Chapitre 16 - partie 1
Je n'ai pas été à la séance de musculation, samedi matin, pour la simple raison que Memphis m'en a dispensé pour reprendre les entrainements dès lundi, en forme. Alors j'ai fait mon sac, j'ai salué les gars et je suis parti tout le week-end au centre Marie-Elizabeth.
Donc lundi matin, sur le chemin pour aller au stade, je réponds au message d'Omare pour le rassurer. Je serai à l'heure et prêt à reprendre du service. Quelques minutes plus tard, j'entre dans le salon du stade et retrouve Memphis qui m'attend. Il tend le bras vers moi, j'attrape la contention pour ma cheville et rejoins les vestiaires où le reste de l'équipe se prépare. Les perruches me serrent l'épaule, tout sourire, et je me change en vitesse. L'adrénaline à l'idée de retourner sur le terrain, de courir, de jouer, me fait oublier d'enfiler la contention. Charleston n'a aucun mal à me rasseoir sur le banc et me force à l'enfiler sous le ricanement de Lael.
Jonas me fait un signe de tête en passant à côté de nous et je ne réagis pas. Ne pas le voir du week-end a été bénéfique : j'ai évincé ses mots de mon esprit, tous ses sous-entendus et la réalité devant laquelle il m'a mis en face. Puis je repère enfin Ness et ses cheveux bouclés, son sourire malicieux, sa tête penchée, ses doigts qui jouent avec ses gants. A l'opposé de moi, il dévisage le bulldozer. Je m'oblige à détourner le regard pour ne pas avoir à croiser le sien. Je sens déjà assez la pression de sa haine pour ne pas avoir à l'affronter. Il n'est vraiment pas content que je revienne. Mais il n'a pas à s'en faire : Memphis refuse que je joue avec Kim tant qu'ils ne savent pas bosser ensemble.
L'échauffement, je le passe en retrait. Déjà que je ne suis pas rapide, c'est encore pire avec ces deux semaines d'arrêt et ma cheville à laquelle je dois encore faire attention les premiers temps. Les gars se foutent bien de moi et pour toute réponse, je lève mon majeur. Si je n'étais pas à bout de souffle, je leur dirai bien deux ou trois trucs mais c'est à peine si je parviens à respirer. Alors je reste dans mon coin et je les regarde, devant moi, courir en silence, Kim en tête. Je n'ai pas pu continuer son programme et je vais sûrement devoir lui demander de le revoir à cause de ça.
Rien que l'idée de lui parler me donne un haut-le-cœur. Jonas a été clair : il n'était plus que l'ombre de lui-même quand il est entré dans les équipes. Il ne jouait que pour survivre. Et j'ai beau essayé d'y croire, je n'y arrive pas. Il a disparu, il m'a tourné le dos. Il n'a pas le droit d'être plus à plaindre que moi. Je me force à détourner les yeux de son dos et je fixe celui de Ness à la place. Dans les derniers, il sourit à Anton en hochant la tête. Je ne sais toujours pas pourquoi je veux qu'il vienne à Halloween. Je sais simplement qu'il doit y être mais ce n'est certainement pas la bonne réponse.
Memphis laisse finalement la main à Brett et je suis ravi de me retrouver de nouveau en duo avec lui. On passe la première heure à me remettre en forme, à l'aide des milieux de terrain. Puis le coach décide de faire un petit match avant la fin de l'entrainement. C'est au moment où il donne la répartition des équipes que je me prends en pleine tronche ce que je tentais d'oublier.
— Evidemment, Daren suit Kim et Jonas. Max, tu pars en face avec Lael et Anton qui seront les tireurs de l'autre équipe. Quelqu'un a quelque chose à dire ?
— Ça me tarde de voir qui va gagner, se marre Lael en posant son coude sur mon épaule. On peut compter les points, coach ?
— Faut-il encore que vous marquiez, le rembarre Brett.
— Ness laisse passer toutes les balles je te rappelle.
— Pas cette fois, contre l'arc-en-ciel en me lançant un regard. On a des choses à vérifier.
