Chapitre 27 - partie 1
Mon regard suit Jonas qui a la tête dans son placard, à la recherche de son bonnet vert menthe, couleur Racoon. Je soupire quand il se redresse, le vêtement à la main, en criant de victoire. Il l'enfile la seconde d'après en se regardant dans le miroir de sa chambre pour s'assurer que tout est bon.
— Tu es sûr que tu ne veux pas venir ?
— Plus que sûr, je souris en coin. Je dois aller m'entraîner.
— Dis surtout que tu veux fuir la conversation avec Kim, grogne Jonas en me dévisageant à travers le miroir. Efface-moi ce sourire !
Je rattrape son portable quand il me lance alors qu'il râle. Il vaut mieux pour nous trois que je ne sois pas là parce que je n'ai pas du tout envie de discuter, encore moins d'expliquer ce qu'il y a entre Kim et moi.
— On sera rentré vers dix-sept heures.
— Pas de soucis, je souffle en regardant l'heure sur son écran. Les autres rentrent quand ?
— Les perruches et Lael reviennent demain soir. Charleston, Brett et quelques gars rentrent dans l'après-midi aussi. Pour les autres, je suppose qu'ils seront là pour l'entrainement de lundi.
— Ça marche. Tu voudras que j'aille chercher les garçons, demain ?
— On verra, me répond Jonas en attrapant ses papiers. Déjà, je vais aller récupérer ton pote.
Je roule des yeux en le suivant dans le hall de notre étage puis il referme la porte derrière lui. On n'en a pas reparlé mais Jonas a encore en travers le fait qu'on lui a rien dit, avec Kim. Puis il se tourne vers moi et me sourit.
— Et après, on parlera. J'ai hâte de savoir toute l'histoire.
— Tu ne lâcheras pas l'affaire j'imagine, je marmonne et il acquiesce. Je vais aller acheter des bières, histoire de te saouler pour que tu oublies tout ça.
— Prends-en surtout pour délier vos langues !
Je lui rend son téléphone en le fusillant du regard mais il s'éloigne déjà vers l'ascenseur en le secouant. Un merci passe ses lèvres pendant qu'il s'engouffre dans la machine puis il me lâche un sourire sarcastique quand les portes se referment sur lui.
— A tout à l'heure Max ! Ne t'enfuis pas !
Je rentre dans mon appart en adressant un majeur à l'ascenseur, que Jonas ne peut pas voir. Un coup d'œil à l'horloge : il rentre dans deux heures. Ça me laisse le temps de réfléchir à ce que je vais bien pouvoir dire pour éviter de raconter la véritable histoire. Je n'y arriverai pas, et je ne veux pas l'entendre de la bouche de Kim.
Je fais un tour des placards et grince des dents en constatant que je dois aller faire deux courses. J'ai passé les deux semaines à manger sur le dos de Jonas parce qu'il n'y avait plus rien ici, mais je vais me faire dégommer par Romeo si ils ne sont pas plein quand il rentre. Je récupère mon portefeuille dans ma chambre, note ce qu'il me faut sur un papier qui traîne sur le frigo puis je quitte l'appartement. Au palier du troisième étage, je jette un regard vers l'appartement de Ness mais la porte est toujours fermée, avec la pancarte accrochée à la poignet pour dire qu'ils sont en vacances. Je dois penser à prendre une bouteille pour demain soir aussi.
Je rejoins le centre-ville à pied, m'écartant des passants qui ne se gênent pas pour me bousculer, sans réellement me voir. Les dents serrées, je me focalise sur la liste de courses entre mes doigts, que je relis, pour ne pas penser aux sensations qui veulent s'insinuer sous ma peau. J'ai réussi à les tenir écarter pendant les vacances, parce qu'il n'y avait personne pour m'obliger à supporter le contact, personne pour me forcer la main. Juste Jonas qui se contentait de me sourire, et les jeunes du centre qui savent me laisser de l'espace.
