Chapitre 9 : Une histoire, une infirmerie, un homme.

Elle posa sa main sur son épaule.

« Est-ce que tout va bien ? » demanda-t-elle, inquiète.

Ethan resta pantois, à la fois parce qu'elle venait de le toucher sans hésitation, mais également parce qu'il fut soudainement sorti de ses pensées. Des pensées qui le taraudaient depuis un moment maintenant.

Le visage troublé de la jeune femme le fit déglutir.

« Je suis navré, j'étais ailleurs.

– J'en suis bien témoin, susurra-t-elle. Je vous ai appelé au moins trois fois, je pensais que vous me suiviez quand j'ai quitté la pièce. »

Il ne sut quoi répondre. Il détourna les yeux, observant la pièce rapidement, comme s'il cherchait à se remettre dans la réalité du moment.

« Qu'est-ce qui vous préoccupe ? »

Il se tourna vers elle presque aussitôt.

« Des choses futiles, j'imagine », répondit-il.

Elle fronça les sourcils, tentant de comprendre où il souhaitait en venir.

« Il y a cette histoire qui tourne en boucle dans ma tête, depuis que vous m'avez fait part de vos préoccupations.

– Elle doit être bien importante pour vous mettre dans un état pareil. »

Il semblait encore parti ailleurs, le regard plongé dans le vide face à lui.

« Ethan », avait-elle appelé, l'empoignant pour le ramener de nouveau avec elle.

Il dirigea son regard dans celui de la bourgeoise. Elle le lâcha avant de demander :

« Est-ce que vous souhaitez faire une pause un instant ?

– Les marins m'avaient raconté l'histoire d'une mystérieuse île. »

Elle n'osa pas l'interrompre, il semblait comme envouté.

« Il y a quelques décennies, des enfants ont réapparu comme par magie, plusieurs années après leur disparition. Lorsqu'on les a questionnés sur le sujet, ils racontèrent avoir été enfermés dans un orphelinat se trouvant sur une île, près des côtes anglaises. »

Il marqua une pause.

Elle ne dit rien et il continua :

« Naturellement, les autorités ont fouillé les océans à la recherche de l'île, mais elle était introuvable. De ce fait, une histoire a commencé à circuler parmi les pêcheurs et navigateurs des mers. Il était dit que lors de naufrages ou de grandes tempêtes, certains pouvaient passer dans l'au-delà. Un état transitoire entre la vie et la mort. Pour beaucoup, ce n'est qu'à cet instant que l'on peut apercevoir l'île mentionnée par les enfants.

– Vous ne croyez tout de même pas...

– Je ne crois rien, je vous narre simplement une histoire contée pour dissuader les pirates. »

Il lui sourit, semblant sortir de son état de transe, puis l'empoigna à son tour. Elle eut un hoquet de surprise, mais ne se débattit pas.

« Continuons », termina-t-il en partant tout en la traînant derrière lui.

Ils n'allèrent pas bien loin, puisqu'ils s'engouffrèrent dans la salle juste en face. C'était un grand réfectoire, aux meubles anciennement fabuleux.

Au fond, contre les fenêtres, se trouvaient de longs buffets. Ils couvraient tout le mur, supportant encore pour certains quelques ustensiles par-ci par-là. Ces meubles en bois avaient amassé la poussière sous leurs gravures décoratives. Leur dessus était drapé d'un tissu autrefois blanc.

Au centre se trouvait une grande table rectangulaire qui avait vécu une rude bataille, ou le simple ravage du temps. Ainsi, elle avait fini par succomber au poids des chandeliers et vieilles vaisselles. Déposant à ses pieds, tout ce qui autrefois, reposait sur elle. Des chaises l'entouraient, certaines vautrées face contre terre.

Si nous venions à tendre l'oreille, nous pourrions presque entendre les anciens moments de partages, bruyants et animés. Rachel y parvenait presque trop bien lorsqu'elle fermait les yeux.

Elle fit quelques pas dans la pièce, laissant poser ses doigts sur le bois poussiéreux des meubles. Elle imaginait les rires, les cuillérées goulûment avalées. Elle pouvait voir les soirs de tempêtes, réchauffés par la convivialité de ces moments familiaux.

Est-ce que c'était réellement comme ça ? Ces enfants étaient-ils dans un foyer aimant ?

