Frank Sinatra

Une douche, un brushing et un bon maquillage plus tard, j'enfilai ma robe et mes chaussures à talons. Je sortis un petit sac et un boléro assortis. 19heures 55. J'étais prête. Un soupçon de Chanel et je sortis de ma chambre non sans une certaine appréhension. Comme à un premier rendez-vous. Encore et toujours la pression qui monte en accédant aux escaliers et en descendant les marches.

https://youtu.be/iorkf-8tjP4

Il apparût, là devant moi. De noir vêtu lui aussi mais pas de costume ni de cravate. Oups ! je pressentis le repas à la maison. Mes joues s'embrasèrent immédiatement et la crainte laissa place à l'embarras. Il me regardait sans me quitter des yeux une seule seconde, une moue amusée qui se transforma en sourire en coin. Je secouai la tête afin de désamorcer la situation dans laquelle je me trouvai et surtout pour éviter qu'il ne me lance la première réflexion sur ma tenue. Mais avant cela je fus obligée de constater à quel point il était bel homme et à quel point le noir pouvait faire ressortir le vert de ses yeux et son teint légèrement halé.

- Il semblerait que j'ai mal évalué la situation, lançai-je en souriant mais intérieurement je me traitai de pauvre gourde...et aussi d'imbécile.

- C'est vrai que je n'avais rien précisé mais je suis flatté de l'importance que vous avez pu donner à la soirée, répondit-il en m'aidant de la main à descendre la dernière marche. Je me consumai à son contact.

- Merci.

Et galant en plus de cela.

- J'espère que vous aimerez ce que je nous ai fait livrer, je ne connaissais pas vos goûts, pourvu que je ne sois pas trompé, ajouta-t-il en me dirigeant vers le salon. Sa main se posa délicatement sur ma cambrure amplifiant la chaleur qu'il pouvait provoquer en moi.

Encore une pièce inconnue qui donnait sur le jardin côté bassin. Du blanc encore et toujours, sur le côté une cheminée  dans laquelle crépitait un feu ambiant.

Des canapés blancs de part et d'autres donnaient à la pièce un côté cosy. Une table ronde avec des bougies dressée au fond. Alexander s'en approcha, prit deux coupes de champagne, les remplit et m'en donna une. Je le remerciai d'un sourire. Une douce musique d'ambiance et les lumières tamisées donnait à ce repas un ton de rendez vous autre que pour le travail. Il ne fallait surtout pas que j'imagine quoique ce soit, je me devais de faire redescendre la température.

- Alors c'est ainsi que se déroulent vos réunions de travail ?, lui dis-je ironiquement.

- Je dois avouer que cela fait longtemps que je n'avais pas organisé de repas ici, ajouta-t-il embarrassé, on dirait que j'ai moi même mal évalué la situation.

- Et bien... disons que nous sommes deux à avoir des idées un peu démesurées. Moi la robe et vous le repas.

Nos regards se croisèrent et nous nous mîmes à rire ensemble ce qui détendit l'atmosphère immédiatement.

- A notre collaboration, me dit-il en levant son verre.

https://youtu.be/MPLFMUmonK8

J'acquiesçai en copiant son geste. Après avoir bu une gorgée de ce nectar je lançai les hostilités.

- J'ai besoin de savoir pourquoi vous avez pensé à moi.

- Je vous l'ai dit je cherchai la simplicité, je ne voulais pas avoir affaire à quelqu'un de connu.

- Mais pour quelles raisons ? Vous aviez tellement de possibilités. Je ne suis personne dans ce milieu.

Il ne me lâchait pas des yeux, un regard sombre fronçant les sourcils, presque contrarié.

- Vous doutez encore ? Ne pourriez-vous pas juste considérer le fait que vous pouvez m'apporter plus que n'importe quel coach Hollywoodien dont le seul but sera de se faire une réputation sur mon nom ?

Je l'écoutai attentivement, il y avait tellement de méfiance dans sa voix. Peut être avait-il du essuyer pas mal de déception.

- Mais qui vous dit que je serai à la hauteur, je ne sais même pas ce que je dois faire, répondis-je doucement et en baissant la tête.

- Jacques ! Votre père ! s'exclama-t-il avant de boire une autre gorgée. Il m'a parlé de vous, de votre travail, de votre motivation ... Il a été plus que convaincant et comme je lui ai toujours fait confiance. Il n'a pas eu beaucoup à faire pour me décider.

