5 ~ Astéria ☆

« Je me crois en enfer, donc j'y suis. » — Arthur Rimbaud

J'ai passé toute la récréation avec Aleksi et puis Flora nous a rejoints avec trois gobelets de chocolats chauds. Tout deux sont très gentils et c'était adorable de la part de Flora de nous avoir ramené des boissons chaudes. Le temps s'était rafraîchi et j'avais dû reprendre mon écharpe. Flora m'avait d'ailleurs complimentée, me disant que cela mettait en valeur mes cheveux et mes yeux. Je l'avais simplement remerciée en bafouillant. Je ne savais pas comment le prendre, je n'ai pas l'habitude d'être complimentée.

Je suis maintenant chez moi et je viens d'envoyer un message à Aleksi et un autre à Flora qui m'a aussi donné son numéro. J'ai un peu discuté avec chacun d'eux avant de me coucher, sentant mes paupières s'alourdir. Aujourd'hui ma journée a été assez calme, il n'y a pas eu d'événements particuliers et ma morosité du matin s'est envolée avec ma matinée . Parler aux jumeaux m'a fait du bien. Pour une fois, je me suis sentie presque normale. Même les remarques que Gary, Daniel, Alison et Lana m'ont faite après lors du cours d'histoire ne m'ont pas blessée. Je ne les ai pas entendues. En même temps, après les dessins, je ne vois pas comment ça peut être pire. Je frissonne rien qu'en y repensant et me tourne de l'autre côté, décidant plutôt de penser aux jumeaux. Je les connais à peine, et ils sont l'air d'être pleins de bonnes intentions. Mais je dois quand même faire attention, on ne sait jamais. Je finis pas m'endormir, à croire que les insomnies à répétition ont fini par me fatiguer au point de pouvoir avoir une nuit complète.

~

Au matin, mes yeux sont collés et je peine à me lever. Je grogne en entendant la porte d'entrée claquer à dix minutes d'intervalle. Mes parents sont partis travailler. J'ai encore une heure devant moi. Je me retourne et tente de me rendormir, mais mes pensées se tournent vers le lycée, et je sens une boule se former au creux de ma gorge. Je sens ma respiration s'accélérer et bientôt je suffoque presque tant ma respiration est saccadée. Je ne veux pas y retourner. Pourtant je n'ai pas le choix. Ma poitrine est pleine de soubresauts et je perds le contrôle sur mes tremblements. Je respire par à coup et sans que je ne puisse expliquer pourquoi, des larmes brûlantes coulent le long de mon visage. Je lâche prise et mes tremblements se font plus violents. Tout devient flou dans ma tête et je suis incapable de trier mes pensées et tout s'emmêle.

« J'ai peur, je ne veux pas y aller mais j'ai déjà vu pire, je sais rester forte. Je peux survivre à cela, non je ne pourrai pas. Qu'est-ce qui m'arrive ? Pourquoi je ne contrôle rien ? Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi je tremble autant ? Je pleure ? Mais je ne m'en suis pas rendue compte ! Je dois me reprendre, ce n'est rien, ça va passer. » Je me raisonne et tout doucement, mon esprit brumeux devient plus clair, mes larmes s'évaporent comme elles sont arrivées, ma respiration se fait plus calme et mes tremblements s'atténuent avant de disparaître complètement. Épuisée, je me rendors.

C'est avec le visage pâle et l'esprit tout engourdi que je me lève ensuite, arrachée aux bras de Morphée par mon réveil que j'aurais aimé jeter par la fenêtre. Pourquoi a-t-on inventé les réveils ? Tout le monde les déteste et ils ne font qu'hurler pour nous rappeler qu'une longue et difficile journée nous attend.