Elle osait espérer, mais ces histoires d'enlèvements ne présageaient rien de bon. Est-ce qu'elle croyait au récit d'Ethan ? On ne trouve pourtant pas moult orphelinats sur des îles, la coïncidence en était effrayante. Pourtant elle ne voulait pas y croire. Ces histoires d'au-delà ne tenaient pas la route.

« Il n'y a pas grand-chose par ici », brisa-t-il le silence.

Elle ouvrit à nouveau les yeux et se tourna vers le jeune homme, qui continua :

« Et si nous essayions de voir ce que pourraient bien ouvrir ces clés ? »

Elle acquiesça et le retrouva près de la porte. Elle jeta un dernier regard à la pièce avant de la laisser dans la solitude mortuaire.

La bourgeoise se sentait soudainement abattue. Comme si la mélancolie lui prenait le coeur. Le souffle court, les larmes aux yeux, elle ne savait si c'était une tristesse ressentie en se sachant perdue ici, ou si c'était par compassion pour ces pauvres orphelins. Une compassion basée sur des spéculations.

Ils se retrouvèrent devant le grand escalier assez rapidement. Il restait quelques pièces à l'étage et certaines autres dans le couloir face à eux. Ethan choisit de terminer d'abord l'exploration de cet étage avant de monter à nouveau.

Mais alors qu'il s'enfonça dans l'autre couloir, Rachel ne l'avait pas suivi. En réalité, elle s'était figée sur place. Surpris, le marin la rejoignit pour faire face à un visage livide. Il s'approcha davantage pour capter l'attention de l'aventurière. Ses yeux émeraude s'accrochaient à l'invisible. La demoiselle semblait faire face à l'impensable. La douleur dans son coeur s'était-elle emparée de tout son être ? À peine voulut-il lui demander si elle se sentait bien, qu'elle murmura, presque mécaniquement :

« Ne m'abandonnez pas. »

Il fronça les sourcils d'un air dérouté et avant qu'il n'ait pu dire quoi que ce soit, des larmes envahir les yeux de la demoiselle, le troublant instantanément.

« Nous finissons tous par devenir fous dans cet endroit », déclara une voix masculine près de l'entrée.

Ethan fut surpris et se tourna furtivement vers la grande porte où se trouvait un vieil homme, mais il eut à peine quelques secondes pour scruter l'apparence délaissée de l'individu, qu'il dut faire volte-face à Rachel. La jeune femme venait soudainement de s'évanouir, et par chance il était parvenu à l'attraper avant qu'elle ne touche le sol.

« Emmenons-la à l'infirmerie pour l'allonger, proposa l'homme, la clé ne doit pas être bien loin.

– Ne serait-ce pas l'une d'elles ? demanda le soldat en tendant les deux clés qu'il avait en sa possession tout en maintenant le corps effondré de la jeune femme.

– Oui, je crois bien que c'est celle-ci », affirma le vieillard en prenant la clé correspondante.

Le matelot passa l'un de ses bras sous les genoux de sa compagne d'aventure et la souleva. Il la serra contre lui, l'autre main derrière son dos. La chaleur qu'elle dégageait le rassurait assez pour savoir qu'elle n'avait pas péri contre son torse. Il observa son visage, tout en suivant le vieil homme.

Des traits fins et angéliques, mais un visage meurtri par la fatigue. Sans aucun doute que la demoiselle fesait chavirer bien des coeurs. Il en était d'ailleurs malgré lui, une de ses victimes.

L'homme ouvrit la porte de l'infirmerie et invita le jeune homme à entrer. Il posa la demoiselle délicatement en position assise sur l'un des lits, et tenta tant bien que mal de retirer le haut de son uniforme afin de le placer sur le coussin poussiéreux.

Une fois cela fait, il déposa Rachel, toujours endormie. Il patienta ensuite, vérifiant à diverses reprises qu'elle respirait toujours.

Il en avait profité pour regarder un peu plus en détail cette nouvelle pièce. Des plantes avaient pénétré par les fenêtres noircies et brisées. Six grands lits étaient accolés contre l'un des murs, poussiéreux et sans doute infestés de bestioles en tout genre. S'il l'avait pu, il aurait placé la jeune femme ailleurs, mais c'était bien tout ce qu'il pouvait faire pour elle à cet instant.

En face des lits se trouvait un bureau, des étagères remplies de flacons vides ainsi que des empilements de draps, jaunis par le temps. Le jeune homme en prit un et le secoua avant de le déposer sur la demoiselle, dont la température venait de chuter.

