Embarras

https://youtu.be/whbjmTqR_GQ

                             Mon réveil fut doux. Je m'étirai de tout mon long tel un chat après sa sieste de l'après midi. A ma montre 9h35 heure française donc 8h35 ici. Je bondis hors de mon lit. Dans ma précipitation d'aller me coucher je n'avais pas programmé mon alarme sur mon portable . Il aurait du sonner plus tôt. En retard pour mon premier jour rien de tel pour être totalement stressée . Je me hâtai donc d'aller prendre une douche et de me préparer pour descendre.

Je n'allais guère avoir le temps de profiter de cette salle de bain divine. Avec la lumière du jour elle était encore plus belle que la veille, d'une luminosité indescriptible. J'esquissai un sourire de joie.

Dans la chambre, je m'empressai de tirer les rideaux, laissant entrer le peu de soleil que le ciel britannique voulut bien nous accorder aujourd'hui. Au moins, il ne pleuvait pas.

             Ma valise sur le lit et ne sachant pas à quoi m'attendre, j'optai pour une tenue dans laquelle je me sentirais à l'aise . Pas le temps de remplir le dressing, je gardai cette corvée pour plus tard. Je fis rapidement mon lit et sortis de la chambre. Une odeur délicieuse me titilla le nez. Une odeur de toast que j'aimais et que je ne trouvai qu'ici. En France, étrangement, ils n'avaient ni le même goût, ni la même odeur. Je suivis ce doux fumet me diriger vers l'escalier pour descendre les deux étages. Je devais trouver la cuisine par moi même, la maison était silencieuse. En bas des marches, je jetai un œil à droite, à gauche. Des bruits métalliques, de couverts attirèrent mon attention. Je n'étais pas loin. Je me dirigeai sur une ouverture qui s'offrait à moi, pas de porte, une lumière, vive. Je m'approchai doucement. Un grand plan de travail en marbre gris se dessinait devant moi, je passai l'entrée et perçus une silhouette passer.

" Sans doute Harold " pensai-je.

Je m'avançai et poussai un grand soupir de stupéfaction. Cette cuisine était indécemment gigantesque et belle.

Aux tons de blancs et de bois, s'ajoutait la transparence des luminaires, encore une légère teinte de vert d'un bouquet dans un vase translucide posé sur le deuxième plan de travail au dessous duquel se trouvait une multitude de placards. Je posai mes mains sur le marbre froid. Une sorte de plénitude m'envahit. Tout dans cette maison m'apportait un bien être inexpliqué. Je sursautai néanmoins.

- Oh... Bonjour... Pardon je ne voulais pas vous effrayer, annonça la voix qui venait de la pièce d'à côté.

Je me retournai et IL était là, deux assiettes blanches dans les mains, souriant, en s'approchant il les posa sur le marbre.

- Vous êtes Elizabeth ? me demanda-t-il toujours aussi souriant.

Qui pouvais-je être d'autre ? Je lui tendis la main et lui rendis son sourire. Difficile de faire autrement.

- Oui... enchantée Monsieur Nolan, répondis je.

Si j'avais su quoi lui dire je n'aurais pas été aussi banale. Je me sentis tout d'un coup intimidée. Ah oui ridicule aussi.

- S'il vous plait, pas de Mr Nolan entre nous, Alexander. Nous allons passer suffisamment de temps ensemble pour éviter ce genre de civilités, dit il amusé par tant de protocole. D'ailleurs je me rends compte de vous avoir appelée par votre prénom. Peut-être auriez-vous préféré Mlle Lacoste..."

- Non... non ça ira très bien, ajoutai-je.

Je n'allais pas  jouer la frenchie coincée.

- Je suis désolé de ne pas avoir été là à votre arrivée, mon vol a été retardé et je suis arrivé très tard, s'empressa-t-il d'enchaîner. Mais je suppose qu'Harold s'est bien occupé de votre installation .

- Oui bien sur, ne vous inquiétez pas.

- Mais je ne m'inquiète pas, dit il en riant, je connais le savoir vivre d'Harold, je savais qu'il vous aurait bien reçue.

- C'est le cas en effet.

- Vous avez faim j'espère, je vous ai préparé un vrai petit déjeuner anglais.