Je me prépare et pars pour le lycée sans rien manger, ayant l'estomac noué. Je fais comme hier et prends le chemin le plus long, ne voulant pas arriver trop tôt. Avec mes écouteurs enfoncés dans les oreilles, mon téléphone dans ma poche, mon sac à dos balançant contre mon épaule, j'ai presque l'air d'être une fille normale. Tête baissée, je progresse parmi les rares passants. Certains me dévisagent car j'ai sûrement l'air triste, alors qu'en réalité je suis juste plongée dans mes pensées. Tout va bien, c'est juste moi qui parfois réagis de manière exagérée. Ce n'est pas de leur faute si je prends tout au premier degré, et puis ils n'ont pas tord à mon sujet. C'est vrai que je suis horrible. Un monstre. Parce que je ne correspond pas à la normalité. Alors ils ont raison de me le faire remarquer, au moins je peux essayer de corriger tout cela ou bien dissimuler une partie. Je pense qu'ils arrêteront quand je serai comme eux. Mon ventre gargouille et je décide de m'arrêter à une boulangerie de la rue. J'achète un cupcake au chocolat ainsi qu'un café au lait. Je mange en marchant et ralentis quand j'arrive à proximité du lycée. Je jette mon gobelet vide et marche jusqu'à l'entrée. Mon estomac se tord et je redoute à nouveau d'arriver. J'aimerais tellement que le temps s'arrête. Pourquoi ne puis-je pas, comme dans les films et les livres, manipuler le temps à ma guise ? L'arrêter, l'accélérer, le ralentir, retourner en arrière et corriger mes erreurs, empêcher les pires évènements d'arriver, etc.

Mes bonnes pensées s'envolent en même temps que les feuilles mortes sur le sol. Je ne sais pas comment sera ma journée, sûrement un miroir de toutes celles que j'aie vécues jusqu'alors.

~

Leurs paroles me reviennent sans cesse à l'esprit. Pourtant, elles ne devraient pas. Je devrais ignorer et garder la tête haute pour regarder le ciel, mais ça fait longtemps que je regarde le sol. Je devrais oublier leurs mots qui ne me causent que des maux. Je crois que c'est ça le pire, tantôt j'en ai conscience tantôt je ne m'en rends pas compte. J'oscille en lucidité et aveuglement. Et le plus destructeur, c'est que je le sais.

« Si seulement elle n'était pas là » avait laissé échapper une fille de ma classe. Tu sais, je n'ai pas choisi d'être là, moi aussi je voudrais bien ne pas être là, moi aussi j'aimerais bien que je disparaisse. Ça serait mieux pour tout le monde. Mais je n'ai pas ce pouvoir-là alors je suis condamnée à rester et eux sont condamnés à me supporter. Je les plains.

Je n'en peux plus de ces gens faux, qui ne pensent qu'à eux et se cachent derrière des tas d'artifices, sous un masque, finalement. Ils font semblant. Je suis ce que je déteste. Je les méprise autant que je me méprise. Non. Je les estime, car ils n'ont pas peur de s'afficher avec leurs artifices bien que cela ne soit pas eux en tant que tels, même si ils font semblant, ils font bien semblant. Ils rentrent dans les cases et sont acceptés. C'est naturel pour eux, de se fondre dans la masse. Moi je dois changer pour pouvoir entrer dans le moule, mais ce n'est pas assez, je le sais. Ça ne sera jamais assez. Je ne pourrai pas être parfaite ; personne ne le peut. Mais j'aimerais bien. Ça me simplifierait la vie.

~

A quoi bon continuer à vivre si l'on est condamné à souffrir éternellement ? C'est la question que je me pose tous les soirs. Et je pense avoir trouvé la réponse : on a la frousse. C'est vrai, qui n'a pas peur de la mort ? Même le suicidaire qui escalade un toit éprouve de l'appréhension. Avoir peur, c'est dans la nature humaine.

Depuis qu'on est enfant, on nous répète que la vie est cruelle. Moi, je ne voulais pas l'entendre, et je voyais tout à travers un filtre transcendant le réel. Le monde était beau quand on savait comment le regarder. Aujourd'hui, la vie m'a punie et je vois le monde comme une succession d'évènements fades et dérisoires. Il n'y a aucun but. On ne sait pas pourquoi on est là. Et une fois qu'on a compris que la clé de notre existence réside dans l'incompréhension, on prend peur et on s'efforce de ne plus y penser. Alors, on se divertit. Mais pas forcément de la bonne manière.

L'homme n'est pas bon. Il n'y a qu'à voir ce qu'il fait à ces semblables pour s'en convaincre. Et puis, c'est commun à tous les êtres vivants. Quand une poule a le malheur d'être différente des autres, elles l'évincent. Elles se jettent dessus et la pincent à coup de bec jusqu'à ce que mort s'ensuive.