Rachel se réveilla un peu plus tard. Lorsque ses paupières s'ouvrirent, elle mit un temps avant de reprendre conscience de la situation dans laquelle elle était. Elle se dressa sur ses deux bras tant bien que mal. Sa tête lui faisait souffrir. C'est sous un gémissement qu'elle se hissa complètement pour s'assoir.

« Dieu merci, j'étais vraiment inquiet pour vous », avoua le jeune homme qui se précipita vers elle.

Elle lui sourit timidement, encore sonnée.

« Vous avez agi tellement étrangement », reprit-il.

Il ne lui restait que quelques bribes de souvenir, et tout était encore très confus.

« C'est comme si... j'avais été possédée », expliqua-t-elle.

Il fronça les sourcils.

« Pas d'inquiétude, c'est normal après tout ce que vous avez vécu jusqu'ici », se joignit le vieil homme à la conversation.

Les deux jeunes tournèrent leur regard vers le troisième individu.

« Appelez-moi Ryan, se présenta-t-il. Votre ami m'a parlé de votre naufrage.»

Il leur expliqua à leur tour sa présence ici. Il leur annonça vivre non loin, dans le grand continent. Cela rassura grandement nos deux explorateurs qui se virent de suite face à leur sauveur. Enfin, ils allaient rentrer. Enfin, tout allait se terminer... Pourtant un goût amer resta dans la bouche de la jeune femme. Tant de questions restaient encore sans réponses et quelques pièces n'avaient pas encore été vues.

Ce sentiment d'inaccomplissement la dévorait déjà.

« C'est un héritage de famille, continua l'inconnu. Je viens faire des rondes par ici de temps en temps. Mes parents avaient acheté la bâtisse à un ancien bourgeois, pour la rénover en résidence secondaire. Finalement, ça ne s'est jamais fait et le lieu a été abandonné avec ses affaires. À mon âge, je n'ai pas la force de reprendre leur rêve, je me résigne simplement à vérifier que notre bien ne se fasse pas dérober. »

Intriguée par ces révélations, Rachel demanda plus d'informations concernant l'histoire de l'orphelinat. Sans aucun doute, cet homme en saurait plus. Du moins, il serait le seul à pouvoir satisfaire sa curiosité.

Il rapporta les quelques racontars qu'il avait ouï dire par ses parents. Des orphelins auraient vécu ici afin de répondre aux besoins de paternité d'un couple infertile. Le rachat par ses parents avait été très rapide après la vente de l'orphelinat, donc d'après lui il n'y avait pas grand-chose à connaître, et de toute façon il n'en savait pas plus.

« Ma question pourrait paraître étrange, commença la jeune femme, mais cet orphelinat n'a rien à voir avec les enfants qui avaient mystérieusement disparu il y a plusieurs années pour réapparaitre soudainement ? »

Ethan blêmit sous cette question. Il ne s'attendait pas à ce que la jeune femme la prenne autant pour argent comptant, mais en réalité il attendait la réponse de pied ferme. Malheureusement, le vieil homme tua cette idée folle, à peine lorsqu'elle eut pris vie :

« Bien sûr que non ! Cela n'a rien à voir. Les époques ne sont même pas les mêmes. »

Il rigola l'instant d'après. Un rire d'outre-tombe et grassouillet.

« Si vous le permettez, interrogea Ethan, forçant l'homme à reprendre un ton sérieux, étant donné que vous venez du grand continent, j'imagine que vous avez un bateau et que vous pouvez nous ramener en Angleterre ?

– C'est plus une petite barque, qu'un bateau... Malheureusement, elle n'est pas assez solide pour nous prendre tous à son bord.

– Pouvez-vous au moins appeler les secours pour qu'ils viennent nous chercher ? demanda la demoiselle à son tour.

– Vous trouverez une autre barque près d'une cabane en bois dans la forêt. Si vous avez de la chance, elle est peut-être toujours en bon état. »

À ces mots l'homme s'approcha de la porte de l'infirmerie et avant de partir, les somma de quitter cet endroit sur le champ.

Rachel et Ethan restèrent pantois, d'abord parce que le vieillard fut extrêmement désobligeant et ensuite parce que son discours était d'une absurdité sans précédent. Comment pouvait-il leur ordonner de partir, sans pour autant les aider à le faire ?

Ce lieu qui était déjà bien étrange ne semblait que plus étouffant à présent. Qui était réellement cet homme ?


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