➳ Rencontre ? [bonus] ❄️

Quand Aleksi rencontre Alexis...

   La neige tombait à gros flocons dans le soir d'hiver, à cette heure vide entre chien et loup. Le parc était sombre, étendu sous le voile d'un silence de givre. Une rangée de lampadaires perçait difficilement de leurs lumières blêmes le crépuscule ouaté. Sous l'un d'eux se tenait une silhouette emmitouflée dans un long manteau, qui observait tranquillement les volutes de fumée de sa cigarette se fondre dans le brouillard.

Une ombre furtive se détacha de la brume blanche en trottinant vers la première. Elle la hèla doucement :

« Requiem ? J'ai un problème avec ...

Elle stoppa net sous le regard perçant de l'homme, s'apercevant soudainement de sa méprise.

— Excusez-moi ... Je vous ai confondu avec quelqu'un d'autre.

Gêné par le regard translucide du jeune homme à la cigarette, il bredouilla d'autres excuses en passant son poids d'une jambe à l'autre.

— Ce n'est rien, l'interrompit le premier d'une voix trop rauque, peut-être sous l'effet du froid glacial.

Il avait l'air plongé dans ses pensées, et le second semblait tout aussi déboussolé. Ce dernier, de toute évidence le plus jeune, se taisait, hésitant. Il entra lentement dans le cône de lumière, dévoilant un épais passe-montagne assorti d'un bonnet et de curieuses lunettes de soleil, dissimulant entièrement son visage.

— Combien de temps vas-tu rester devant moi à me regarder ? Ma beauté t'éblouit ? lança finalement le plus vieux.

— Sûrement pas, grogna l'autre. C'est juste qu'à cette heure-ci, toute personne sensée s'est cloîtrée bien au chaud chez elle.

— Je ne suis pas une personne sensée.

Il le zieuta de haut en bas en soufflant un panache de fumée bleue et haussa un sourcil.

— Je suis sûrement plus sensé que toi, tout compte fait. Pourquoi cet accoutrement ?

Le petit marqua un temps d'arrêt, partagé sur la conduite à tenir. Finalement, il se retourna, offrant son dos à la vue de son interlocuteur.

— Je ... J'ai ce qu'on pourrait appeler une maladie de peau. C'est assez moche.

Il enleva lentement ses lunettes avant de lui faire face à nouveau, dévoilant une peau grisée à la texture légèrement rugueuse, et des yeux luisants sans pupilles ni iris.

— Monstrueux, n'est-ce-pas ? Ricana-t-il.

Le silence repris momentanément ses droits, à peine troublé par le délicat froissement de la neige qui tombait.

— C'est... un style assez... particulier, obtempéra le plus vieux. Ça plairait bien à une personne que je connais.

— Tu parles ! grinça le petit.

— Si, elle aime tout ce qui est « anormal ». Bref, que fais-tu dehors, seul, à cette heure-ci ?

— J'attends ... quelqu'un, répondit prudemment le plus jeune. Et toi ?

Il écarta les bras d'un geste détaché. Sa cigarette était éteinte depuis longtemps. Il jeta le mégot dans une poubelle, contrairement à d'autres qui se contentaient de les abandonner à même le sol.

— J'allais rentrer chez moi. Quoi ? Tu me prenais pour un tordu qui s'amuse avec les scies-sauteuses et qui met les morceaux restant dans le frigo ?

Le second émit un léger rire.

— Je m'en doutais. Comment t'appelles-tu ?

— Aleksi. Et avec un « k », rajouta le fumeur.

— C'est drôle, moi aussi. Mais avec un « x ».

— C'est plus cool avec un « k ».

— Mouais. Qui est cette personne ?

— Une amie.

Alexis soupira, les yeux perdus dans le vague. Il tira un peu sur son écharpe pour la desserrer puis reprit :

— Profite. Les vrais amis, c'est rare.

Aleksi lui jeta un oeil intrigué :

— Je le sais mieux que quiconque, tu peux me croire, affirma-t-il

— Qui sait ? lui retourna l'autre avec un sourire trop large, mais empreint de mélancolie. Le problème des proches, c'est qu'on les fait souvent souffrir et vice-versa.

   Autour d'eux, le monde semblait s'être délayé dans la nuit d'encre, comme si le cours des choses ne devait jamais changer. Comme ces flocons qui sombraient sur le sol poudreux, les deux jeunes hommes se muraient chacun dans leurs souvenirs.