Avait-il bien dit "je" ?. Il ajouta en riant:

- J'avoue que j'ai très peu l'occasion de cuisiner, votre arrivée est à la fois l'excuse et le prétexte pour le faire.

- Je vois. Et bien merci. Ça sent très bon et effectivement, j'ai une faim de loup, lui répondis-je enfin détendue.

Mais cette décontraction fut éphémère. Alors que je me dirigeai pour m'installer à la table que j'avais entraperçue, je lui rentrai dedans visiblement dans la mauvaise direction. La stupéfaction se lut sur mon visage et il éprouva le besoin de me montrer chaque pièce de la main.

- Oh... Euh...Oui pardon Breakfast room par ici...Dining room par là... j'ai eu du mal à m'y faire, moi aussi au début mais vous verrez vous prendrez vite vos habitudes. Allez venez manger.

Il me souriait gentiment, je le regardai, il avait un sourire qui inspirait confiance. Je le suivis sans un mot. Une table ronde avec six chaises, au milieu de la pièce, meublait l'espace. Toujours du blanc, de la sérénité. Sur la table, du lait, des toasts, des céréales, des fruits, du bacon, des œufs, des pancakes, du thé, du café, du beurre, de la marmelade, décoraient la nappe de mille couleurs. Toutes ces victuailles étaient alléchantes . Mais combien de personnes allaient partager ce festin ? J'hésitai donc à m'installer. Prenant ma réaction comme de la gêne, il sembla agacé.

- S'il vous plait asseyez- vous, me dit- il .

- Mais nous n'attendons pas les autres ? demandai-je pour m'expliquer.

- Les autres ? Mais.... il n'y a que nous ici, me répondit il amusé cette fois-ci.

- Vraiment ? Oh... et bien dans ce cas je crois que vous avez surestimé mon appétit, lançai-je en riant, mais je me repris immédiatement après tout c'est lui qui avait tout préparé.

- Mais tout cela m'a l'air délicieux, d'ailleurs je ne sais pas par quoi commencer.

          Il eut un sourire en coin, taquin, joueur, charmeur qui me mit soudain mal à l'aise et me poussa à m'asseoir rapidement pour me détourner de son regard. Je ne m'étais pas encore attardée sur lui. Je n'avais pu détailler que ses mains la nuit dernière et constater en lui rentrant dedans qu'il était grand puisque ma joue s'était lamentablement écrasée sur son torse. Ses cheveux mi longs, noirs étaient brossés en arrière plaqués, miroir humide, une boucle rebelle derrière l'oreille. Et ce sourire . Où avait-il appris à sourire ainsi. Irrésistible.

        Bien sur je le connaissais au travers de journaux, de films et de la télévision. J'avais surtout entendu parler de son divorce déchirant avec une actrice américaine qui avait fait couler beaucoup d'encre, assaillis tous les deux par les paparazzis jusqu'au jugement final qui avait accordé à son ex-femme la garde d'un enfant, un garçon me semblait-il. Je me souvins aussi de quelques articles concernant des conquêtes multiples et des soirées plus qu'arrosées.

         Je me servis du thé, rajoutai du lait et un soupçon de miel, ce qui provoqua à nouveau le sourire en coin, je ne relevai pas et  remplis mon assiette en toasts, bacon, œufs et céréales. Je m'aperçus non sans une certaine honte d'une abondance  gargantuesque comme si je n'avais pas mangé depuis des semaines.

- J'ai très faim, expliquai-je en rougissant et en haussant les épaules. Il me répondit d'un sourire.

- Savez vous que nous nous sommes déjà rencontrés ? demanda-t-il amusé.

Je fus gênée de devoir lui répondre non, comment avais-je pu oublier une telle rencontre ? Je fouillai dans ma mémoire tout en mâchant mon toast ce qui me donna quelques secondes supplémentaires de réflexion avant de lui dire :

- Vraiment ? Je suis désolée je ne m'en souviens pas, vous êtes sûr ?

- Absolument, mais rassurez vous, il n'y a rien d'étonnant à ce que vous ne vous en souveniez pas car c'était il y a quelques années déjà, hum... pas loin de six ans me semble-t-il. Hum... Oui c'est bien ça.

Intérieurement je me décomposais mais je restais concentrée pour avaler mon thé sans m'étouffer ou pour éviter qu'il ne passe de l'autre côté et sorte par l'une de mes narines. Six ans ? J'en avais donc dix huit à l'époque . Ouh la la, mais qu'allait il me raconter ? Six ans... Je ne me souvenais pas . C'était horrible.