- Je vois.

Décidément mon père avait un sacré pouvoir de persuasion. Nouvelle gorgée de champagne.

- Mais mon travail à la galerie n'a rien à voir avec vous. Ma spécialité c'est l'art, la peinture, la sculpture, j'ai du mal à créer le lien, ajoutai-je intriguée.

- En effet, expliqua-t-il. Si j'ai été bien informé, vous avez passé pas mal de temps au Royaume Uni pour vos études votre père a mentionné un diplôme en traduction donc une parfaite maîtrise de notre langue.

- J'aime le penser, répondis-je en toute humilité.

- Et bien pour moi ça a suffit, me dit-il victorieux.

Nous fûmes interrompus par Harold qui apparût pour nous dire que le repas était prêt. Alexander me fit signe de la main de venir m'asseoir. Il tira la chaise. Je pris place. Une princesse royale n'aurait pas été mieux traitée.Il s'installa en face. Harold nous apporta l'entrée et nous servit le vin.

- Merci, Harold, lui dit doucement Alexander, vous pouvez disposer de votre soirée si vous le souhaitez.

- Bien, Monsieur, merci. Passez une agréable soirée. Miss Lacoste... répondit Harold en inclinant la tête avant de sortir.

- Je pense pouvoir m'en sortir tout seul, me souffla-t-il sans trop d'assurance affichant un sourire irrésistible . Tant est si bien que mon corps se mit à onduler.

- Vous avez froid ? demanda-t-il étonné et prévenant.

- Non... Euh ... non ... la fatigue sans doute, répondis-je gênée.

- Bien. Je m'en voudrais si vous attrapiez froid dés votre première semaine.

- Ne vous inquiétez pas, ça va aller, lui dis-je fiévreuse.

- Bien. Bon j'ai choisi un repas à base de poissons et de crustacés. Si je me souviens bien nous avons là un feuilleté de noix de St Jacques au Champagne avec apparemment de la salade. Rassurez moi dites moi que vous aimez tout ça.

- Vous ne pouviez pas tomber mieux, je vous assure, avouai-je en riant.

- Alors tant mieux. A vous l'honneur.

Je coupai un bout de ce mets au fumet délicieux, curieuse et impatiente à la fois. Je pris une bouchée et laissait mes papilles se réveiller, émerveillées par tant de finesse. Je fermai les yeux involontairement.

- Apparemment c'est bon, entendis-je d'un coup.

- Oui, pardon... C'est divin, répondis-je en ouvrant les yeux l'air mutin.

Il me sourit de satisfaction, fier d'avoir marqué des points. Je le vis à sa moue et son sourire en coin que je commençai à bien connaître étant donné le nombre de fois que je les avais vues en peu de temps. Satisfaction personnelle était égale à une moue plus sourire en coin. Equation mathématique.

Avalant lui aussi une bouchée, il ne put s'empêcher de faire un commentaire.

- Hum ! mais c'est vrai! c'est drôlement bon. Il faudra que je pense à féliciter ce traiteur et Harold de me l'avoir suggéré.

Puis il se mit à rire.

Je profitai d'être assise pour ôter mes chaussures qui commençaient à me blesser, mes orteils se recroquevillèrent sur le froid du carrelage mais cette fraîcheur leur fît le plus grand bien. De toute façon je ne comptai pas me lever donc impossible pour lui de voir que j'étais pieds nus.

-Bon, me dit-il en posant sa fourchette, et si nous parlions de nous.

Il m'adressait un regard amusé comme s'il me proposait une partie de cartes.

- Très bien, aquiescai-je en posant ma fourchette et mettant mon visage entre mes mains, les coudes sur la table j'étais avide de ses explications.

- Bon... Hum... alors c'est simple, j'ai reçu un scénario il y a quelques semaines d'un rôle pour lequel on m'impose une maîtrise quasi parfaite de votre langue.

Je le regardai les yeux grands ouverts, perplexe.

- Bien. Euh... je vois, dis-je entre deux clignements.

- Le tournage commence dans 6 mois, ajouta-t-il doucement.

- Pourquoi ne pas être parti directement en France ? Là-bas, vous auriez eu le meilleur enseignement et accent possible.

- C'est impossible par rapport aux obligations que j'ai ici. C'est un métier pour lequel vous ne pouvez pas vous permettre de disparaître du jour au lendemain. Vous devez être vu un peu de partout pour que l'on ne vous oublie pas. Je ne peux pas partir. Alors j'ai fait venir la France à moi, termina-t-il en me souriant.

