Chapitre 25 - partie 1

Le coude appuyé sur la fenêtre de la vieille bagnole d'Omare, j'attends que Kim descende du dortoir pour l'amener à l'aéroport. Les perruches, Lael et Jonas sont partis hier, sans oublier de s'assurer que j'allais bien, que je pouvais rester seul, que je n'étais plus en crise. Le match remonte à plusieurs jours mais je suis resté enfermé vingt-quatre heures, je suis ressorti en zombie et il m'a fallu une autre journée pour décrocher une phrase. J'ai subi les entrainements, les perruches et Lael ne m'ont pas lâché, Charleston et Ness non plus. Jonas s'est excusé de ne pas avoir su me protéger mieux que ça et j'ai juste haussé les épaules en murmurant que ce n'était pas de sa faute.

Mes yeux remontent sur les fenêtres des étages qui appartiennent à l'équipe et la plupart des volets sont fermés. Ils sont tous partis hier soir ou très tôt ce matin. Une fois que Kim sera à l'aéroport, il ne restera que moi jusqu'à ce que Jonas rentre demain dans l'après-midi. Ça me va : j'ai vraiment besoin d'être seul, de ne plus avoir l'un d'eux qui me suit.

Mes doigts tapotent le volant et je souffle quand Kim sort enfin du bâtiment, son sac en bandoulière sur l'épaule. Il est remonté, vu la tronche qu'il tire, mais ça ne m'inquiète pas. Plus rien ne m'inquiète, parce que je suis encore dans les vapes. Personne n'a reparlé de ce qu'il s'était passé au match et je dois ça à Ness.

— Lael avait caché mes clefs, siffle Kim en ouvrant sa portière. Lui, je vais lui offrir un cercueil pour Noël.

— Très mature.

— Parce que jouer à cache-cache à trois heures du départ de son avion, c'est mature ?

J'esquisse un sourire en coin alors qu'il balance son sac derrière, furieux. Il s'installe ensuite et je prends enfin la route vers l'aéroport. Kim branche son téléphone à l'autoradio dépravé d'Omare, mais qui fonctionne encore. Il lance une playlist au hasard, parce qu'il se tourne ensuite vers moi. Et mes doigts se crispent sur le volant. Voilà pourquoi c'était une mauvaise idée de l'amener. Il s'est passé trop de choses, il a plein de questions et je sais que je ne vais pas pouvoir répondre. Je n'y arriverai pas. Le regard de Kim glisse sur mes mains et il s'enfonce dans le siège en détournant les yeux vers la fenêtre.

— Tu as passé le permis quand ?

— L'année dernière, je murmure. On s'est dit que ce serait pratique, si je devais partir loin d'ici...

— Evidemment. Mais tu n'es pas parti.

— Toi non plus.

Il ricane en s'installant plus confortablement. Je ne sais pas vraiment si c'est possible vu le taudis qu'est la bagnole d'Omare. Mais Kim a pourtant l'air à l'aise quand je lui jette un coup d'œil : un léger sourire aux lèvres, le coude sur le rebord de la fenêtre, ses doigts qui tapent le rythme de la musique.

— J'ai réussi à rentrer dans les Racoons, c'était suffisant pour que je reste.

— Je m'accrochais aussi à ça. C'était la seule chose qui me maintenait.

— C'était notre rêve, souffle Kim en serrant le poing sur sa cuisse.

Mes mâchoires se tendent alors qu'on entre sur l'autoroute. Je ne veux pas parler de ça, du match de mercredi, de tout ce qui est en lien avec Kim de près ou de loin. Mais ce n'est pas son cas et il me le fait rapidement savoir.

— On va continuer longtemps à faire comme si de rien n'était ?

Mon silence l'énerve. Il se redresse et éteint la musique en se tournant vers moi. Au moins, je n'ai pas à affronter son regard alors je me contente de fixer la route et de faire abstraction de ses yeux noirs.

— On a assez joué les taupes, Max.

— Arrête, je grince. Je n'ai rien à te dire, tu n'as pas envie d'en parler. Point final.

— Et bien si, j'ai envie d'en parler ! s'emporte Kim. Parce qu'il y a trois jours, tu étais au fond d'une douche, terrifiée, et que j'ai eu l'impression de te revoir il y a deux ans !

— Ferme-la !

Mon poing cogne le volant et Kim grogne de frustration en enfonçant le sien dans la portière. Le cœur qui bat à tout rompre, j'essaye de le calmer. Ce n'est pas le moment d'avoir un accident. De la route ou cardiaque.

— Je ne veux pas parler du match.

— Tu ne veux jamais parler, crache Kim. Depuis Halloween, depuis que Brett a récupéré tes entrainements.

— Ça t'étonne ? je ricane en serrant les doigts. Tu t'es comporté comme un enfoiré, à me gueuler dessus pour un oui ou pour non. Tu me demandes de jouer avec toi, pour ensuite me balancer que je dois rester sur le banc. Je t'ai dit de jouer avec Daren, de me faire confiance parce que je reste derrière toi, mais qu'est-ce que tu fais ? Tu compliques tout. Toujours, tout le temps.