Je finis par lâcher un « Ah bon ? » très coupable. Je me souvenais de cette période durant laquelle s'enchaînaient fêtes et sorties, copines et copains. Comment se faisait-il que je ne me souvienne pas de lui ?. Il se mit alors à me regarder droit dans les yeux et y lut mon appréhension ce qui sembla énormément l'amuser . Moi, je pus voir à quel point ses yeux étaient verts.

- Vous avez peur de ce que je vais vous dire n'est-ce pas? me demanda-t-il avec son sourire en coin.

- Effectivement, répondis-je d'un rire nerveux, mais impossible de me détendre.

- C'était le début de l'été, j'étais venu voir votre père, je cherchais une maison à louer dans le coin, à l'époque ma carrière débutait à peine. Donc... je descendais pour récupérer ma voiture garée derrière la propriété et c'est là que je vous ai vue.

Il arrêta son récit, mais visiblement ce n'était pas fini. Sans doute gardait-il le meilleur pour la fin. J'attendais, beurrant ma tartine sans me rendre compte que le beurre avait déjà fondu et que je n'étalais plus rien du tout.

- C'est étrange que je ne m'en souvienne pas, annonçai-je suspecte.

- Vous ne m'avez pas vu en fait, dit-il de plus en plus amusé.

- Ah! alors  je suis rassurée, je commençai à me dire que je devenais folle, sénile ou qu'à l'époque je n'étais pas dans mon état normal.

Je jubilai . J'avais enfin trouvé la solution à mon problème. Enfin, du moins c'est ce que je croyais jusqu'à ce qu'il rajoute, victorieux :

- Et bien... Hum... C'est un peu ça.

Oh mon Dieu ! Pitié pas ça. Non faites qu'il ne m'ait pas vu saoule ! Pitié faites que ce ne soit pas ça. Je le regardai ébahie, prête à l'implorer de ne pas aller plus loin dans son récit mais il ne m'en laissa pas le temps. Il porta l'estocade.

- Vous étiez trop occupée pour vous rendre compte que j'étais là.

Mais de quoi parlait-il bon sang ? je baissai la tête regardant mon pauvre toast dans lequel j'avais fini par faire un trou à force de le laminer. Tout à coup, une révélation ! C'était pire que ce à quoi j'avais pensé, il m'avait vu avec mon petit copain de l'époque, dont j'avais oublié le nom d'ailleurs, qui me retrouvait souvent en cachette derrière la maison.

J'esquissai un demi-sourire.

- Euh... Oui... je vois de quoi vous parlez. 

Je ne savais pas quoi rajouter, je me sentis tellement mal à l'aise.

- Je suis désolé, ajouta-t-il, je ne voulais pas vous mettre dans l'embarras. C'était indélicat de ma part. Pardon.

Sa voix s'était adoucie et il baissa la tête comme un enfant honteux. Il avait manqué son approche.

- Hum... ce n'est pas grave. Ce n'était sans doute pas la meilleure image que j'aurais voulu que vous gardiez, lançai-je calmement.

Je me levai, mon appétit sensiblement coupé par l'évocation de ce souvenir peu glorieux.

- Excusez -moi, mais je dois finir de ranger mes affaires, annonçai-je en rangeant ma chaise.

Je m'apprêtai à sortir de la pièce lorsque je l'entendis me dire, comme pour soulager sa conscience :

- Je n'ai vu qu'un baiser. Cela reste une belle image.

Les mains dans les poches de mon jean, je ne me retournai pas et ne lui répondis pas. La corvée du dressing m'attendait.

Trop d'étagères, trop de tiroirs, pas assez de vêtements ni de chaussures pour combler les espaces vides. Tant pis. Qu'y faire ? Je n'allais pas refaire ma garde robe juste pour remplir ce dressing immense. Une vie de shopping n'y suffirait pas de toute façon. Finalement, ce fut relativement vite fait. Je rangeai mes deux valises vides et commençai à sortir mes affaires de travail, raison de ma venue. Heureusement pour moi, j'avais mis tous mes documents sur disque dur ce qui m'avait permis de ne pas emporter mon propre ordinateur et une tonne de paperasse inutile.