Et puis, là, une question s'invite dans notre esprit : pourquoi ? Je crois aussi pouvoir répondre. La peur. On a tous peur de ce qui est différent, de l'inconnu. Mais au lieu d'apprendre à connaître l'inconnu, on préfère l'effacer. C'est stupide. La clé de la richesse, par l'or, mais la richesse intérieure, c'est la différence. Mais, très peu de personnes le savent. On a tous tendance à détester nos opposés.

~

Si je tenais un journal de mes pensées, je serais bluffée par mes propres contradictions. Je ne sais plus. Je pense tout et son contraire, tout s'emmêle, tout se mélange, comme une goutte d'encre dans de l'eau. Mon esprit est marbré comme ces gâteaux au chocolat et à la vanille qu'on peut acheter dans les boulangeries.

J'ai hâte d'être à demain, car c'est vendredi, et vendredi, j'ai deux heures d'arts plastiques l'après-midi, le seul cours qui me plaise réellement. C'est mon seul moment de tranquillité, où je peux arrêter de me contrôler sans rien risquer. Vraiment, c'est mon plaisir de la semaine, c'est comme de l'eau dans des flammes, ou un petit coin de paradis au milieu d'un enfer déchaîné.

Je sais que je ne vais pas beaucoup dormir, c'est pourquoi j'enfile un vieux pull jaune et ouvre la fenêtre. Je m'y accoude et observe la distance qui sépare le sol du rebord. C'est haut, assez pour se faire mal en tout cas. Je relève la tête et regarde le ciel. La nuit est tombée depuis un petit moment déjà. Les étoiles sont déjà là. Je détaille les schémas qu'elles forment. Je ne tente pas de retrouver des constellations car j'imagine les miennes. Je vois des tas de formes et arabesques jusqu'alors inconnues. Ce sont les miennes.

Je ne sais pas combien de temps je suis restée à regarder le ciel. La nuit est claire et silencieuse. L'air est doux. Rien ne vient troubler la beauté de la nuit. Il ne fait ni trop froid ni trop chaud, c'est parfait. C'est une accalmie, un moment de pure douceur. Je respire enfin. Je me sens libérée. Oui, libérée de tout. Là, seule face au monde silencieux, j'ai l'impression de voler comme une colombe. C'est la liberté. Personne n'a le droit de nous l'enlever. Elle est unique et aussi fragile qu'un coeur.

Mes paupières se font lourdes. Elles se ferment d'elles-mêmes, je n'ai pas besoin de les forcer. Je suis épuisée. Je ferme la fenêtre et tire les rideaux. Je me couche et tire la couette sur mon corps. Je savoure ce moment ; c'est si agréable ! Je croirais nicher sur des plumes, des plumes de colombes. Mais pour combien de temps ? Ma petite accalmie va bien se terminer un jour. Je repousse cette pensée et choisis de me laisser porter par le courant de mes rêves, qui m'entraîne lentement mais sûrement dans un monde où tout est possible.

~

« Dégage, Sorcière ! s'exclame quelqu'un que je ne connais pas.

Je m'écarte des escaliers sur lesquels j'étais assise avant de me rendre compte que je ne gênais pas le passage. Je ne comprends pas pourquoi il m'a demandé de me pousser. Je lève la tête et regarde le garçon qui me fixe avec dégoût. Il a les cheveux roux, comme moi et personne ne semble le lui reprocher. Puis il se retourne, comme pour vérifier qu'il n'y a personne avant de soupirer. Il descend jusqu'à moi et je recule avant de me détourner.

—Attends !

Il m'a attrapé le poignet et il est en train de caresser le dos de ma main de son pouce. Je me dégage assez brutalement.

— Quoi ? je rétorque, froidement

— Je m'excuse.

J'hausse un sourcil et me retourne, prête à repartir.

— Je suis sincèrement désolé, répète-t-il d'une voix douce

Je le regarde sans ciller, à la recherche de mensonge dans sa voix ou dans ses yeux. Je sais que Gary est friand de ce genre de petit jeu-là, il envoie quelqu'un que je ne connais pas, il m'insulte et puis ensuite s'excuse et m'invite à parler. Et puis bizarrement, tout ce que je dis est retourné contre moi. Gary se sert ensuite de mes mots comme une arme pour me détruire. Sauf que je ne décèle aucune marque de mensonge, que cela soit dans l'inflexion de sa voix ou dans ses gestes qui paraissent sincères. Perplexe, je ne réponds pas.

