15 ~ Astéria ☆
« Je me sens comme l'oiseau chanteur dont on a brutalement arraché les ailes et qui, dans l'obscurité totale, se cogne contre les barreaux de sa cage trop étroite. » — Anne Franck
Des chaînes retiennent mes ailes. Je suis enfermée. Je saigne, je me craquèle, du sang coule de mes fissures. Comment puis-je libérer mon esprit ? Je ne peux plus respirer.
J'aimerais tellement me dire que je vais réussir ma vie, j'aimerais tellement croire en mes rêves. A la réflexion, je pourrais me dire ça, mais je mentirais. « Tu n'arriveras à rien si tu restes là à te morfondre ! » me sermonné-je, intérieurement. Qu'est-ce que je dois être insupportable ! Toujours en train de me plaindre, toujours à penser à moi. Je souffle. Je regarde mon lit. Un carnet y est ouvert sur une page où un texte écrit tard le soir ou tôt dans la nuit, gît.
« Égarée
Perdue, perdue... Mon coeur s'est égaré dans les limbes de ma souffrance et de mes souvenirs.
Je ne sais plus. Non. Je ne sais plus qui je suis. Rien, pas un seul mirage pour le montrer.
Engourdie, engourdie... Mon âme s'est engourdie. Enfermée dans une boîte cadenassée et enchaînée, elle refuse de sortir pour être à nouveau traînée dans la poussière.
Cœur, cœur, ô mon coeur, bats-tu encore ? Bats-tu encore pour quelqu'un ? Ne serait-ce que pour celle que je fus, pâle reflet brouillé d'une réalité oubliée ?
Lasse, lasse... Mon esprit est las. Il ne sait plus, il ne pense plus, il ne veut plus. Lui aussi s'est enterré profondément. Il ferme les yeux.
Et mon essence se noie sous ses larmes silencieuses. Je presse ma main contre sa bouche pour ne pas ébruiter l'affaire. Je vous l'ai dit, tout va bien.
Et moi, ego, j'erre dans un brouillard épais recouvert de pics luisants, brûlants, sanglants. Le sang coule de mes bras, de mes poignets, mais je les évite. Moi aussi je ferme les yeux.
Ma main, ma main fatiguée ne guide plus ma plume terne. Elle n'écrit plus que des mots, des choses dénuées de sens. L'irrationnel. Elle aussi, elle ne sait plus. Oh, douce plume, pourquoi ne peux-tu plus égayer ma triste âme perdue ? Non ! Je t'en prie, ne m'abandonne pas comme les autres. Je suis encore là. Ne t'égare pas dans les confins de ce labyrinthe, spirale infinie de ma sordide vie !
— Rassure-toi, ces cernes violacés ne sont que les vestiges d'une lutte sans merci ! »
Je soupire et referme le carnet d'un coup sec. Ça n'a aucun sens. C'est inutile. Sur le coup, je m'étais sentie mieux. Je m'étais couchée l'esprit vidé. Mais, maintenant, à tête reposée, je vois bien que c'est...nul. Je n'ai pas d'autres termes. Au moins, cela aura eu le bénéfice de m'aider à trouver le sommeil, de calmer les tremblements qui agitaient mes mains et d'apaiser la douleur qui m'oppressait la poitrine.
Je m'assois en tailleur sur mon lit et observe les murs d'un air vide. D'aucuns m'auraient qualifiée de « mélancolique ». La tapisserie est la même depuis mes six ans : jaune avec des papillons oranges et mauves. Les papillons. Le symbole que j'associe à la liberté, à l'envol. Est-ce que moi aussi je suis un papillon, encore endormi dans sa chrysalide ? « Belle métaphore ! » ironisé-je, en pensée. Je ne suis certainement pas un papillon.
Je jette un coup d'œil à mon bureau. Les cours, les cahiers, les livres s'y entassent en strates. Tout s'amoncèle, de la même manière que s'accumulent les sédiments. Mes devoirs ne vont malheureusement pas se faire tout seul ! J'inventerais un stylo automatique, si je le pouvais. Qu'on contrôlerait par la pensée. Et qui donnerait les bonnes réponses, tant qu'à faire.
C'est sur cette pensée que je m'installe à mon bureau, me sentant malgré tout incapable de faire quoique ce soit, mis à part rêver et rester seule avec mes pensées à broyer du noir. Ne rien faire. Mais, je me retrouve face à moi-même, face à mes pires cauchemars. Autant faire de l'arithmétique...