Personne ne cherche à comprendre et je me détourne pour rejoindre ma partie de terrain, avec Lael et Anton qui me parlent de leur tactique. Lorsque Charleston s'installe dans nos cages, j'esquisse un sourire en coin avant de faire face à nos adversaires. On est presque sûr de gagner si je parviens à faire marquer Lael. Il est notre troisième meilleur tireur et Ness a beau être fort, il n'est pas au même niveau que Charleston.
Les dix premières minutes me galvanisent. Retrouver l'équipe sur le terrain, devoir analyser, réfléchir, forcer les barrières ennemies et trouver des opportunités. Je me donne à fond et me délecte des grognements de Jonas quand il loupe à deux reprises son coup. Kim reste en retrait, Daren n'étant jamais là où il faut et j'ai bien saisi pourquoi. Je le contourne dès que je peux parce qu'il s'évertue à me bloquer le passage pour me rentrer dedans. Brett déteste être contre moi, il me le fait bien comprendre quand je feinte pour que Lael tente de marquer. Ses doigts attrapent violemment mon épaule et je suis écarté des cages alors qu'il fonce vers le blond. Mais Lael tire et Ness rattrape le ballon sans problème. Je suis incapable de cacher ma surprise : il a bougé tellement rapidement que je n'ai pas eu le temps de le voir étudier Lael. Il savait où il allait tirer.
Mon coéquipier râle en s'écartant puis l'arc-en-ciel remet la balle en jeu. Les minutes qui suivent nous servent juste à faire des allers-retours d'une zone à l'autre sans que personne n'ait d'opportunité de tirer. Puis, je trouve la faille chez l'équipe adverse. Cette fois, je n'ai aucune difficulté à passer au travers de Brett et du bulldozer qui râlent alors que je fais la passe à Anton. Un peu plus loin, Lael éclate de rire et se place en retrait. Je m'éloigne aussi et récupère la balle avant de contourner Romeo. Il se retient de m'agripper par le col au dernier moment et m'insulte simplement alors que je continue de courir. Sur mes talons, il m'ordonne de m'arrêter et je tire. C'est Anton qui a la balle, qui la laisse à Lael, qui me la renvoie tout en se plaçant bien. J'écarte de nouveau Romeo, souris à Ness quand il se met en position. Puis je m'approche de Lael et m'apprête à lui faire la passe. Brett lui agrippe déjà le bras et essaye de se glisser entre nous pour le bloquer. Mais je m'appuie alors sur ma bonne cheville et de la gauche, je marque un but.
L'instant d'après, on percute mon dos et j'écarquille les yeux en finissant à genoux devant Ness alors que Lael explose de rire. Romeo est plus qu'énervé et je me relève, une main sur mon genou, pour lui sourire.
— Mauvais joueur, je siffle.
— Enfoiré. T'es pas censé marquer !
— C'est écrit nulle part ! s'éclate Lael en passant son bras autour de ma nuque. T'es une merveille Max !
— C'était vicieux, lance alors Ness en se rapprochant de nous.
— Exactement comme tu aimes.
Je lance un regard à Anton tandis que Ness acquiesce. Memphis siffle pour nous ordonner de nous replacer et je passe à côté de Kim, soutenant son regard froid. Il le détourne le premier et parle au bulldozer. Je ne les écoute pas et remercie plutôt Omare lorsqu'il me félicite.
Le reste du match, on le mène haut la main. Après deux semaines à rien glander, je me défonce et ça sert : chaque opportunité, on la prend et mes tireurs mettent deux buts de plus. Brett et Daren n'ont plus aucune patiente, Kim a explosé de colère plus d'une fois quand Omare et moi défendions Charleston avec hargne au point de leur reprendre la balle. Jonas se contentait de marmonner dans son coin. Un vrai plaisir de les voir se tendre de plus en plus à chaque fois que je menais mon équipe vers leur surface de réparation sans difficulté.
— Fin du match ! crie Memphis. Victoire du groupe Charleston avec un joli 3-0 !
Penché, je peine à retrouver mon souffle alors que Lael s'extasie avec Omare. Anton enfonce le clou auprès de Romeo, Brett et Jonas tandis que Daren lui ordonne de la fermer. Ness ricane en nous rejoignant et il tapote son gant contre mon crâne en répondant je ne sais quoi. J'ai les oreilles qui bourdonnent, mes poumons me brûlent, mes cheveux sont collés à mon front mais j'ai la satisfaction de ne presque pas avoir mal à la cheville. Elle tire légèrement mais la contention a bougé.
