7 ~ Astéria ☆
« L'expérience prouve que celui qui n'a jamais confiance en personne ne sera jamais déçu. » — Léonard de Vinci
Je marche le plus vite possible, je veux m'éloigner de ce lycée. Ma joue me brûle encore un peu, mais ça devrait passer. Ce n'est rien. Aleksi a bien fait de me tirer en arrière ; je n'aurais jamais pu me défendre. Je dois changer ça. Qu'aurais-je fait s'il n'avait pas été là ? Je dois être irréprochable. Je ne sais pas me défendre. On dit toujours que les petits sont rapides ; ça n'a pas marché. Il faut que j'évite de les provoquer, mais j'en ai assez de me laisser faire.
Je chute dans un caillou, énervée contre moi-même. Je mets mes écouteurs et écoute un peu de musique, avec l'espoir que cela finisse par me calmer et me faire penser à autre chose. Je m'absorbe dans les paroles et la mélodie ; et l'effet est presque immédiat.
J'ai bien fait de me défendre un peu, au moins, cette fois, j'ai eu un peu de fierté. Et puis, Aleksi a empêché Lana de me frapper. Elle ne l'avait pas fait jusqu'à aujourd'hui. Je vais devoir trouver une solution pour ne pas que cela se reproduise.
Lorsque j'arrive chez moi, l'incident est déjà oublié. Je pose ma veste sur le porte-manteau ainsi que mon écharpe et vais au salon pour saluer mes parents. Ma mère caresse ma joue et fronce les sourcils, repoussant les mèches rousses que j'aie héritées d'elle.
« Tu t'es fait quoi à la joue ? me questionne-t-elle
Je feins la surprise et jette un coup d'oeil à mon reflet en face de moi. Ma joue est légèrement rosée. Ça se voit à peine, mais ma mère remarque tout.
— Je me suis cognée contre une porte, au lycée, je prétexte
Elle hoche simplement la tête et mon père semble se demander comment ma mère peut voir que j'aie la joue rouge alors que lui n'a rien vu.
Je dépose mes affaires dans ma chambre et m'installe sur mon lit. Je prends le manga que j'ai commencé à lire la veille et décide de lire un peu. J'aime beaucoup en lire, et puis, je n'oublie pas que c'est en lisant des manga que j'aie appris à dessiner des personnages, ou plutôt à me perfectionner.
En lisant une page, l'envie me prend de dessiner les personnages comme sur cette planche. Le livre à la main, je me rue sur mon bureau et commence à esquisser les contours. Je m'applique du mieux que je peux pour que cela ressemble au manga le plus possible. Quand je suis satisfaite du résultat, je m'empare de crayons plus et moins gras et m'attaque aux ombres, afin de donner plus d'épaisseur et de réalisme au dessin. C'est un vrai bonheur de voir un dessin prendre vie.
Quand j'ai terminé, je regarde mon dessin avec ce même oeil qu'ont les scientifiques quand ils découvrent quelque chose et qu'ils s'assurent de n'avoir fait aucune erreur, avec la même flamme qu'avaient Roméo et Juliette lorsque leurs coeurs se voyaient, et je me sens satisfaite. Mais, ce sentiment ne va pas durer. Dès demain, lorsque je regarderai ce dessin, j'en verrai tous les défauts et le haïrai. C'est comme ça pour tout depuis longtemps.
~
Je marche dans Orlando. Je ne sais pas où je vais. Je ne pense pas. Mon sac à dos balançant contre mon épaule, j'entre dans un parc et m'assois sur un banc. Je suis dans une allée au sol recouvert de pavés gris. Au fond de cette allée, une fontaine se dresse avec ses statues, des anges, et je ne peux m'empêcher de m'en approcher pour observer les détails avec lesquels l'artiste les a sculptés, les détails sur le visage, les cheveux, le drapé des vêtements. Sans m'en rendre compte, j'imagine le sculpteur au travail, creusant la pierre par endroits de ses mains passionnées et regardant son oeuvre d'un oeil enflammé. J'en oublie même la raison pour laquelle je me suis retrouvée ici, à savoir que je passe trop de temps enfermé à lire et à dessiner, et que je devrais prendre l'air. Un vent froid s'engouffre par tous les pores de ma peau, et je soupire. Malgré moi, j'enfouis mon nez dans mon écharpe et mes mains dans mes poches.