Dans les allées du magasin, je prends l'essentiel pour remplir la cuisine avant de m'arrêter devant l'alcool. J'ai le pack de bières au bout d'une main, une poche pleine sur l'autre épaule et je fouille dans ma mémoire pour me souvenir de ce que boit Ness. Mais entre mes crises, mon cerveau qui se focalise juste sur ses mouvements et mon envie de l'étriper à chaque fois, je n'ai pas fait attention à la marque. Alors je prends la première chose qui me passe sous la main, whisky, et me dépêche de partir d'ici avant de devenir fou. Personne ne fait attention à personne, un papi me percute avec son caddie sans s'excuser, un couple rit trop fort et un mec me fusille du regard quand je lui passe devant dans l'allée centrale. En caisse, je fais au plus vite puis je m'enfuis presque en courant. Dans la rue, mon cœur bat à tout rompre et mes épaules se tendent lorsqu'on me frôle. Je replace le sac sur mon épaule, resserre mes doigts autour du carton de bières alors que j'accélère.
Je remercie du bout des lèvres un sportif qui me tient la porte du dortoir et je monte les escaliers quatre à quatre. Toujours aucun bruit au troisième étage mais j'entends des rires en arrivant au mien. Je fronce les sourcils en jetant un œil à la porte de l'appart de Romeo avant de reconnaître la voix de Brett. J'ai été plus long que prévu dans le magasin. Je soupire en entrant dans mon salon et je dépose le sac et les bières sur la table, avant de retirer mon sweat. La porte s'ouvre dans mon dos avant de se fermer et je grimace, en priant pour que ce ne soit pas Brett qui vient m'inviter à boire un verre pour fêter leur retour.
— Max. Je suis ravi de te voir.
Tout mon corps cesse de fonctionner devant le ton ironique. Le cœur comprimé, une boule dans l'estomac, je me tourne lentement vers le bulldozer qui me sourit. Ce n'est pas du sarcasme, ce n'est pas de la mesquinerie. Son sourire est sombre, terrifiant, menaçant. J'arrête de respirer alors que la panique afflue soudainement quand le bruit de la serrure retentit dans l'appartement. Il vient de nous enfermer. Brusquement, mes yeux fouillent la pièce à la recherche de quelque chose pour agir, pour me défendre. Mes mains sont déjà autour de mon portable, ma voix s'écorche dans ma gorge et je ne peux plus hurler.
Simplement parce que Daren me surplombe en enfonçant un chiffon dans ma bouche. Le bruit de mon portable qui se fracasse ne me détourne pas une seconde de lui et j'essaye de me débattre. Sauf qu'il est plus rapide, plus grand, plus fort et il ne lui faut qu'une seconde pour m'écraser contre le mur, sa main qui agrippe mes deux poignets sans problème. Son regard me cloue sur place, mon souffle est erratique et mes yeux me brûlent parce que les larmes sont là. Je suis tétanisé à cause du poids de son corps, des fourmillements qui se glissent sous ma peau, de son sourire de charognard, de la menace qui m'empêche de réfléchir. Je n'y arrive pas, mon cerveau n'assimile pas. Je suis de nouveau le petit garçon bloqué, qui est incapable de se défendre, de détruire ses démons.
— Je croyais que tu devais arranger les choses... murmure-t-il alors que j'écarquille les yeux. Mais tu ne l'as pas fait, ce qui signifie que tu vas revenir sur le terrain. Je n'apprécie pas ça.
Je secoue la tête tout en essayant de recracher le chiffon mais il fait claquer sa langue contre son palais et je me recroqueville dans le mur. La seconde d'après, je gémis alors que mes poignets se retrouvent compressés. Je parviens à peine à voir le tissu vert qui entrave ma peau à travers mes larmes et j'essaye de hurler, de me faire entendre mais Daren agrippe mes joues et me cogne l'arrière du crâne dans le mur, enragé.
— Pas un bruit ! siffle-t-il. Je t'avais prévenu : si tu ne règles pas le problème, je te laisse pour mort. Tu aurais dû m'écouter.
Non. Non non non ! Je m'étouffe en m'époumonant et Daren me retourne puis me plaque contre le mur, écrasant mon visage contre. Je couine quand il enfonce son genou dans ma cuisse pour m'éviter de bouger. Puis je me tétanise lorsque sa main remonte mon t-shirt sur mes omoplates. Je retiens de justesse le haut-le-cœur qui remonte dans ma gorge, conscient qu'il me regarderait mourir d'asphyxie sans intervenir. Cette fois, mes larmes glissent sur mes joues, je ne peux pas les retenir alors que tout se brise en moi.
