce mes poings dans les poches de mon jogging pour cacher le tremblement de mes mains. Jonas ne prononce plus un mot en nous fixant tour à tour, Charleston fait la même chose.

— On était pas juste des potes, grince Kim et j'écarquille les yeux. Tu étais bien plus que ça, alors évite de résumer onze ans en simple copinade sans intérêt.

— Attendez... Est-ce que ta famille le connaissait ?

Mon cœur s'emballe alors que Jonas attend que Kim lui réponde. Mais il ne me lâche pas des yeux et le trouble passe sur son visage, pendant un instant. Il se perd dans ses pensées et j'en fais autant. Sauf que ça ne doit pas être les mêmes : il a les bons souvenirs, j'ai les mauvais.

— Tu étais orphelin, reprend Jonas en attirant mon attention. Et si sa famille a...

— Je t'arrête, coupe brusquement Kim. Tu es à côté de la plaque.

— Il a raison, je rajoute quand notre capitaine fronce les sourcils. On était proche, mais ne te fais pas de films. Sa famille n'a rien à voir là-dedans.

Mes ongles s'enfoncent dans mes cuisses. Il faut que cette conversation cesse le plus vite possible. Alors je fais un pas sur le côté pour m'éloigner et Charleston se lève immédiatement. Kim a les yeux posés sur la table basse, les doigts noués entre eux. Jonas ne me lâche pas du regard, comme s'il savait qu'il lui manque les pièces d'un puzzle beaucoup trop complexe. Même moi, je ne suis pas sûr de toutes les avoir.

— La discussion s'arrête là ?

— Le reste ne regarde que Kim et moi, je grince en rejoignant la porte. Tu en sais déjà plus que ce qu'on voulait.

— Vous comptiez vraiment ne rien dire ? râle Jonas. Ça vous apporte quoi de le cacher ?

— On ne cache rien, Jo. Parce qu'il n'y a plus rien à cacher.

Charleston rattrape la porte avant de la manger en pleine tronche et je sors furieusement de leur appartement, les mots de Kim qui meurtrissent mon cœur. C'est un pauvre enfoiré, lui aussi. Il y a deux semaines, il se disait prêt à tout donner pour me retrouver et là, il balance qu'on n'est plus rien. Mes pieds claquent le sol puis je rentre dans notre salon, Charleston qui ferme la porte derrière moi. Et j'arrête de minimiser la douleur dès qu'il n'y a plus que nous deux. Les doigts serrés autour de la chaise, je grince des dents.

— Le cachet devrait faire effet, me glisse Charleston en passant une main sur ma nuque. Retourne dormir, ton corps en a besoin.

— Les autres ne vont pas tarder à arriver.

— Il est à peine onze heures. Les perruches et Lael ne sont pas là avant seize heures. Je viendrai te réveiller.

Je ne me bats pas quand il me pousse vers ma chambre. Je retire ma veste et la laisse tomber au sol avant de m'allonger dans mon lit. Charleston s'assure que je n'ai besoin de rien et je ferme les yeux lorsqu'il sort de la pièce. Je me rendors rapidement mais je ne rêve pas, tout comme je ne cauchemarde.

— Max...

Je papillonne des yeux avant de m'appuyer sur mon coude en grimaçant. Puis j'efface rapidement la douleur de mon visage quand je reconnais le visage de Lael, agenouillé devant moi. Ses yeux pétillent, son sourire pourrait rivaliser avec le soleil et je le laisse passer son bras autour de mes épaules pour me tirer contre lui.

— Charleston nous a dit que tu te sentais pas trop bien mais je m'en tape si tu me refiles tes microbes. Tu m'as manqué !

— Toi aussi, je souris. Vous avez fait bon trajet ?

— Je me suis tapé le gamin pleurnichard pendant les deux heures de vol.

Il s'écarte de moi et m'aide à me lever quand j'ai la tête qui se remet à tourner. Je baragouine une maladie inventée de toutes pièces en me servant de l'excuse de Charleston et l'inquiétude de Lael ne disparait pas. J'esquisse un sourire en enfilant ma veste et il me traine au salon où les perruches m'accueillent avec le même enthousiasme, mais aussi la même once d'inquiétude sur le visage. Je fais au mieux pour les rassurer mais le regard de Charleston me fait comprendre que non, je ne vais pas bien. Mais je n'ai pas mangé, les cachets ne font sûrement plus effet et mon corps se bat contre la douleur. Un combo qui ne m'a jamais réussi.

