Chapitre 21 - partie 2
Si Brett veut parler à Jonas, je ne sais pas ce qu'il attend. Il aurait dû lui dire hier, dès qu'il l'a salué mais j'ai clairement vu le moment où il s'est défilé quand notre capitaine a appelé Kim et Daren sur le terrain pour s'entrainer. Idem pour ce matin.
Du coup, j'évite de les regarder tous les quatre, pour ne pas ressentir cet excès de rage à l'idée que je dois encore attendre plusieurs semaines mais aussi que je risque la place de l'équipe en finale. L'entrainement est une torture, surtout que Ness se fait un plaisir de faire une réflexion à chaque fois que je réussis à créer une occasion pour que Lael ou Anton tire. Ça ne s'arrange pas quand Memphis siffle la fin et que Kim vole le ballon au pied de Brett avant de m'attraper le bras pour m'obliger à le suivre. Charleston se réinstalle dans ses cages et j'aperçois Romeo retenir Omare pour qu'ils nous rejoignent.
— Tu devrais plutôt continuer avec Daren, j'ironise quand Kim me lâche. Vous arrivez à peine à vous suivre.
— Dis une autre connerie de ce genre et je te pète les dents.
— Certainement pas, s'exclame Romeo à notre hauteur. Pas touche à mon Maxou.
— C'est dégueulasse comme surnom.
— Tu es simplement jaloux parce que tu n'en as pas, réplique Omare en faisant sourire Kim avec malice. Je peux t'appeler Kiminou si tu veux.
— Fais ça et ce sont tes dents que tu devras ramasser.
Charleston secoue la tête à quelques mètres de nous alors que les perruches se marrent. L'instant d'après, on est en train de jouer pour savoir si oui ou non, Omare peut appeler Kim ainsi. J'espère sincèrement qu'on va relever le défi parce que ce surnom est ignoble et je ne supporterai pas de l'entendre : c'est à vomir.
Par chance, on gagne et je passe le reste de la journée à recevoir des messages de mon coloc qui me supplie de faire changer d'avis Kim. Je me concentre comme je peux sur mes cours pour éviter de penser à Brett qui n'a toujours rien dit à Jonas, et au regard menaçant de Daren qui a fait son grand retour qu'il a masqué derrière des accolades et des remarques encourageantes pendent l'entrainement. Il n'a pas eu son mot à dire, surtout si Memphis était d'accord. Il faut que je le fasse changer d'avis et je trouve enfin la solution quand je retourne au stade à dix-huit pour ma session d'endurance.
En short et sous-pull, je remonte ma contention sur ma cheville. Blessé, je ne suis utile à personne et ils seront obligés de garder Daren. Je serre les dents en laçant mes chaussures alors que mon cerveau se joue des films qui explosent mon cœur. Je ne veux pas le voir sur le terrain, je ne veux pas le voir avec Kim. Mais ça sert à quoi de retourner jouer si c'est pour qu'on nous arrache la victoire à cause d'un gars qui me le fera payer ?
Je me frotte le visage, enragé, puis je sors de la pièce en claquant la porte. Je m'échauffe en trottinant à mon rythme sur les lignes blanches tout en continuant de peser le pour et le contre. Quand je rentre dans la salle de muscu, je suis essoufflé mais je ne m'arrête pas pour reprendre ma respiration. J'enchaine les exercices notés sur la feuille que Kim a glissé dans mon casier. Je me fatigue, je m'oblige à repousser les limites et je dois trop forcer parce que ma cheville tire méchamment. Je stoppe le tapis de course et me laisse tomber sur le banc de muscu avant de m'y allonger. Je respire vite, très vite, mais j'ai la satisfaction de constater que mon cerveau n'est plus capable de tenir un propos cohérent. Parfait.
Une trentaine de minutes plus tard, je grimace en boitillant sur le trottoir quand je sors enfin du stade. J'ai vraiment trop forcé. Je m'arrête dans l'allée et expire en jetant un œil à mon portable. Bientôt vingt heures, je vais réussir à rentrer à l'heure mais je n'échapperai pas à la colère d'Omare. Si ce n'est pas ma ponctualité, ce sera ma cheville qu'il verra en premier. Je suis un homme mort. Je lui tape pourtant un rapide message pour le prévenir que je rentre et j'attends deux longues minutes avant de réaliser qu'il ne me répond pas. Je fronce les sourcils et reprends le chemin, fouillant dans mes souvenirs pour savoir s'il m'avait dit qu'il était occupé ce soir. Sauf que rien ne me vient alors j'abandonne et j'accélère légèrement la cadence.
En une fraction de seconde, je suis à l'arrêt. J'écarquille les yeux quand quatre mains s'enroulent autour de mes bras et me tirent en arrière, dans l'angle d'un complexe sportif. Ma voix n'a pas le temps de sortir que mon visage tourne violemment sur le côté, le goût du sang qui se glisse sournoisement sur ma langue.
— Putain, c'est quoi ce délire ?
— Ferme-la.
Je me débats mais le type à ma droite resserre sa prise. Mon corps est à bout, en une simple pression. Malgré mes vêtements, je sens absolument chacun de leurs doigts, chacun de leur mouvement et le dégoût qui s'insinue sous ma peau me donne envie de gerber. L'enfoiré qui m'a cogné se plante alors devant moi et je plisse les yeux pour tenter de discerner son visage. Impossible, il fait nuit noir à cette heure-là, en hiver, dans un coin aussi sombre. J'ouvre la bouche et couine de surprise quand ma lèvre me fait un mal de chien.
— Je croyais qu'on s'était compris mais il est évident que non.
— Je vais t'exploser la tronche ! je hurle en reconnaissant le bulldozer. T'es complètement malade !
Sa main agrippe mon menton et je serre les dents sous la force de sa poigne alors qu'il plante son visage au-dessus du mien. Je suis enragé, complètement fou, mais j'ai beau me débattre, tenter de frapper ou autre, ça ne change rien. Je suis bloqué et je subis.
— Ils vont te reprendre alors que je t'avais dit de te faire petit et détesté.
— Casse la gueule à Brett, je crache en essayant de reculer. C'est lui qui m'harcèle.