— Je sais ce que tu dois te dire, que je suis un connard parmi tant d'autres qui te poignardera dans le dos plus tard. Il fait une pause avant de reprendre. Mes excuses sont sincères, je croyais que Gary était derrière moi.

— Tu t'es trahi tout seul, je réplique sèchement

Il fait comme s'il ne m'avait pas entendue et reprend :

— Je suis Nathan, Nathan Smith.

Il me tend sa main pour que je la serre. Je regarde ses yeux bruns me sonder et je finis par serrer sa main, méfiante.

— Astéria Redwood.

— Je sais, sourit-il, d'ailleurs c'est stupide que les gens te rejettent à cause de ta couleur de cheveux. Ce n'est qu'une couleur, rien de plus. Une jolie couleur, précise-t-il, avec un clin d'oeil.

Je lutte pour ne pas lever les yeux au ciel. Je sais qu'il est ami avec Gary et tout ce qui vient de Gary n'est pas bon pour moi.

—Tu ne vas pas dire le contraire, toi aussi tu as les cheveux roux, je déclare simplement.

Quelques instants plus tard, la sonnerie de fin de récréation retentit, me soulageant et m'empêchant de continuer cette discussion que je n'aimais pas.

—Bon, eh bien, à un de ces jours Astéria Redwood, conclut Nathan.

A ma grande surprise, il se baisse et embrasse ma joue, me faisant reculer. C'était...bizarre.

—Tiens, voilà mon numéro, me glisse-t-il en me mettant un morceau de papier dans les mains, me laissant bouche bée. Et il s'en va avec un sourire.

Je fronce les sourcils. C'est un peu trop rapide à mon goût. Je n'aime pas ça. Mes mains tremblent et mes joues brûlent. Il a embrassé ma joue. Il est bien le premier à faire ça. Il est ami avec Gary, ça je le sais. Sa tignasse rousse ne m'est pas inconnue, pas totalement ; je l'ai déjà aperçu. Je vais me méfier. Je ne lui enverrai pas de message et je ne l'appellerai pas.

Je pars pour ma salle de cours et mon trouble s'envole à la seconde où je franchis la porte de la salle d'arts plastiques. Je vois les yeux bruns de Rosine me fixer étrangement et elle détourne le regard dès que je m'en rends compte. Rosie fait partie des personnes que j'envie le plus. Elle est belle et personne ne l'insulte. Dépitée, j'observe un petit moment sa longue et magnifique chevelure brune, me disant que j'aimerais bien avoir des cheveux comme ça. Puis, je me concentre sur le professeur qui nous invite à sortir nos travaux entamés. C'est aujourd'hui la dernière séance, nous devons rendre nos dessins en fin d'heure. C'est un sujet court, un intermédiaire. Nous devons réaliser le dessin d'observation d'un objet de notre choix. J'ai choisi une bougie. Je la sors et vais chercher un briquet dans l'armoire au fond de la classe. J'allume ma bougie et attache mes cheveux, un sourire aux lèvres. J'adore ce moment, ce moment avant de commencer à dessiner où l'on est obligé de retenir notre main pour l'empêcher de prendre le contrôle du crayon sur la feuille. Et normalement, quelques secondes plus tard, c'est la libération. Mais, on me tapote l'épaule. Je me tourne et aperçoit Rosie qui me fait un sourire éclatant.

—C'est vraiment beau ! Tu as un sacré coup de crayon, bravo ! me complimente-t-elle

Je rougis avant de la remercier.

—Astéria, reprend-elle plus sérieusement, méfie-toi de Nathan. Je sais qu'il est venu te voir, mais crois-moi, ce n'est pas quelqu'un de bien.

J'hoche la tête.

—Je m'en doutais, je lui réponds.

Elle me sourit avant de repartir. Je me demande comment elle est au courant de ça. Je me rappelle ensuite que Gary lui court après, ce n'est donc pas étonnant qu'elle sache ça.

Je prends mon crayon et me mets au travail. J'ai deux heures pour terminer mes ombres.