Tout en écoutant les garçons me parler de leurs vacances, je ravale des cachets ainsi qu'une assiette de pâtes carbonara. Romeo a déjà fouillé les placards et Lael nous ouvre une bière. Je me retrouve de nouveau entouré de mes coéquipiers et j'ai l'impression de me sentir sur un nuage. Ils sont rentrés et leurs rires résonnent autour de moi, ce qui m'étourdit. Je suis bien, malgré mon corps meurtri. Et je souris à Charleston quand il pince le dos de ma main, pendant la seconde où Lael s'est détourné de moi. Mais il revient bien vite et je reprends le fil de notre discussion, ravi de retrouver sa bonne humeur communicative.

On passe notre soirée à cinq, à partager des pizzas commandées et à tomber le pack de bières que j'ai acheté, plus celui que Romeo a pris en rentrant. Je ne sais pas s'ils sont allés voir les autres, jusqu'à ce que Lael soupire en regardant son portable.

— Jo m'harcèle. Faut que j'y aille !

— Moi aussi, Brett est inquiet de ne pas me voir rentrer, se marre Romeo en se levant. Omare, tu fais quoi ?

— Je te suis. On se voit demain, les gars !

J'acquiesce en cognant mon poing contre le sien avant qu'il prenne deux affaires dans sa chambre. Charleston retient les cartons de pizza quand Lael veut les jeter et il roule des yeux en s'éloignant. Un dernier geste de la main et ils ne sont plus dans la pièce. Leurs rires résonnent dans le hall du palier une courte seconde puis le silence revient. Je relève mon haut légèrement et grimace en remarquant qu'il y a quelques petites tâches brunes sur les compresses. J'ai beau rusé à merveille, la réalité me rattrape.

— Tu devrais te doucher, murmure Charleston en attirant mon regard. Ça nettoiera les plaies et...

— Je vais surtout avoir mal !

— Je sais.

Il pince les lèvres, la lueur de rage qui revient éclairer son regard. Je capitule dès qu'il contracte le poing pour éviter que les choses dégénèrent. Il ne m'a encore rien dit pour Kim, ce qu'il vient d'apprendre. Beaucoup de secrets, trop de silence, aucunes explications, Charleston doit commencer à attendre ses limites de tolérance aussi. Je me traine jusqu'à la salle de bain et retire mon t-shirt avec son aide. Il n'hésite pas à enlever les compresses mais je remarque la grimace sur son visage avant de braquer mes yeux sur le plafond. Et je suis obligé de parler quand ce sont les images qui s'insinuent sournoisement dans mon esprit.

— Tu ne dis rien, pour Kim.

— Vous avez sûrement vos raisons, pour nous l'avoir caché. Par contre, je ne comprends pas pourquoi tu n'as rien dit pour tes parents.

— Je n'en parle pas parce que je ne m'en souviens pas. Ils m'ont abandonné quand j'avais deux ans, je murmure en comprenant qu'il se remémore notre virée pour les costumes d'Halloween. C'était des toxicos et pour avoir leur dose, ils m'ont vendu à un type. J'ai appris que qu'il dirigeait une sorte de maison close mais elle a été démantelée et je me suis retrouvé à l'orphelinat à trois ans.

— Et vu que tes parents t'avaient reconnu, il y a leur nom sur tous tes papiers.

J'acquiesce. C'est tellement plus simple que d'avoir à noter le centre, donner des explications devant l'incompréhension et remuer la rancœur. Je n'ai aucun regret d'avoir grandi sans eux, et je ne veux pas les retrouver. Ils m'ont vendu, ils se sont défoncés et ils peuvent crever sur le bord de la route sans que ça me déchire le cœur. Ils ne sont rien. Mais je n'oublie pas leur nom, ça m'a toujours facilité les choses au collège, lycée puis ici, à l'université. Jusqu'à ce que Memphis comprenne que mon manque de réponses cache quelque chose, que je fasse découvrir l'envers du décor à Jonas.