— Mais tu as accepté le changement de Noël sans rien dire, marmonne-t-il en me tenant plus fort. Et ça, je dois te le faire payer pour que tu comprennes. Grâce à ton petit manège de faire croire que les choses vont mieux, les gars ne feront pas le lien maintenant.
— Ne me touche pas.
— Fallait y penser avant.
La seconde d'après, je suis plié en deux alors qu'il écarte son genou de mon estomac. Les deux autres me lâchent mais Daren me relève, une main sur mon haut, et il enfonce de nouveau mon poing sur mon visage. Je me retiens de lui donner la satisfaction de m'entendre hurler et je me mords la langue à la place alors qu'ils se mettent à me battre à trois. Le torse, les jambes, les bras. Les miens autour de ma tête pour la protéger, je reste péniblement debout jusqu'à ce que Daren siffle pour les arrêter. J'halète, le corps qui hurle de douleur à chaque inspiration. Je me retiens au mur, tremblant, désemparé, et fou de rage. Le bulldozer agrippe alors violemment mes cheveux et me tire la tête en arrière, cognant mon crâne au béton quand mon regard croise le sien. Toute la haine est peinte sur mon visage et pour la première fois, je rêve de buter quelqu'un. Ça me retourne l'estomac, ça fait exploser mon cerveau. Sauf que je ne peux pas bouger : mon corps ne me répond plus, lessivé.
— Arrange rapidement les choses. Sinon, je te laisse pour mort la prochaine fois.
Il s'écarte de moi et fait un mouvement de tête. Les deux chiens partent devant et je ricane froidement tandis qu'il les suit sans un regard en arrière. Leur silhouette disparue, je m'accroupie et vomis mes tripes sur le sol, les doigts enfoncés dans les graviers. Je peine à respirer, à me relever et c'est encore pire quand je mets un pied devant l'autre, une main contre le mur pour m'aider à avancer. Je m'essuie la bouche du revers de la manche et grimace en me reposant sur ma mauvaise cheville.
A quelques mètres du dortoir, je m'arrête et glisse mes doigts sur mon visage en tressaillant. C'est foutu pour être à l'heure, et c'est définitivement foutu pour que ça passe inaperçu. Je suis obligé de rentrer, de les affronter. Si je disparais encore une fois, Jonas va en parler et ça risque de compliquer encore plus cette histoire. Je ne peux pas me le permettre : je ne suis même pas sûr de survivre ce soir. Et si je pars, ce serait donner raison à l'autre enfoiré ce qui est encore plus inenvisageable. Un passage à tabac ne change rien : je reprendrai ma place. je le ferai simplement quand l'équipe ne sera pas en danger.
Je grogne quand je me remets à avancer et j'oublie les escaliers en appuyant sur le bouton de l'ascenseur, à l'intérieur du dortoir. Par miracle, je ne croise personne et je soupire d'extase lorsque j'atteins enfin la porte de mon appartement. J'enclenche la poignée et tête baissée, je rentre.
— Presque à l'heure ! se marre Lael. Romeo, tu me dois... Oh putain de merde.
— C'est l'expression, je grogne sans tenter de me défiler. Fais chier, j'ai vraiment mal.
— On pourrait savoir ce qu'il t'est arrivé ?
Je relève brusquement la tête avant de fermer les yeux quand ma vision se brouille. J'inspire et les rouvre pour tomber sur les cheveux pastel de Ness, à deux mètres de moi. Je fronce les sourcils et détourne le regard vers la table où Omare est assis, inquiet, Romeo debout à côté de lui qui fonce à la salle de bain lorsqu'il a fini de me dévisager. Dans la cuisine, Charleston rattrape de justesse son verre tandis que Lael oublie l'assiette qu'il s'apprêtait à réchauffer.
— Je te parle. On t'a cogné si fort que tu ne peux plus répondre ?
— Je dois m'asseoir.
Ness ricane en attrapant mon coude pour m'aider à piétiner jusqu'à la chaise face à Omare. Je m'avachis dessus et me redresse en gémissant quand mon torse hurle de supplice. Romeo dépose son attirail sur la table et il a déjà ses doigts sur mon menton, ses yeux qui étudient ma lèvre. Je passe le bout de ma langue dessus avant de la retirer aussi sec.
— Qu'est-ce qu'il fout là ? je marmonne en indiquant Ness de l'index. On avait un truc de prévu ?
— Pas vraiment, souffle Romeo. On a eu une urgence de dernière minute.
— Et c'est Ness qui est venu vous aider ?
— Ne change pas de sujet. Tu t'es fait rouler dessus ?
Lael est horrifié en dévisageant Ness mais ce dernier s'éclate avec ses questions à la con. Romeo m'empêche de répondre en tapotant un coton sur ma lèvre et je m'écarte en le foudroyant du regard.
— Mal.
— Tu as l'impression que j'en ai quelque chose à foutre ? réplique-t-il sèchement. Vu ta gueule, j'imagine très bien le reste de ton corps alors surtout, laisse-toi faire. Et répond.
— C'était rien.
J'essaye de nouveau d'échapper à son coton imbibé de désinfectant mais une main glisse dans ma nuque et je me crispe. Jusqu'à ce que Charleston se décale et me permette de le voir tandis que Romeo prend ça pour un feu vert de continuer sa torture. Il laisse ma lèvre et tamponne ma tempe qui saigne aussi, vu les picotements.
— J'ai juste fait une...
Quand Ness hausse un sourcil, je m'arrête net. Il ne me faut qu'une seconde pour comprendre mon erreur et ce que je m'apprêtais à dire, pour la troisième fois, à cause de la même personne. Mais c'est trop tard et l'arc-en-ciel a un sourire narquois quand il finit ma phrase.
— Une mauvaise rencontre ? Tiens donc, ça me surprendrait presque.
— Lâche-moi, je siffle. Qu'est-ce que tu fais ici ? Je croyais que tu fuyais l'équipe.
— Tout doux, ricane-t-il. Je suis venu pour Omare, il avait besoin de sa drogue.
On est trois à s'arrêter de respirer : moi, Omare et Romeo. L'instant d'après, je suis le seul à ne pas m'en être remis. Je cligne plusieurs fois des yeux mais Ness ne lâche pas un mot de plus alors je me tourne vers mon coloc. Omare hausse les épaules en triturant son verre d'eau.