Je pose un genou au sol et défais mon lacet pour la remettre correctement au moment où les chaussures de Kim s'arrêtent devant moi. Je relève la tête vers lui et fronce les sourcils devant son expression fermée. Ses yeux noirs fulminent et il resserre son bras autour du ballon contre sa hanche.
— Tu peux continuer ?
Je mets quelques secondes à percuter. Tout mon corps me hurle d'arrêter, de prendre une douche et d'aller m'affaler sur le banc de l'amphithéâtre en attendant le début de mon cours. Mais de jouer contre Kim a réveillé mon désir de jouer avec lui, de reprendre ma place dans son dos et de faire ce que je fais de mieux : l'accompagner vers son objectif, marquer. De voir Daren louper les trois quarts de ses passes, de constater qu'ils n'ont aucune cohésion et qu'ils ne savent pas prendre les opportunités qu'ils ont, ça m'a juste dégoûté.
Je baisse de nouveau les yeux sur ma bande, la resserre et me relève avant d'hocher la tête. Kim se dirige alors vers les cages et l'instant d'après, Charleston y reprend sa place en balançant sa bouteille d'eau un peu plus loin.
— Tu fous quoi ? lui demande Kim en posant le ballon.
— Vous avez besoin d'une défense.
Je ne quitte pas Kim des yeux et il finit par acquiescer. Puis il se place et je me mets là où Jonas se poste lorsqu'ils jouent ensemble. Il ne nous faut pas plus de trente secondes pour reprendre nos marques, notre rythme. Charleston est aussi bon en défense qu'en tant que goal et je remarque le plaisir que prend Kim à jouer contre lui. Nos passes nous amènent constamment à tirer mais le ballon ne rentre pas une seule fois.
Je me retrouve à sourire aussi, en coin, discret, à peine perceptible. Je contourne Charleston, je fais la passe à Kim, je nous éloigne, je le vois fixer le goal et récupérer le ballon sans même me regarder. Il ne se tourne pas une fois dans ma direction, il ne doute pas une fois quand il me relance la balle. Il joue avec moi comme il l'a toujours fait.
Et il arrive enfin à tirer. Charleston grogne en se cognant au poteau alors que Kim lève les bras, le souffle rapide. Je m'arrête à côté de lui, pose une main sur ma hanche et l'autre au sol quand je m'accroupie pour retrouver ma respiration.
— Bordel, enfin.
— N'abuse pas, je lâche et il baisse les yeux sur moi. T'as pas besoin de moi pour marquer.
— Je déteste jouer avec lui.
Kim ne s'explique pas quand je fronce les sourcils. Il garde simplement son regard sombre dans le mien.
— Il n'est pas si terrible, je marmonne sans conviction.
— T'en penses pas un mot, réplique-t-il sèchement. Il est merdique et je ne le supporterai pas pendant mille ans. T'aurais dû la fermer quand on a fait le récap.
— Et tu aurais fait comment ? Quand je ne pourrais pas jouer, tu feras quoi ?
— Comme avant, comme quand tu n'étais pas dans l'équipe. Je te rappelle que je ne voulais pas de toi.
— Pourtant, c'est avec moi que tu veux jouer aujourd'hui.
Il serre le poing et je secoue la tête en détournant les yeux sur ma cheville pour défaire la bande. Charleston est un peu plus loin, à boire, et je sens la pression de son regard posé sur nous. Il s'éloigne assez pour ne pas nous entendre mais juste ce qu'il faut pour intervenir si les choses dérapent.
— Je déteste jouer avec lui, répète-t-il plus froidement. Mais ça ne veut pas dire que je veux jouer avec toi. Tu es juste meilleur que lui.
— Arrête ça, je crache en me redressant brusquement. Ça te sert à quoi de nous prendre pour des cons, tous les deux ? T'es censé me faire confiance sur le terrain alors ne t'avise pas de...
— Explique-moi comment je peux te faire confiance, me coupe-t-il cognant à peine son poing contre mon torse. Dis-moi comment je suis censé faire alors que ça fait des mois que tu n'es plus derrière moi.
