10 ~ Aleksi ★
« Le désordre de mon âme en l'écoutant, ne saurait être exprimé » — Abbé Prévost
" Je ne me reconnais plus. Où est donc passé l'Aleksi qui se terrait dans son coin sans rien dire ? Loin, il est loin. Il appartient au passé, il est ce que je ne veux plus être."
Je soupire et ferme mon stylo. Je ne sais pas si l'idée d'Astéria est bonne. Car on a beau se confier à une feuille, elle ne nous répondra pas. Il faut être sacrément mal pour en arriver à préférer parler à une feuille. C'est sur cette réflexion que je descends au salon où Flora m'attend. On est dimanche et Flora a décidé d'inviter Jace et Rosie « en souvenir du bon vieux temps », comme elle le dit si bien.
Je pense que les revoir en dehors du lycée me fera du bien. Au moins, j'oublierai ce lycée de malheur. Quoique, j'y pense de plus en plus souvent. J'observe la rue qui donne sur la cuisine. Les feuilles mortes voltigent sous le vent de novembre, qui deviendra bientôt le vent de décembre. Et bientôt, la neige blanche recouvrira le goudron noir, comme si toute la noirceur du monde se cachait sous un voile de pureté.
Je vais dans le salon et décide d'y attendre nos deux amis, même si ces derniers temps nous ne nous parlions plus tellement. Il faut dire qu'avec ma sœur, Rosie, Jace et leur espèce de triangle amoureux, notre amitié a bien failli y rester. Quoique, ça n'aurait pas tellement bougé pour moi.
Flora avait réussi à s'enticher de Jace au même moment que Rosie m'avouait qu'elle éprouvait des sentiments pour ce dernier. Et c'est comme ça que je m'étais retrouvé en plein milieu de cette « guerre de sentiments ». Si de mon côté je n'avais pas avoué à Rosie mes sentiments pour elle puisqu'elle venait de m'avouer les siens pour Jace, ma sœur n'avait pas eu cette « chance ».
On était en été, au beau milieu du mois d'août, et je sais que je n'oublierai pas ce jour-là de sitôt. Flora était rentrée en pleurant et s'était jetée sur son lit en claquant la porte sans une seule explication. Cliché, certes, mais tellement réel.
Je n'avais eu aucun mal à lui tirer les vers du nez. J'avais ensuite tenté de la réconforter, mais rien n'y faisait. Elle a passé toute la soirée sans bouger de sa chambre. Elle avait eu de la chance que Sofia, notre tante, était absente ce soir-là, sans quoi elle n'aurait pas échappé à un interrogatoire.
Même si Sofia était notre tante, il n'empêche qu'elle nous a élevés comme ses propres enfants. Elle ne m'a jamais dit si elle s'était fiancée, ni rien d'autre. Rien, nada. Si les raisons du suicide de nos parents restaient un mystère, la vie de ma tante l'était tout autant. La seule chose que je sais, c'est qu'elle travaille comme vétérinaire aux urgences, d'où le fait qu'elle est souvent absente et appelée n'importe quand. Et je suis sûr de cela car elle nous emmenait parfois avec elle, quand nous étions enfants.
— Aleksi ?
Flora m'appelle. Sa voix est un peu hésitante. Elle est à l'entrée de la cuisine. Je lui jette un regard interrogatif, attendant qu'elle me dise ce qui la tracasse.
— Est-ce que tu penses que j'ai bien fait de les inviter pour reprendre contact ? finit-elle par me demander
Je soupire.
— Évidemment que tu as bien fait. D'ailleurs, je ne comprends pas pourquoi tu as voulu couper les ponts. C'était totalement-... Oh, j'ai compris, tu as dû te disputer avec Jace en début d'année, non ? Et tu ne me l'as pas dit.
— Tout juste, soupire-t-elle, ses cheveux bruns tombant devant ses yeux clairs
— Écoute, il n'y a aucune raison que ça se passe mal. Je suis sûr que c'est oublié.