Je le dévisageai lorsqu'il parlait, il dégageait une certaine gravité sur laquelle je ne pus mettre un nom. Il se leva soudain, prit la direction de la cuisine et revint aussi tôt avec deux assiettes fumantes qu'il posa délicatement. Encore un plat qui semblait aussi exquis que le premier.

- Attention, je pense que c'est chaud, se permit-il de me dire.

- Je vous sens dubitative, pensez vous que ce soit insurmontable voire impossible, ajouta-t-il. Peut être avait il senti mon mal aise et mes doutes tout à coup.

- Très sincèrement, je ne sais pas quoi vous répondre, je suis surprise et à la fois effrayée par la tâche. C'est titanesque ! Quelle responsabilité !

Je calculai déjà comment j'allais m'y prendre, le nombre d'heures à passer et surtout comment imbriquer ceci dans son emploi du temps si chargé.

- Il faudrait pour bien faire que nous parlions en français le plus souvent possible par exemple et que nous passions le maximum de temps ensemble mais je ne vois pas comment...

Il me coupa immédiatement, enthousiaste. Le regard ténébreux de tout à l'heure avait laissé place à une joie enjôleuse.

- Je n'aurai pas pu mieux espérer de votre part, je n'osai pas vous le proposer sans avoir l'air d'empiéter sur votre vie mais je vois les choses de la même façon que vous, s'exclama-t-il. Mangez ça va être froid, ajouta-t-il avec son sourire en coin.

Ça commençait d'ailleurs à m'agacer terriblement de voir à quel point il pouvait être aussi victorieux. Mais je m'exécutai sans mot dire. Le silence s'installa entre nous et seule la musique d'ambiance qu'il avait choisie meublait la pièce. Je crus reconnaître du Sinatra.

https://youtu.be/MMC9ADHtWHw

Alexander m'observait.

- Alors qu'en pensez-vous ? Enfin, de ma proposition ? finit-il par demander un peu impatient.

- Et bien c'est une bonne idée mais je vais devoir vous suivre un peu partout dans vos déplacements. Je ne sais pas si... enfin si cela est du domaine du réalisable.

- La question n'est pas là, elle est que vous devez me dire si vous vous sentez de suivre mon rythme.

- Je pense que oui dans la mesure où j'aurai votre emploi du temps à l'avance.

- Bien sur, c'est normal. Je m'y tiendrai. Je dirai à Joan de vous envoyer un mail avec le détail des prochaines semaines.

Il comprit à mon air que j'avais besoin d'explication sur cette Joan qui apparut d'un coup comme sortie d'un chapeau.

- Joan... Oui ... C'est mon agent, expliqua-t-il naturellement et au ton de sa voix je compris qu'il n'y avait aucune ambiguïté. J'imaginais une femme plus jeune que lui, mal arrangée, sans éclat, débordée par son travail et dévouée corps et âme. D'ailleurs quel âge avait-il au juste ? Je le dévisageai, je ne voyais aucun cheveu blanc, de toutes petites rides d'expressions qui donnaient à son sourire un charme supplémentaire. Il ne devait pas avoir plus de 35 c'est sur.

- Je vous ressers un peu de vin ?, me demanda-t-il la bouteille à la main.

- Volontiers merci, je lui présentai mon verre.

- Je vais chercher le dessert, annonça t'il.

Cela ne lui prit que quelques minutes pour à nouveau débarrasser et revenir avec deux parts de gâteau au chocolat.

Je me pinçai les lèvres d'extase .

- Vous savez, ajoutai-je, pour en revenir à ce que vous disiez précédemment. Il faudrait d'abord que je puisse évaluer votre niveau. Je suppose que vous avez quelques bases, non ?

J'eus un tel regard implorant qu'il crut bon de me montrer de quoi il était capable.

- Bonjour, jé m'appelle Alexander, jé souis Anglais et j'aime la France, me dit-il avec un magnifique accent anglais. Irrésistible.

- J'aurai du mal à vous en dire plus comme ça là mais avec un peu de pratique je suis sûr de me remettre sur pieds, décréta-t-il en riant.

- On va dire que c'est comme le vélo, ça ne s'oublie jamais réellement.

- Je l'espère, se rassura-t-il un léger pli sur le front.

Notre succulent dessert terminé, il me proposa une tasse de café mais j'optai pour une tasse de thé.