— Il a raison.
— Juste ça ? je m'écrie en écartant Romeo de mon visage. Vous m'avez engueulé pour Halloween et là, ça ne fait ni chaud ni froid à personne ?
— Ce n'est pas la même chose, me coupe Lael. Ne mélange pas tout Max. Quand on ne connait pas l'histoire, on ne juge pas.
— Alors éclaire-moi !
— Je suis un ancien drogué, murmure soudain Omare. Je sais les dégâts que ça fait, c'est pour ça que j'ai aussi mal réagi pour Halloween.
Ils m'ont perdu. Si c'est un ancien drogué, pourquoi il en reprend ? C'est quoi le rôle de Ness dans cette histoire ? Je me tourne vers Charleston et je tombe sur son regard qui me fixe déjà, ses doigts qui dessinent toujours des arabesques sur ma peau.
— Tu le savais aussi ?
— Il n'y a que le coach, Jonas et nous six qui le savons, me confirme-t-il. Quand Lael a ramené les perruches, Omare était dépendant à la cocaïne. Il a suivi un sevrage dans un centre d'addictologie pendant six semaines puis il est revenu ici.
— C'était super dur. J'avais plus aucun repère, je ne savais plus comment vivre au milieu des gens, de la société, reprend Omare en croisant mon regard. Les gars m'ont soutenu pour m'éviter de replonger car c'était infernal. J'avais arrêté la coke mais impossible de me sentir mieux. C'est moche quand-même.
Je perds mes mots avant même de réussir à les prononcer. Omare est désemparé, ses yeux n'osent plus me regarder et du coin de l'œil, je lis facilement toute la peine de Romeo d'avoir été incapable d'être là pour lui.
— Le problème d'une addiction, souligne Ness avec un sourire plus neutre. Tu en prenais pour tenir le rythme et te sentir maître. Une fois que ça disparait, il faut te trouver autre chose. Tu as fini par y arriver, non ? Alors arrête de t'apitoyer comme ça, tu me fais pitié.
— Bien vu, rit Omare sans réelle joie avant de me regarder. Le foot, ça m'a sauvé. Je me suis raccroché à ça, à la League one, aux rêves de Memphis et Jonas, à l'espoir de refaire ma vie dans un milieu et une équipe qui m'acceptent. Mais parfois, ça ne suffit pas.
— Tu dois comprendre de quoi il parle.
Je me tétanise alors que Lael croise ses bras en attendant ma réponse et il s'appuie contre le mur, derrière Omare qui m'étudie. Quelque chose m'échappe. Je secoue la tête, refusant littéralement de suivre leur cheminement alors qu'en réalité, ouais, j'ai parfaitement saisi. Omare est enseveli par ses démons, comme je le suis quand je ne supporte plus le contact. C'est foudroyant, rapide, ça ne dure jamais longtemps mais c'est quand-même là, tapi dans l'ombre à attendre son tour.
— C'est pour ça que tu consommes encore ? je demande à la place et il acquiesce. Tu prends quoi ?
— Cannabis thérapeutique, prescrit dix mois après ma cure de désintox. Mais ce n'est pas moi qui le garde pour éviter d'être tenté, continue Omare en pointant tour à tour Romeo puis Ness. Au départ, Romeo l'avait mais à chacune de mes crises, il pliait et me donnait ma dose. Puis...
Il soupire et je fusille Ness du regard lorsqu'il glousse. Son sourire malicieux revient et il s'approche de moi pour prendre la place de Romeo, ses doigts sur ma tempe alors qu'il la regarde.
— J'ai récupéré le cannabis parce que je suis celui qui sait réellement quand il en a besoin. Je ne fais pas comme Romeo, à lui en donner dès qu'il le demande. Je sais où sont les limites.
Si j'avais pu, j'aurai franchement ri devant une remarque aussi ironique. Mais mon corps est engourdi, j'ai mal, je suis fatigué et je peine à réaliser ce qu'ils me racontent. Pourtant, je m'oblige à faire le lien entre tout ça jusqu'à ce que la réalité me fait écarquiller les yeux. Ness baisse vivement sa main sur ma bouche et je gémis quand il frôle ma lèvre. Ses yeux noirs ont le mérite de me faire passer le message sans qu'il ne prononce un mot. Il ne veut pas que je lui pose ma question, il refuse que je le prononce à voix haute. Mais on sait tous les deux que j'ai saisi l'allusion : il comprend Omare parce qu'il l'a lui-même vécu.
Je détourne les yeux quand il se décide à reculer et mon coloc me sourit, gêné alors que Lael contourne la table pour venir à côté de Ness.
— Donc, tu viens d'en prendre ? je demande. C'est pour ça qu'il est là.
— Ouais, il soupire contrit. C'est souvent comme ça : tout va bien puis je replonge d'un coup. Ça dure une soirée, un jour grand maximum mais ça ne prévient pas.
— Tu te sens comment ?
— Omare n'est plus du tout la priorité, coupe alors Romeo en posant son poing sur la table. Il a pris ce qu'il fallait, il va planer et pendant ce temps, tu vas gentiment nous expliquer ce qu'il t'est arrivé.
— Je suis claqué, je contre en secouant la tête. Je pense que ça se voit mais j'ai passé une sale soirée et j'ai vraiment envie d'aller dormir.
— Oh, tu peux...
— Avant d'aller au lit, tu vas prendre une douche, ok ?
Romeo bouffe Lael du regard alors que ce dernier me tend la main. Il ne sourit pas, il n'exprime rien. Il attend que j'attrape ses doigts, pour la première fois. Je me suis tellement habitué à ce qu'il me touche sans se poser de questions qu'il me faut un moment avant de percuter. Je déglutis et ignore les yeux brûlants de Romeo tout en m'appuyant sur Lael pour me lever. La main de Charleston quitte ma peau, laissant un long frisson parcourir mon dos.
— Je suppose que notre petite soirée pyjama est terminée ? s'amuse Ness alors que je me traine jusqu'à la salle de bain avec le blond. J'aimerai bien aller me coucher aussi.
— Il vient de se faire passer à tabac et personne ne réagit ? s'écrie Romeo. Merde, Lael ! Tu devrais être le premier à péter les plombs !