~
Quoi de mieux que de se promener en plein hiver ? Il fait froid, certes, tout est gelé, mais la beauté des cristaux de glace est telle que je ne peux m'empêcher de les contempler. Figés dans un moment d'extase, ils sont à leur apothéose. Je m'arrête sur le pont et m'y accoude. L'eau en-dessous est recouverte d'une fine pellicule de glace. J'enfouis mon visage dans mon écharpe et frissonne malgré l'épaisseur de mes vêtements. Je me penche au-dessus du pont et regarde en direction des arbres sur la droite. Peut-être y a-t-il un écureuil ? Quoique, cela serait étonnant, vu la période à laquelle nous sommes. Les épines des pins tremblent légèrement sous le vent de janvier. Je dérive du regard entre la glace et les pins. Les branchages bougent toujours, alors qu'il n'y a plus de vent. Je me penche un peu plus pour mieux distinguer le haut des branches, mais cela reste flou. Je crois apercevoir un éclair brun. De loin, c'est difficile à dire. Je me penche encore un peu. Cette fois, je vois clairement une forme brune pouvant s'apparenter à un corps d'écureuil. Je plisse les yeux. Peut-être que si je me penche plus, je pourrais mieux voir. Sentant la barre en pierre m'appuyer encore plus l'estomac, je réalise que je suis pas mal en avant, mais rien d'inquiétant, mes mains sont solidement attachées à la rambarde et mes pieds ancrés dans le sol. Je me penche encore plus, distinguant, cette fois clairement un écureuil brun. Je souris.
« Arrête !
Je rêve ou c'est la voix d'Aleksi ? Curieux, normalement, on se retrouve plus tard. Et puis, je dois arrêter quoi ?
— Ne fais pas ça, s'il te plaît !
Sa voix est de plus en proche et paraît... paniquée ? J'allais me retourner pour lui demander ce qu'il voulait dire quand je sentis qu'on me tirait violemment en arrière.
— Laisse-moi tranquille ! je m'écrie en me débattant.
Mais sa poigne est si forte que je ne peux pas bouger. Il m'emprisonne de ses bras et me chuchote :
— Non, impossible. Je suis bien trop impliqué pour te laisser maintenant.
L'écureuil brun s'en va.
— Mais, de quoi tu parles ? je m'exclame, en plein désarroi
— Il t'est passé quoi par la tête ? rétorque-t-il, une pointe de colère dans la voix
Il me tient toujours. Pourquoi il ne me lâche pas ? Quoique, c'est plutôt agréable... Moi qui avais froid, je ressens un peu moins le froid mordant. Qu'est-ce qu'il me prend ? Et puis, je ne vais pas me précipiter vers le pont pour m'en jeter dès qu'il va me lâcher ! Ma bouche forme un « oh » muet à la seconde où cette pensée naît dans mon esprit. Il avait cru que... Alors que ça ne m'avait même pas effleuré l'esprit.
— Aleksi, je n'allais pas faire ça ! Je regardais juste les arbres là-bas pour voir s'il y avait des écureuils, et il y en avait un ! je m'écrie tandis qu'il me lâche
— Peu importe ! On ne se penche pas comme ça au-dessus d'un pont ! Ça fait partie des règles de sécurité de
base ! Tu crois que les écureuils vont te permettre de t'envoler à l'aide de leurs noisettes ? Non mais j'y crois pas ! Fais attention, bon sang ! Et si je n'avais pas été là ? Hein, tu aurais fait quoi ? C'est si compliqué d'avoir du bon sens ? termine-t-il, en criant cette fois.
Je le fixe sans mots dire, me rendant compte de ma bévue. De ma grosse bévue qui aurait bien pu me prendre ce que nous avons tous de plus précieux en nous.
— Désolée... Je n'ai pas fait attention, je m'excuse, maladroitement
— Désolée de quoi ? De ta stupidité ? Tu n'as pas fait attention ? Eh bien tu aurais dû ! Sinon, de rien, j'aurais pu ne rien faire ! répond-il, sèchement
Comme Icare se rendant compte de son erreur (à défaut que je ne m'étais pas brûlée les ailes au sens propre comme au figuré), je baisse la tête et regarde le sol. Sur le goudron, de jolis cailloux blancs et gris se côtoient. Est-ce que les blancs sont des feldspaths, comme ceux qu'on voit dans les roches volcaniques en sciences ? Je lève la tête vers Aleksi, qui me toise d'un air indéchiffrable. Il finit par passer une main dans ses cheveux bruns en soupirant.
— Merci, je finis par dire, d'une petite voix.
J'avais envie de me gifler pour parler comme ça. Je devais assumer, car il avait raison !
— De rien, déclare-t-il d'une voix neutre. Fais attention, c'est tout ! C'était aussi stupide que de traverser une route quand c'est rouge et de prier pour le bus qui arrive à fond s'arrête !
Penaude, je baisse les yeux, et je m'aperçois que mes mains tremblent. Oui, forcément... Je ne m'étais pas rendue compte du danger. J'aurais dû être plus prudente.
— Bon, on ne va pas rester là, si ? On se les gèle ici ! Tu viens ?
Il me tend la main et je la prends, le laissant m'entraîner dans les rues glaciales d'Orlando. Ici, tout est gris. Le ciel, les immeubles, les toits, le sol. D'un air presque rêveur, je regarde le coton des nuages envelopper d'un doux voile les toits. L'esprit aussi vide que ces nuages, reflet de moi-même, je ne pense à rien et me laisse tirer par Aleksi qui a une sacrée poigne. Il serrait ma main comme s'il allait me perdre, comme si le temps nous était compté. Ma main paraît si petite dans la sienne, comme une menotte de nouveau-né. Un sourire béat naît sur mes lèvres. Je me sens bien. On tient à moi. Il y a des choses, comme cette phrase « on tient à moi », qu'on n'explique pas. On le sait, c'est tout. On les ressent.