— J'ai fait l'erreur de te laisser des marques sur ton visage la dernière fois... Je ne la referais pas.
Je n'arrive plus à respirer. Mon cœur bat trop vite, mon sang bat dans mes tempes, je transpire, j'ai chaud puis froid, je suffoque. L'angoisse a pris le pas sur le reste et j'ai beau me débattre, hurler, pleurer, rien ne change. Je reste coincé entre le mur et lui, terrifié.
— Ça risque de faire mal, susurre-t-il soudain à mon oreille. Plus tu crieras, plus j'appuierai.
La première vague de douleur traverse le bas de mon dos, à gauche, et je ne peux pas me retenir de hurler. Je parviens à peine à tenir sur mes jambes quand une seconde s'étire sur ma hanche. Mes larmes redoublent et je tente encore de virer le chiffon. Mais le bulldozer plaque sa main libre sur ma bouche et je perds pieds. Tout vrille dans ma tête, les souvenirs se mélangent à la réalité, mon corps devient une boule incandescente, mon cerveau n'a plus rien à quoi se raccrocher. Il n'y a que la douleur, mes cris, mes larmes, son ricanement sinistre, le plaisir qu'il prend, le poids de son corps qui me retient, sa main qui me tue de l'intérieur. Puis mon dos se retrouve contre le mur et je gémis quand mon t-shirt frotte les plaies. Mes yeux croisent alors les siens et je me mets à trembler, les bras qui essayent d'échapper à sa poigne, à l'horreur qui transparait dans ses traits sadiques. Sauf qu'il m'attrape les poignets et le t-shirt, soulève le tout et le bloque contre ma gorge. Mon torse se soulève vite, trop vite, mes larmes embuent ma vue. Pourtant, je la vois, quand il lève sa main.
Je vois la lame du couteau, mon sang qui y est déjà étalé par endroit. Je ne crie plus, je ne bouge plus. Je suis simplement figé par la scène qui se déroule : ses doigts se resserrent autour de ma peau tandis que son autre main descend vers mon ventre. La seconde d'après, mes yeux s'agrandissent de stupeur avant que la douleur me percute. La ligne qui s'étend sur mes côtes est rapidement multipliée par quatre. Mes hurlements de terreur ne changent rien, mes larmes non plus. Tout est trouble, j'ai mal, j'en peux plus mais il continue sa torture. Il ne s'arrête qu'au moment où je ne peux que couiner à chaque nouvelle trace qu'il marque sur mon corps.
Dès que ses mains me lâchent, mes jambes m'abandonnent et je me retrouve au sol, les poignets entravés. Il s'accroupit devant moi en posant un doigt sous mon menton pour m'obliger à le regarder.
— C'est la dernière fois que je te préviens, souffle-t-il. J'ai évité les lésions trop profondes alors tu ne risques rien, du moins à ce niveau-là. Si tu en parles, ce sera à la morgue qu'on retrouvera ton corps. Si tu joues au prochain match, idem. Ne t'avise pas de me doubler, Max.
Son sourire ne le quitte plus, la folie dans son regard est toujours aussi brûlante. Puis il tapote sa main sur ma joue avant de se lever et de se rincer les mains. La respiration haletante, le corps en feu, je ne fais pas un mouvement. Je n'y arrive pas. Mon cerveau ne capte plus aucune information, même quand il s'éloigne vers la porte. Mais avant de sortir, il s'arrête.
— Maintenant que tu sais de quoi je suis capable, n'essaye pas de sauver ta place. C'est foutu pour toi. Et va te changer avant que quelqu'un arrive, ce serait bête qu'on te découvre dans cet état.
La porte claque une seconde après et je vomis au moment où je m'arrache le chiffon de la bouche. Sur les genoux, la tête entre mes coudes, mon corps qui hurle à chaque mouvement, je m'effondre. Sans larmes, sans cris, sans haine. Je suis juste vide, mort, psychologiquement. Mon cerveau cède sa place et je crache sur le sol en espérant m'enlever le goût que j'ai dans la bouche. Ça ne change rien. L'odeur de mon sang me défonce le cœur, le gémissement qui m'échappe quand je me redresse est encore pire mais je prends une inspiration et défais difficilement le nœud autour de mes poignets avec mes dents.