Ma béquille s'arrête devant la porte que j'ouvre et je lui jette un regard. Lael fixe déjà l'une des perruches, le visage tiré par la colère.
— Et je le ferai, demain matin, quand Omare me soutiendra et que Max se sera reposé. Pour le moment, on a tous eu une soirée compliquée, grince-t-il en me poussant doucement dans la pièce d'eau. Retournez dans ta chambre vous reposer, et prenez Ness.
— Tu restes ici ? souffle Omare.
— Oui. Je ne laisse pas Max passer la nuit seul.
— Prends mon matelas dans ma chambre alors.
Je grogne quand je tire sur le bas de mon pull pour le relever et Lael tend la main vers moi pour m'aider. J'écarquille les yeux en m'écartant brusquement et il s'arrête net, levant les deux mains entre nous. C'est flou mais je vois notre reflet dans le miroir. Je m'écarte un peu plus pour fuir, et tenir Lael hors de portée. Une porte claque quelques secondes plus tard puis Charleston apparait dans l'encadrement de celle de la salle de bain. Il me lance un regard avant de poser la main sur l'épaule de Lael.
— Je m'occupe de lui, va installer le matelas dans sa chambre.
Lael hésite mais il finit par se détourner et Charleston prend sa place en refermant légèrement la porte dans son dos. Je ferme les yeux et laisse mes bras retomber contre mon torse, complètement lessivé. C'est à peine si je tiens debout.
— Tu me laisses t'aider ?
— Je peux pas lever les bras, je marmonne. Je me suis douché au stade déjà.
— Avant de t'être fait cogner, souligne Charleston. L'eau chaude va te faire du bien, Lael a raison.
Je soupire et rouvre les yeux. Charleston n'a pas bougé, les mains dans les poches de son sweat. Le souvenir de sa main sur ma nuque détend le nœud dans mon estomac et je finis par tendre mes bras dans sa direction. Lentement, minutieusement, il m'aide à retirer mon pull puis mon t-shirt avant de sortir sans un mot de la salle de bain. J'évite le miroir, retiens des dizaines de hurlement en retirant mon jogging puis je me glisse sous l'eau bouillante.
Me rhabiller est une étape encore plus horrible mais je ne rappelle pas Charleston. Je serre les dents, j'ignore les brûlures, les fourmillements, les haut-le-cœur puis je retourne dans le salon où Lael m'attend avec un verre d'eau et deux cachets. Je les avale avant de disparaitre dans ma chambre. Les garçons me suivent puis ricanent quand je m'allonge à la vitesse d'un escargot sur mon lit.
— Les médicaments vont mettre un peu de temps à agir mais tu te sentiras rapidement mieux.
— Chouette, je grince dans mon coussin. Bonne nuit.
Leurs voix deviennent des murmures puis disparaissent alors que je m'endors en quelques minutes. La nuit me parait courte, très courte lorsque je me réveille le lendemain, incapable de faire le moindre mouvement.
Je cligne des yeux plusieurs fois pour m'habituer à la lumière. J'essaye de me mettre sur le dos avant de gémir de douleur. C'était un vrai passage à tabac sans déconner. La tête de Lael apparait alors à côté de mon coude et je plisse les yeux avant de les fermer en grimaçant. J'ai mal partout.
— Bien dormi ?
— Il est quelle heure ? je marmonne simplement.
— Huit heures et demi passée. Tu veux manger un truc ?
Je ne l'entends plus alors que je me redresse aussi vite que je peux pour m'asseoir. J'évite franchement le regard de Lael quand je pose les pieds au sol, l'impression que mon corps va se déchirer de part en part.
— On devrait être à l'entrainement.
— Mais bien sûr, ricane-t-il en se levant. C'est clair que tu peux faire un marathon là !
— Je peux jouer.
Je réalise à quel point je nous prends pour deux idiots quand il est obligé de me rattraper, à peine un pas plus tard vers ma porte. Mes jambes sont tremblantes, je ne peux pas me tenir droit, j'ai mal au visage mais je me traine quand-même vers le salon en m'aidant du blond.
— Café ?
Je fronce les sourcils alors que Lael s'extasie devant les trois gobelets de café sur la table. Ness, assis devant un ordi, le referme avec un grand sourire alors qu'il est fier de son effet. Lael me glisse deux cachets que j'avale sans rechigner dès que je suis sur la chaise.
— Tu comptes vivre ici ? je lance à Ness qui hausse les épaules. Puis, t'es pas censé être à l'entrainement ?
— Nos deux petits capitaines et le coach ont pris la lourde décision de me virer, s'amuse-t-il en posant un doigt sur le contour de son gobelet. Soi-disant je suis intenable aujourd'hui.
— Qu'est-ce que t'as fait ?
Je jette un regard à Lael qui pose sa question, un gâteau fourré au fond du gosier. Mais Ness ne détourne pas ses yeux de mon visage, mon cou et le peu de peau qu'il voit de mon corps. Je resserre le lien de ma capuche avant de prendre mon café. Je serre les dents en levant les bras et je soupire quand le tiraillement dans ma poitrine s'estompe légèrement.
— J'ai donné mon avis à plusieurs reprises mais il n'a pas été très apprécié.
— Ça t'étonne ? je souffle en rapprochant mon café de mes lèvres. On y va Lael ?
— Au stade ? il s'écrie. Certainement pas, tu dois te reposer !
— Je vous amène, j'ai la voiture d'Anton, le coupe Ness avec son foutu sourire malicieux. Charleston m'a donné les clefs pour venir te voir mais si tu as envie de bouger, je serai ton chauffeur avec plaisir.
— Vous déconnez ! Max, on bouge pas d'ici, tu dois...
— Parfait.
Je grimace en me levant et Lael soupire d'exaspération en attrapant sa veste et son sac de fringues. Ness tape dans ses mains et prend les devants en sortant sur le palier. Quand je lui passe à côté, à deux à l'heure et mon gobelet à la main, il me détaille avec ironie.
— J'en connais un qui va être ravi de te voir dans cette forme olympique.
— Et j'en connais trois autres qui vont me tuer, geint Lael en m'attrapant le bras pour me soutenir. Les perruches vont me transformer en confettis et Charleston y mettra le feu après. Je suis un homme mort.