— Je ne sais pas, répond-elle, dubitative
— Je connais bien Jace. Peu importe ce que tu as pu lui dire, il est déjà passé à autre chose. C'était il y a deux mois. De l'eau a coulé sous les ponts, et puis, il n'est pas rancunier.
— C'est facile pour toi de dire ça, grommelle-t-elle, toi tu n'es pas amoureux de Jace ! D'ailleurs tu ne me parles plus de Rosie, tu es passé à autre chose ?
J'opine de la tête.
— « Il est inutile de s'accrocher à quelque chose si c'est vain ».
— Tu cites tante Sofia, maintenant ? s'étonne Flora, fronçant les sourcils
— Tu apprendras que ses adages sont très utiles et toujours vrais, je souligne, les yeux à nouveau rivés sur la route. Tiens, les voilà !
En effet, j'aperçois deux silhouettes se rapprocher de chez nous, un blond et une brune. Ça ne peut être qu'eux. J'observe ma sœur qui a un peu pâli. Je roule des yeux, ayant l'impression qu'elle en faisait des tonnes pour rien du tout, et vais leur ouvrir la porte.
On se salue tous d'une étreinte, et je jette un regard à ma sœur, indiquant clairement « pas la peine de stresser ! » avant d'aller au salon.
— Sofia n'est pas là ? questionne Rosie
— Elle est partie voir son ancienne collègue à la retraite, celle qui nous donnait des bonbons, je lui réponds, elle sera là vers sept heures, elle a dit que vous pouviez rester pour manger.
— D'accord ! C'est gentil de sa part !
Rosie me sourit et je lui rends son sourire, me rendant compte, par la même occasion, que Flora regarde tout sauf Jace, ce qui se voit comme le nez au milieu de la figure et le met mal à l'aise. Je me retiens de lever les yeux au ciel. Ma sœur ne pouvait-elle pas, pour une fois, réagir comme quelqu'un de réfléchi au lieu de réagir comme si elle avait douze ans ? Je m'empêche de faire une remarque et demande à Jace comment va sa mère, si elle s'est remise de sa rupture avec son conjoint. Jace hausse les épaules :
— Bof, je suis un peu en froid avec elle en ce moment, elle n'arrive pas à se rendre compte que ce n'est pas en allant voir à droite et à gauche qu'on aura une situation familiale stable. J'ai l'impression que c'est elle qui a dix-sept ans et pas moi.
Jace a perdu son père le jour de sa naissance. Alors qu'il se rendait à l'hôpital, une voiture l'a percuté et il n'a pas survécu à l'accident, laissant derrière lui une jeune mère et un enfant à peine. La date de son anniversaire est pour lui la pire au monde.
— Même en lui parlant ? je tente tout de même
— Elle refuse de m'écouter. Elle dit que je ne connais rien de la vie, de l'amour et que je n'ai rien à dire là-dessus. En gros, je dois me contenter de rapporter des bonnes notes et d'avoir mon diplôme et d'aller à l'université après, et surtout me taire.
Rosie lui prend la main et la serre doucement. Je crois que Rosie est la seule d'entre nous à avoir une situation familiale normale avec deux parents. C'est elle qui a le plus de repères, mais il n'empêche qu'elle est fille unique et que sa mère est souvent absente en raison de son travail dans l'aviation. Quant à son père, il a arrêté de travailler à sa naissance pour pouvoir s'occuper d'elle et qu'elle puisse avoir des repères.
— C'est génial tout ça, je commente ironiquement, les repas de famille doivent être animés !
Jace commence à rire, me disant que j'étais bien le seul à pouvoir réussir à le faire rire de tout ça.
— Tiens d'ailleurs en parlant de repas de famille, vous n'avez jamais eu l'honneur de connaître ça, si ? reprend Jace
— Mis à part Noël qu'on fêtait chez nos grands-parents quand ils étaient encore de ce monde, non.