— Décidément, tu es partout, fait une voix grave que je reconnais comme étant celle d'Aleksi.
Je me retourne, et il est effectivement à quelques pas de moi, un sourire amusé flottant sur ses lèvres.
— C'est plutôt toi qui es partout, je réponds, pensant qu'il m'avait surprise de la même manière la dernière fois.
Il lève les bras en signe d'innocence.
— Je viens ici chaque samedi depuis des semaines, et c'est la première fois que je te vois. Qu'est-ce qui t'amène ici ?
— Il paraît que je ne sors pas assez. Je souris. Finalement, mes parents n'avaient pas eu tort de me faire sortir prendre l'air.
— Oh, je vois.
Il me fait un petit sourire avant de me proposer de m'asseoir sur un banc pour discuter. J'accepte et on s'installe sur l'un des premiers de l'allée.
— Et donc ? Qu'est-ce que tu aimes à part la lecture et le dessin ? reprend Aleksi
— Eh bien, c'est tout, je réponds, je n'ai pas d'autres passions. Et toi, la musique, je crois non ?
— Oui, je joue de la guitare, de la basse et du piano. Comment le sais-tu ?
— Simple déduction, j'hausse une épaule. Tu fais option musique alors je me suis dit que tu devais bien aimer. Et puis, l'autre jour, quand on parlait d'arts, tu as immédiatement cité la musique
— Pas mal, commente-t-il
— Et puis, un jour tu m'as dit que tu écoutais du rock, je lui rappelle
— Je crois que tout le lycée est au courant de ça, étant donné que j'ai aussi droit à mon surnom affectueux, ironise-t-il, qui eût cru que porter un tee-shirt d'un groupe de rock en début d'année entraînerait tout ça ?
— C'est comme ça, je soupire, ne sachant que dire d'autre.
C'est vrai qu'il a aussi droit à ses piques quotidiennes, mais toujours est-il que ce n'est pas aussi prononcé que les miennes.
— Bien que j'aie moins de surnoms sur la palette que toi, ajoute-t-il
Je soupire.
— Ils ne manquent pas d'imagination.
— Non, ils sont juste étroits d'esprit, objecte Aleksi. C'est à se demander si ça leur arrive de réfléchir et de se regarder dans le miroir ! Non mais franchement, tu as vu le visage de Lana ? Et celui d'Alison ? Ce n'est même plus un pot de peinture étalé à la truelle, c'est... pire que la palette de Picasso ! Tout à fait le genre de filles que tu retrouveras siliconnée de la tête aux pieds dans moins de dix ans et qui ne jureront que par ça !
Je m'esclaffe devant son air dégoûté.
— Tu es dur avec elles, là. Ce n'est pas si terrible.
— Non. Je ne respecte pas ce genre de personne-là qui ne respecte pas les autres et qui s'amusent à humilier une fille pour « s'amuser ».
— Mais peut-être que cette fille le mérite, je murmure
— Non, cette fille ne le mérite pas. Personne ne mérite ça. Astéria, ce n'est pas toi qui a un problème, d'accord ?
J'hoche la tête, même si je ne suis pas convaincue. Je crois qu'il s'en rend compte car il soupire avant de s'appuyer sur le banc. Peut-être qu'il s'est rendu compte que je suis ennuyeuse et qu'il va partir. Mais, c'est Aleksi. Il n'est pas comme les autres que j'ai déjà rencontrés. Alors, il reste. Parce qu'il doit savoir qu'il y a des moment où on a juste besoin de la présence de quelqu'un pour ne pas se sentir seul. J'écoute le bruit des moteurs des voitures qui passent en fixant l'arbre en face de moi qui a perdu toutes ses feuilles. Nous allons entrer dans la période hivernale.
— Ça va faire dix-huit ans que ma mère est morte, et dix-sept ans que mon père est mort, lâche brutalement Aleksi, brisant le paisible silence du parc.
Je lui jette un regard à la fois surpris et désolé. Il regarde droit en face de lui et ses cheveux bruns volent dans tous les sens. Je ne comprends pas pourquoi il me dit ça maintenant. Peut-être qu'il besoin d'en parler ; au quel cas je l'écouterai. Ses iris bleus comme le froid se posent sur moi, et je frissonne, ayant l'impression qu'il me sondait.
