24 ~ Astéria ☄

« Un grand vaisseau d'or, au-dessus de moi, agite ses pavillons multicolores sous les brises du matin. » — Arthur Rimbaud

« Aleksi ?

— Qu'est-ce qu'il t'est passé par la tête, bon sang ? Jette-toi sur un alligator, ça ira plus vite ! crie-t-il

— Je-... je voulais juste... me promener, balbutié-je

— C'est si compliqué pour toi de te préserver ? Fais attention à toi ! continue-t-il, ignorant royalement mes paroles

— Alek ? Il se passe quoi ? fait la voix ensommeillée de Jace

— Rien ! aboie-t-il, Astéria Redwood est inconsciente, comme toujours et on va juste se promener, à plus tard !

Il m'attrape le poignet et me tire d'un coup sec. Je proteste.

— Ne dis plus rien, m'assène-t-il

J'ouvre la bouche pour répliquer mais le regard noir qu'il me lance suffit à m'empêcher de dire quoi que ce soit.

— On va où ? je demande malgré tout, avec précaution

— Se promener, répond-il, sèchement

   Un silence de plomb s'installe entre nous. Je n'aime pas cette atmosphère pesante, même si je me rends bien compte que cette fois, je suis bien en tort. Il me tire vers Orlando aux lumières hautes en me serrant fort, comme pour se convaincre que je ne vais pas m'évaporer. On arrive aux abords de la ville, et quelques bancs se dessinent dans la nuit claire.

— Et pour Nola, tu m'expliques ? je finis par questionner, brisant le silence.

Il s'assoit et je le rejoins.

— C'est une amie. Point.

— Attends, ce n'était pas plus simple de me dire la vérité tout de suite ? Je ne te suis pas, Aleksi.

— C'est pourtant évident...

— Pourquoi ne pas m'avoir tout simplement dit qu'elle ne te plaisait pas ? Cela m'aurait évité bien des souffrances inutiles ! Ose me dire que tu ne te fiches pas de moi, là !

— Ok, j'aurais dû te le dire. Voilà, tu es contente ?

— Ça n'a aucune importance si ce n'est pas ce que tu penses. Si tu avais dit la même chose à tout le monde, je ne t'en voudrais pas ! Je te faisais confiance, j'aurais été honnête avec toi, moi.

— Écoute, c'était stupide, je l'admets. Je m'en suis rendu compte plus tard. Mais je n'ai pas eu le courage de revenir te voir pour te le dire. En fait, je voulais voir ta réaction.

Je souffle d'exaspération.

— En attendant, ce n'est pas moi qui part me promener seul au milieu de la nuit sans prévenir personne dans un coin infesté d'alligators ! continue-t-il, j'aurais fait quoi, moi, s'il t'était arrivé quelque chose ?

— Je n'en sais rien, murmuré-je

— A ce stade-là, ce n'est même plus de l'inconscience, c'est du suicide !

— Tu m'expliques pourquoi on campe là, si c'est infesté d'alligators ? rétorqué-je, plus froidement

Même dans la pénombre, je le vois rouler des yeux.

— Les zones protégées, tu connais ? Toi par contre, tu t'es sacrément éloignée, je t'ai vue !

Je fronce les sourcils.

— J'étais à proximité...

— Pas du tout ! Tu as escaladé la barrière de séparation, je t'ai vue !

— Et tu ne m'as pas appelée ?

— J'allais le faire, mais tu l'as très vite franchie pour revenir, m'explique-t-il, attends, je suis en train de te raconter ce que tu as fait alors que c'est toi qui serais censée me le dire ! Ça n'a duré qu'une minute ou deux !

— Je ne me rappelle pas avoir escaladé quoi que ce soit, dis-je, troublée

— Tu devais être à l'ouest, c'est tout.

« Je nageais en plein cauchemar, oui ! » pensé-je en frissonnant. Je repousse la mèche qui m'empêche de regarder les étoiles. On les voit moins bien à cause de la ville. En voyant les constellations, je me remémore tout ce qu'il s'est passé ces derniers mois. Le début de l'année, horrible ! Les mois suivants, sombres ! Et puis, depuis quelques semaines, il fait soleil.

— Merci, soufflé-je, à voix basse

Il me jette un regard interrogatif.

— Pour ? questionne-t-il

— Tout. Pour m'avoir écoutée quand j'en ai eu besoin, pour être venu me voir, pour m'avoir défendue, pour avoir été là. Sans toi, je ne serais peut-être pas là.

— Tu exagères.

— Si tu réfléchis bien, non.