— Donc en fait, vous ne savez même pas si vous avez un oncle, résume Jace
— Ni des cousins, ni si vous avez des grands-parents maternels non plus, ajoute Rosie
— Tout à fait, je réponds en hochant la tête.
Si en grandissant ça ne m'avait pas dérangé plus que ça, aujourd'hui je trouvais ça bizarre, presque mystérieux. Mais peut-être que si je pose la question à ma tante elle me répondra.
— D'ailleurs, Aleksi, on n'a jamais su pourquoi ton prénom s'écrivait comme ça, se souvient Rosie
— Ou tout simplement pourquoi vos deux prénoms mais également celui de votre tante ont des consonances d'Europe de l'Est, termine Jace
— Hier, Astéria m'a demandé si on avait des origines russes ou polonaises ou d'Europe de l'Est à cause de l'écriture de mon prénom. Je lui ai dit que non, mais c'est une hypothèse à laquelle j'ai toujours pensé, que j'ai même intérieurement validée, bien que notre nom de famille soit américain.
— Et tu lui as dit quoi du coup ? rétorque Jace, intéressé
— Que mes parents avaient voulu être originaux et que c'était beaucoup plus classe comme ça...
Jace éclate de rire :
— Tu n'es pas sérieux ? Tu penses vraiment qu'elle va gober ça ?
— C'est ce que me disait tante Sofia quand j'étais petit ! je me défends
Jace rit encore plus fort avant d'être rejoint par Rosie puis Flora et par moi. C'est vrai qu'en y repensant, c'était stupide.
— Franchement, tu es bien le seul gars que je connais capable de sortir ça !
— Quoi, c'est drôle, non ?
Flora soupire d'un air las mais sourit tout de même. Puis, Rosie lui chuchote quelque chose à l'oreille et elle hoche la tête avant de se lever et de nous dire qu'elles avaient un truc important à faire, ou plutôt à se dire. Jace et moi hochons la tête et décidons de sortir pour fumer une cigarette. Enfin, c'est Jace qui en a envie, moi je ne fais que l'accompagner.
Nous sortons sur le perron et Jace sort un briquet et un paquet de cigarettes de sa poche. Il m'en propose une mais je refuse, trop pensif. Je l'observe faire, ses cheveux blonds relevés ondulant à peine sous le vent tandis que les miens volaient en tout sens. Si lui arborait des cheveux plus longs au-dessus et courts de côté comme c'est la mode, les miens ont plutôt ce que j'appelle une version améliorée de cette coupe. En gros, cette coupe mais en plus long, à tel point que mes mèches brunes de devant m'arrivent au niveau du nez et que je ne prends pas la peine de vider un pot de gel pour les relever. J'ai presque la même coupe que Leonardo DiCaprio dans Titanic mais en plus long sur devant. Tout ça juste pour décrire ma coupe de cheveux dont tout le monde se fiche.
Jace tourne ses yeux bleus vers les miens, ce qui est l'unique caractéristique physique que nous partageons.
— Au fait, comment se porte Astéria ? Elle me paraît... passive.
— Bien, je suppose.
Jace hausse un sourcil et éloigne sa cigarette de ses lèvres:
— Comment ça tu supposes ?
— Elle est en vie, on va dire ça comme ça, je tente d'expliquer.
Comment lui dire que c'était délicat et beaucoup plus compliqué que ça ?
— Explique-moi, poursuit-il en s'asseyant sur le perron de la porte d'entrée. J'ai tout mon temps.
Quand il prononce cette dernière phrase, je me revois il y a presque une semaine, face à Astéria, lui disant de me parler. Son regard me hante toujours et je crois que je n'ai jamais vu pareil regard. Elle m'avait alors dit « C'est moi », sous-entendant que c'était de sa faute.