— Je... Je suis désolée, même si ça n'y change rien, je souffle.
Il regarde au-dessus de ma tête avant de reprendre :
— Ils se sont suicidés à un an d'intervalle.
— Je... je ne sais pas quoi dire, je bégaye
— Alors ne dis rien. Je suis désolé, j'avais besoin de te le dire.
— Ce n'est rien. Comment tu l'as vécu ?
— Bah, je ne les ai jamais connus, je n'ai aucun souvenirs d'eux. Ça m'arrive d'éprouver de l'amertume quand je pense à eux car je ne comprends pas la raison de leur acte.
— On ne te l'a pas dite ? je questionne
— Non, on ne m'a rien dit du tout. J'ignore tout d'eux. Parfois je me dis que c'est bien car ça m'a aidé à faire mon deuil. D'autres fois, je me dis que j'aimerais bien comprendre. Je n'y changerai rien, mais j'aurai l'esprit tranquille. Je ne peux que supposer. Et l'ignorance est la pire des choses.
— Tu penses à quoi, toi ?
— Je ne sais pas, je me dis qu'il a dû se passer un truc important pour que deux parents se tuent à un an d'intervalle. Ma tante ne veut rien me dire. J'ai cherché dans les articles de l'époque, mais la seule chose de mentionnée est « suicide inexpliqué de deux parents ». Apparemment, ils n'ont laissé aucune lettre, rien.
— Oh... je vois.
J'ai de la chance d'avoir mes deux parents. Et il a fallu qu'Aleksi me dise qu'il a perdu les siens pour que je m'en rende compte.
— Mais, ça ne sert à rien de vivre sur le passé. Je suis persuadé qu'il faut avancer.
— Plus facile à dire qu'à faire, je commente
— Ça dépend des gens, réfute-t-il. Certains s'en sortent plus facilement que d'autres.
Un silence s'installe mais ça n'a rien de désagréable. J'observe les quelques pigeons picorer le sol, à la recherche de nourriture et réfléchit aux paroles d'Aleksi. Je ne sais pas pourquoi il m'a dit tout ça. En tout cas, ça n'a pas dû être simple pour lui et sa soeur.
— Et toi ? Ça va, depuis hier ? Je veux dire, tu es partie assez rapidement, hier soir.
— Tout va bien, je réponds. Ce n'était rien, de toute façon.
J'ai toujours tendance à exagérer les choses.
— Je ne pense pas que ce n'était rien.
— De toute façon, personne ne dit rien, je dis, amèrement. Je mords la lèvre. Je n'ai pas contrôlé mes paroles.
— Et alors ? Ça ne veut rien dire.
— Qui ne dit rien consent, Aleksi, je soupire, peu convaincue
— Et le silence est le meilleur des mépris, réplique-t-il
— Non, ça ne marche pas ! Ne rien dire ne change rien, ça fait même empirer les choses, comme hier ! Je n'aurais jamais dû les ignorer comme je l'ai fait.
— C'est ce que je disais, ce n'est pas rien. Si tu veux parler, je suis là. J'écouterai.
Je l'observe un instant, hésitante. Si je continue sur cette lancée, je risque de craquer, et ce n'est pas ce que je veux.
— J'ai appris à ne pas faire confiance aux gens. Je suis désolée, je finis par dire.
— Les huîtres fermées finissent toujours par révéler leurs secrets, Astéria. »
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Bonjour/Bonsoir !
Que pensez-vous de ce chapitre, de l'histoire en général ? :)
Comme vous pouvez le constater, R & J porte le tag et l'autocollant Peculiar&Beautiful. Ce projet est géré par le compte du même nom (PeculiarAndBeautiful ). C'est un mouvement qui défend la différence et si comme moi vous êtes contre le harcèlement, les discriminations, le racisme, etc... ce mouvement est fait pour vous ! :) N'hésitez pas à jeter un œil à leur profil et aux histoires portant le tag et l'autocollant ! :) C'est vraiment un très beau projet et je suis heureuse d'en faire partie !
Et puis, je ne sais pas si je l'ai déjà dit, mais R & J me tient beaucoup à coeur alors je tenais à vous remercier de la lire !
Bref, sur ce, je vous souhaite une bonne soirée ou une bonne journée et je vous dis à très vite pour le chapitre 8 ! :)
Honey.
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