Chapitre 1
Début juin
Mes doigts se resserrent sur ma chaine. Autour de moi, les bruits des casiers qui se ferment retentissent mais je les ignore. Les yeux fermés, je prends le temps de savourer ce moment. Les sélections de foot pour la rentrée de septembre, dans l'équipe des Racoons, loin derrière les favorites du pays mais qui commence à se faire une place. J'y suis parvenu, sans réellement savoir comment j'ai fait pour avoir ma chance.
J'expire une longue seconde et claque la porte du le casier qu'on m'a prêté pour aujourd'hui avant de suivre les autres chanceux sur le terrain. Le coach nous attend dans le rond central, bras croisés dans le dos, une plaquette dans la main. Je ne jette même pas un regard vers les gradins lorsque les autres le font, murmurant leur admiration pour les gars qui s'y trouvent. Je connais leur nom, je sais ce qu'ils valent et je ne peux pas me permettre de me déconcentrer pour si peu. Surtout si Kim a aussi son cul posé sur une chaise.
— Comme chaque année, vous avez été vingt-deux à être sélectionnés, se lance le coach quand on lui fait enfin face. Que vous venez des équipes espoirs ou non, si vous êtes devant moi, c'est que vous avez le potentiel qu'on recherche.
Ses yeux nous scrutent tour à tour, laissant un silence pesant s'abattre sur nos épaules. L'équipe espoir est censé donner l'avantage aux joueurs qui veulent entrer dans les plus grandes équipes des Etats-Unis. Sauf ici : les Racoons ont leur propre conception des règles et l'université leur laisse disposer d'un libre-arbitre total concernant la construction de leur équipe. Des petits prodiges de l'espoir ou des téméraires qui, comme moi, ont déposé leur candidature dans le bureau du coach Memphis, chacun peut avoir une place.
— La sélection va être simple : deux équipes de onze déjà faites. Un goal qui ne change pas mais à la seconde période, les joueurs de défense et d'offense qui ont indiqué pouvoir jouer les deux rôles échangeront leur place. Tout est noté ici, vous n'aurez qu'à lire la feuille.
Du stylo, Memphis tapote sa plaquette qu'il tient devant lui. Deux listes et quelques traits de couleurs sont à peine distinguables de là où je suis mais je connais d'avance la position que j'aurai pendant la première période.
— Vous avez quatre-vingt dix minutes en tout pour faire vos preuves, reprend le coach et je me tends. Ça parait long mais ce sera en réalité très court. Comme vous l'avez constaté, l'équipe au complet est dans les gradins : ils sont là pour vous juger. Je choisis qui je veux mais ils ont aussi leur mot à dire, vous devez donc nous convaincre à tous.
— On pourrait savoir pourquoi, coach ?
Memphis hausse un sourcil en se tournant vers un grand gaillard qui aurait plus l'air habile avec un ballon de rugby qu'autre chose. Il n'a pas la carrure d'un footballeur. Mes lèvres s'étirent d'elles-mêmes alors que je sais pertinemment que je n'ai rien pour moi à ce niveau aussi. Plus petit que la totalité des joueurs, je ne suis pas franchement rapide et l'endurance est loin d'être mon point fort. Mais j'ai ce petit plus qui a dû convaincre Memphis de me laisser ma chance. Soit ça, soit il voulait juste se foutre de moi à vouloir tenter ma chance.
— T'as déjà vu une équipe soudée ? il ricane et le type hoche la tête. Ça répond à ta question : ce n'est pas avec moi que vous serez sur le terrain. Rentrez-vous bien dans le crâne que ma décision seule n'aura aucun effet s'ils vous refusent. Maintenant, regardez vos emplacements et vos équipes puis allez vous placer. On commence les sélections.
Il lance sa plaquette au gars le plus proche de lui et immédiatement, on l'entoure tandis qu'il nous lit les noms puis le rôle. Rapidement, je me retrouve avec dix autres personnes et on se dirige vers le côté gauche du terrain. Je m'arrête à quelques mètres du rond central, où les deux attaquants se trouvent, hoche la tête en direction du deuxième milieu offensif puis je lance un regard aux gradins.
Les coudes croisés sur le dossier devant lui, Kim nous regarde. Peut-être qu'il essaye déjà de me buter, pour oser fouler son terrain. A côté, le capitaine des Racoons tend un paquet de feuille au gars derrière lui. Jonas et Brett, qui est le stoppeur de l'équipe. Une bête sur le terrain et un véritable point d'encrage pour la défense de l'équipe.