Il passe une main dans ses cheveux.

— Je suis Captain America, plaisante-t-il, un peu gêné

— J'aurais plutôt dit un apprenti sorcier, le taquiné-je

Il s'esclaffe.

— Tu te sens prête à m'écouter, là ?

— Toujours, j'ai l'éternité pour toi.

— Tant mieux, je voulais t'annoncer que je suis un vampire.

— Sérieuse-...

— Mais, poursuit-il, chez moi, c'est inversé : tu absorbes toutes mes pensées, tous mes rêves, absolument tout. C'est à la fois un sentiment merveilleux et effrayant. Parmi tout, c'est tombé sur toi. Je peux te confier et affirmer pleins de choses, mais la plus forte et la plus belle c'est que je t'aime, Astéria. J'aurais pu et j'aurais dû te le dire plus tôt mais je n'en avais pas le courage. Tu m'impressionnes. Je suis aussi peut-être un peu trop fier. Néanmoins, veux-tu sortir avec moi ?

Abasourdie, je sens mes mains, puis mes bras et très vite tout mon corps se mettre à trembler. Mon coeur cogne si fort que ses tambours martèlent mon crâne. J'ai chaud, très chaud. Mes vêtements me collent comme une seconde peau. Et la nuit, la nuit est le témoin invisible de la fin du commencement de notre histoire.

« Oui, pensé-je, mille fois oui ! »

— Oui, soufflé-je, n'osant en croire mes oreilles.

Ma voix me paraît lointaine –comme si je la prononçais dans un rêve – et fatiguée, comme si je revenais d'un long et pénible voyage. En y réfléchissant, c'était vrai : je revenais du fastidieux voyage de la vie.

Mais, plus important encore : c'est moi ! Ça l'a toujours été, mais j'étais simplement aveuglée. Ce sentiment seul de me sentir spéciale à ses yeux suffit à combler le vide qui jusqu'ici m'oppressait, du moins en partie.

— Wow, chuchote-t-il, ça ne me paraît plus si insurmontable, maintenant.

Il s'approche de moi en penchant son visage. Ses lèvres sont toutes proches de moi. Je sens mon coeur bondir mais aussi mon estomac se tordre de peur. Je détourne un peu la tête et sa bouche s'échoue à côté de la mienne. Je me recule.

— J'ai peur, chuchoté-je

Il cligne des yeux, médusé puis sourit.

— Câlin ? propose-t-il

— Oui, j'acquiesce, timidement

Cette fois, c'est moi qui m'approche et l'enlace, peut-être un peu trop brutalement. Trop fort. Coeur contre coeur, océan contre ciel, rêve contre rêve.

Et je crois que c'est à partir de ce moment-là que le temps a commencé à s'accélérer.   

~

    Quelques heures plus tard, quand je me réveille, je peine encore à réaliser. N'aurais-je pas tout rêvé ? Cependant, voir son corps endormi à côté du mien me ramène à la réalité. Mon estomac se tord de peur : que va-t-il se passer au réveil ? Eh bien...

Lorsque les autres s'éveillent, je prie pour qu'aucun ne pose de questions sur ce qu'il s'est passé la nuit. Comme si mes supplications internes avaient été entendues, personne ne fait de remarques. Et Aleksi... Aleksi, mes joues chauffent dès l'instant où je pose mes yeux sur son visage, me remémorant ses paroles de la veille. Je détourne les yeux et baisse la tête à l'instant où ses yeux croisent les miens. Je ne suis pas sûre, mais il fait de même. Mes joues sont en incandescence, tout comme mon ventre.

Mon estomac est si noué que je ne me sens pas capable d'avaler quoi que ce soit. Malgré tout, les premières céréales que je mets dans ma bouche de ma main vacillante me prouvent le contraire. Mon corps en entier tremble depuis la nuit, et je sais parfaitement qui en est la raison. Tout d'un coup je suis prise par l'envie subite de m'enfuir chez moi. Je pourrais prétexter que je me sens mal... Mais je choisis de chasser cette idée de mon esprit.

~

Allongée sur la nappe, je regarde le ciel et le soleil briller. Je songe aux écureuils : l'hibernation est terminée depuis longtemps. Une nouvelle vie commence. Mais le temps passe si vite que bientôt les feuilles mortes joncheront le sol et il sera temps de refaire des réserves. Cependant il faudra d'abord affronter les examens puis l'été. J'essaie d'imaginer ce que feraient mes personnages. Ils lâcheraient prise et laisseraient les choses se faire. Ils réagiraient mieux que moi, c'est certain. Mais en même temps, c'est normal. Quand je les crée, je les rends volontairement meilleurs dans leurs réactions.