— Je dois aller à l'entrainement.
Les garçons froncent les sourcils devant le ton cassant de ma voix. Si le bulldozer pense me garder à l'écart en m'éclatant la tronche dans un recoin du campus, il peut se fourrer le doigt dans l'œil et en crever. Au contraire, je vais me pavaner sur le terrain et agir comme si ça ne m'atteignait pas, comme si j'avais la forme. Même si, dans la pratique, je vais me trainer pendant quelques temps.
Ness secoue la tête et s'enfuit dans les escaliers quand Lael appelle l'ascenseur. Je n'essaye pas de le suivre et il ne se retourne pas pour me chercher. Je ne suis pas capable de descendre marche après marche. Lael ne dit plus un mot mais son regard inquiet pèse sur mes épaules à chaque de mes soupirs. Dans la voiture, je m'installe à l'arrière et m'étale sans réussir à trouver une position qui ne me donne pas envie de hurler. Ness me lance des coups d'œil amusé et je finis par lui montrer mon majeur avant de grimacer à cause du mouvement brusque. Jusqu'au stade, ils font la conversation que j'écoute d'une oreille les yeux fermés à attendre que les médocs agissent pendant que je finis mon café.
Au stade, je m'extirpe de la voiture en grimaçant sans m'en empêcher et Ness lâche un petit rire narquois en me détaillant de haut en bas. Lael s'étire en tapant le code pour ouvrir la porte avant de nous laisser passer devant lui puis il sifflote en nous suivant.
— Je vous préviens, le coach est de mauvais humeur. Et ça risque d'être pire lorsqu'il te verra, souligne Ness en tirant le cordon de mon sweat. Un conseil : évite de jouer les gros durs.
Je me crispe tandis qu'il s'écarte, les mains dans le dos en reprenant son chemin vers le hall qui mène à l'extérieur. Si je le pouvais, je lui aurai fait ravaler son sourire de morveux. A la place, je le suis en ignorant les brûlures à l'intérieur de mon corps et l'impression que mes jambes vont me lâcher à chaque instant. Lael n'arrête pas de me lancer des coups d'œil de plus en plus inquiet quand je siffle entre mes dents.
— On aurait vraiment pas dû venir, murmure-t-il en attrapant mon bras. Sérieux Max, t'as l'air d'être passé dans une...
— Encore un mot et je te le fais regretter.
Lael referme la bouche sans cacher sa colère cette fois. Il resserre un peu plus ses doigts quand je trébuche et on atteint enfin le terrain. Ness tapote la place à côté de lui sur le banc et je ne me fais pas prier pour m'asseoir, le dos légèrement appuyé contre le mur en béton.
— Charleston, tu fous quoi ? Re...
Je relève les yeux quand Memphis arrête de hurler sur son goal. Au milieu du stade, il me fixe déjà avant de se diriger vers nous, à une vitesse qui m'assure qu'il est bien énervé. Mais je me détourne de lui pour regarder Charleston trottiner dans notre direction avant de s'arrêter devant moi et d'attraper mon menton.
— Qu'est-ce que tu fais ici ?
Je fuis sa main et hausse les épaules alors que Lael gémit qu'il a fait ce qu'il a pu pour me retenir au dortoir. Ça fait marrer Ness jusqu'à ce que le coach pousse Charleston et me foudroie du regard. Quelques secondes après, l'équipe entière est là aussi et mes yeux les parcourent. Etonné, choqué, inquiet, ils affichent ces expressions les unes après les autres mais c'est celle de Kim qui capte mon attention. Les yeux écarquillés, il ne laisse rien d'autre paraître sur son visage.
— C'est quoi ça ?
Je fronce les sourcils vers Memphis alors qu'il m'indique de la main en lançant un regard à Omare. Dans un même mouvement, les perruches font la moue.
— Il est juste tombé du lit, tente mon coloc. D'où le bleu sur le menton...
— Prends-moi pour un con, crache le coach avant de me faire face. Tes petits compagnons ont dit que tu étais malade et que t'avais refilé ta merde à Lael. Mais ils m'ont bien pris pour un con, on est d'accord ?
— C'est rien, j'affirme en serrant les poings. Je peux jouer coach.
— Tu peux jouer. C'est la meilleure.
Il lève les bras puis les croise sur son torse en me toisant de haut. Lael se fait petit, Ness s'éclate et c'est finalement Brett qui se pointe à côté du coach quand il reprend ses esprits.
— Qui t'a fait ça ?
— Personne.
— Arrête tes conneries ! s'exclame le co-capitaine. Si il y a un truc qu'on doit savoir, faut le dire bordel ! Tu ne peux pas continuer de te pointer avec la gueule de travers sans rien dire !
J'évite de lancer un regard en direction de Daren et je me mords la langue à la place. Je n'ai pas du tout réfléchi à ce que j'allais leur dire, juste que je peux jouer, qu'ils ne peuvent pas me laisser sur le banc une nouvelle fois.
— C'est vrai ça, minaude alors Ness en attirant mon regard. Tu ne nous as pas dit qui t'a passé à tabac avec autant d'amour.
— Super drôle.
— Réponds à la question.
Je roule des yeux et me décide à affronter le coach qui perd visiblement patience. Son pied cogne le sol, son regard me mitraille et ses mâchoires ressortent sous la pression qu'il s'inflige.
— En sortant de l'entrainement hier soir, je suis passé à côté de trois connards qui ont critiqué les Racoons. J'étais fatigué, ça m'a énervé alors on s'est battu.
— Juste ça ? Tu n'es pas aussi en train de te foutre de moi par hasard ?
— Défendre l'équipe, c'est pas ce qu'on est censé faire ? je lance avec hargne. Faudrait savoir.
— Il y a une différence entre ce que tu as fait et ce qu'on attend de toi, souligne alors Jonas. A cause de ça, tu ne vas pas jouer avant...
— T'es sérieux ? je m'écris en me levant brusquement. Tu es le premier à gueuler pour nous défendre ! Puis merde, je peux jouer, c'est trois fois rien !