— Allez, assieds-toi à côté de moi. Tu me fais pitié là, devant moi. On dirait un épouvantail.

— Tu t'es vu avec tes cheveux en pétard ? marmonna Alexis.

Néanmoins, il s'assit à côté de lui, sous son rire autodérisoire.

— Alors, reprit le premier, redevenu sérieux, qu'est-ce qui te rend si triste ?

— Tu as vraiment envie de savoir ? grimaça l'autre. Ok. Alors en fait, je suis atteint d'une sorte de malédiction millénaire hérité d'anges extraterrestres qui me transforme régulièrement en monstre sanguinaire. Mais comme si ça ne suffisait pas, je me suis engagé malgré moi dans une guerre des gangs entre les-dis anges et une organisation secrète qui contrôle le monde, afin de sauver ma famille. Ah oui, j'ai oublié, et la fin des temps approche, aussi.

Il offrit à Aleksi un sourire contrit :

— Et toi ? Avec tes airs de poète maudit, tu dois bien avoir quelque chose à raconter.

— Mouais, ce n'est pas aussi tiré par les cheveux que toi, répondit l'intéressé. Je suis flatté que tu me compares à un poète maudit, si on oublie le fait qu'ils finissent mal.

— Tu ne tais jamais, hein ?

— Non. Alors, je vais te la faire courte : tu prends une fille différente des autres, tu la mets au milieu de personnes fermées d'esprit et tu bandes les yeux des seuls qui ont un peu de jugeote. Effet garanti. Clair, rapide et efficace. Descente aux Enfers, mes salutations à Satan et au revoir lumière, peut-être croiserai-je celui qui te porte. Je m'égare. Bref, c'est mon amie et je fais de mon mieux pour qu'elle se sente moins seule.

Le petit ferma les yeux, mâchoire serrée.

— C'est elle ? Comment gères-tu ?

— Je... Je me débrouille, souffla-t-il. C'est assez compliqué. Mais... Et toi ? Tu m'as dit de profiter, pourquoi ?

— En un instant, toutes mes certitudes ont été balayées et je me suis retrouvé au milieu d'une situation impossible, emporté par les évènements sans savoir que faire. Je ne sais plus à qui me fier : entre ceux qui poursuivent des buts plus que nébuleux, et ceux ... et celle qui s'éloigne et se dissimule dès que je tente de l'approcher... Enfin bref. La confiance est un bien très précieux. Alors ne la dilapide pas. Il soupira : J'espère sincèrement que vous vous en sortirez.Tu sais, c'est étrange, mais je ne pensais pas être encore capable de m'attacher aux gens.

— La vie est comme ça. C'est une série de bizarreries. Et de paradoxes. Et d'imprévus. Et de chocolat. Tu crois que tu contrôles, mais tu ne contrôles rien du tout. La vérité, c'est que tu t'engages malgré toi dans des trucs dont tu n'as pas idée, dans le seul but d'aider les gens que tu aimes. Mais au final, comment peux-tu les sauver si tu ne peux pas te sauver toi-même ? Tu sais, je pense que la capacité qu'on a de ressentir, de s'attacher, est ce qui nous détermine. Tant que tu es humain, elle reste. Ce qui fait que tu n'es pas monstrueux mais aussi humain que moi. Tu vois, tu as l'honneur d'être au même niveau que moi !

Alexis sourit faiblement :

— Si tu le dis. ça ne m'empêche pas d'avoir peur de ne pas être à la hauteur. Comme tout le monde, je présume.

   La nuit reprit ses droits, seulement ponctuée par la respiration paisible des deux garçons, en légers panaches de vapeur. Le temps semblait figé dans une gangue de glace, leurs pensées abandonnées capturées par la neige. Puis le petit se redressa en grognant légèrement, brisant l'harmonie :

— J'aurais aimé te rencontrer dans une autre vie. »

   Il s'en fut dans la brume, masse sombre dans les ténèbres claires. Et l'espace d'un instant, Aleksi crut voir la silhouette grandir et déployer des ailes immenses. La seconde suivante, tout avait disparu.

NDA : Le personnage d'Alexis est le héros du roman « Pour un coeur de pierre » de HyacintheAtkynn , n'hésitez pas à aller la suivre et à lire ses œuvres ! Vous ne serez pas déçu(e)s ! :) C'est donc à deux que nous avons écrit ce texte (c'est elle qui a eu l'idée) et on espère qu'il va vous plaire ! :) Vous pouvez également le retrouver dans son histoire !

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