Dès que mes mains sont libres, je retire mon haut que je roule en boule et balance vers la salle de bain. Il faut que je cache tout ça. Il faut qu'il n'y ait plus aucunes traces de ce qu'il vient de se dérouler. Personne ne doit le découvrir, que ce soit pour sauver ma vie ou celle de l'équipe. Ce serait désastreux, encore plus que le fait de ne pas jouer. Alors je serre les dents, efface mes larmes et agrippe la chaise pour me relever, mécaniquement. Le sifflement qui traverse mes lèvres se répercute dans mon torse et je ferme les yeux, la tête qui tourne violemment, une fois debout. Il me faut plusieurs secondes avant de pouvoir les rouvrir et aller fermer la porte à clef. Il ne doit plus rentrer ici. Je ne veux pas le revoir. Je ne peux pas.
Un nouveau mal-de-tête m'oblige à m'appuyer contre le mur et je baisse instinctivement les yeux sur mes pieds. Je prends alors conscience du carnage sur ma peau. Je rive mon regard sur le mur pour éviter l'angoisse qui paralyse ma respiration, qui bouscule les images dans ma tête. Les filets de sang séché continue de me hanter et je me mords la langue pour retenir un énième haut-le-cœur. Il m'a lacéré les côtes, le bas du ventre et la chaleur qui me tord l'estomac, dans le dos, ne me lâche pas.
Je m'écarte de la porte, les pieds qui trainent, le corps qui souffre, et entre dans la salle de bain, en sueur. Le moindre mouvement me fait gémir, j'ai chaud, je respire mal. Les mains autour de la vasque, j'essaye de reprendre mon souffle, de me concentrer sur l'air qui entre et sort de mes poumons. Sauf que ma peau meurtrie tire à chaque fois que mon torse se gonfle et je grogne. Avant de me tétaniser quand trois coups cognent contre la porte.
— On vient d'arriver, Max ! C'est l'heure de notre joyeuse discussion !
Le miroir me renvoie mon reflet, traumatisé, les cheveux plaqués contre le front, pâle et le haut de mon torse rouge. Je secoue la tête quand Jonas m'appelle une nouvelle fois puis il tente d'ouvrir la porte avant de râler. Le peu de contrôle que j'avais retrouvé est flingué et je panique en regardant de tous côtés un moyen de m'enfuir. Mais il n'y a rien.
Le bruit se calme, des murmures incompréhensibles me parviennent et je tâtonne le mur pour sortir de la pièce, effrayé. Mon portable sonne alors sur le sol et je m'arrête net, fixant l'écran cassé où le prénom de Jonas s'affiche.
— Ah, tu vois ! s'exclame le capitaine de l'autre côté. Max, ouvre la porte maintenant !
— Peut-être qu'il s'est endormi ! Raccroche !
L'appel s'arrête une seconde plus tard et je me mords violemment la main en me baissant pour le récupérer. Mes larmes glissent sur mes joues, je suis en feu et je couine contre ma peau en voyant une goutte de sang s'écraser au sol. Je me redresse et l'essuie avec ma chaussette en posant mon portable sur la table, en silence.
Le bruit d'un corps qui tombe me fait sursauter et je braque les yeux sur la porte. Un autre bruit l'accompagne et je ne respire plus. Ils sont en train de se jeter dessus pour l'ouvrir. C'est ce que je crois jusqu'à ce que Jonas reprenne la parole :
— On ne bougera pas d'ici tant que tu ne seras pas sorti, Max ! Tu n'y échapperas pas !
Je me retiens à la chaise quand le soulagement me fait flancher. Ils n'entreront pas. Je grince à chaque pas que je fais pour retourner à la salle de bain et fouille dans le placard pour prendre du désinfectant et des cotons. J'en imbibe plusieurs sans réfléchir puis je prends une inspiration et baisse les yeux sur mon ventre. Je vomis alors dans le lavabo, le bras plaqué contre le robinet, le front appuyé dessus. Les yeux fermés, j'ignore la bile qui me brûle l'œsophage, l'estomac et frissonne. J'ai trop chaud, puis trop froid. Je ne vais jamais y arriver. Mais je dois désinfecter les plaies.