~

Le cours s'est terminé bien trop vite à mon goût. Je remballe mes affaires et n'oublie pas d'écrire mon nom derrière mon dessin que je pose sur le bureau du professeur. J'espère avoir une bonne note. Je ferme ma veste et enfile mon écharpe avant de prendre mon sac sur une épaule. Je dois encore passer à mon casier récupérer quelques affaires.

Je sors mes clés et ouvre mon casier en fredonnant une mélodie qui me passe par la tête. Alors que je le referme, je sens quelqu'un me tapoter les deux épaules. Un cri de peur franchit mes lèvres tandis que j'entends le rire de Flora derrière moi.

—Tu m'as fait peur ! je ne peux m'empêcher de lui dire, alors qu'elle rit encore plus.

Un petit rire franchit ma bouche et je m'aperçois qu'Aleksi est à côté de moi, adossé aux casiers. Il me gratifie d'un petit sourire espiègle.

—Tu me remarques seulement maintenant ? J'étais déjà là quand tu as ouvert ton casier, me fait-il remarquer, moqueur

— Je ne t'ai pas vu, je lui avoue

— Oui, tu étais dans la lune !

— C'est enfin le week-end ! s'exclame Flora, je vais pouvoir dormir jusqu'à midi !

Elle me fait rire. Je range mes clés et prends mon sac à dos.

— Je ne sais pas si tu vas pouvoir dormir autant, tu n'as pas fait ta dissertation de philosophie, lui rappelle Aleksi, et comme tu mets huit heures à chaque fois...

— Oh ça va, si tu m'aidais, j'irais plus vite !

— Jamais de la vie !

— Je demanderai à Astéria, elle, elle m'aidera !

— Hors de question !

— Pourquoi ? Oh, je sais, tu as peur que j'aie une meilleure note que toi !

Aleksi roule des yeux tandis que j'éclate de rire.

— Parce qu'Aleksi arrive à avoir de bonne notes en philosophie ? je fais semblant de m'étonner

— Hé !

Ce dernier me donne un coup de coude, feignant d'être vexé, alors que Flora et moi rions de bon coeur. Et quand je vois la moue qu'il affiche, je ne peux m'empêcher de rire plus. Je ne sais pas de quand datait mon dernier fou rire, mais c'est bien le premier depuis longtemps. Je me sens presque heureuse.

A la sortie, je vois Gary, Nathan et leur groupe nous dévisager. Mais, je décide de ne pas baisser les yeux et je continue de rire. En cet instant, rien d'autre ne compte que ma joie, et mon sentiment de bien-être. J'avais presque oublié ce que c'était de se sentir bien. Au moins, j'ai droit à quelques moment de pure douceur.

— N'oublie pas de venir chez nous demain à quatorze heures pour l'anthologie, me rappelle Flora, redevenue sérieuse

—Elle est insupportable avec ça, soupire Aleksi alors que je m'esclaffe

—Ne rigole pas, elle me parle de ce truc dix fois par heure, grimace-t-il

—Je serai là, j'assure, je viendrai même dix minutes en avance rien que pour toi, je rajoute en regardant Flora

Elle me sourit. On traverse la route puis on se sépare. Flora m'étreint brièvement, me laissant un peu perplexe, et Aleksi se borne à me serrer la main.

Je prends le chemin de ma maison et fais un détour pour me racheter un bloc à dessin ainsi que de l'encre, mes derniers flacons cyan et magenta étant vides. Une fois mes achats terminés, je reprends ma route. Il commence à faire froid. Un vent glacial souffle, me faisant frissonner. Nous sommes à la mi-novembre, et l'hiver se lève enfin. Avant, le temps était plus doux et automnal. J'accélère le pas, rentrant mon nez dans mon écharpe.

Lorsque enfin, j'arrive chez moi, je trouve mes parents installés devant la télévision. Ils ne se disputent pas ni rien. Je les salue, heureuse qu'ils soient là tous les deux. Je range mes affaires dan ma chambre puis descends au salon les rejoindre. On regarde un épisode d'une série laissée aux oubliettes depuis longtemps, mais ce qui compte, c'est d'être ensemble. J'aide ensuite ma mère à préparer une entrée tandis que mon père commande des pizzas. J'aime ce genre de soirées, ça faisait si longtemps que je n'en avais pas passé des comme ça ! Rien ne va la plomber.