— Tu veux que je t'aide à te doucher ?

J'écarquille les yeux en regardant Charleston. Il ne me regarde pas, focalisé sur les lignes qui marquent mon corps et je serre les dents en reculant d'un pas vers la douche.

— Ça devrait aller. Si t'entends un gros bruit, c'est que j'ai fait un malaise.

— Super, il baille avant de secouer la tête. Je reste dans le salon, tu m'appelles si ça ne va pas.

— Merci.

Un sourire en coin me répond puis il sort de la pièce en refermant derrière lui. Du bout du pied, je mets les compresses sales dans un coin et je termine d'enlever mes vêtements. A chaque fois que je me penche, le bras de mon ventre me fait grincer des dents et les coupures dans mon dos s'étirent, accentuant la douleur. Je vais vraiment faire un malaise. J'allume l'eau en m'écartant du jet et je reste un moment à regarder l'eau couler sans faire un mouvement.

Je finis par me décider à me laver la tête, légèrement penché en avant. L'eau ruisselle sur mes cheveux, me rappelant d'absolument demander à Ishan de me les couper, et je me mords le poignet furieusement quand quelques gouttes glissent dans mon dos et passent sur les coupures. C'est encore pire que ce à quoi je m'attendais. La douleur est vive, je tremble mais je ne m'éloigne pas. Si je fais un pas, je suis certain que ce sera pire. Alors j'attends que ça passe. Et je recommence à bouger. Ce petit jeu dure un long moment, je me lave parcelle par parcelle, les yeux fermés et la violente envie de hurler à chaque fois que de l'eau ou du savon entre dans une plaie. Je parviens enfin à la fin de ma propre torture en déglutissant pour atténuer les brûlures d'estomac. Je vais dégueuler ma pizza dans le bac de la douche.

Ma serviette entre mes mains, je ne sais pas où regarder pour éviter mon reflet, les coupures, tout ce qui me rend dingue. J'ose encore moins me sécher : j'ai l'entièreté de mon corps qui est en feu, comme si chaque bout de ma peau s'arrachait en cramant la chair en-dessous. C'est une horreur. Pourtant, je me mords la langue et me décide à enfiler un caleçon propre et un nouveau jogging, rapporté par Charleston discrètement. L'élastique sous les hanches, je prends une inspiration et affronte enfin les traces sur mon corps.

Deux larges coupures lézardent chacune de mes hanches, d'où plusieurs traces de sang glissent de nouveau jusqu'à mon jogging. J'attrape une compresse pour les essuyer, une boule dans l'estomac. Puis je m'assure que les autres plaies ne se sont pas infectées. Une autre longe mon nombril à la verticale, sur une vingtaine de centimètres, et quatre suivent les lignes de mes côtes gauches. Elles sont propres mais je serre les poings en constatant qu'elles saignent toujours. Doucement, je les tamponne tout en me tournant dos au miroir pour voir les quatre dernières traces que cet enfoiré a fait sur le bas de mon dos. J'ai presque envie de sauter de joie en réalisant que celles-là ne suintent pas. Je jette la compresse dans le lavabo et ouvre la porte pour rejoindre le salon. Je m'approche du canapé, dont les pieds de Charleston dépassent et je m'apprête à l'appeler avant de remarquer qu'il dort.

Les bras croisés sur le dossier du canapé, j'esquisse un sourire alors qu'il a un bras sur son visage. Il ronfle légèrement et je plisse les yeux, amusé. Je reste un instant à le regarder, ça m'évite de penser à la douleur qui court dans mon corps, aux fourmillements qui me donne envie de vomir. Aux souvenirs, surtout. Pour le moment, je peux gérer, j'ai l'habitude. J'ai juste peur que ça finisse par m'exploser au visage et que je réagisse comme la dernière fois.

L'écran du portable de Charleston s'illumine sur la table basse et je lis l'heure. Presque vingt-trois heures. Il n'a quasiment pas dormi la nuit dernière et je ne veux pas abuser alors je retourne dans la salle de bain et me débrouille seul pour panser les plaies. Je suis beaucoup moins patient et délicat que Charleston, je gémis à plusieurs reprises en m'asseyant sur l'abattant des toilettes. J'ai le cœur qui bat follement dans la poitrine quand j'ai fini.