— Je veux gagner !

— Et moi non ? je crie à mon tour. Tu sais très bien pourquoi je suis rentré dans cette équipe ! Et je sais aussi très bien pourquoi tu ne voulais pas moi ! Bordel, arrête de nous prendre pour des cons !

Le regard pesant de Kim me brûle la nuque mais je ne détache pas mes yeux de la route. Je meurs d'envie de le pousser hors de la bagnole, de fuir cette conversation.

— Tu ne m'as jamais clairement dit pourquoi tu avais passé les sélections.

— Tu n'as jamais posé la question vu que tu m'as immédiatement repoussé.

— Ne joue pas la victime, grogne Kim. Quand je t'ai vu poser un pied sur le terrain, j'ai disjoncté Max. Tu n'avais rien à foutre au stade, chez moi, là où je tentais de me reconstruire.

— De te reconstruire ? je répète. J'ai l'impression que c'est ta vie qu'on a bousillé !

— Parce que tu penses qu'il n'y a que la tienne qui a éclaté ? s'énerve Kim. Qu'il n'y avait que toi qui comptais ?

— Rappelle-moi qui a été torturé, déjà ?

Ça a le mérite de faire taire Kim dans la seconde. Sans me retenir, je lui jette un coup d'œil pour découvrir qu'il est blême, la bouche ouverte et les yeux posés sur le poste radio. Je déglutis, conscient d'avoir peut-être été trop loin. Mais je ne peux pas continuer de ramasser les pots cassés de ma vie en l'écoutant se plaindre. J'ai peut-être brisé son cocon familial, mais c'était contre ma volonté. Je ne l'ai jamais voulu. C'est bien pour ça qu'il a appris la vérité il y a seulement deux ans.

— Tu ne m'avais jamais rien dit.

La gorge nouée, je n'arrive pas à lui répondre. Je sens que mes yeux me brûlent alors que je les frotte du poing, sans quitter l'autoroute.

— Ça a duré des années et toi, tu ne m'en avais jamais parlé.

— Je nous protégeais, je souffle dans un déchirement. J'avais pas le choix.

Le silence de Kim m'arrache le cœur. Il prend une inspiration et renifle en s'enfonçant dans le siège, la tête appuyée contre la vitre remontée. Mes doigts tremblent contre le volant, mon cerveau réfléchit à toute vitesse à la meilleure façon d'éviter cette conversation. Mais Kim s'en charge :

— Désolé d'avoir été aussi con, ces dernières semaines. Je n'acceptais pas que Daren joue à ta place et j'ai laissé parler mes... sentiments, au lieu d'agir au mieux pour l'équipe.

J'enclenche le clignotant pour sortir de l'autoroute et rejoindre l'aéroport.

— Je suis autant en colère que toi, je murmure après un silence. Je suis dans l'équipe parce qu'on voulait y entrer ensemble, jouer ensemble, et gagner ensemble. Je suis là pour faire la seule chose que je sache faire : te conduire vers la victoire. Et c'est frustrant pour toi comme pour moi, cette situation.

— Alors pourquoi tu l'acceptes ? siffle Kim. Tu peux reprendre ta place sans problème ! Memphis a dit que tu revenais aux matchs après les vacances de Noël, mais qu'il me laissait quand-même Daren pendant les entrainements ! Et je n'en veux pas !

Brett a fini par le dire à Jonas et j'ai encore en mémoire le regard noir, lourd de sens qu'il m'a balancé. Il sait la menace qui pèse, comme Ness, alors il a convaincu le coach de laisser Daren avec Kim pendant les entrainements, pour atténuer sa colère. Pour éviter que je me retrouve peut-être à la morgue un matin.

— Je serai là pendant les matchs, c'est suffisant.

— Pour toi, peut-être.

Je secoue la tête, ce qui le fait soupirer. C'est évident que non, ça ne l'est pas. Sauf qu'on ne peut pas faire autrement. Je vais réussir à sortir de là, à ne pas risquer notre place à la LO en évinçant le bulldozer.

— S'il te plait, laisse-moi gérer ça, je lui demande. Je ne te laisserai pas tomber mais il faut que tu me fasses confiance.

— C'est plutôt difficile, après ce qu'il s'est passé.

Pendant un instant, je revois son expression choquée, ses yeux vitreux, l'incompréhension et la folie sur son visage. Je revois sa main me tenir le bras, ses lèvres bouger pour me demander si c'est vrai. Puis je repousse violemment ces souvenirs et m'agrippe au volant. Il ne peut plus me faire confiance comme avant. Mais surtout, je prends en pleine poire la même accusation qu'il m'avait balancé à la Madhouse.

— Tu penses toujours que c'est de ma faute.

— J'en sais rien.