— La Terre appelle Aleksi, répondez ! Jace agite ses doigts devant mes yeux
J'hoche la tête et m'assois à mon tour sur le perron. Il m'y rejoint et m'intime de me lancer par un sourire. Je me gratte le menton en me demandant par quoi je devais commencer et finis par commencer par ce fameux cours de sciences et ces fameux dessins accrochés aux murs de la bibliothèque, ce qui était finalement, le début de mon implication dans cette histoire.
— Elle n'est pas bien du tout, et le truc, c'est que je ne sais absolument pas quoi faire pour que ça ne soit plus le cas, je conclus, à part être présent.
— Tu sais, je suis persuadé que pour remonter, il faut le vouloir, me dit Jace, pensif. D'ailleurs, lui montrer qu'elle n'est pas seule est une bonne chose.
— Peut-être mais comment le vouloir si, tous les jours, on te dit que tu ne vaux rien et que tu ne devrais pas exister ? je ne peux m'empêcher de répliquer
Parmi toutes les phrases que j'avais entendues, c'était sans conteste la dernière qui m'avait le plus marqué, et aussi choqué.
— Tu crois que si je m'en mêle, ça s'arrêtera ?
C'est la voix de Rosie. Je me retourne et m'aperçois qu'elle est dernière nous, ma sœur à ses côtés. Je ne sais pas depuis combien de temps elles nous écoutent mais ce qui est sûr, c'est qu'elles ont entendu une bonne partie.
— Je ne sais pas, Rosie, je lui avoue.
— Bah si, puisque la plupart des mecs sont prêts à faire n'importe quoi pour te plaire et te faire plaisir. Leur petit groupe n'y échappe pas, répond Jace, d'une voix dure. Surtout Gary, ajoute-t-il, amèrement.
Le visage de Rosie s'assombrit tout d'un coup, de la même manière que la neige fond au soleil.
— Pourtant, ce n'est pas ce que je veux. Et je ne pense pas qu'une seule personne puisse arrêter tout ça.
— Ça peut toujours réduire, dis-je, mon cerveau tournant à toute allure. Jace a raison, j'ajoute, tu as beaucoup d'impact.
— Vous ne pensez pas qu'il vaut mieux qu'on n'intervienne pas ? intervient Flora
— Je t'ai déjà dit que c'était ton problème si tu voulais rester spectatrice, je réplique, froidement
— Ton frère a raison, lui dit Jace d'un ton paternaliste
— Ne rien faire serait le pire, renchérit Rosie, c'est comme si on était maître sauveteur. On voit quelqu'un se noyer mais on ne réagit pas car on se dit que les vagues au loin vont nous le rapporter. Sauf qu'une fois que tu es prise dans les rouleaux, tu ne ressors pas.
— Ou alors tu finis becqueté par une mouette ou par un requin, continue Jace
— Sauf qu'une mouette ne te bouffe pas le bras quand tu repêches le corps, je rétorque
— Est-ce qu'on peut revenir à notre sujet de conversation initial ? intervient Rosie, en soupirant
— Et Aleksi, tu n'es pas obligé d'être vulgaire, rajoute ma sœur
— Si on ne peut plus rire ! s'exclame Jace en levant les bras comme un tragédien
Lui et moi nous sourions, complices.
— Bref, c'est quelqu'un de bien et elle ne mérite pas tout ça, reprend Rosie, c'est pour ça que je lui ai dit de se méfier de Nathan
— Elle l'avait compris, je réponds avec un sourire, elle l'avait vu venir. Elle n'est pas rentrée dans son jeu.
— Il faut aussi dire que ce n'était pas la première fois que ça lui arrivait, enchaîne Jace, quoi ? T'étais pas au courant ? interroge-t-il face à mes sourcils froncés et mon air étonné
— Au courant de quoi ?
— Bah, au début, ils, enfin Gary et Daniel, s'amusaient à envoyer un de leurs « amis » la voir pour apprendre deux trois trucs sur elle.