Ça ne va pas vraiment mieux au moment où j'enfile mon haut puis ma veste. Ils me collent à la peau, frotte sur les pansements dès que je fais un mouvement et ça me tord les tripes. En repassant dans la cuisine, je prends encore des cachets puis la bouteille pour Ness. Les clefs en main, je jette un regard vers le canapé, Charleston n'a pas bougé d'un poil, puis je sors en refermant derrière moi. Je traverse le hall rapidement, tétanisé par les rires qui résonnent dans l'appart de Romeo et je grimpe les marches jusqu'au toit. Le froid me crispe, je frissonne en resserrant les pans de ma veste avant de regretter ce geste. La douleur se propage, m'étourdit, jusqu'à ce que la voix de Ness me sorte de mes pensées.

— Enfin là.

Je le rejoins en lui tendant la bouteille qu'il récupère. Assis, j'inspire en ignorant les vagues de douleur qui tirent mon torse et mes yeux sont immédiatement attirés par les doigts de Ness, quand il les passe dans ses mèches.

— Tu as refait ta couleur.

— Effectivement, ricane Ness quand je tire une boucle. Ma sœur trouvait qu'ils étaient trop fades.

Même s'il fait nuit noire, les lampadaires du campus éclairent vaguement nos visages et les couleurs pastels de ses cheveux sont un peu plus prononcées qu'avant son départ. Les doigts de Ness retiennent soudainement mon poignet.

— Tu fais quoi, le troisième ?

— Je regarde le rendu, je murmure en l'obligeant à me lâcher. Ça ne te rend pas plus adorable.

— Tu sais que ce n'est pas ça qu'on dit à quelqu'un qui nous a manqué ?

J'attrape la bouteille qu'il a juste ouvert et bois une gorgée alors qu'il ricane.

— Charleston n'est pas venu ?

— Il dort.

— Tu es d'une humeur exécrable, s'amuse Ness en penchant la tête vers moi. Memphis t'a fait vivre un enfer ?

— Je suis juste fatigué.

— Comme Charleston...

Je fronce les sourcils en croisant son regard pétillant. Retrouver son sourire narquois comprime mon cœur d'une façon que je n'aime pas. Ness étire les doigts et prend la bouteille que je lui laisse en retirant brusquement les miens. Il pose sa bouche sur le goulot avant de l'éloigner, sa langue qui glisse sur sa lèvre inférieure.

— Il s'est passé quelque chose entre vous ? murmure-t-il avec intérêt. Quelque chose d'intéressant.

— Tu penses à quoi ? je souffle, suspicieux.

— Un petit rapprochement, entre toi et lui.

J'écarquille les yeux, étonné que ce soit la première chose qui lui traverse l'esprit. Il n'a aucune raison de penser à ça, c'est impossible que ça arrive.

— Ce n'est pas ça, lance Ness quand le silence dure. Alors c'est quoi ?

— T'as passé un bon séjour chez ta sœur ?

Il rit et je détourne le regard, conscient que ce changement de sujet n'est pas du tout subtil. J'ai surtout envie de fuir mais je n'en suis pas capable. J'ai le corps engourdi par le froid et ça a fait taire les douleurs. Ça me soulage, de ne plus avoir à y penser, à devoir faire semblant. Je suis vide de toutes sensations.

— Tu veux peut-être que je te la présente ? Je suis certain qu'elle t'aimerait bien.

— Et je suis convaincue de ne pas l'aimer, je siffle en suivant sa main des yeux.

— Pardon, c'est vrai, pouffe Ness. Tu n'aimes que Kim.

— Trouve-toi quelqu'un au lieu de te faire des films sur la vie des autres.

— Qui te dit que je suis seul ?

Il hausse un sourcil et je fais la même chose avec sarcasme. Il n'a pas le temps de renchérir que je lui coupe la parole :

— Tu gardes tout le monde éloigné de toi.