Contre les murs encore des étagères sur lesquelles je m'empressai de mettre mes livres qui m'aideraient dans mon enseignement mais en fait, je n'avais eu aucune indication sur ce que j'étais censé faire. Cours théorique, grammaire, conversation ... je ne savais pas. Dans le doute j'avais tout apporté : des livres d'exercices, des recueils de poésies, des romans simples à de la grande littérature française.

Mon portable sonna. De l'autre côté de la chambre, je me ruai pour décrocher. Ma mère. Je lui racontai mon installation en évitant de lui mentionner l'épisode du piano dont je n'étais pas vraiment fière, je pensai que la seule à qui je pourrais raconter ceci serait à Sarah car je savais que cela la ferait rire. J'expliquai donc la maison, les chambres, la cuisine, les différentes pièces des repas même si  je pressentais que d'autres se cachaient dans bons nombres de recoins. Elle m'écoutait attentivement  lâchant de temps en temps un « Waouh... Eh Ben dis donc... ». Puis me posant des questions sur lui je restais évasive. Que pouvais-je dire de toute façon ? je ne lui avais parlé que quelques minutes et je ne pouvais pas dire que les sujets de conversations furent des plus éloquents. J'écourtai un peu la conversation prétextant un emploi du temps chargé et des dossiers à préparer. Je ne sus si ma mère me crut mais notre appel se termina rapidement par des baisers remplis d'amour.

Je m'approchai de la fenêtre et découvris la vue. La première fenêtre semblait donner sur l'arrière de la maison. Le plan d'eau que j'avais entrevu la veille était bien là. C'était en fait un bassin dans lequel des poissons se prélassaient tranquillement. Tout autour de jeunes cyprès et une pelouse parfaitement entretenue. Typique. J'imaginai des après midis relaxantes sur des transats, sirotant un jus d'orange frais préparé par les bons soins d'Harold que je n'avais pas vu de la matinée d'ailleurs. Cette propriété semblait décidément magnifique.

Je finis par aller jeter un coup d'œil à l'ordinateur portable mis à ma disposition. Je m'installai au bureau dos à la deuxième fenêtre.

Je le mis en route. Rien à voir avec le mien qui à côté de celui-ci datait de l'ère préhistorique informatique. Je téléchargeai tous mes documents. Je créai mes dossiers contenant cours et d'informations personnelles.

Quelqu'un frappa à ma porte. Je m'avançai et ouvris la porte. Harold se trouvait devant moi souriant.

- Bonjour, Miss. Avez-vous passé une agréable nuit ?, me demanda-t-il dans un anglais tout droit sorti d'un programme de la BBC.

- Oui, très agréable je vous remercie.

Je lui répondis en m'efforçant de reprendre mes marques du mieux que je pouvais. J'eus l'impression que mon accent était tellement épouvantable que je le forçais un peu en m'adressant à lui. Ce qui parut très maladroit et surtout pas naturel du tout.

- Souhaitez-vous que je vous prépare quelque chose pour le déjeuner ? Devant mon air intrigué il crut bon de rajouter

- Mr Nolan ne sera pas là ce midi, il a du se rendre à un rendez vous et vous serez donc seule pour déjeuner.

- OH , je vois... Euh... je ne sais pas quoi vous répondre. Hum... pour l'instant je n'ai pas faim. Serait-il possible de voir ça un peu plus tard ?

- Mais bien évidemment, je reste à votre disposition Miss. Il vous suffira de me sonner.

- Pardon ? Vous sonner ?

- Si vous permettez Miss.

Il fit un geste de la main pour entrer dans ma chambre. Je le laissai faire, curieuse. Il se dirigea vers le bureau. Sur l'un des murs se trouvait un petit interrupteur que je n'avais pas remarqué.

- Il vous suffit d'appuyer  si vous avez besoin de moi.

- Oh... je vois ... très bien. Parfait.

- N'hésitez pas Miss.

Je le regardai partir un peu déconcertée car cet interrupteur qui me parût tellement archaïque. Il remplaçait tout simplement la petite clochette qui ornait, fut un temps, toutes les tables de chevet des chambres de riches propriétaires. Harold était vraiment à la disposition de cette maison. Arriverai-je un jour à me servir de cet objet avilissant ?

Une seule chose était sûre : je serais seule cet après midi.

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