Le capitaine s'apprête à renchérir, le visage fou, mais Brett l'oblige à reculer d'une main alors qu'il attire mon regard en pointant ensuite Kim du doigt. Le silence qui s'impose me fout en boule alors que je vois très bien les machinations de son cerveau tourner. J'ai été trop stupide avec mon excuse à la con, je n'ai pas du tout réfléchi une seule seconde à l'évidence. Par contre, Brett a littéralement fait le lien.
— Comment ça se fait que Kim soit intact ? Si c'est arrivé hier soir, après votre entrainement, il aurait dû être toi et avoir pris des coups, non ?
— Je... Il était parti plus tôt, je marmonne en lui lançant un regard à la volée. J'ai fini seul.
Brett fronce les sourcils, Jonas se tourne vers Kim avec la même expression et je réalise que l'alibi tombe à l'eau. Ils vivent ensemble, bien sûr que Jonas sait que Kim n'était pas avec moi vu qu'il était à l'appart. La panique commence doucement à glisser dans mes veines alors que Memphis nous dévisage tour à tour, sans prononcer un autre mot. Le silence est pesant, Brett ne me quitte pas et je déglutis, au pied du mur, à attendre ma sentence.
— Je n'ai jamais accompagné Max aux entrainements.
Je me fige violemment alors que Brett se tourne vers Kim, choqué. Jonas cligne plusieurs fois des yeux, incrédule, alors que j'entends le rire étouffé de Ness avant qu'il se lève et se place à côté de moi.
— Oups, sourit-il. Il y a des petites cachotteries par ici.
— Par pitié, ferme-la Ness, grogne Brett sans lâcher Kim des yeux. J'espère que tu déconnes quand tu dis ça. C'est à toi que j'ai donné la responsabilité d'entrainer Max. Et tu ne l'as jamais fait ?
— Il m'a fait un programme, je souffle mais ils m'ignorent.
— Il n'avait pas besoin de moi, réplique Kim. Je te rappelle que je ne voulais pas m'occuper de lui alors ne fais pas comme si c'était si choquant que ça !
— Sauf que si tu avais été là comme je te l'avais ordonné, il n'aurait peut-être pas la gueule défoncée ! hurle Brett.
Même Ness sursaute face à sa rage. Memphis intervient immédiatement en obligeant Brett à reculer alors que Kim reste droit, froid. Ma respiration s'accélère alors que mon cerveau fuse à toute vitesse, à la recherche d'une solution pour éviter que ça ne s'aggrave encore plus, que tout m'échappe.
— Tu étais où, si tu n'étais pas avec Max ?
Je ne respire plus, cette fois. Jonas attrape le col du haut de Kim et le dévisage en attendant une réponse.
— Ça ne te regarde pas.
— Bien sur que si, pauvre abruti ! Tu désobéis aux ordres de tes capitaines et tu crois que t'as encore ton mot à dire ? Tu as vu la tronche de Max bordel, tu réalises à quel point tu as fait de la merde ?
— Ouais merci, je crois que j'en suis conscient.
Puis le rire ironique de Kim me détruit de l'intérieur et c'est pire quand son regard glisse sur moi. Il se répercute en moi avec la même violence qu'il y a deux ans, quand notre monde s'est effondré. Le même dégoût, la même expression, la même haine qui se dégage de ses iris sombres. Kim est en train de faire le même rapprochement que moi et ça me terrifie. Il n'a pas le droit de s'enfoncer dans ses souvenirs, pas quand il a réussi à s'en défaire. Je suis le seul à devoir payer le prix de ce qu'il s'est passé. C'était de ma faute, pas la sienne. Pas pour ça au moins.
Je m'interpose soudainement entre Jonas et lui, et mes doigts agrippent le poignet du capitaine avant de l'obliger à lâcher Kim. Ils écarquillent les yeux en s'écartant et j'ignore les douleurs qui me bouffent le corps.
— Ce n'est pas de sa faute, je siffle entre mes dents. Laisse-le.
— Tu rigoles ? Il devait être avec toi ! s'emporte Jonas en s'arrachant à ma main. Il se cassait pendant des heures en me faisant croire qu'il t'accompagnait et finalement, il t'a planté ? Bordel, vous êtes des abrutis ! On t'a tabassé et ça aurait pu être évité si vous respectiez les règles !
— Je n'ai pas besoin de lui pour m'entrainer, je renchéris en croisant le regard de Brett. Il m'a laissé des consignes que j'ai suivi et ça a très bien fonctionné jusque là vu que vous n'avez rien remarqué ! Vous ne pouvez pas le lui reprocher juste parce que je me suis battu de mon plein gré !
— Mais t'es encore plus con que je le pensais !
J'écarquille les yeux quand Jonas perd ses moyens et me bouscule, ses deux mains sur mon torse. La douleur explose et je recule en gémissant avant que Lael m'attrape pour m'empêcher de tomber. Accroupi, je reprends ma respiration les yeux fermés alors que tout mon corps tremble.
— Mon dieu, Max, grogne Memphis en se baissant à ma hauteur. Ça ne s'arrête pas juste à ton visage ?
— Visage, torse, bras et quelques marques sur le dos aussi.
Je serre les dents alors qu'il soupire quand Charleston lui fait la liste de l'état de mon corps. Il n'a pas dit un mot hier soir en m'aidant à retirer mon pull mais il a vu. J'aurai dû me douter que j'avais été marqué de partout mais c'était plus simple de fuir le miroir, d'éviter mon reflet que d'avoir à affronter la réalité. J'ai sacrément morflé.
Lentement, Memphis m'aide à me redresser avec Lael et j'inspire en papillonnant des yeux quand mon torse me tiraille. Devant nous, Brett est inquiet, Jonas s'excuse et Kim me dévisage, toujours sans montrer la moindre expression.
— On s'arrête là pour les explications, lance alors le coach. Max, tu vas voir Selena, histoire qu'on sache à quel point tu es amoché. Quant à vous trois, on va avoir une longue conversation.
Tour à tour, il pointe Brett, Jonas et Kim du doigt. Je détourne les yeux du dernier quand il acquiesce silencieusement.
— On reprend l'entrainement. Lael, va te changer et viens sur le terrain vu que tu es en forme. Toi, je t'amène voir...
— Je m'en charge, sourit Ness en se plantant devant nous. Sauf si vous voulez me voir de nouveau sur le terrain ? J'ai encore plein de choses à dire.