A côté de moi, Flora parle de notre classe. Les autres l'écoutent et moi je suis à mille lieues. En fait, j'éprouve une espèce d'anxiété quand Aleksi est dans les parages. Il me jette des regards discrets. En réfléchissant, j'aurais pu m'en rendre compte, mais je me suis volontairement aveuglée.

~

    La brume de la veille m'obstrue l'esprit : je suis incapable de tenir une conversation et de suivre la discussion des autres. Aleksi me jette parfois des coups d'œil discrets. Je redoute un peu l'instant où on se parlera tout en espérant qu'il arrive vite. Il arrive le soir, après le repas, quand nous sommes seuls. Et finalement, je me rends compte que cela ne change rien à nos conversations, si ce n'est qu'on sait tous les deux de quoi il en retourne, ce qui se cache derrière chaque sourire et chaque remarque taquine.

— Tu vas bien ? J'ai remarqué que tu tremblais au petit-déjeuner, commence-t-il d'une voix empreinte d'inquiétude

— Ça va, je suis juste un peu fatiguée.

— Oh, vraiment ?

— Pas que, avoué-je, il y a peut-être un peu de toi là-dedans...

— Je préfère. Je sais parfaitement que ma vue provoque des tas de choses chez les gens !

Je ris et lui m'affiche son plus beau sourire.

— Plus sérieusement, calme-toi, je pense que tu te fais peur pour rien, dit-il avec douceur

Ses yeux brillent, ses joues sont rouges, son être tout entier ressemble à un nuage cotonneux me rappelant ma maison protectrice.

— En fait, je veux bien que tu m'embrasses, murmuré-je

— Oh, vraiment ? me taquine-t-il

— Oui, vraiment.

Il approche son visage du mien. C'est bref, doux, comme si des ailes de papillons m'effleuraient. La tension dans mon corps disparaît. Avec délicatesse, il m'enlace et je pose ma tête sur sa clavicule.

Pour la première fois depuis longtemps, je me sens complète. On m'avait rendu la partie qu'il me manquait. Deux impairs ensemble, cela fait un pair. Peut-être que c'est juste éphémère, et peut-être que demain je serai de nouveau incomplète. Mais aujourd'hui, je me sens bien.

~

Samedi. Nous avons repris nos habitudes. Quelque part, cela me rassure. Du nouveau entremêlé à de l'ancien. Il a toujours été mon confident. Le silence nous enserre depuis déjà quelques minutes. Seuls les bruit de circulation, le vent léger et les piaillements des oiseaux me maintiennent dans la réalité. Aleksi caresse mes doigts, le tour de mes ongles, puis comme une petite souris monterait doucement sur un mur, ses doigts de fée remontent lentement sur ma main, puis mon poignet, et peut-être un peu trop haut sur mon avant-bras.

Il ne dit rien et se contente de m'observer. Pas comme si j'étais un monstre, pas avec de la pitié. Juste avec son air habituel. Il prend mon bras. Il effleure mon coeur sans le savoir. Son toucher est léger, doux.

— Tu sais, reprend-il d'une voix rauque, si j'étais toi, je ne refuserais pas la glace que je vais t'offrir.

Je m'esclaffe. Il noue nos doigts ensemble avant de m'entraîner dans une ruelle.

— N'oublie pas que je suis là. Et il n'y a pas que moi.

Je souris. Je le sais depuis longtemps. Lui aussi le sait. Il a vu que je le savais.

Warrior, chuchote-t-il à mon oreille.

~

Ce sont nos dernières semaines au lycée. Et aussi nos dernières semaines adolescentes. Cela me fait bizarre de me dire que c'est la dernière fois que les cours se passeront comme ça, que l'année prochaine – ou plutôt d'ici deux à trois mois – c'est l'université. Université qu'Aleksi avait aussi choisie. Aussi, j'ai l'impression que je suis sur le point de changer de vie, un peu comme chaque lycéen proche de clôturer ses années.

   Accoudée à la fenêtre, j'observe la ville. Les toits épais s'enfonçant dans le ciel bleu. La pointe des églises transperçant la voûte. Cette vue va me manquer, je le sais. Je me sens déjà nostalgique et pourtant, je n'ai rien à regretter. Je me retourne vers Aleksi, que j'ai entendu arriver. Ces intercours vont aussi me manquer.

Sans réfléchir, je me mets sur la pointe des pieds et l'embrasse au coin des lèvres, même si nous sommes au milieu de la salle de classe, même si les autres peuvent nous voir.