Après avoir mangé, je remonte dans ma chambre et me couche sur mon lit. Je suis trop fatiguée pour dessiner. Mes paupières sont déjà lourdes mais je sais que je ne pourrai pas dormir tout de suite. Je prends alors la romance que j'avais commencé à lire. C'était histoire d'une jeune lycéenne qui tombait amoureuse de son opposé, un garçon brutal et agressif. Cela vend du rêve sans vraiment en vendre, car dans la vraie vie je ne pense pas que je tomberais amoureuse d'un garçon comme ça. Mais qu'importe, la plume de l'auteur est si agréable que je dévore la totalité du reste de l'ouvrage. La fin est heureuse, et ça m'arrange bien car je crois que j'ai besoin de ce genre d'histoire où tout se termine bien. Je repose mon livre à côté de mon lit. J'aperçois Les Fleurs du Mal posées en dessous. C'est quand même étrange que personne ou presque ne l'ait lu, c'est pourtant très connu. Mais j'oublie souvent que les gens n'aiment pas la poésie ou n'aiment pas lire tout court, comme Aleksi. C'est vraiment dommage qu'il n'aime pas ça.

Je souris en me rappelant que demain, j'allais chez eux pour travailler. J'ai déjà une petite idée des poèmes qu'on pourrait assortir. Il est plus de minuit quand je coupe ma lampe pour dormir. Pour une fois, passer au jour suivant ne me dérange pas, j'ai même hâte.

~

Quand je m'éveille, il est presque dix heures. Ma mère est partie travailler et mon père ne travaille que l'après-midi. J'engouffre les pancakes que ma mère et moi avions fait la veille et je remonte pour m'habiller. Ensuite, je me décide à faire mes exercices de mathématiques et à répondre aux questions du document de biologie puis je termine par relire ma dissertation de philosophie que j'ai faite mercredi après-midi.

Après un repas vite avalé, je me prépare à aller chez les jumeaux. Je prends le bus pour gagner du temps puis me rends compte que je suis arrivée vingt minutes avant l'heure indiquée. J'ai oublié que je ne mettrais pas vingt minutes à venir mais dix si je prenais le bus.

—Tu es déjà là ? fait la voix grave d'Alexis

Je sursaute. Il est derrière moi. Je me retourne et l'observe. Ses cheveux bruns trop longs volent au gré du vent et ses iris aussi bleus que le froid sont rivés sur moi. Il porte une veste en cuir noir qui lui donne un air plus âgé et plus mûr. Il porte une cigarette allumée à ses lèvres et recrache la fumée qui s'envole dans le vent tout en m'observant. Je ne savais pas qu'il fumait.

— Je suis en avance, je réponds

— Je vois ça, commente-t-il avec un sourire au coin. Il me détaille de haut en bas et je me sens mal à l'aise. Il happe sa cigarette et aspire la fumée avant de la souffler lentement. Quoi ? fait-il, tu n'as jamais vu quelqu'un fumer ?

—Hum...si...je..., je bégaie et je m'aperçois que moi aussi je le regarde depuis tout ce temps, dé-désolée...

—Quoi, pour bégayer ?

J'hoche la tête, les joues en feu.

— Ce n'est rien, me dit-il en souriant, je ne vais pas te juger. J'ai bégayé jusqu'à mes dix ans pour la petite histoire, m'informe-t-il, tranquillement en reprenant une aspiration de fumée

— Vrai-vraiment ? je m'étonne

Il hoche la tête.

— Tu as l'air surprise, remarque-t-il

— Je ne pensais pas que... ça t'était arrivé, j'avoue

— Si tu savais ! fait-il, en riant et en soufflant à nouveau de la fumée que je regarde tournoyer autour de son visage fin

Comme je ne réponds pas, il reprend :

— Mais dans ton cas, je pense que c'est plutôt dû à de l'intimidation. Tu bégaies tout le temps quand tu es face aux abrutis de notre lycée.

— Tu ne me fais pas peur.

— Oh vraiment ? L'intimidation n'est pas seulement liée à la peur mademoiselle Redwood, vous qui aimez tant les mots devriez le savoir.

Je rougis et suis incapable de lui répondre quoi que ce soit sans bafouiller. Il s'esclaffe et termine sa cigarette. Il écrase le mégot de son pied et s'avance vers moi, me faisant me reculer, plus impressionnée qu'apeurée.

