Partie 02
Le train s'ébranla, et l'amas des immeubles se mélangea en un flou grisâtre. Le TGV fila comme un oiseau, les nuages s'éparpillèrent pour révéler un ciel d'un bleu gelé. La lande s'étala sous leurs yeux, émeraude couronnée de givre délicat. La campagne n'en était que plus immobile et parfaite, figée alors que le train perçait ce paysage tranquille. Le front appuyé contre la vitre, Violette laissa ses pensées s'évader, emportée par le vent de leur course.
Quelques heures plus tard, le duo traînait leur valise dans les rues de Genève. Une voiture poussiéreuse s'arrêta non loin d'eux, et le conducteur leur fit un signe : Violette alla ouvrir la portière pour saluer Thomas, tandis qu'Antoine s'aventurait vers le coffre. Ils s'entassèrent à l'arrière de la vieille clio, fronçant le nez sous l'odeur d'essence et d'herbe.
一 Comment ça va, vous deux ? Vous avez fait bon voyage ?
一 Tranquillement, ouais." répondit Antoine, la voix plus tendue qu'à son habitude. Il n'élabora pas davantage, et le conducteur hocha la tête sans rien répondre.
Thomas remonta les belles avenues recouvertes de neige, maculées de pollution. Violette colla son nez aux vitres, curieuse, détaillant les immeubles et les trottoirs suisses. Les rues étaient immaculées, les poubelles vidées, et la jeune fille ne parvenait pas à apercevoir la moindre trace de chewing-gum sur le macadam. Elle aperçut quelques hommes emmitouflés dans plusieurs manteaux rapiécés, poussant un caddie ou traînant des sacs plastiques remplis à craquer...
一 Ca serait bien si on revoyait le plan d'action.
La voix d'Antoine tira Violette de sa contemplation. Elle lança un dernier regard navré aux pauvres ères, puis se tourna vers ses collègues.
一 Charlotte Benhaman nous a obtenu un laisser passer, pour Violette et moi. Nous sommes officiellement ses étudiants venus assister au débat, afin d'illustrer notre thèse.
Ce n'est, en soi, même pas un mensonge de la professeure de droit. Antoine était effectivement son étudiant tandis que la jeune fille... Voulait voir l'action.
一 Bref, on a notre ticket d'entrée garanti." continue le brun, avant de déglutir. "Tu as la colle ?
一 Bien sûr.
Thomas fouilla dans son sac plastique - ce qui fit lever les yeux au ciel à Violette. L'ironie de la situation ne semblait pas l'atteindre, en tout cas... Le conducteur leur tendit un vieux tube de crème pour les mains qui semble avoir vécu de meilleurs jours, et Antoine le rangea dans le sac à dos vert.
一 Normalement elle n'a pas séché, mais ça a été un enfer pour transvaser ça, je vous le garantis.
一 On te remercie pour tes efforts.
Violette avait répliqué d'un ton un peu plus cinglant que souhaité, mais ni Thomas ni Antoine ne relevèrent. L'atmosphère du véhicule se faisait épaisse sous la tension accumulée : plus personne ne faisait attention aux autres, trop absorbés par leur propre angoisse.
一 La séance est filmée, et retransmise en live sur leur site internet. Cependant, comme l'occasion est spéciale, des équipes de journalistes seront là pour une partie des débats. On agit lorsqu'ils s'installent.
一 Attends." le coupa Violette, le front barré par un pli soucieux. "Non, il faut agir quand ils pensent les débats finis. Si on agit avant, on va juste tout interrompre.
一 Oui, c'est le but." soupira Thomas, et Violette recula sous les relents de condescendance qu'elle y sentait. Ok, peut-être avait-il bien entendu son ton cassant.
一 Non mais, ce que je veux dire, c'est qu'on a absolument besoin de débats et d'interventions constructives, saines. Il faut que les journalistes puissent les retransmettre avant d'agir. Il ne faut pas que l'entièreté de l'évènement soit centrée autour de deux débiles !
Les deux hommes s'échangent un regard, puis finirent par acquiescer. La passagère sourit, mais ses lèvres tremblaient.
一 Ok, reprit Thomas. Donc, vous agissez au tout début de la pause, quand ils vont commencer à couper les caméras, mais avant qu'ils ne rangent. Vous sortez la crème, vous foncez vers l'estrade, vous gueulez. Et ensuite de ça, bon courage.
一 Alea jacta est, soupira Antoine.
La voiture s'arrêta doucement. Au loin, le bâtiment massif de l'Organisation des Nations Unies imposait son ombre sur la ville...
***
一 Vous êtes en retard, siffla Benhaman, mécontente.