On arrive devant un Starbucks. Il me jette un regard interrogatif et j'hoche la tête pour lui dire oui. Un café ne serait pas de trop. Une dizaine de minutes plus tard, nous sommes installés, un café bien chaud entre les mains. Tout est blanc, le sol, les mur, le plafond. C'est bien une invention de l'homme le plafond. Le fait d'avoir un ciel proche de notre tête pour nous faire oublier que le vrai ciel est inaccessible et imprévisible.
— Tu as arrêté d'écrire quand à peu près ? me demande Aleksi, brisant le silence entre nous
Un sourire se dessine sur mon moi intérieur. Il s'intéresse à ce que j'aime, chose que je n'avais pas remarquée avant, alors que c'était déjà le cas.
— Septembre, octobre, entre les deux, je réponds.
— Wow, ça fait pas mal de temps, constate-t-il
— Ça ne m'a pas empêchée d'écrire les textes qui me passaient par la tête à cette période-là. Ce n'étaient simplement pas des histoires. Juste des textes, j'ajoute, avec un haussement d'épaules
— Donc j'avais vraiment raison quand je t'ai dit que tu n'avais pas vraiment arrêté, l'autre jour. Parce qu'il n'y avait pas juste ta sorte de journal, note-t-il, dans un sourire
— En effet.
Je souris. Je parle comme un personnage issu d'une série de sciences-fictions que je regardais avec mon père quand j'étais enfant.
Je bois une gorgée de mon café, songeant qu'en boire plusieurs tous les jours n'est pas forcément très bon pour ma santé. Mais, c'est la seule chose qui me permet de tenir le coup, de ne pas tomber de fatigue et m'endormir à n'importe quel moment. Satanées insomnies ! Je le regarde. À l'instant où je lève la tête, il dévie le regard. Je pourrais lui parler, là tout de suite, lui dire, tout lui dire. Ou alors lui dire ce qui me passe par la tête, quoique cela risque d'être bizarre.
— J'ai l'impression d'errer sans but. Je ne sais pas pourquoi je suis là, je lâche, d'un coup, de la même manière qu'on enfonce une porte ouverte (même si cette expression s'emploie plutôt dans le cas où l'on dit des choses évidentes, dans une dissertation par exemple)
— Je te l'ai déjà dit, ou pas. Nous sommes tous là pour une raison, affirme-t-il
— Et s'il n'y avait aucune raison que j'existe ? répliqué-je, pessimiste
— Pourquoi envisager le pire quand on peut envisager le meilleur ? rétorque-t-il, en me lançant un regard appuyé
— C'est plus facile de croire au pire qu'au meilleur, je réponds, du tac au tac
— Vous êtes vraiment étrange, Astéria Redwood.
— Je sais.
— Vous raisonnez à l'envers.
— Pour certaines choses, je précise avec un sourire.
Il hausse un sourcil, amusé :
— Pour tout, plutôt !
— Je suis tout ce que je déteste.
— Au lieu de te voir comme tout ce que tu détestes, sois tout ce que tu aimes. Ne te pose pas de questions, fais ce que tu aimes. C'est comme ça que tu trouveras ton chemin. Si tu veux que les choses changent, fais en sorte qu'elles changent. Les autres ne le feront pas pour toi, malheureusement. On vit dans un monde où tout le monde est égoïste et ne voit pas plus loin que le bout de son nez.
— En gros tu me demandes de suivre mon coeur et de me donner les moyens, résumé-je, réfléchissant à ses paroles
— Tout à fait. Ça doit venir de toi-même, je ne peux pas le faire à ta place. Par contre, je peux peut-être t'aider à y voir plus clair. Sois ce que tu veux, et ce que tu aimes.
— Mais c'est que tu philosophes, le taquiné-je, tu ne t'es d'ailleurs pas endormi au dernier cours ?
Il rit à ce souvenir. À chaque fois que je tourne la tête vers lui en philosophie, je le vois soit en train de bâiller soit endormi soit en train de s'ennuyer profondément.
— Ne change pas de sujet ! Bref, tu pourrais te faire une liste de comment tu veux être et de ce que tu veux faire, et ensuite tu essaies chaque jour de t'y cantonner, ça marche, je peux te le dire ! Au début, ce n'est pas simple, mais chaque petite victoire est un grand pas vers la surface ! C'est en le voulant, puis en l'acceptant et en le disant que ça devient réel. »
_____________________________________________________________
Hello ! Comment allez-vous ? (on sent le mistral arriver x) )
Je suis contente de publier ce chapitre ! :)
N'hésitez pas à me donner votre avis ! :)
Merci de me lire !
À très vite !
Honey
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top