Chapitre 24 - partie 2
Mon regard croise celui de Romeo et je siffle entre mes dents. Il acquiesce avant de rejoindre Ishan un peu plus loin. Notre dernier match est chiant. Nos adversaires, les Oktha, sont longs, bourrus et je commence à saturer de jouer avec Daren. Ses coups de coude sont répétitifs dès que je lui passe à côté, ses hurlements tendent mes muscles et même si Jonas et Brett l'ont remis à sa place, il continue de m'insulter quand il n'aime pas ce que je fais. Autant dire que notre cohésion d'équipe est loin d'être exemplaire.
— Le seize est vraiment à chier, pour se faire démonter toutes les deux minutes par son coéquipier.
— Le seize t'emmerde, je crache furieusement au capitaine de l'autre équipe.
Il se tourne vers moi, mauvais, et rit en tapotant l'épaule de son pote avant de s'éloigner. J'aperçois Jonas se diriger vers moi et je détourne le regard vers l'arbitre qui nous fait signe de nous remettre à nos places. On vient de marquer un point, je devrais m'en réjouir, mais Daren a eu la bonté de me dire que j'étais vraiment con d'avoir loupé une passe. Chose que je n'ai même pas faite, vu que Kim l'a réceptionné et a permis à Jonas de marquer.
— Ce début de deuxième période est phénoménal, me sourit mon capitaine. Encore deux buts comme ça et on extermine carrément les Oktha des sélections !
— Avant de les virer de la LO, je vais les défoncer ici.
— Tout doux l'agneau, se marre Lael en m'attrapant par le bras pour qu'on recule à nos places. Ne les écoute pas, on doit juste gagner le match.
— T'as raison. C'est cet enfoiré que je vais cogner.
Mes yeux glissent sur Daren une fraction de seconde. Lael fronce les sourcils puis soupire en me laissant pour se caler derrière Jonas sur notre demi terrain. Je me masse la nuque en faisant rouler ma cheville. Encore heureux que je n'ai pas mal et que je puisse courir librement.
— Maxou !
Je grince des dents en tournant la tête vers le carré des Racoons, derrière la ligne blanche, où Memphis se tient. Bras croisés, son regard glisse sur nos adversaires alors qu'à côté de lui, Ness se dandine, les bras dans le dos. Il hoche la tête dans ma direction mais je l'ignore. Même si j'ai accepté qu'il me colle à nouveau, je ne peux pas faire plus. Encore moins pendant ce match où la pression du regard noir de Daren me plombe le moral.
Un sifflement relance le match. Je fonce avec Kim, esquive un abruti en gris et vole le ballon à un autre. Les vingt minutes suivantes sont juste un bordel de grognements, cris, frustrations et insultes lancées à qui veut les entendre. Je ne fais attention à personne, sauf au duo devant moi. Le reste est brouillon, flou, sans intérêt. On met un nouveau point et les Oktha mettent leur premier quelques minutes plus tard. Je reprends mon souffle, accroupi, et une main glisse sur ma nuque.
Enfin, j'esquisse un sourire. Près de nos cages, je regarde nos adversaires repartir de leur côté alors que Charleston dessine des arabesques sur ma peau. Je frissonne quand ses doigts remontent doucement dans mes cheveux. Devant nous, notre équipe se sourit en se motivant et je replace ma contention avant de me lever. Un petit rire passe les lèvres de Charleston tandis que sa main glisse sur mon dos et abandonne mon corps. Ma tête se tourne vers lui et je croise son regard narquois.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— La fin du match risque d'être mouvementée.
Je fronce les sourcils avant de suivre son regard, posé sur le capitaine des Oktha. Son t-shirt gris avec le numéro 1 plaqué dessus me sort par les yeux depuis que je suis entré sur le terrain. Il a décidé de me prendre pour cible et jusqu'à maintenant, il réussit bien son coup : en défense, il fait son maximum pour me percuter quand je n'ai pas le ballon.
— J'espère pas, grogne alors Brett à quelques pas de nous. Hé ! Omare !
Mon coloc se tourne vers nous en haussant un sourcil au moment où le coup de sifflet retentit. Un dernier regard à Charleston et je me précipite vers Kim qui m'attend. Je ne sais pas ce que glisse Brett à Omare mais ça me concerne : il ne me lâche plus. J'en profite pour qu'on reprenne l'avantage, vu qu'on a le ballon.