一 Y'a eu des bouchons.
L'avocate vieillissante foudroya du regard Antoine, qui eut le bon goût de regarder le bout de ses chaussures avec gêne. Violette se trémoussa, mal à l'aise dans ses vêtements trop guindés et froissés par le voyage. La femme ne manqua pas de le remarquer, d'ailleurs, et jaugea de bas en haut la jeune fille. Plus l'inspection se prolongeait, et plus sa moue se faisait dédaigneuse. Son regard chocolat fini par se fixer sur sa chevelure et ses mèches folles, comme s'il s'agissait d'un rat d'égout. Douloureusement consciente qu'elle ne ressemblait en rien aux personnes tirées à quatre épingles autour d'elle, Violette rassembla sa tignasse en un chignon, dissimula les extrémités teintes de ses cheveux, et sortit un Bic rose pour faire tenir le tout en place. Cela devrait suffire : elle n'avait aucun élastique sur elle.
一 J'imagine que ça suffira, finit par lacher Charlotte. Le temps nous manque, venez.
Ils avancèrent vers les deux vigiles qui flanquaient l'entrée du grand auditorium. A chaque nouveau pas, Violette respirait de moins en moins bien, et son cœur se comprimait lentement dans un étau glacé. Elle se força à respirer de manière régulière, cligna des yeux pour faire disparaître les petites mouchetures noires qui y voletaient. Elle avait peur que d'un coup, quelqu'un la remarque, comprenne, que ses godasses usées la trahissent, qu'une mèche bleue rebelle ne montre qu'elle n'était pas tout à fait comme les autres, que c'était une infiltrée, qu'elle n'avait rien à faire là. Elle croisa le regard d'un des hommes de la sécurité et cru défaillir : mais son expression demeura impavide. Il s'en fichait.
C'était idiot, pensa-t-elle, complètement disproportionné. Depuis son départ de Paris, elle gardait la mauvaise impression qu'on la suivait, qu'on l'avait repérée, qu'on savait ce qu'elle mijotait. Elle tremblait comme une gamine, craignant que quelqu'un surgisse pour l'accuser de tous les maux, l'empêcher de rentrer, l'accuser d'être une sale écoterroriste. Ce qui était ridicule, car de toute sa vie Violette n'avait jamais voulu faire de mal à personne, à l'exception peut-être d'elle-même.
Elle passa devant les deux hommes en costume, présenta sa carte de visiteuse, assortie de sa carte d'identité.
一 Violette Chevallier.
L'employé compara rapidement la photographie à l'originale, et lui rendit les documents.
一 Avancez.
Le second vigile fouilla son sac, et ne tiqua ni sur le carnet défraichi, ni sur la crème hydratante pour les mains. Il lui fit signe de continuer, et passa au sac d'Antoine.
La jeune fille avança dans l'immense auditorium, soudainement écrasée par la grandeur de l'endroit. Il n'y avait ni marbre prétentieux, ni colonnades orgueilleuses : la salle était moderne, et l'architecture particulière du plafond permettait de porter les voix et étouffer les bruits parasites. Dans cette immense coquille aux sons étouffés, elle entendait presque l'écho des centaines de débats et traités révolutionnaires qui avaient été menés ici, la ferveur de tous les activistes et défenseurs des droits humains qui avaient un jour foulé le même sol qu'elle. Aujourd'hui, elle écrivait une petite ligne dans les livres d'histoire. L'idée ne la réconforta qu'à moitié.
Antoine lui fit signe de la suivre, et elle vacilla jusqu'aux strapontins rembourrés qui s'étalaient en demi-cercles autour de l'estrade centrale. Rien qu'à la vue du sigle mondialement connu, peint de blanc sur le parquet impeccable, elle crut que son courage allait complètement l''abandonner. La majorité des intervenants étaient déjà arrivés, et la jeune fille n'eut pas le loisir de se laisser aller à la panique. Elle respira un grand coup, se raidit et avança plus droit : ici, elle était quelqu'un d'autre, elle devait porter un masque pendant quelques petites heures, avant que tout ne se dévoile et que le spectacle commence.
Le président du débat se pencha vers le micro, et promena son regard d'azur sur la salle. Ses paroles furent aussitôt transmises et traduites, puis renvoyées dans les centaines de casque à la disposition des auditeurs. Violette s'assit précipitamment et enfonça les écouteurs dans ses oreilles.
一 Mesdames, messieurs, bonjour à tous. Je vous remercie à tous d'être venus, et de construire aujourd'hui, en pleine coopération, le Débat Mondial sur les Enjeux du Climat et du Futur.
(à suivre...)
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