Chapitre 5 : Le dortoir
Elle se dirigea vers la porte suivante, mais celle-ci ne s'ouvrait pas. Pareil pour celle encore à côté. Elle se demandait bien ce qu'elles pouvaient renfermer. Il n'y avait ici aucun écriteau pouvant l'aiguiller. L'obscurité, les murs froids et le silence entrecoupés de sons de la nature ne faisaient qu'accentuer le mystère de tout cela.
Un lieu incroyable d'une richesse lointaine et aux souvenirs figés dans ses meubles. Une souffrance mêlée à des mémoires joyeuses. Un avenir sombrant dans la solitude et l'inconnu. La jeune bourgeoise admirait ce lieu, comme un secret qu'elle était la seule à avoir accès, comme un privilège de poser ses chaussures sur ce sol recouvert de poussières.
Elle reprit alors son chemin, tout en claquant ses bottines, et se dirigea à l'opposé d'où elle se trouvait actuellement, s'enfonçant dans l'autre couloir. Il y avait deux portes, face à face. Elle essaya d'ouvrir celle située à sa droite, et y parvint. Peut-être y trouverait-elle une clé pour ouvrir une des portes fermées ? Elle comptait bien tout explorer, sans manquer de jouer à cache-cache avec celui ou celle qui se trouvait aussi en ces lieux.
Elle entra, avant de fermer derrière elle. Au vu des meubles, c'était un dortoir d'enfants. Plutôt petit, il était destiné à la gent féminine. Des rubans aux couleurs ternies, des poupées abîmées par le temps et des accessoires rouillés par dizaines. Certains trainaient au sol, d'autres sur les lits aux couvertures roses.
Rachel avait les yeux qui pétillaient. Elle sentait le vent extérieur pénétrer la pièce, la faisant frissonner. L'adrénaline ne l'avait pas quitté une seconde, elle était encore plus forte dans ce lieu enfantin, rempli d'histoire.
Il y avait quatre lits à une place. Leur tête se trouvait contre le mur où se trouvait la porte. Deux à gauche de celle-ci et deux à droite. Ils faisaient face aux fenêtres, dont les carreaux avaient noirci sous la saleté du temps.
Au pied de chaque lit se situait un gros coffre fermé par un verrou en métal.
Au centre étaient disposées deux tables rectangulaires, pour n'en former qu'une, plus grande.
La poussière était très présente, à moins que ce ne soit le peu de clarté qui faisait briller chaque grain et donnait cette impression. Rachel toussa encore. Pourtant, elle avait l'impression de mieux respirer ici.
Des dessins d'enfants ornaient les murs. Les vestiges d'une rêverie passée, à la craie ou au charbon. Des écritures fourmillaient à leurs côtés. La jeune femme s'émerveilla sur ces anciens habitants, concluant qu'ils avaient appris à lire et écrire. C'était pourtant un savoir très précieux à cette époque.
Rachel ne pouvait détourner le regard de la créativité artistique qui garnissait les murs, malheureusement presque effacée dans sa totalité. Elle admirait chaque détail, jusqu'à ce que ses yeux s'arrêtent sur quelque chose d'étrange. De très – trop – contrasté avec le reste.
Sur le mur de droite, des cordes pendaient d'une poutre au plafond. Il fallait légèrement lever la tête pour en apercevoir toute la mise en scène.
La demoiselle s'en approcha, intriguée par l'étrange décoration. Au bout de chaque corde pendait une poupée de chiffon attachée au niveau de la gorge. Elle déglutit. Un jeu macabre dansait devant ses yeux. Une exposition aux allures du procès des sorcières de Salem.
Ce n'était pourtant pas le seul motif de son malaise : en face de ce même mur, un très grand message était écrit, encré dans la pierre : « Les règles ne doivent pas être transgressées, quiconque ose les enfreindre devra verser de son sang pour se purifier ». Un message morbide, signé d'une certaine « Jenn ».
Elle se souvint avoir lu ce nom dans les dossiers des enfants. Cette fille avait été une orpheline, enlevée avant d'arriver ici. Les enfants gouvernaient-ils entre eux ? Ou était-ce simplement un jeu de dissuasion ?
Rachel songea, laissant vaquer son imagination vers différents scénarios. Elle imagina un groupe de jeunes filles aux robes élégantes, aux couleurs affriolantes. Elle pouvait entendre leurs voix guillerettes emplir la pièce. Leur pas dansant autour de la table. Elle les voyait rire dans leurs meilleurs jours, et pleurer dans les pires.