Nos mouvements coordonnés me galvanisent alors qu'on remonte sans peine vers les cages adverses. On laisse des Oktha derrière nous en ricanant, ce qui les énervent un peu plus et je tape discrètement ma main dans celle d'Anton quand il me passe à côté. Jonas me lève son pouce quand je lui dis de rester avec Lael, Omare et Daren se glissent dans mon dos et je repère aisément Kim qui s'écarte d'un type. Ballon au pied, je contourne le 4, fais la passe à Jonas et reprends ma course vers les cages.
— Foutez-moi le seize au sol !
— Cours toujours ! je hurle à celui qui ordonne ça.
Ses yeux me transpercent et je remarque seulement maintenant tous les traits de son visage tendus par la haine : le capitaine n'est vraiment pas content. Je souris en coin avant de réceptionner la passe d'Omare. J'entends Ishan crier qu'il reste deux minutes de jeu alors je m'active. Je fais rouler mes épaules en arrière puis je pars en furie vers le couloir de droite. Le hurlement encourageant de Memphis fait éclater Lael de rire alors qu'il me suit et on parvient, à coup de plusieurs passes entre les milieux et quelques ruses, à atteindre la surface de réparation.
Mais le goal attrape la balle et la renvoie au centre du terrain. Je grince des dents quand Kim me passe à côté, appuyant sur mon épaule pour qu'on accélère. Il ne m'attend pas et je suis rassuré de voir Romeo récupérer la balle des pieds d'un adversaire. En levant les yeux sur le panneau, je réalise qu'on est en prolongation pour trois minutes. C'est foutu pour marquer un nouveau point.
Je me contente simplement d'assurer les arrières de nos milieux offensifs. Quand le ballon revient à mes pieds, je suis soudainement face au capitaine des Oktha. Au même moment, le coup de sifflet résonne et je renvoie la balle vers Jonas pour éviter une confrontation. Le match est peut-être fini mais on vient de les laminer. Je les ai humilié tout au long des deux périodes, j'ai pris un sale plaisir à ruser toujours un peu plus sournoisement. Je n'ai pas pu m'en empêcher : ils sont mauvais. Et j'ai de la rage à revendre aujourd'hui.
— Sale petit merdeux, siffle alors le 1 entre ses dents. Je vais te faire bouffer le sol.
— Pas avec ton talent en tout cas.
Je n'ai même pas le temps de ricaner qu'il a déjà empoigné mon col. Puis ses doigts remontent sur mon cou et j'écarquille violemment les yeux. La sensation dure une seconde, voire deux, mais il s'éloigne de moi aussi vite qu'il s'est rapproché. Des cheveux pastels me coupent alors la vue et j'attrape son sweat, la respiration hachée, quand Ness tente de s'approcher du Oktha. Les arbitres sont déjà autour de nous, mon équipe aussi et les voix s'élèvent de plus en plus.
— Max, ça va ?
Je tourne les yeux un instant sur Omare avant de revenir sur Ness. Le tissu de son haut glisse entre mes doigts et je les resserre pour le retenir. Ses yeux flamboyants se posent sur moi quand il tourne la tête, ce qui me crispe.
— Lâche-moi.
J'ouvre la bouche, la gorge nouée, sauf que je n'arrive pas à prononcer un mot quand le capitaine de l'autre équipe croise mon regard. Fou furieux, il pousse violemment un arbitre puis Memphis et tend le bras dans ma direction. Ses doigts se rapprochent, son expression me détruit et le souffle de panique qui me traverse soudainement me fait monter les larmes aux yeux. Mais il n'a pas le temps de me toucher, tout le monde l'éloigne, les perruches hurlent, Lael retient un de nos coéquipiers, Jonas et Brett bousculent d'autres types en gris. Et je reste planté là, le souffle court, l'esprit en ébullition et l'horrible sensation d'être revenu trois ans auparavant.
— Max !
Je secoue la tête, accroupi, alors que mes mains frottent mes bras, mes épaules, mon cou. Tout ce qui a été touché, coloré, brisé. Je perds le contrôle, la tête, mes idées. J'enfonce mes doigts dans ma poitrine, cherche à faire taire la douleur sourde qui hurle en moi grâce à la douleur physique. Mais rien ne se passe. Rien ne marche.
Jusqu'à ce qu'une main attrape mes cheveux et tire suffisamment fort dessus pour m'incliner la tête en arrière. Je gémis de douleur avant de percuter que le visage de Ness est au-dessus du mien, un sourire plus sombre que d'habitude plaqué sur le visage.
— Si on ne bouge pas d'ici dans les trois prochaines secondes, je tue quelqu'un. Ou c'est Romeo qui le fera.