Le coup est dur, pourtant je l'encaisse sans broncher. Il y a trois mois, il n'a pas hésité à me dire que j'étais le fautif. Aujourd'hui, il remet ça en question et l'infime vague de soulagement qui glisse en moi me détend.

— J'en sais foutrement rien parce qu'un fois que t'es parti, ma vie n'avait plus aucun sens. Je devais recoller les morceaux sans toi, je devais garder la tête hors de l'eau sans toi. J'ai passé les sélections sans toi, je suis entré dans l'équipe sans toi, continue Kim en grognant. J'ai passé les deux dernières années, sans toi, à éviter de penser à ce que je n'avais pas vu, et ce que j'avais perdu.

Il reprend sa respiration en levant la main pour me faire taire. Je serre les dents en arrivant devant le parking de l'aéroport : j'ai besoin que Kim aille jusqu'au bout.

— Je t'en veux tellement. Pas seulement parce que tu as tout gardé pour toi, mais aussi parce que tu avais brisé notre rêve, tu n'as jamais donné de nouvelles, tu n'as pas essayé de revenir vers moi. Tu as disparu, on m'a interdit de te voir et j'ai été assez stupide pour croire que toi, tu ferais le premier pas. Mais non, les mois sont passés et aucune nouvelle de Max.

Je m'apprête à le couper parce que ses mots se répercutent violemment et que je ne réalise pas à quel point on est loin de la vérité. On ne l'a pas autorisé à me voir, tout comme on m'a obligé à rester cloîtrer dans ma chambre sans pouvoir lui parler.

— Alors oui, je ne sais plus du tout où j'en suis.

Je me gare enfin et éteins le moteur quand il se penche, le visage entre les mains. Un long soupir lui fait trembler les épaules et je détourne les yeux, au bord des larmes.

— Je ne sais pas si c'est de ta faute, de la mienne ou de la sienne. Tu m'as caché pendant des années ce qu'il t'arrivait, tu m'as menti quand je voyais les marques... gémit Kim et je ferme les yeux, les dents enfoncées dans ma lèvre. Je ne peux pas te faire confiance. Je n'y arrive plus, même en essayant. J'ai toujours peur que tu disparaisses à nouveau. Ça m'a trop brisé la première fois pour que je tolère ça une deuxième fois.

J'entends la porte s'ouvrir, Kim récupère son sac et je sors rapidement quand il claque la portière en s'éloignant. Je le rattrape en quelques pas et mes doigts retiennent son poignet. Mon cœur se contracte devant ses larmes, qu'il efface brusquement.

— Je suis désolé, je murmure en retenant les miennes. Je suis tellement désolé.

Le bras de Kim passe alors dans mon dos et je me retrouve contre lui, mon visage plaqué contre son torse alors que mes larmes dévalent mes joues. Elles ne devraient pas exister, ma peine aurait dû s'amenuiser avec le temps. Mais Kim est à ma portée, j'ai besoin qu'il sache à quel point tout ce qu'on a traversé ne m'empêche pas d'être encore et toujours là. C'est la seule chose qui m'a maintenu en vie : réussir à rentrer dans les Racoons pour rejouer avec lui, retrouver une partie de moi et réaliser notre rêve. Lui et moi, avec le trophée de la LO. J'étouffe un cri en attrapant son haut alors qu'il passe sa main dans mes cheveux.

— Promets-moi de ne plus jamais me faire vivre ça, me glisse Kim. J'ai besoin de toi, Maxie, pas seulement pendant les matchs. Je...

Sa voix s'éteint et je resserre mon étreinte. Je ne peux pas promettre ça parce que je sais que ça recommence. Je tais mes problèmes et je m'assure que ceux qui en ont conscience n'en parlent pas. Kim ne saura pas pour le bulldozer, il ne revivra pas l'enfer d'il y a deux ans. Ça, je me le jure.

— Tu vas louper ton avion, je souffle en m'écartant doucement. Fais attention à toi.

— Hé.

Je grince des dents quand il pose sa main sur mon épaule et je lève la tête vers lui. Sa détresse m'explose au visage mais il affiche rapidement un vague sourire censé me rassurer. Ça ne marche pas.

— On va y arriver, cette fois. Toi et moi.

J'acquiesce alors qu'il remonte ses doigts dans ma nuque et me tire vers lui. Juste une étreinte rapide, presque fictive, qui me laisse sans souffle. Puis il me tourne le dos et s'éloigne, sac sur l'épaule, en levant une main.

— Passe de bonnes fêtes.

Je ne lui réponds pas à cause de la boule logée dans ma gorge et il ne me lance pas un regard. Il disparait simplement dans le bâtiment en me laissant à bout de souffle sur le parking, le cœur qui fait la ola dans la poitrine. Pourtant, un ricanement s'échappe de mes lèvres quand je reprends le volant. Kim sait que mes fêtes n'auront rien à envier aux siennes. Mais peut-être qu'il n'a plus rien à m'envier non plus...

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