Je le laissai faire à nouveau, sous le charme d'autant de dévouement . Qu'il était bon de se laisser faire. Lorsqu'il revint avec un plateau, il s'installa prés de la cheminée et se tourna vers moi.

- Nous serons plus à l'aise ici, vous ne pensez pas ? me demanda-t-il d'une voix douce.

https://youtu.be/C1AHec7sfZ8

Bien évidemment au moment de me lever, mes chaussures que je pensai avoir laissées juste sous la table avaient disparues. J'avais beau tatillonner de mes orteils, impossible d'y mettre le pied dessus. Alors que je m'agitais sous la table telle une chenille sortant de son cocon, il fronça les sourcils et s'adressa à moi plein de curiosité.

- Un problème ?

Pas moyen d'y échapper, la situation se retournait contre moi et je n'eus pas d'autres choix que de répondre.

- Pff ! C'est idiot vraiment, je...j'avais mal aux pieds, j'ai enlevé mes chaussures et... je ne les trouve plus, pestai-je contre moi-même.

Comme si j'avais besoin de me mettre ainsi dans l'embarras ! Du coup plus rien ne me retenait de passer sous la nappe pour attraper ces maudits escarpins. En m'extirpant je me cognai forcément la tête, je soufflai de ma maladresse et de ma stupidité qui me rattrapaient sans que j'eus trop à forcer. Il eut la délicatesse de se tourner à ce moment là faisant mine de ne pas avoir vu l'incident. Gentleman jusqu'au bout !

Je m'approchai des sofas, mes chaussures à la main, je reconnus le titre de Frank Sinatra 'Under my skin' en fond. J'aimai ce morceau, il me donna l'envie de faire quelques petits pas de danse sur le tapis épais mais j'estimai m'être suffisamment ridiculisée pour la soirée. Je m'installai donc confortablement sur l'un des deux canapés. Il sourit à la vue de mes pieds nus mais ne fit aucune remarque. Il se contenta de prendre place à côté de moi, me servit du thé dans lequel il rajouta automatiquement un nuage de lait comme je l'avais fait pour Harold dans l'après midi. Il se servit une tasse de café qu'il ne sucra pas.

- Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez préciser ? intervint-il d'un coup, je veux être sur qu'il n'y aura aucun malentendu.

Quelque peu prise au dépourvu deux idées me vinrent néanmoins à l'esprit. Je pensai à Sarah, à sa venue.

- Je souhaiterais un jour de repos par semaine et des vacances, annonçai-je feignant une assurance hors du commun.

- Nous n'avons pas encore commencé que vous demandez déjà des congés, vous ne perdez pas de temps dites moi, dit-il amusé en faisant la moue mais sans sourire en coin cette fois-ci.

- Je sais ce que je veux c'est tout, lui répondis-je en le regardant droit dans les yeux et je soutenais son regard du mieux que je pouvais. Il m'intimidait tellement, j'en étais consciente mais je ne voulais me détourner. Il plongea son regard dans le mien et je remercie le ciel d'être assise car à ce moment précis je ne sentis plus mes jambes et je trouvai que Frank Sinatra chantait trop fort.

- Je vois ça en effet, vous êtes très déterminée, finit-il par me dire.

    Ses yeux verts ne me lâchaient pas comme s'il essayait de lire au travers des miens, Ils me  transperçaient de toute part. Fort heureusement, ce fut lui qui se détourna le premier avec son fameux sourire en coin. Je passai nerveusement ma main dans mes cheveux, il fit de même. Etait-il aussi nerveux que moi finalement ? J'en profitai pour finir mon thé et me levai pour regagner ma chambre. Il était temps.

- Je crains de ne pas être très résistante ce soir, lui mentis-je d'une petite voix

- Je comprends. Passez une bonne nuit .

Il se leva par courtoisie.

- Quand souhaitez-vous que nous commencions ?

- J'ai deux journées importantes qui arrivent disons... Hum... Mercredi ? décida-t-il

- Parfait ! m'exclamai-je. Cela me laissera du temps pour aller faire du shopping à Londres et jouer les touristes.

-Si cela vous convient alors cela me convient aussi dit-il calmement. Bonne nuit Elizabeth.

- Bonne nuit, ajoutai-je.

Je sortis de la pièce et laissait Frank Sinatra finir sa sérénade. Dans le hall d'entrée à l'abri des regards indiscrets je m'accordai deux petits pas de danse.

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