Je m'agrippe à son poignet, pour qu'il me lâche, pour qu'il arrête de raviver des souvenirs. Mais Ness m'oblige à me lever en laissant sa main descendre sur mon bras et il me pousse vers quelqu'un d'autre. Je ne peux pas réagir à autre chose que les doigts qui me rattrapent. Les fourmillements qui s'insinuent sous ma peau vont me faire vomir, la souffrance qui me ronge est en train de me rendre fou. Mes ongles reviennent frotter, gratter, arracher chaque parcelle de peau nue que je trouve accessible.
— Fais-le sortir d'ici. Tout de suite !
Je trébuche lorsqu'on me force à reculer, je me griffe quand je me passe la main sur le bras. Je veux que ça disparaisse. Que ça cesse, ces sensations, ces souvenirs, cette horreur. Quelqu'un me pousse dans le vestiaire et je m'enfuis dans les douches. Je n'entends rien : ni les voix qui hurlent dehors, ni mon prénom qui résonne dans la pièce, ni mes pas qui cognent le carrelage, ni l'eau brûlante que je fais couler. Ni la voix de Charleston quand il se baisse devant moi. Ses lèvres bougent mais mes oreilles sifflent, coupant court à tout ce qu'il se passe autour de moi. Alors je baisse les yeux et me replie sur moi-même, mes doigts qui continuent leur danse diabolique sur mes fringues trempées, sur ma nuque, dans mes cheveux, sur mon visage. Je dois tout effacer, tout enlever, me débarrasser des preuves, des traces.
Je ne sais pas combien de temps je reste là, inatteignable par Charleston qui n'a pas bougé. Mon cerveau finit par lâcher l'affaire brusquement, comme toujours. Le néant s'installe dans ma tête, les bourdonnements disparaissent et il n'y a plus que la douleur physique, les brûlures que je me suis infligé à force de frotter trop fort. Je tends le bras et tourne la température de l'eau au plus froid. Je fuis le regard de Charleston, je sais ce que je vais y trouver : la pitié, l'inquiétude, l'incompréhension. Ils font tous ça quand ils me voient en crise. Je frissonne quand je commence à avoir froid et je ferme les yeux, le crâne posé contre le carrelage. Sauf que je les rouvre immédiatement quand une main frôle mon genou.
Charleston s'écarte vivement et c'est à peine si j'entends sa voix. Tout transpire l'incertitude chez lui. Il lève la tête pour répondre à quelqu'un mais je suis déjà en train de reperdre la mienne. Pourquoi il m'a touché ? Mes doigts redeviennent dingue sur ma peau. Mes pensées repartent dans tous les sens.
Puis tout s'arrête quand deux billes noires se plantent dans les miennes. Ses doigts sont sur mes joues et l'entièreté de mon corps se fige. Kim pose alors doucement son front contre le mien sans lâcher mon regard. C'est à peine si je respire. Je devrais être terrifié, mais c'est lui. Ce n'est pas le monstre qui m'a bousillé, c'est celui qui a pansé mes maux. Brusquement, je m'agrippe à Kim alors que mon visage devient humide.
— Tout va bien Maxie.
Ses pouces appuient sur mes pommettes, ses yeux me dévisageant alors qu'il murmure ces mots encore et encore. Il s'écarte de moi quand je réussis à me calmer, que je n'ai plus de larmes à verser, que mon souffle est à peu près normal. Les mâchoires serrées, il continue de me regarder avant de détourner les yeux sur quelqu'un d'autre. Sa tête acquiesce quand je reconnais la voix de Memphis demander si je vais mieux. Je fais tout pour ne pas le voir, pour me concentrer sur les yeux sombres de Kim, sur l'expression torturée de son visage. Il n'y qu'à ça que je peux me raccrocher. A sa douleur, à la chaleur de sa peau, à sa détermination quand il repose son attention sur moi.
— Va voir Jonas.
— Je reste avec Max, grogne Kim. Demande à quelqu'un d'autre.
— A qui ? Lael ? C'est sûr que c'est une bonne idée ! Ils vont être encore plus motivés pour radier ces enfoirés de la surface de la Terre.
— Démerde-toi Ness !
Le cri de Kim me fait tressaillir. Il ne s'en rend pas compte, trop concentré à fusiller Ness, l'air enragé. La pression de sa peau devient gênante, oppressante, sur la mienne. Mon cœur se comprime et je me sens paniqué. Angoissé de ne pas réussir à calmer mes pensées, ma peur de voir Kim se transformer en ce monstre qui a terrorisé mes nuits. Alors je repousse les mains de Kim et je me plaque contre le carrelage pour fuir le contact de sa peau, pour éviter qu'il me touche.