—Tu vois ? dit-il avec un sourire triomphant, je t'impressionne. Et tu aurais réagi de la même manière si Jace ou Daniel ou même cette peste de Lana s'était approché de toi comme ça. Conclusion, tu es impressionnée dès que quelqu'un s'approche de toi d'un air menaçant ce qui fait que tu bégaies. C'est lié à un manque de-...

— Tu n'as pas l'air menaçant, je le coupe

— Peu importe, c'est un exemple.

Ses prunelles bleutées ne me quittent pas des yeux, et j'essaie de détourner mon regard. Ça serait plus facile si ses yeux à lui n'étaient pas aussi hypnotisants.

— Tu n'es pas très grande, en fait.

— Quel scoop ! j'ironise, tu m'en apprends des choses

— Je faisais uniquement un constat. Il lève les mains en signe d'innocence.

Je lève les yeux au ciel et soupire.

— Tu viens ?

Il commence à marcher et je m'empresse de le suivre. On arrive très vite devant une maison aux murs jaune pâle. Un portail l'entoure et derrière il y a un jardin, comme toutes les maisons américaines. Aleksi pousse le portail et s'écarte pour me laisser passer. Je le remercie puis on rentre dans la maison. Je viens à peine de passer le seuil de la porte que Flora est devant moi, un cintre à la main et un sourire aux lèvres. Elle m'étreint pour me dire bonjour et m'enlève ma veste sans que je ne puisse le faire moi-même.

— Aleksi, râle-t-elle, tu sens la cigarette ! Elle range ma veste dans un placard avec celle d'Aleksi. Ce dernier ne lui répond pas et se contente de rouler des yeux, m'emmenant dans ce que j'imagine être le salon puisqu'il y a une table sur laquelle est déjà posé un ordinateur. Flora nous rejoint avec un exemplaire des Fleurs du Mal et s'assoit, m'invitant à faire de même. Aleksi s'assoit à côté de moi et je sors mon livre de mon sac. J'ai déjà mis des marque-pages aux textes que l'on peut associer. J'ouvre mon livre au premier poème et propose ma vision des choses, qui semble plaire aux jumeaux.

— C'est quoi, ça ? demande Aleksi

Il se penche au-dessus de moi et prend le morceau de papier qui servait de marque-page et l'observe.

— Le numéro de Nathan, je soupire

— Nathan ? Nathan Smith ? Flora fronce les sourcils et j'hoche la tête. Et en quel honneur t'a-t-il donné son numéro ?

— Justement, je réponds, c'est bien ça le problème.

— Il est avec moi en espagnol. C'est un vrai con. Elle secoue la tête. Excuse-moi du terme mais c'est ce qui le qualifie le mieux. Fais attention ; il est abject.

— Je ne compte pas lui envoyer de messages, je la rassure

— Tant mieux, il est du genre...mielleux et bourreau des coeurs.

— Un Don Juan, je résume en repensant avec malaise à son baiser sur ma joue

— Tout à fait, appuie Aleksi, en plus il traîne avec Gary, alors il ne pourra jamais être quelqu'un de bien.

— Même Rosie m'a dit de me méfier, j'avoue

— Tu peux être sûre qu'elle a raison, elle et Jace le connaissent bien. Ils étaient ensemble au collège, poursuit Aleksi, on était avec eux.

— Et Aleksi bavait sur Rosie jusqu'à il y a un mois, complète Flora tandis que celui-ci marmonnait des mots incompréhensibles. Il n'arrêtait pas de me parler d'elle, il n'avait que son nom à la bouche ! s'exclame Flora, me faisant rire alors qu'Aleksi rougissait

— Et ton premier baiser avec Jace ? grogne-t-il, tu veux que je lui explique tout dans les détails ?

— Oh là là, si on ne peut plus rigoler ! râle-t-elle en roulant des yeux

— Laisse Rosaline en dehors de ça, grommelle-t-il en lui jetant un regard noir

— Pourquoi ça ?

— C'est du passé, et tu le sais très bien.

— Il n'est pas drôle, râle Flora en me regardant

Je souris, un peu amusée par la conversation.

— Bon, on la fait cette anthologie ? » reprend-elle, en ouvrant son ordinateur.

*

Merci d'avoir lu !

N'hésitez pas à me donner votre avis ! <3

À très vite !

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