— Et comme souvent, tu as tout faux, minaude Ness en jouant avec la bouteille. Surtout que je t'ai déjà dit que je ne fuyais pas les autres.

— Tu as quelqu'un ? je lance avec narquois et il sourit un peu plus.

— Non. Mais ça ne m'empêche pas d'avoir besoin de chaleur humaine par moment.

Je perds mon sourire, mon sarcasme et je le dévisage simplement. Ness s'éclate en buvant une gorgée, ses doigts qui tapotent la bouteille dans un rythme rapide.

— Ça t'étonne ?

— Oui, j'avoue dans un souffle. Tu es tellement... j'en sais rien.

— Exactement, tu ne sais rien.

Je serre les dents quand son sourire s'atténue. L'alcool. Il avale une autre gorgée et pose le whisky entre nous, croisant les bras sur la rambarde, le regard posé sur le campus en contre-bas. Je perçois toujours la lueur briller dans ses yeux, la même qui fait miroir avec son sourire mesquin. Alors que le silence dure, je me rappelle pourquoi on devait se retrouver.

— Dis-moi pourquoi tu veilles sur moi.

— Il faut bien que quelqu'un le fasse, sourit Ness sans me regarder. C'est mal ?

— Tu me dis que Memphis est une des deux personnes les plus importantes de ta vie, que tu ne me fais pas confiance et pourtant, c'est à lui que tu tournes le dos. J'ai besoin de comprendre.

— Ton cerveau en a besoin, souffle Ness en levant l'index puis il attrape la bouteille. Toi, tu veux juste que les choses soient logiques.

— Et ?

— Ça ne l'est pas toujours. Je n'ai jamais réussi à faire confiance à ma sœur et pourtant, je passe mes vacances chez elle. Incroyable, non ?

— Tu me fais confiance.

Surpris, Ness me regarde alors que son sourire a finalement disparu. Les lèvres qui frôlent le bord de la bouteille, il a le regard qui s'enflamme. Il ne m'a pas laissé le dire à Noël, mais maintenant qu'il parle de sa sœur, je réalise à quel point c'est vrai. Il n'en a parlé à personne de l'équipe, et encore moins du fait qu'il ne croit pas en elle. Il ne l'a pas fait car il ne se confie pas à ceux à qui il n'ose pas donner sa confiance.

— Je ne tourne pas le dos à Memphis, finit-il par souffler en ignorant ma remarque. Je fais seulement ce que tu me dis.

— Pourquoi ?

— Tu devrais le savoir.

Je fronce les sourcils mais il se lève en esquivant mon regard. La bouteille à la main, il se dirige vers la porte et je me précipite à sa suite. La main à quelques millimètres de son bras, je retiens vivement mon mouvement. Je ne veux pas avoir à affronter le poids mort de quelqu'un. Je ne peux pas me confronter au manque de sensations. Ness ouvre la porte du toit et s'engouffre dans les escaliers alors que je le suis, en silence, les mains dans les poches de ma veste. La chaleur du dortoir réveille ma peau mais j'y fais à peine attention, captivé par les couleurs pastels qui ressortent beaucoup mieux, avec la lumière allumée.

— J'aime bien.

— Si tu parles de ma sœur, je l'avais compris, ricane Ness avant de tourner son visage vers moi. Mais ce n'est pas ça, je suppose.

— Tes cheveux, je soupire en m'arrêtant à mon étage et il retrouve son sourire narquois en continuant de descendre. Et le fait que tu me fasses confiance.

Ness ne réagit pas mais je sais qu'il m'a entendu. Son corps disparait et je m'empresse de rejoindre mon appartement, les yeux rivés à la porte de celui de Romeo, effrayé à l'idée que Daren en sorte par surprise. Les fourmillements reviennent à la charge et je m'enferme dans ma chambre quelques secondes plus tard, sans me soucier de Charleston qui dort toujours dans le canapé.

Je me mets à trembler, assis sur mon lit, alors que les sensations prennent vie sous ma peau, dans ma tête. Et je reste un long moment à combattre mes souvenirs, à tenter d'enfouir tout ce qui me bouffe au fond de mon âme. Le calme a été de courte durée, et il n'est pas prêt de revenir.

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