— Et lui resservir avec une bonne dose d'arsenic saupoudrée de cyanure, je déduis
— Belle métaphore, me complimente Rosie, mais en gros oui, c'est ça l'idée.
— Je vois, je dis, repensant au jour où elle m'a dit avoir pris l'habitude de ne pas faire confiance aux gens. Je comprends mieux, maintenant, je laisse échapper
— Quoi ? Tu comprends mieux quoi ? questionne Flora, les bras croisés
— Pourquoi elle ne me parle pas. Sérieusement, j'ai l'impression qu'elle contrôle absolument tout ce qu'elle dit. Elle ne laisse rien échapper, sauf quelques trucs qu'on ne peut pas retourner contre elle. Et maintenant, je sais pourquoi.
— Et tu vas faire quoi ? questionne ma sœur
— A ton avis ? Il a besoin de te le dire ?
— On va la prendre sous notre aile, décrète Rosie, comme ça ils la laisseront tranquille. Et par la même occasion, ils arrêteront de t'embêter, Aleksi, même si ça ne t'est arrivé qu'à de rares occasions.
— C'est le cadet de mes soucis. Honnêtement, ce sont des mots angéliques à côté de ceux auxquels a droit Astéria.
— C'est vrai qu'elle a un prénom original. Ça a un lien, vous croyez ? demande Flora
— Non, elle aurait pu s'appeler Jennifer ou Emma ou Juliette, ça n'aurait rien changé, réfute Jace.
J'hoche la tête pour appuyer ses dires. Je me demande si Astéria connaît la signification de son prénom dans la mythologie grecque. Je la lui dirai moi-même. Un jour, peut-être. Quand j'y penserai.
Un silence s'installe. Une bise d'hiver se met à souffler et je frissonne. Je ne porte qu'un pull.
— Rosie, commence ma sœur, ça va mieux avec tes parents ? Tu as trouvé un arrangement pour contenter tout le monde ?
Les parents de Rosie n'approuvent pas les études qu'elle souhaite faire, et elle a du mal à étudier ce qui ne lui plaît pas. Difficile d'aimer quelque chose qui ne vous correspond pas du tout.
— Je... Je ne sais plus où j'en suis, articule Rosie
Jace se redresse de toute sa hauteur. Il est le plus grand d'entre nous et frôle le mètre quatre vingt quinze tandis que j'atteins fièrement dix centimètre de moins.
— Tu m'as, moi, dit-il en prenant le menton de Rosie.
Elle sourit et un silence s'installe.
— Je suis contente qu'on se soit revus et reparlés. Ça me rappelle les après-midis de notre enfance, déclare Flora, brisant le silence.
— C'est vrai que c'était le bon temps, renchérit Rosie en lui souriant.
~
Quand la sonnerie retentit, je range à la va vite mes affaires, comme à mon habitude. Je mets ma veste et enfile un bonnet. Les températures se sont beaucoup rafraîchies, atteignant des nombres négatifs. Le froid me mord les doigts et mes ongles sont presque violets quand j'atteins mon casier.
Je repense à ma discussion d'hier, avec Jace et Rosie. Une chance que nous étions tous sur la même longueur d'onde. Je ne m'imaginais pas tenter de les convaincre. Il n'y a que Flora qui est restée dubitative. Mais, ma sœur n'est pas pour autant un mauvais bougre. C'est bien elle qui est intervenue, ce jour-là, pour qu'Astéria ne soit pas à côté de l'un d'entre eux. Traduction, elle se fait toute petite quand ça l'arrange.
Je tourne la tête et scrute la foule, me sentant observé. Je finis par trouver la « source » en baissant la tête, apercevant non loin une chevelure flamboyante et des yeux noisette en face de moi. Je lui souris amicalement. Elle me faisait penser à une fée avec sa petite taille. Ses lèvres esquissent un sourire. Un sourire étrange. Un sourire digne du chat du Cheshire et elle s'avance vers moi. Pour une fois, je n'ai pas l'impression de faire le premier pas et à cette pensée, mon sourire s'agrandit.