Alors je serre les dents, me redresse avec le souffle court et récupère un autre coton. Cette fois, je repousse le dégoût, la terreur, mais je n'arrive pas à ignorer les sensations qui courent sur ma peau. Les mains qui serrent mes bras, les doigts qui marquent mes épaules, mon dos. Les coups sur mes cuisses, les ongles qui cisaillent mes flancs quand je bougeais trop. Tout ça tourne en boucle, mon corps se remémore les souvenirs et je n'hésite pas à plaquer le coton sur la plaie contre mes côtes.
Pendant une seconde, ça éloigne tout. Les pensées, les souvenirs, la douleur, l'envie de vomir. Mais tout revient avec plus de force, fait plus de ravages et j'enfonce mes dents dans mon poignet pour étouffer le gémissement que ça m'arrache. Pourtant, mon cerveau me rappelle qu'il y a neuf coupures à nettoyer, plus les quatre de mon dos. Il me rappelle le sang qui a glissé jusqu'à la lisière de mon jogging vert menthe. Il ne me laisse pas oublier que j'ai mal. Il prend même un putain de plaisir à me faire garder les yeux ouverts sur la vasque, que je rince mécaniquement. Mes jambes me soutiennent à peine, tout mon corps tremble mais je refuse de tomber. Si je le fais, cet enfoiré a gagné. J'ai dit que j'étais prêt à assumer les conséquences, tant que je joue avec Kim, sur le terrain, avec les Racoons. J'affronterai tout, jusqu'à ce qu'on ait gagné.
— Charleston ! J'avais oublié que tu rentrais maintenant !
Cette fois, mon cœur me lâche. Mes genoux aussi. Je suis assis au sol, les yeux écarquillés, foutu. Ils vont rentrer, ils vont me voir. Et je n'aurai aucune putain d'excuses car ils connaissent la vérité.
La clef tourne dans la serrure et je resserre mes doigts sur mon jogging, au milieu de la salle de bain, la porte grande ouverte. Ils auront à peine fait trois pas dans l'entrée qu'ils auront une vue flagrante sur moi. Sur mon corps. Mes oreilles se mettent à bourdonner, tout part en vrille.
— Vous n'entrez pas, Jo. S'il n'a pas ouvert, c'est qu'il n'a pas envie de vous voir.
— Déconne pas. Ça fait une demi-heure qu'on est comme des cons, à attendre !
— Je m'en fous. Je reviens dans deux minutes, tu bouges pas de là.
La porte claque et la voix de Jonas disparait. Puis de nouveau le bruit d'une clef qui tourne et je ferme les yeux. Je ne peux même pas tendre le bras pour attraper mon t-shirt : j'ai mal et il est tâché de sang. Il n'y a plus rien à faire, à part attendre. Pourtant, quand j'aperçois Charleston, j'arrive à repousser légèrement la porte en couinant.
— Max ?
— Sors.
Son sac tombe sur le sol, trop près de la pièce, mais la porte ne bouge pas. J'ai le souffle court, d'entendre ma voix aussi grave, cassée. Je l'ai bousillé et Charleston doit l'entendre aussi.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Sors !
— Jo et Kim t'attendent, lance-t-il. Et ça a l'air important.
— Je peux pas, je gémis soudainement. Je peux pas, je peux pas, je peux pas...
— Max, laisse-moi entrer.
Je replie mes doigts contre le bas de la porte alors qu'il la pousse doucement. Elle s'ouvre d'un nouveau centimètre mais Charleston n'insiste pas. Je sens que mes larmes glissent sur ma peau, je serre les dents quand je me redresse.
— Si je les fais partir, tu me laisses entrer, murmure Charleston. D'accord ?
— Non. Pars avec eux, dégage.
Ses pieds s'éloignent et je me fige quand la porte d'entrée s'ouvre. J'attrape le bord du lavabo en écarquillant les yeux quand certaines des plaies se rouvrent et je pose vivement un pied au sol pour soulager mon corps. Trop tard, mes yeux suivent la goutte de sang sur ma hanche tâcher mon bas.
— Il est malade, Jo. Ça peut attendre demain ?
Je me mords la lèvre en parvenant à me mettre debout et le monde tourne brusquement. J'ai le souffle coupé, le temps de reprendre mes esprits.
— Sérieux ?
— Oui. Allez voir les autres, Max vous verra demain.
