Partie 03

Violette ne pouvait s'empêcher de se tordre le bout des doigts. En cet instant, elle n'arrivait à penser qu'à une seule chose. Sa mère. La verrait-elle, devant son poste de télé ? Que penserait-elle de sa fille, l'activiste enragée ?
Les intervenants s'enchaînaient, les divers représentants se levaient, leurs discours traduits dans les divers casques. Tout se mélangeait en un brouillard anxieux, les mots se superposaient les uns aux autres, sans aucun sens. Ils s'agitaient tous, l'assemblée applaudissait, huait à l'envie, sans que les jeunes gens ne parviennent à comprendre pourquoi.

Ils se sentaient si isolés, si juvéniles en ces lieux ! Il n'y avait pas un seul front qui n'était pas ridé, pas une seule peau qui n'était pas blanche - ou couleur café crème, à la grande rigueur. Les deux activistes étaient clairement des intrus en ces lieux.

Violette se rapetissait sur sa chaise, tentant de se faire aussi inintéressante que possible. Le regard des orateurs passait sur elle sans s'arrêter, mais elle ne pouvait s'empêcher de sursauter ou de s'arrêter de respirer. Elle allait mourir d'angoisse avant d'avoir eut le temps de faire quoi que ce soit.

Que penserait sa mère d'elle ? Est-ce qu'elle la laisserait rentrer à la maison ? Pour peu qu'elle n'atterrisse pas directement en prison, bien entendu, ce qui n'était pas une certitude. Comme elle devait avoir honte de ses deux enfants rebelles, sa fille zadiste et son fils tatoué de baleines, en train de naviguer aux côtés des Sea Shepherd... Quand il avait annoncé qu'il partait, la dispute avait fait trembler les murs du logis. Pourraient-ils lui rendre visite, en cellule... ?

Puis le président de séance annonça une pause, et Antoine dut tirer sur la manche de son amie pour qu'elle s'en rende compte. Elle promena son regard noisette, légèrement perdu, et vit que les équipes de journalistes commençaient doucement à remballer leurs affaires. Un pieu lui transperça le cœur, la tétanisa sur place.

一 Respire, lui chuchota Charlotte. Il ne faut pas que tu t'évanouisses.

La brune hocha la tête, sécha la moiteur de ses paumes sur son pantalon déjà froissé. Ses doigts s'enroulèrent autour du tube de crème, dans son sac. Elle expira, lentement.

Elle se leva, l'arme du crime serrée dans son poing, et abandonna son porte-bonheur à sa place. Antoine la suivit et tendit les mains. Violette ouvrit le tube, répandit la colle sur ses doigts.

Elle n'arrivait pas à croire qu'elle faisait ça. C'était trop fou, trop irréel. Elle savait pertinemment qu'ils souffriraient terriblement quand on les arracherait de là. Mais voilà, elle répandait l'instrument de leur torture.

Ils descendirent les marches basses, jusqu'au sigle blanc peint. Le secrétaire leur lança un regard surpris, puis les ignora. Ils n'étaient que de jeunes gens qui profitaient de la pause après tout. Une quantité négligeable.

Violette répandit la colle sur sa main et lâcha le tube.

一 Votre attention à tous ! S'il vous plaît !

La voix puissante d'Antoine vibra dans tout l'auditorium, quelques têtes se tournèrent vers eux, mais pas assez. Violette grimpa vers l'imposant pupitre qui gouvernait l'assemblée et tira à elle le micro du président, usant de son poignet pour ne commettre aucune erreur irréparable.

一 Bonjour à tous, mesdames et messieurs !

一 Qu'est-ce que...

La jeune fille vit un vigile se précipiter vers elle, et elle plaqua les deux paumes sur la table sous les yeux médusés des organisateurs.

一 Chers représentants de nos pays, chers représentants des partis civils. Je vous remercie à tous de vous être réunis ici aujourd'hui, et ce pour un sujet aussi important.

Sa voix chevrotait lamentablement dans tous les hauts-parleurs. Elle déglutit, et détourna son regard d'Antoine qui se disputait avec l'un des hommes de la sécurité. Il s'était collé sur le symbole de l'ONU, à genoux au coeur de la planète. Son coeur se serra, mais elle devait l'ignorer.

一 Et c'est précisément parce que ce sujet est important, essentiel même, que nous nous devons d'agir. Nous sommes la nouvelle génération, celle qui se révolte mais que l'on n'écoute pas ! Celle qui va payer, mais qu'on refuse d'aider ! Celle qui veut agir, mais qu'on réduit au silence ! Et bien, plus maintenant !