Memphis fronce les sourcils avant de couver le reste de l'équipe d'un regard. Puis il revient vers l'arc-en-ciel.
— Je pense que t'en as assez dite pour les prochains mois. Selena est dans son bureau, tu te charges de lui. Lael, aux vestiaires.
Le blond soupire et s'écarte de moi doucement avant de retourner à l'intérieur. Jonas ordonne aux autres de rejoindre le terrain et l'instant d'après, seul Brett, Kim et Memphis me font face. Ness est dans mon dos, à faire je ne sais quoi.
— Je n'arrive pas à y croire, siffle Brett. La dernière fois, vous m'avez menti.
— Ça fonctionne très bien comme ça, je soupire en baissant les yeux. Il n'a pas besoin d'être là.
— Pourtant, c'était clairement ce que j'ai demandé. Je vous ai fait confiance mais c'est terminé : je reprends ton entrainement Max.
— Non.
Brett hausse un sourcil en direction de Kim, choqué par autant d'audace. Il secoue la tête avant de m'indiquer du menton sans même me jeter un regard.
— C'est moi qui m'en occupe. Tu gères l'équipe, je gère Max.
— Comme tu l'as fait ? grince Brett. Certainement pas.
— On parlera de ça plus tard, les arrête Memphis. Retournez sur le terrain. Tout de suite. Et Ness, prends ma place, il ne tient pas debout.
Je râle alors que l'arc-en-ciel ne se fait pas prier et passe son bras autour de ma taille, un sourire resplendissant aux lèvres. Memphis attrape le bras de Kim et l'oblige à avancer alors que Brett se dirige déjà vers le bulldozer, enragé. Le petit rire sarcastique de Ness me tend mais il nous tire déjà vers l'intérieur alors que Lael en sort en me lançant un sourire désolé.
— Décidément, Kim et toi, c'est quelque chose, susurre Ness.
— Tais-toi.
— Et ton histoire de chevalier servant à la cause d'une équipe critiquée, j'en ai presque eu la larme à l'œil !
— C'est la vérité, je réplique.
— Ne me prends pas pour un idiot le troisième.
Je laisse tomber alors qu'il ouvre la porte du bureau de Selena. Elle quitte des yeux les feuilles éparpillées sur son bureau avant de poser une main sur son front, dépitée. Ness ricane en me faisant asseoir sur le lit médicalisé tandis qu'elle se dirige déjà vers nous.
— Bon dieu, tu t'attires vraiment que des problèmes Max.
— Je vais bien.
— Laisse-moi en douter, soupire Selena. Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
— Oh, trois garçons l'ont pris pour un punching-ball, raconte Ness en s'asseyant directement sur le bureau quand je ne réponds pas. Charleston a vu des marques sur son torse, ses bras et son dos aussi.
— Mais tu veux pas la fermer ? je grogne en le foudroyant. C'est rien, je peux jouer. Du repos et demain, c'est réglé.
— Ça, c'est à moi de le dire. Je vais t'aider à retirer ton...
Selena a à peine fait un pas vers moi et levé son bras que je bondis en arrière et me cale contre le mur, le plus loin possible d'elle. Les yeux grands ouverts, je guette ses doigts, ses mouvements, pour trouver la meilleure manière de l'éviter. Elle s'arrête net et je lance un regard fiévreux à Ness qui se contente de me sourire.
— Ness, j'aimerai que tu sortes s'il te plait, demande Selena en se tournant vers lui.
— Pourquoi ?
— Max n'a peut-être pas envie que tu sois là.
— Oh. Ce serait très étonnant.
J'aperçois le froncement de sourcils de Selena tandis que l'arc-en-ciel penche la tête, sans me quitter du regard. Puis il plisse les yeux alors que son sourire se fait plus mesquin.
— A moins que tu ne caches des cicatrices ou des petits secrets étalés sur ton corps ?
— Ness... le prévient Selena mais je secoue la tête.
— Il peut rester. Mais je n'enlèverai pas mon sweat. Je peux jouer, c'est tout.
Déjà lassée, Selena se frotte les tempes avant de soupirer longuement. Quand son regard plonge dans le mien, je sais que j'aurai beau me battre, elle n'abandonnera pas. C'est son rôle, elle n'a pas le choix de m'examiner mais je ne peux pas la laisser me toucher. Je vais devenir fou si elle pose un doigt sur ma peau, si elle se rapproche trop près.
— C'est à moi de le décider. Enlève ton haut si tu ne veux pas que je le fasse mais d'une manière ou d'une autre, il va bien falloir qu'il disparaisse.
— Je ne veux pas.
— Alors tu resteras sur le banc jusqu'à ce que je décide du contraire, réplique Selena froidement et je me crispe. C'est comme ça que ça fonctionne Max. Je ne te laisse pas retourner sur le terrain tant que...
— Mais je peux jouer ! je crie. C'est trois fois rien et je ne vais pas en mourir !
— Il va enlever son sweat, lance alors Ness. Par contre, tu ne le touches pas.
— Je dois l'examiner, lui rappelle Selena.
— Fais-le avec tes yeux, pas tes mains. Si tu poses un doigt sur lui, c'est moi qui risque de m'énerver.
Le long frisson glacé qui court sur ma peau me tétanise. Avec son sourire, Ness est terrifiant parce que sa menace ne laisse planer aucun doute sur ce qu'il insinue. Pourtant, Selena acquiesce sans montrer une once de panique : son visage est détendu et elle esquisse un sourire plus doux en me faisant de nouveau face.
— Maintenant, retire-le. Ça ne prendra que cinq minutes et plus vite j'aurai fini, plus vite tu sortiras d'ici.
Je déglutis alors que mon regard fait des allers-retours entre eux. Pourquoi elle ne s'emporte pas contre Ness ? Pourquoi elle n'en a pas peur alors qu'il vient clairement de la menacer ? Elle agit comme s'il venait de lui raconter un truc banal et j'ai l'impression d'être le seul à peu près normal avec eux.
— Pas dans dix ans, soupire Ness en battant des jambes. Sinon je la laisse te toucher.