Puis la porte se referme, la clef tourne dans la serrure et Charleston revient dans la salle de bain sans me laisser le temps de réagir. En une seconde, tout m'échappe. Il se tient devant moi, la porte grande ouverte, et je le fixe, désemparé. Une foule de choses passe sur son visage, dans son regard et il écarquille les yeux. L'instant d'après, il m'empêche de tomber et m'assoit sur l'abattant des toilettes. Je respire mal, mes doigts s'enroulent autour de son sweat quand il s'écarte et je cherche mes mots, un truc à dire sauf que je ne peux pas parler.
— Il faut que j'appelle les pompiers, ou Memphis.
La précipitation dans la voix de Charleston mâche ses mots mais quand il sort son portable, j'ai saisi le plus important. La vague de terreur qui emporte ma conscience me force à attraper son téléphone et je le balance dans le salon. Il se fracasse quelque part loin de nous tandis que Charleston regarde dans sa direction.
— Tu ne préviens personne, je croasse quand il repose ses yeux sur moi. Personne. C'est clair ?
— Tu te fous de moi, Max ? Tu rigoles, j'espère ! s'emporte-t-il alors. Putain, quelqu'un vient de te....
Ma main plaquée contre sa bouche, je l'empêche de finir sa phrase, de prononcer ces mots. Ma tête tourne, je n'arrive plus à respirer correctement. Je suis terrifié. J'ai mal. Je n'ai plus de repères. Et je me noie.
— Tais-toi. Ne dis rien, je siffle. Personne ne doit savoir. Personne !
— Max...
— Non ! Oh, bordel.
Je ferme les yeux et me retiens à ma jambe quand la douleur augmente. J'ai lâché Charleston, la peur me comprime le cœur sauf qu'il ne bouge pas. Mon torse se soulève vite, brusquement et l'angoisse me fout les larmes aux yeux.
— Calme-toi, Max. Je ne dirai rien, c'est bon. Regarde-moi. Suis ma respiration. Regarde-moi.
Il hésite une seconde avant de glisser ses mains sur mes joues et mon regard plonge dans le sien. Il est dévasté, mais il ne me lâche pas. Il inspire puis expire et je m'oblige à suivre son rythme, mes ongles enfoncés dans ses poignets. J'ai peur qu'à tout moment, il me lâche et court prendre son portable pour appeler quelqu'un. N'importe qui qui foutra mon avenir dans une benne tout en me répétant que c'est pour mon bien. Mais personne ne sait ce dont j'ai besoin, pour mon bien.
— Laisse-moi appeler Memphis, murmure Charleston quand je respire plus doucement. C'est trop, cette fois.
— C'est superficiel, je grogne sans bouger. Jure-moi que tu ne diras rien.
— Je ne peux pas faire ça. Il t'a tailladé, Max !
— Merci, je crois que j'avais remarqué.
Puis je réalise trop tard que je n'ai pas nié. Le regard de Charleston s'enflamme et je resserre mes doigts sur lui.
— C'est Daren et tu comptes te taire ? crache-t-il. Ça va aller jusqu'où ? C'est terminé Max, je préviens le coach.
— Si tu fais ça, on sera éliminé de la League One ! je m'emporte quand il se lève.
— Parce que tu crois qu'il en aura quelque chose à foutre ? Mais tu t'es regardé ?
Il n'attend pas que je réponde et il fait un pas vers la porte. Ma colère a le mérite d'atténuer la douleur et je tire Charleston en arrière avant de me glisser entre lui et la porte que je referme en faisant trembler les murs. Il fulmine, moi aussi, mais ça ne dure pas. J'ai bougé trop vite, le monde devient une constellation de points noirs et je tends le bras pour me rattraper au lavabo. Mais Charleston est plus rapide et il me soutient, sa main autour de mon bras pour éviter de toucher à mes plaies.
— Merde, ça saigne. C'est arrivé quand, Max ?
— Tout à l'heure, je grogne entre mes dents. Faut que je les désinfecte.