— Qu'est-ce que t'en sais en réalité ? T'as cru que je t'avais oublié dès qu'on nous a séparé ? C'est sûr que ça a l'air d'être ton cas.
— Va te faire foutre.
Il fait un pas pour s'écarter mais j'attrape son poignet et je repousse le sentiment d'oppression qui me serre la gorge. Il a beau avoir une tête de plus que moi, ça reste Kim. Le même Kim qui m'a tendu la main le jour où je me suis ramassé sur les graviers de son allée. Celui qui partageait son goûter avec moi, celui qui m'invitait à son anniversaire et qui ne disait rien quand j'arrivais les mains vides. Celui qui m'a regardé sortir de chez lui pour la dernière fois, avec son sourire narquois et sa promesse de m'amener avec lui à l'université, quand je pourrais y aller, deux ans plus tard. Mais c'est aussi celui qui ne m'a pas rattrapé dans ma chute, qui n'a pas foncé dans la nuit pour venir me rassurer, qui s'est bouché les oreilles et m'a laissé couler.
— T'as raison : je vais me faire foutre. Démerde-toi avec Daren, je siffle et il se fige. C'est plus mon problème.
— Ça l'est ! il réplique en m'attrapant le poignet quand je recule. C'est ta place derrière moi Maxie, pas la sienne !
La douche est froide. Gelée. Glaciale. Mortelle peut-être. Je suis incapable de détourner mon regard du sien, de ses yeux perdus, terrifiés, hagards. Ses doigts me brûlent à travers la manche, mon cœur est comprimé, mes jambes tremblent. Mais je me raccroche stupidement à ce surnom, à ce putain d'espoir que Kim ne m'a pas réellement effacé de sa vie.
— Je...
— Tais-toi.
Je referme aussi sec la bouche. Lentement, il desserre sa prise et je plaque mon poignet contre mon torse, passant mes doigts dessus pour effacer les sensations. Il inspire et cligne des yeux avant de secouer la tête, comme s'il cherchait à remettre de l'ordre dans ses idées. Puis il pose ses yeux sur ses pompes et soupire.
— Ce n'est pas ton problème, tu as raison, il murmure alors. Mais je ne peux pas jouer avec lui alors que tu es à ma portée. C'est à toi d'être derrière moi, à personne d'autre que toi.
Il croise mon regard et s'éloigne avant que je puisse répondre, avant que je puisse l'attraper pour lui demander pourquoi cette expression, pourquoi ce regard si vide de tout. Il est de nouveau hors de portée et j'abandonne en le regardant s'éloigner vers Memphis, dans l'entrée du hall, avec une partie de l'équipe qui discute. Parmi eux, Jonas s'écarte pour rejoindre Kim et Ness penche la tête en me dévisageant, son sourire malicieux qui ne le quitte jamais.
— Tu te sens comment ?
— Je crois que c'est en vampire que je devrais me déguiser à Halloween, je réponds à Charleston. Ils ne peuvent plus rien ressentir, non ?
— Vachement marrant.
— Je trouve aussi.
Je tombe dans son regard si clair que je m'y perds quand il s'arrête à ma gauche, le ballon sous le bras droit et l'autre qui passe derrière moi. Ses doigts frôlent mon haut et je lis la question dans ses yeux avant qu'il ne la pose. Alors je hoche la tête et il remonte sa main jusqu'à ma nuque où il caresse à peine ma peau avant de l'y déposer, ses doigts glissant légèrement dans mes cheveux.
— Les vampires ont un cœur. Il ne bat plus, mais ça signifie qu'ils ont été vivant. De ce fait, ils ont ressenti des choses et savent comment en ressentir de nouvelles.
— Ils ne peuvent pas revenir d'entre les morts, je souffle et il sourit en coin.
— Tu as déjà croisé un vampire pour en être aussi sûr ?
C'est idiot mais je me détends. Ses doigts s'éloignent et il me fait un signe pour qu'on rejoigne le reste de l'équipe. J'esquive Ness et fuis Jonas du regard quand je lui passe à côté pour rejoindre les douches. Il n'a pas tort : on est pas mal à être fissuré dans son équipe. Il n'a juste aucune conscience du degré que ça atteint dans mon cas.
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