— Tu sais que tu peux mettre des gants, plaisante-t-elle en regardant mes mains gelées
— Tu sais que tu peux aussi en mettre, je rebondis en remarquant que ses doigts sont aussi violets que les miens.
Un sourire éclaire son visage et au même moment, comme si les éléments avaient conscience que ce devait être fêté, une rafale de vent glacial déferle, faisant voler en tout sens ses cheveux roux qui dissonaient avec le noir de son manteau ; et faisant claquer la porte de mon casier, par la même occasion.
Je lève les yeux et remarque que le groupe de Daniel n'est pas très loin de nous. Néanmoins, ils ne font pas attention à nous ; ils sont occupés à embêter des secondes qui ont eu le malheur de se mettre sur leur chemin. Astéria suit mon regard et ses yeux s'assombrissent.
Le fait est, et je m'en rends seulement compte, qu'ils n'ont plus besoin de lui dire quoi que ce soit pour l'empêcher de dormir. Elle y arrive toute seule. Ils n'ont qu'à tous la fixer, un rictus aux lèvres. Je vois son malaise face à leur air railleur et elle serre plus fort sa pochette de dessin, cachant son nez et sa bouche derrière. Je me demande parfois si ils ont conscience de ce qu'ils disent et font. Plus j'y pense, plus je me dis que non.
— Je sais ce que ça fait, je lui dis, simplement.
Elle écarquille les yeux, prise au dépourvu.
— Quoi ?
— Ça, je réponds en regardant successivement leur groupe et ses yeux à elle. Tu ne dois pas y faire attention. Tu dois leur prouver que c'est toi la plus forte.
— Je ne suis pas forte, réplique-t-elle, avec mille précautions
— Bien-sûr que si, nous le sommes tous.
Elle soupire et finit par capituler, sans doute fatiguée de me contredire.
— Il n'empêche que je ne le serai jamais assez, ajoute-t-elle, amèrement.
— C'est à toi de le décider. C'est toi qui choisit qui tu veux être, et c'est ça qui compte...
— Qu'est-ce que tu sais de moi, au final ? m'interrompt-elle
Je soupire et me décide à lui dire ce qui me trotte dans la tête depuis quelques jours.
— Écoute Astéria, je veux seulement t'aider et tu n'as pas l'air de le vouloir. Soit. C'est ton choix. Mais je vais rester car si jamais un jour tu changes d'avis et que tu veux me parler, je serai encore là. Je ne te l'ai peut-être pas déjà dit, mais je sais ce que ça fait d'être seul face à des évènements qui nous dépassent. Sauf, qu'on n'est jamais seul. Il y a toujours quelqu'un.
Je lui enjoins le pas et nous retournons à l'intérieur, où nous serons moins frigorifiés.
— Tu sais, Aleksi, je n'ai jamais eu de vrais amis. Je ne sais pas ce que c'est que d'avoir quelqu'un en permanence qui te dit « Je suis là, tu peux m'appeler quand tu veux » ou « parle-moi, tu sais que tu peux tout me dire » ou « tu veux en parler ? Ou bien tu veux une épaule pour pleurer ? ». Alors c'est facile pour toi de me dire ça, toi qui, j'en suis sûre, n'a pas de problèmes avec les relations humaines.
— Enfin, Astéria, regarde-toi, on se parle depuis un petit moment déjà et tu n'as aucune peine à me parler, je réfute
— Mais tu ne crois pas qu'il y a un problème quelque part ? Tous les amis que j'aie eus m'ont lâchée sans exception. Tu ne vois donc pas que quelque chose cloche chez moi ? Tu ne vois donc pas que je ne suis pas humaine ? Que jamais, je ne laisse mes émotions me submerger devant quelqu'un ? Que je ne mérite pas d'exister ?