— Kim. Va voir Jonas. Tu lui fais peur.
— Va te faire...
Ness se baisse, attrape Kim par le col de son pull et le soulève. Je me force à regarder leurs jambes, à ne pas entendre leur voix, et celles de Kim finissent par quitter la pièce en tapant le sol. Je déglutis en levant la main. J'ai besoin qu'il reste. J'ai besoin qu'il soit là. C'est lui qui me sauvait, qui m'empêchait de me noyer avant. Je ne sais plus comment faire maintenant qu'il est revenu.
— Regarde-moi.
Je secoue la tête quand Ness s'agenouille devant moi, sans aucun sourire. Ses doigts n'ont aucun problème à s'enrouler autour de mon menton et il m'oblige à lui faire face. Ma respiration s'emballe, je veux hurler mais rien ne sort. Son autre main passe dans mes cheveux et il me rapproche de lui, son visage trop près du mien.
— Tu me fais confiance ?
— S'il te plait, je gémis. Lâche-moi.
— Réponds-moi.
— Ness...
Il resserre ses prises et je me retrouve au bord du précipice. Mon cerveau part dans tous les sens, je ne sais même plus ce qu'il m'arrive. Mon corps est qu'un amas de pourriture, de souvenirs qui me bouffent. Je ne suis plus Max, je suis le déchet qui s'est retrouvé seul il y a deux ans.
— Je t'ai dit que je veillais sur toi. Laisse-moi le faire.
— Ça tourne en boucle, je gémis. Ça me rend fou.
— Est-ce que tu me fais confiance ?
Mes yeux s'embuent alors qu'il relâche mon menton. Je veux suivre ses mouvements mais je perds la tête, à vouloir tout analyser, contrôler. Le moindre changement me donne le tournis, j'ai envie de vomir. Les doigts fictifs qui courent sur ma nuque, dans mon dos et enserrent mes bras me foutent la trouille.
— Personne ne t'approchera, personne ne te parlera. Ce sera juste toi et moi, c'est clair ? souffle alors Ness. Laisse-moi t'aider.
Mes pensées m'étouffent. Les doigts se resserrent autour de ma gorge. Son rire à lui résonne dans mon crâne. Il s'accompagne de ses murmures, au creux de mon oreille, de ses menaces, de ses fausses promesses. De ce putain d'espoir qu'il a fait naître puis qu'il a explosé, en même temps que mes rêves. En même temps que la famille de Kim.
J'enfonce violemment mes ongles dans ma nuque pour me ressaisir, pour ne pas plonger. Je me répète qu'il n'est pas là, qu'il ne peut pas me faire de mal, que c'est Ness devant moi. Je m'accroche aux cheveux pastels qui n'ont rien à voir avec ceux, foncés, qui hantent mes cauchemars. Je me retiens au peu que m'offre mon coéquipier en plongeant son regard dans le mien, ce qui me permet de ne pas perdre totalement pied. Puis il relève une gélule au niveau de nos visages et je la reconnais immédiatement. Celle d'Halloween, celle qui m'a empêché de penser, de me torturer, de ressentir quoi que ce soit.
— Fais-moi confiance.
Je hoche la tête, pressé de ne plus être qu'une coquille, de ne plus avoir à me souvenir, à ressentir. Ness esquisse un sourire et il dépose la pilule sur sa langue avant de me tirer vers lui, sa main toujours dans mes cheveux. J'ignore la pression de ses lèvres sur les miennes, je refoule ce qui me brûle de l'intérieur et j'avale sa drogue, toujours les ongles enfoncés dans ma peau. Il s'écarte de moi et lentement, ses doigts viennent se nouer aux miens pour m'empêcher de me faire plus de mal. Mais c'est trop tard.
— Tu restes avec moi.
Puis il se lève, m'aide à faire la même chose et je détourne les yeux quand il me dévisage. Quand le reste de l'équipe me voit dans cet état, quand Memphis essaye de m'approcher mais que Ness me glisse dans son dos, ordonnant qu'on me laisse seul. Quand Kim murmure mon prénom. Je fuis tout le monde jusqu'à ce qu'on rentre au stade, qu'Anton nous laisse sa bagnole, que Ness m'accompagne jusqu'à ma chambre et que je m'enferme à clef, loin de tous.
Et seul, totalement seul. Sans pensées, sans sensations, sans démons. Je m'écroule dans mon lit, je dors, je ne suis plus rien.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top