Mais aucun de nous ne fait le moindre mouvement. Je vois ses yeux faire des allers-retours entre mon ventre, les cotons sur le rebord de la vasque et la porte. Il veut prévenir le coach et je sais que je ne pourrais pas le retenir, dans mon état. Je vais juste finir par faire un malaise qui le convaincra qu'il a agi pour le mieux. Je m'écarte de lui et étouffe le gémissement qui remonte dans ma gorge avant de prendre un coton et le désinfectant. Autant cacher la misère avant que Memphis débarque ici. Si je peux atténuer le spectacle affligeant que j'offre, peut-être qu'on aura une chance de ne pas tout voir s'écrouler. Peut-être que je ne ruinerai pas le rêve de Kim pour la seconde fois.
Sauf que j'ai à peine posé le coton sur une plaie que je gémis de douleur, l'éloignant tout aussi rapidement. Charleston pose immédiatement sa main dans ma nuque et je croise son regard dans le miroir. L'inquiétude, la haine, la douleur. On a les mêmes choses qui passent sur nos visages et ça attise encore plus mon besoin de protéger l'équipe. Ça ne peut pas s'arrêter maintenant, j'en ai besoin pour me battre, pour vivre. Pour trouver une raison de rester.
— Donne-moi une seule putain de bonne raison de ne rien dire.
J'ouvre la bouche avant de la refermer devant la noirceur de son regard. Qu'on gagne ou non la LO ne changera rien pour lui, ni pour Memphis. Ce n'est pas leur objectif, quand un mec comme moi vient de se faire agresser par un autre membre de l'équipe. Ils passeront au-dessus de ça sans réfléchir et feront tout ce qu'ils peuvent pour me protéger. Je revivrai alors l'horreur d'il y a deux ans et je ne peux pas l'affronter de nouveau. Je ne le supporterai pas parce que cette fois, ce ne sera pas qu'une simple affaire ouverte, résolue puis classée. Cette fois, ça me brisera, ça détruira tout ce que j'ai construit ici, tout ce que j'essaye d'avoir.
— Si tu le fais, je serai obligé de partir.
Ses doigts se figent sur ma peau. Ses yeux ne reflètent plus qu'une colère sourde. J'évite de baisser les yeux quand un mouvement alerte mon cerveau, près de ma hanche. Si je vois à nouveau une seule coupure, je vais perdre mes moyens. C'est déjà difficile de faire face, de tenir debout, de ne pas m'écrouler à cause de la douleur, de la fatigue, de l'envie effroyable de tout laisser tomber. Mes espoirs s'effondrent quand il répond, la voix froide :
— Et tu penses que de te savoir loin de lui, c'est censé m'empêcher de prévenir le coach ?
— Je ne peux pas partir.
— Si, ça n'a rien de compliqué, siffle-t-il en appuyant son pouce à la base de mes cheveux. Surtout si tu le fais pour te protéger, pour éviter de mourir.
— Qu'est-ce que tu en sais ? je réplique enfin. Tu n'as aucune idée de ce que j'ai, ici. Tu ne sais pas que...
— Kim et l'équipe ne pourront pas te garder en vie.
— Tu te trompes.
Charleston quitte mon regard en baissant les yeux et je serre violemment les poings autour du rebord du lavabo quand ses doigts appuient autour d'une plaie. Putain.
— Je ne suis parti que deux semaines, murmure alors Charleston. Juste quinze jours, en sachant qu'il n'y aurait que Jo et toi, que tu ne craignais rien. Et il est rentré plus tôt que moi avant de te faire payer ton retour dans l'équipe. Puis tu oses me dire que je dois me taire ?
— Tu n'aurais jamais dû être au courant.
— Ah ouais ? ricane-t-il en passant à une autre coupure. Parce que tu comptais cacher ça comment ?
Je ne réponds pas et le laisse me maltraiter. Ses doigts sont beaucoup plus doux quand je me crispe et il s'arrête en me jetant un regard, incrédule.
— Tu ne comptais pas jouer dans cet état quand-même ?
— Je vais jouer dans cet état, je renchéris. Et c'est bien pour ça que tu ne vas rien dire.
— Non mais t'es devenu complètement dingue !
Charleston fait un pas en arrière et je me tourne vers lui, complètement à bout de nerfs. Ses yeux survolent mes blessures et il s'enflamme un peu plus, ce qui fait me craquer. Les vannes lâchent, mes défenses s'explosent au fur et à mesure que les images défilent dans ma tête et je ne peux pas retenir mes mots.