Je secoue la tête plusieurs fois et son sourire s'atténue alors qu'il m'indique de me déshabiller une nouvelle fois. Je serre les dents et abdique, je peux lui faire confiance. Il me l'a déjà prouvé. Doucement, et sans chercher à cacher la douleur, je tire sur ma capuche pour faire passer mon sweat par-dessus ma tête. Mais je finis par couiner et je m'arrête, le souffle court.
— Je peux pas.
— Je t'aide, propose Selena mais je recule. Ness ?
L'arc-en-ciel rit doucement avant de descendre du bureau et de me rejoindre. J'essaye d'ignorer le regard de Selena alors qu'il attrape mon sweat et tire pour me le retirer. Je serre les dents jusqu'à ce qu'il me l'enlève entièrement puis je me redresse en prenant une inspiration. C'est à ce moment que je réalise qu'il ne bouge pas pour laisser la place à Selena.
Figé, sans aucun sourire, il regarde mon torse. Ses doigts se resserrent autour de mon sweat, qu'il tient toujours, et je suis hypnotisé par son regard qui s'assombrit de plus en plus. Puis Selena lui demande de s'écarter et il retrouve immédiatement son sourire moqueur. Il balance mon sweat à côté de moi et retourne s'asseoir au bureau sans un mot et encore moins un regard.
Je laisse Selena se rapprocher de moi et elle me fait descendre du lit pour pouvoir me tourner autour. Je la suis des yeux, étudiant chacun de ses mouvements pour prévoir ce qu'elle va faire mais comme attendu, elle garde ses mains dans ses poches et m'étudie qu'avec son regard transperçant. En même temps, elle me pose des questions sur la douleur et j'y réponds en essayant au maximum de minimiser les dégâts. Je ne sais pas si elle me croit mais elle ne fait aucunes réflexions. Lorsqu'elle m'autorise à remettre mon sweat, je leur tourne le dos pour qu'il ne remarque pas mes yeux qui s'embuent et je prends une longuement inspiration avant de leur faire de nouveau face.
— Je ne pense pas que tu es quelque chose de cassé, commence Selena en rejoignant son armoire. Mais tu as de sacrés hématomes sur les côtes et un autre dans le dos, que je vais devoir surveiller. Deux fois par jour, tu devras mettre cette crème pour calmer l'inflammation et réduire la douleur. Ness, je peux compter sur toi ?
— Bien sûr, je vais le dorloter, répond l'arc-en-ciel.
— Je n'ai pas besoin d'aide.
— Tu comptes atteindre le milieu de ton dos comment ? réplique Selena en me tendant un tube. Si tu ne veux pas que je te touche, laisse faire quelqu'un qui le peut. Sinon, je t'assure que tu n'es pas près de retourner sur le terrain.
— C'est du chantage.
— J'ai l'impression qu'il n'y a que ça qui marche avec toi.
Je fronce les sourcils alors qu'elle parait dépitée devant cette réalité. Je récupère la crème sans répondre et la contourne pour fuir cette pièce. Ness est déjà debout à côté de la porte et il m'attend tout en continuant de m'éviter du regard.
— Vu ton état, tu ne reprendras l'entrainement que samedi.
— Hors de question ! je m'emporte en la fusillant du regard. Je dois jouer !
— Mais tu ne peux pas jouer dans cet état, contre-t-elle en croisant les bras.
— Ce ne sont pas quatre pauvres bleus qui vont m'arrêter. Je vais jouer, avec ou sans votre accord.
— Memphis ne te laissera pas retourner sur le terrain sans que je l'y autorise.
La simple idée de regarder le bulldozer se pavaner sur le terrain, fier de son coup, me donne envie de gerber et embrase ma colère avec une nouvelle violence qui rend méfiante Selena.
— J'en ai rien à foutre de vos avis ! Je dois jouer, ça s'arrête à ça et vous n'avez pas intérêt à m'en empêcher !
— Tu devrais te calmer Max, lâche Selena et je ris jaune. Ne va pas trop loin.
— Pourquoi ? Vous me suspendrez plus longtemps ? Ne vous y amusez surtout pas. J'ai déjà trop longtemps été sur la touche, ça ne peut pas recommencer. Vous me laissez sur le terrain, sans repos, point final.
— Ce n'est pas à toi de choisir. C'est samedi ou tu ne joueras à aucun des matchs de sélection.
J'écarquille les yeux lorsqu'elle balance ça avec un aplomb qui comprime mon cœur. Elle est prête à faire sauter ma place aux matchs les plus importants. Elle n'hésitera pas une seule seconde. Mes mains se mettent à trembler alors que je perds littéralement patience. Cet enfoiré va avoir ce qu'il veut et je refuse que ça arrive, je refuse de lui céder ma place. Je ne peux pas me permettre de louper un autre entrainement après le passage à tabac que j'ai essuyé. Je m'interdis de lui laisser gagner du terrain. Pas cette fois, plus jamais.
— N'essaye pas de renchérir, tonne alors Selena. Moi aussi je m'en fous de ton avis parce qu'il est aveuglé par ton désir de jouer ! Je suis là pour prendre soin de cette équipe, de toi, et de lui donner toutes ses chances pour parvenir jusqu'à la finale de la League One et soulever le trophée ! Si c'est aussi ton objectif, tu arrêtes de me contredire et tu fais ce que je te dis, point final.
— Mais...
— Un mot de plus et c'est lundi que tu reprends les entrainements.
Je jette un regard estomaqué à Ness alors qu'il penche la tête en croisant enfin mes yeux, son sourire mauvais aux lèvres. Pourquoi il prend sa défense à elle ? Il se tourne ensuite vers Selena et la remercie avant de me tirer hors de la pièce et de claquer la porte dans notre dos. Je le laisse faire, complètement retourné. Je suis de nouveau sur le banc, jusqu'à samedi. Le bulldozer a encore remporté une bataille.
Ness ne me laisse pas le temps de trouver un moyen de me sortir de ce merdier. Il nous ramène au terrain et interpelle Memphis, plus loin sur la ligne blanche, pour lui faire le compte-rendu de notre entrevue avec Selena. Cette fois, c'est foutu : je ne participe pas au prochain match et je ne retourne pas sur le terrain avant lundi. Tout ça parce que j'ai tenté de faire croire au coach que Ness avait mal entendu.
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