Je me détourne sobrement, ignorant la boule qui vient se loger dans mon estomac. Si l'équipe a son mot à dire dans le choix des recrus, j'ai la sensation d'avoir déjà perdu le peu de chance que Memphis m'a donné. Mais je ne me suis pas battu ces trois dernières années pour foutre en l'air ce qu'on m'offre aujourd'hui.
Le coup de sifflet sonne alors le coup d'envoie et je fonce sur le terrain, prêt à en découdre avec l'équipe adverse. Ils ont la balle, et je serre les dents lorsque leur attaquant me passe à côté sans aucune difficulté. Je fais demi-tour, mon pied qui tente de lui récupérer le ballon mais il l'esquive, l'envoyant à un autre. Notre défense est un gruyère et le jeu n'a commencé qu'il y a cinq minutes.
Mes yeux fouillent alors brusquement l'environnement alors que mes jambes me dirigent vers le ballon. A quelques mètres, la défense adverse reste en retrait, au risque de la balle remonte. La nôtre est éparpillée à cause des adversaires qui nous divisent. Je plisse le regard, le cerveau qui tourne à mille à l'heure tandis que je suis chaque mouvement dans ma vision. Le moindre pied posé, la plus petite hésitation, la micro-crispation de la main, la grimace de contrariété. Puis le doute sur l'attaquant qui se retrouve face au stoppeur de mon équipe.
Je m'écarte brusquement quand il lui reprend la balle et m'élance déjà vers les cages à l'autre bout du terrain. Le sifflement du ballon qui file droit vers moi m'arrache un sourire et je le laisse rebondir devant moi avant de le reprendre. Le cri rageant d'un autre gars me force à jeter un regard par-dessus mon épaule. Je ralentis immédiatement et réalise un demi-tour brusque qui envoie valser mon adversaire au sol alors qu'il glisse sur mon dos. En une fraction de seconde, j'ai déjà renvoyé la balle à un joueur qui la réceptionne avant de se faufiler entre d'autres. Peu de temps après, on a marqué un point.
— Belle passe ! me souffle un blond tout sourire. Tu gères !
— Tu l'as rattrapé sans même hésiter, le mérite te revient.
Il secoue la tête, amusé, avant de s'éloigner pour reprendre son poste. Ainsi, la première période de quarante-cinq minutes passe rapidement et le score a été égalisé une vingtaine de minutes après notre but. Néanmoins, plus aucune des deux équipes n'a pu se démarquer un peu plus. Nos jeux sont incertains, dus au fait qu'on ne se connaisse pas. Les passes sont foireuses, les réceptions très mal réalisées et les seuls qui peuvent se vanter sont ceux de l'équipe espoir. A peine épuisé, ils parviennent à tenir un rythme soutenu quand, moi, je crache mes poumons dès qu'on me permet de souffler.
— Quinze minutes de pause. Vous avez les bouteilles d'eau ici, hurle le coach en nous indiquant les bancs. L'équipe va venir vous voir, histoire de vous donner des conseils pour la seconde période.
Je me traine avant de m'écrouler sur le sol, le dos contre le mur des gradins. Je remercie la silhouette à contre-jour qui me tend une bouteille avant d'en boire la moitié et de vider le reste sur ma tête.
— Tu n'es pas endurant et tu es encore moins rapide. Pourtant, tu es parmi les sélectionnés et je cherche encore à comprendre pourquoi.
Je fronce les sourcils quand il se baisse à ma hauteur. Et je reconnais enfin Lael, numéro 4 et milieu offensive officiel de l'équipe, avec Anton. Il me sourit, relevant ses cheveux blonds d'une main, puis il me tend une autre bouteille d'eau que j'attrape avec plaisir. Du coin de l'œil, je repère aisément le reste de son équipe avec les autres sélectionnés. Mais la chevelure noire que je cherche ne s'y trouve pas...
— Il est là le problème : il a aucun foutu talent mais il se permet de se pointer ici.
Parce qu'il est toujours dans les gradins, au-dessus de moi. Je relève la tête pour apercevoir le regard noir de Kim, penché sur la barrière de sécurité. Devant moi, Lael soupire.
— Le coach ne l'a pas sélectionné juste pour le plaisir, il a forcément un truc. Dis-moi ce que c'est, grince Lael en tapotant mon genou. Jo est captivé par ton jeu et c'est assez rare pour m'intéresser.
— Je te l'ai dit : il n'a rien. Memphis est idiot de s'être laissé berner et Jo perd son temps à...
— L'équipe espoir, ça t'a rendu encore plus con qu'avant.