Je la fixe sans mots dire, oscillant entre bouleversement de par ses paroles dures et indignation face à de telles paroles. Elle les a prononcées avec tellement d'aplomb, de détermination, de désespoir et de dégoût que ça me paraît irréel. Je cligne des yeux plusieurs fois, cherchant quelque chose à dire.
— Non, je finis par dire, toujours troublé, écoute, personne ne devrait-...
Je me perds dans mes mots et ne sais plus quoi dire.
— Non, toi écoute, me coupe-t-elle, tu refuses de voir que tout est à cause de moi, que si je n'étais pas comme ça, tout serait différent.
— Astéria Redwood, je réplique, prenant une voix forte et assurée, je ne suis pas d'accord avec ce que tu dis. Je ne cautionne pas ça. Tu n'as pas le droit de penser et d'affirmer que tu ne dois pas exister et que tu ne dois pas être comme tu es. Nous existons tous pour une raison particulière. Nous ne sommes pas là juste pour le plaisir d'être, non. Il y a forcément une raison. Et cette raison nous lie à nous-même. Chacun doit trouver sa propre voie. Et quand nous sommes perdus, la lumière qui éclairait notre chemin s'éteint. Nous voilà plongées dans le noir, nous, pauvres âmes errantes ! On ne sait plus, on ne voit plus, nos yeux sont tantôt fermés tantôt ouverts dans la nuit. Et là, toi tu es dans le noir, les yeux grands ouverts et tu as peur car on t'a pris ta lanterne, mais il te reste des braises. Un bon geste et tout s'enflamme. Une erreur et tout est perdu. »
Elle me fixe sans rien dire, les yeux brillants, comme si mes paroles atteignaient son coeur. Elle baisse la tête puis la relève.
Je dois admettre que je ne sais pas pourquoi je réagis comme ça avec elle. Le fait qu'elle puisse penser ça d'elle-même me met hors de moi. D'ailleurs, que quelqu'un, quel qu'il soit puisse penser ça de lui-même, me mettrait hors de moi. Parce qu'automatiquement, on se demande « mais comment cette personne a-t-elle pu en arriver là ? ». Et après on se dit qu'il faut sacrément souffrir pour se remettre en question au point de penser qu'on devrait ne pas être là. Ou pire, mourir. Mon coeur bondit dans ma poitrine, pourvu qu'elle n'y pense jamais. Elle n'en est pas loin. Mais peut-être que si je lui montre qu'elle en vaut la peine elle ne pensera jamais à ça. Y penser est déjà un acte.
~
" Mais peut-être que les plus forts sont ceux qui sont rejetés ? Car ils sont encore là, ancrés dans la tempête, et ils continueront de se battre jusqu'à ce que le soleil fasse place à la pluie, même si pour ça il faut essuyer ouragans et tornades. "
Je ferme mon carnet, convaincu que ces lignes sont vraies. Alors que j'allais m'endormir, ces mots étaient apparu sur mes paupières fermées. Animé par je ne sais quelle fièvre, j'avais attrapé ce carnet qui traînait près de mon lit pour les y graver de manière indélébile. Astéria est comme ça. C'est sur ces pensées que je m'endors.
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Bof bof, tout ça ! Je n'arrive pas à être satisfaite de ce chapitre^^
Bref, n'hésitez pas à me faire part de vos impressions ! :)
Concernant le rythme de publication, je vais pour le moment rester à une publication par semaine le mercredi (je ne peux pas faire plus, désolée ! :( ) et je verrai bien avec mon emploi du temps ce que ça donne. Aussi, je risque sûrement de repasser à une publication par week-end d'ici deux semaines. (ça s'y prêtera bien, très bien même mais vous verrez bien ! ;) ).
J'espère que vous avez passé une bonne rentrée, et que vos emplois du temps sont mieux que le mien ! :)
À la semaine prochaine et merci de me lire !
Honey.
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