— Je crois que j'ai quelque chose à faire, chuchoté-je

Il fronce les sourcils :
— Quoi ? murmure-t-il avant de me voler un baiser

Je ne réponds rien et me contente de lui sourire en reculant.

   Je me retourne. C'est de la folie. Je souffle. Je relève la tête, imaginant une multitude d'étoiles suspendues au plafond de la salle. Avec une lune et des planètes. Et un arc-en-ciel. Et pourquoi pas une licorne ? Non, que ferait une licorne au milieu du ciel troué d'étoiles ? Par contre, il pourrait y avoir des nuages en ruban. Oh, tu retardes le moment.

  Je me dirige vers eux. Tiens, si un jour on m'avait dit que je serais allée vers eux de moi-même, j'aurais ri et dit que j'étais folle. Pourtant, je ne suis pas folle, je dois encore me libérer d'un poids, j'ai des choses à leur dire.

— En fait, vous avez eu de la chance que ça soit moi car je ne veux pas me venger. C'est inutile. Ça n'effacera rien. Par contre, j'ose espérer que rien n'est perdu pour vous et que vous deviendrez meilleurs. Vous disiez de moi que j'étais toxique, que j'étais un poison mais c'est vous qui empoisonniez ma vie, nos vies, je leur assène.

   J'avais préparé cette tirade depuis des jours entiers. Je devais leur dire, pour avancer, pour arracher la page et recommencer.

— Je maintiens ce que j'ai toujours dit : tu es un poison.

— Je peux savoir pourquoi ? demandé-je

— Parce que t'es pas comme nous.

— Qui aurait envie d'être une vipère ? enchaîné-je

— Ne te confonds avec nous.

— Excuse-moi, qui aurait envie d'être un gigantesque meuble en bois lustré mais complètement décomposé à l'intérieur ? Qui aurait envie d'être de ceux qui terrorise les autres et s'amusent à les détruire par plaisir ? Qui aurait envie d'être insidieux ?

— T'étais la seule à être terrorisée et on y peut rien si t'es naïve. Be ! Be ! Be ! bêle-t-il, on comprenait rien à ce que tu racontais ! Tu fuyais. Tu n'es qu'une lâche.

— Je n'ai plus peur de toi, de vous plutôt. D'ailleurs, je n'aurais jamais dû me laisser faire comme une poupée désarticulée. Vous êtes tous pourris jusqu'à la moelle, craché-je, sentant la colère, la haine, affluer

Mais je ne devais pas craquer et m'énerver. Je deviendrais comme eux. J'ai réfléchi à la question pendant des jours et c'est ma conclusion : je ne dois pas reproduire.

— Mais qu'importe, je m'en fiche.

— C'était pour rire mais t'as pas d'humour. Et sois gentille, arrête de t'exprimer comme un bouquin !

— Visiblement, nous n'avons pas le même humour. Peu importe, je ne peux plus rien pour vous. Je n'attends pas d'excuses, juste la promesse que vous ne recommencerez pas sur quelqu'un d'autre, mais je crois que vous prendrez conscience de cela que d'ici quelques années.

— On a peut être abusé, c'est vrai, mais il fallait le dire ! On ne peut pas deviner.

— À l'avenir, soyez peut-être moins virulents et agressifs. Investissez dans de la guimauve, asséné-je sarcastiquement

— Un anonyme disait que les autres nous critiquaient parce qu'ils voyaient en nous tout ce qu'ils ne seraient jamais, intervient Aleksi, je vous laisse méditer là-dessus.

  Je me tourne vers lui. Il a tout vu, tout entendu, je le sais. Je vois de la fierté dans son regard. Ses yeux sont comme deux grands lacs où je me reflète, deux miroirs où je vois l'avenir. Je me grandis sur la pointe des pieds.

Ce fut comme une abréaction. L'embrasser, c'est respirer.

« Et c'est parfois dans un regard, dans un sourire, que sont cachés les mots qu'on n'a jamais su dire. » (Yves Duteil)

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Bonsoir !

Je suis ravie d'avoir (enfin!) terminé ce chapitre ! J'espère qu'il vous plaît...

Je n'ai volontairement pas mentionné qui parlait à la fin du chapitre, entre Gary, Lana, Alison, Daniel ou même Nathan, car je les voyais tous dire chaque phrase ! Aussi, je vous laisse imaginer ! (Même si me connaissant, je ne trouverai plus cette idée bonne en corrigeant mais bon) Bref !

Merci de me lire, et à bientôt pour le dernier chapitre !

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