Les yeux de Kim s'écarquillent alors que je lui souris avec narquois, satisfait de lui avoir fait fermer sa bouche. Le moment où il perd son self-contrôle ne dure d'une très courte seconde mais je le remarque. Tout comme je perçois Lael se lever et les autres nous rejoindre. Je ne loupe rien et pourtant, j'ai toujours le crâne contre le béton, les yeux posés sur Kim.
— La pause est presque finie, tu te ramènes ? On va bouger un peu avant de changer nos positions.
Je souris un peu plus, faisant fulminer Kim, avant de baisser les yeux vers le blond de mon équipe. J'attrape sa main et l'instant d'après, on se dirige vers le terrain. Cette fois, je prends place devant la surface de réparation et je m'étire tout en me répétant le rôle du libéro : joueur défensif, libre de tous déplacements, intervient quand un autre membre de la défense est hors-jeu, doit pouvoir anticiper et maîtriser le jeu. Tout ce que l'offensive ne me permet pas de faire et tout ce à quoi je suis bon.
— Hé.
Accroupi pour resserrer mes lacets, je lève à peine les yeux vers un grand brun aux yeux d'un bleu très sombre. Jonas, capitaine et avant-centre, numéro 3 de l'équipe. Il se baisse alors à ma hauteur.
— Tu veux ta place dans mon équipe, oui ou non ?
— Oui.
— Alors bouge-toi. T'es à la traîne.
Je me fige, les doigts crispés sur la boucle de ma chaussure. Jonas est déjà reparti, les mains dans les poches de son jogging. Ses mots viennent de balayer mes espoirs. Je ne peux pas faire plus que ce que je donne depuis le début des sélections. Je suis déjà au maximum. Et ce n'est pas suffisant.
— Redresse-toi, le match reprend !
Je serre les dents quand le coup d'envoi expulse le ballon à l'opposé de nos buts. Mon équipe est déjà en route vers l'adversaire et je les rejoins, tentant au mieux de tenir le rythme. Mais la vitesse me fait défaut à plusieurs reprises, mon manque d'endurance me met à l'amende, la balle m'échappe et cette fois, notre équipe est rapidement désavantagée.
La deuxième période vire à la catastrophe et j'entends déjà le rire de Kim, qui me répète pour la énième fois que je suis incapable de rentrer dans une équipe officielle. Mais cette fois, au lieu de chercher à le contredire, je ne peux que lui laisser cette victoire.
La fin des sélections sonne avec un coup de sifflet, on est battu à cinq-trois et je n'ai rien pu faire en défense. J'ai été lamentable, incompétent alors que c'est le seul poste où mes facultés sont utiles. La défense adversaire était bien plus solide avec le rugbymen qui se pavane devant Jonas et Brett. Je reste en retrait alors que le coach ordonne le silence.
— Nous allons prendre deux semaines de délibération avec l'équipe. Ce que j'ai oublié de vous dire, avant qu'on commence, c'est qu'il n'y a que deux postes à pouvoir, cette année.
Autour de moi, les visages se décomposent. Le capitaine de l'équipe se positionne alors à côté du coach et reprend la parole.
— Sachez qu'on peut aussi ne choisir aucun d'entre vous. Si vous trouvez ça injuste, ce n'est pas notre problème. Notre but est d'aller le plus loin possible, avec l'équipe la plus complémentaire qu'on puisse avoir. Un élément qui foire, c'est un match de foutu.
— Vous avez joué avec vos tripes, coupe le coach. On a vu ce qu'on voulait voir. Jonas et moi vous appellerons pour vous communiquer notre choix. Et si vous n'êtes pas pris cette année, retentez votre chance l'année prochaine. Les sélections sont finies maintenant, vous pouvez y aller.
Sans attendre, je me glisse entre deux gars et passe à côté de Jonas. Je perçois clairement ses yeux me suivre avant qu'un joueur attire son attention. Et lorsque Kim se trouve sur mon chemin, je le contourne, ignorant son sourire satisfait.
On sait tous les deux que je ne serai pas pris. Et j'ai la haine.
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Bienvenue dans ce premier chapitre d'une longue série au sein des Racoons ! 💚
Je travaille sur ce roman depuis des mois en secret alors j'espère que vous l'aimerez 🥺
D'ailleurs, ce premier chapitre introductif vous a plu ? N'hésitez pas à me dire ce que vous en pensez 💚
Vous pouvez aussi me retrouver sur insta pour découvrir l'extrait du chapitre deux dans la semaine 😏 (@hakunatei )
A dimanche pour la suite ! 💚
Sarah 🌻
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