Tous les diplomates et représentants s'étaient figés, médusés. Certains se rassirent à leurs pupitres, enfilèrent leur casque.

一 Pour qui vous vous prenez jeune fille ?

Le président de session était revenu, et sifflait sa rage sur Violette. Il tenta de la décrocher du bureau, mais constata qu'elle était solidement collée au contreplaqué. Il tira sur ses poignets et Violette gémit de douleur, mais ne renonça pas. Charlotte s'interposa entre l'estrade et d'autres vigiles, feignant l'idiotie.

一 Nous sommes aujourd'hui dans un temps d'urgence ! Une ère qui décidera de notre vie ou de notre mort, de la survie ou de la fin de l'humanité ! Et nous ne pouvons pas nous permettre de prendre la mauvaise décision ! Et c'est pour cela que nous agissons ! Pour que vous ne puissiez pas nous ignorer, pour que vous ne puissiez plus nous mettre de côté ! Nous représentons tout ceux qui ne peuvent parler, et tout ceux qui comptent sur vous. Ceux qui seront les premiers à payer les conséquences des sécheresses et de la famine ! Les pêcheurs qui ne peuvent plus se nourrir à cause des chalutiers industriels ! Les plus défavorisés qui meurent de froid dans les pays soi-disant développés !

一 Et vous croyez qu'une telle farce vous donne raison ?

Un homme avait vociféré dans un micro encore allumé, les casques rediffusant à pleine puissance sa voix de stentor. Violette le reconnut comme le représentant d'un groupe pétrolier français. Il reprit de plus belle, emporté par son juste courroux :

一 Regardez-vous bande de clowns ! Vous pensez vraiment que vous collez n'importe où va vous aider ? Vous êtes grotesques, tout simplement grotesques. Des bouffons !

一 Et vous, vous êtes aveugle !

Les larmes dévalaient les joues de Violette, et la rage tendait jusqu'au dernier muscle, au dernier tendon de son être.

一 Nous savons que cela ne rime à rien ! Nous savons que nous nous faisons du mal, que nos actions sont ridicules ! Mais nous sommes à court d'options ! Nous n'avons plus le choix ! Nos manifestations ne font rien, nos lettres aux gouvernement sont sans réponse, nos appels à la population se noient dans l'indifférence des élites ! Nous ne pouvons pas rester les bras croisés alors que vous tuez l'humanité à petit feu, que vous prenez les décisions qui arrangent une minorité qui se croit immortelle !
"Alors oui, nous nous collons au milieu de galeries d'art, de concerts, de bâtiments officiels, nous dérangeons les assemblées et les spectacles, mais ne vous trompez pas, c'est parce que nous n'avons plus le choix ! Plus le luxe d'attendre, de repousser à la prochaine génération ! C'est inique, c'est absurde, mais voilà la seule chose que nous pouvons encore faire pour nous exprimer ! Nous sommes suffisamment désespérés pour nous humilier, nous faire du mal, car nous n'avons plus d'options - ce sont des scientifiques, des académiques qui manifestent aujourd'hui, pas des cas sociaux comme vous aimeriez le croire ! Et ces grands hommes, ces grandes femmes s'humilient pour une cause supérieure à n'importe quelle considération morale ! Nous devons attirer l'attention du monde sur la crise que nous traversons, car si nous n'agissons pas massivement, il n'y aura plus rien à sauver !

Elle s'était emportée, avait hurlé dans le micro. Le Bic était tombé, sa cascade de cheveux bouclés se répandait de part et d'autres de son visage en un nuage hirsute. Elle se tourna vers les caméras, toutes braquées vers elle, vers son nez rougi, ses yeux gonflés et ses lèvres tremblantes. Son cœur battait la chamade, tambourinait avec la force d'un marteau entre ses côtes... Mais elle devait continuer. C'était leur dernière chance.

一 Ceci est un message, non seulement à nos gouvernements, mais aussi à toute les populations. Nous sommes au pied du mur. Si vous ne faites pas bouger les choses, nous mourrons. Mais je vous en fait la promesse : nous nous battrons jusqu'à notre putain de dernier souffle !
"Quoi qu'il nous en coûte... 


~ Fin ~

J'espère que les aventures de ce doppleganger vous ont plu ! Que pensez-vous des agissements des éco-activistes ? Violette parviendra-t-elle a produire le moindre changement... ? 

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