— J'ai besoin de jouer ! je crie en frappant son torse. C'est la seule putain de chose qui me maintient en vie, quand je suis sur le terrain avec Kim ! Aucun de vous n'a idée de ce que j'ai traversé, de tout ce que j'ai dû sacrifier et aujourd'hui, tu veux encore me priver de la seule personne qui me permet de rêver ? Je ne peux rien dire au coach parce qu'il m'évincerait sans réfléchir et je n'y survirai pas ! Les Racoons sont le seul truc de bien qui me soit arrivé en deux ans alors ne me le retire pas, merde ! J'en ai besoin !
Je n'ai plus de souffle, plus de voix et je suis vide. Mes bras retombent mollement contre mon torse, réveillant les douleurs encore tenaces. Le monde se brouille et Charleston m'attire contre lui, sa main enroulée autour de ma nuque. Le front contre son épaule, je sens que la situation me glisse entre les doigts, que si lui avoir hurlé dessus ne change rien, alors je peux être certain que ma place dans l'équipe va sauter. Ses doigts remontent dans mes cheveux et il soupire contre mon oreille.
— Comment tu peux me demander de garder ça pour moi ?
— Je suis désolé, je souffle contre lui. Je sais plus quoi faire...
— On va commencer par désinfecter les coupures.
Mais on ne bouge pas la minute qui suit. J'essaye de remettre de l'ordre dans ma tête, de reprendre mon souffle, de faire taire la terreur dans mon crâne. Charleston finit par me repousser doucement puis il m'oblige à m'asseoir de nouveau sur l'abattant, avant de prendre ce qu'il faut. Le visage fermé, il s'agenouille devant moi et je ferme les yeux pour ne plus avoir à faire face à sa haine. La mienne me ronge déjà assez.
— Ça va faire mal.
— Je sais.
— Dis-moi si c'est trop, murmure-t-il en s'adoucissant. On fera une pause.
J'acquiesce et il commence à nettoyer ma hanche. La demi-heure qui suit est ignoble. Je le retiens presque à chaque mouvement, je m'empêche de le cogner pour qu'il me lâche, je me tortille dès que le coton se pose sur une coupure. C'est long, douloureux, j'ai le corps bouillonnant et même quand il m'annonce que c'est fini, j'ai encore la sensation qu'il tamponne mon dos. Charleston laisse des compresses sur les plaies en les maintenant avec un sparadrap.
— Tu devrais avoir moins mal en t'allongeant, comme ça, explique-t-il quand je gémis. Il te reste des antidouleurs ?
— Je crois.
— Tu vas en prendre et aller te coucher.
— Tu vas appeler Memphis ? je souffle en croisant son regard. Dis-moi la vérité.
— J'en sais rien. Il faut que tu te reposes maintenant.
Je détourne les yeux lorsqu'il m'aide à me lever. Je m'allonge dans mon lit avec tellement de précautions que j'arrive à soutirer un petit rire à Charleston. Il disparait quelques secondes et revient avec une boîte de cachets et une verre d'eau. J'en avale un et tente de me concentrer sur le plafond, et non sur la douleur qui me brûle de partout.
— Je vais nettoyer le salon et la salle de bain. Essaye de dormir.
— Hé, je souffle avant de grimacer quand il s'éloigne. Merci...
— Ne me remercie pas trop vite Max. J'hésite toujours à appeler Memphis.
Il sort de la chambre sans attendre que je réponde et je déglutis une fois dans le noir. La nuit est tombée, il doit bien être dix-huit heures passées et je suis incapable de fermer les yeux. Mon cerveau capte le moindre bruit dans la pièce d'à côté, à la recherche d'une conversation possible. Mais il n'y a que Charleston qui nettoie, en silence, sûrement à se bouffer la raison pour savoir ce qu'il doit faire. Je me déteste pour le mêler à ça, de l'obliger à se taire sauf que je n'ai pas le choix. J'ai vraiment besoin de rester dans l'équipe. J'ai besoin de garder le contrôle sur la situation. Il y a trop de choses en jeu.
Les cachets finissent par faire effet, tout comme la fatigue qui m'achève. Je reste sur le dos, conscient que Charleston est finalement au téléphone, mais je ne peux plus rien faire. Alors je m'endors en priant pour ne pas me réveiller entre quatre murs blancs.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top