Son regard perdu dans le vide se concentra de nouveau vers les poupées suspendues. Elle imagina alors cette fille à l'air hautain, le menton relevé, le visage dur, s'approchant du mur. Elle l'imagina parler, d'une voix forte et autoritaire. Ses camarades se tournèrent vers elle. Les mots qu'elle laissa échapper de ses lèvres n'étaient qu'un mélange de son que la bourgeoise imageait dans sa tête. Des spéculations d'un passé fictif. Rien de concret, uniquement des suppositions, en voyant l'enfant écrire sa phrase sur le mur. Peut-être que les autres s'arrêtèrent face au spectacle, la peur au creux de la poitrine ? Ou peut-être qu'elles en rirent, la scène faisant partie d'un jeu ?
Revenue à la réalité, elle sourit face à cette fausse mise en scène. À quel point était-elle proche de la réalité ?
Ses yeux s'arrêtèrent vers les tables. Elle s'en approcha, curieuse de s'imprégner plus encore de ces anciens vestiges. Deux socles à bougie trônèrent au centre. Des feuilles volages et des livres trainaient partout.
Les quatre chaises autour portaient chacune une inscription, un prénom plus précisément. Il y avait là « Jenn », « Emily », « Élisa » et « Lydia ». Quatre orphelines aux vies sans doute déchirées entre un passé et un futur. Le nom de Lydia, bien qu'il fût toujours visible, était souillé et crayonné. Sur les feuilles, elle pouvait apercevoir divers dessins. Ceux du dessus étaient quelque peu dérangeants.
Ils représentaient une créature étrange, à la bouche béante, au corps bouffi et aux yeux rouges. Pourquoi dessiner une créature des cauchemars les plus fous ? Était-ce une légende que les enfants faisaient circuler entre eux pour s'amuser ? Ou était-ce une histoire racontée par les propriétaires pour calmer les plus turbulents d'entre eux ?
Il y avait-il eu des rires ici, il fut un temps ? Ou est-ce que l'horreur ne fut que le commun d'une enfance détruite ? Tout cela ne faisait plus qu'alourdir l'atmosphère, rappelant à la bourgeoise qu'elle se trouvait dans un vieil orphelinat, abandonné dans la pénombre et l'insalubrité. Les murs écorchés par des fissures, le sol jonché de débris provenant du plafond écaillé. Le silence assourdissant qui laissait chaque pas résonner dans les couloirs. Une solitude effroyable pour un lieu auparavant animé.
Une solitude qui se faufilait à présent dans ses veines. Elle était seule, en tête à tête avec elle-même. Dans un vide incroyable, sans personnes à qui parler, sans personnes pour venir la chercher.
Cachée sous son malheur, elle rêvait de pouvoir revoir la scène du passé, comme dans une pièce de théâtre. Comprendre ce qui avait conduit le lieu à être délaissé de la sorte. Les pensées perdues dans un autre monde, elle rangea les feuilles sans logique apparente. Elle essayait d'en décrypter certaines, malheureusement effacées par le temps.
Une page attira son attention plus qu'une autre. La curiosité happa de nouveau Rachel dès la première ligne. L'écriture était difficile, presque illisible à certains endroits, mais elle put lire ceci :
« Mon cher journal. 23 janvier 1791
Aujourd'hui, il y a eu du soleil, alors je suis allée jouer près de la rivière.
Jenn a encore crié et Monsieur Smith s'est énervé contre moi. »
Rachel manqua un battement de cœur. La réalité du passé n'aurait pas pu mieux se présenter à elle que sous cette forme. L'excitation parcourut tout son corps, comme une décharge électrique. Elle continua :
« C'est pas juste ! J'aime pas quand il se fâche. Il dit des choses méchantes et il me confisque Anny.
Je préfère Miranda, elle est gentille et vient me voir quand je pleure. Elle nous raconte des histoires le soir et nous fait des gâteaux aussi.
Cette fois, Monsieur Smith n'a pas pris ma poupée, parce que je l'avais laissé dans ma chambre. Je la mets dans mon coffre, comme ça il ne peut pas la toucher.
Une fois, j'ai oublié de le fermer à clé, et Jenn m'a volé Anny. Elle est trop méchante ! Elle a voulu me faire chanter avec ça. C'est pour ça que j'ai cherché à me venger ce jour-là. Je sais ce dont elle a peur. »
Rachel sursauta. Levant les yeux des écritures, elle se concentra sur le bruit qu'elle venait d'entendre. Des pas, encore. Cette fois, ils ne furent pas très longs. Alors, elle ne s'en préoccupa pas...
Mais elle aurait dû...
Après tout, s'ils s'étaient arrêtés, c'était parce qu'ils venaient juste d'atteindre leur destination : la porte du dortoir féminin.
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