Partie 01
Cette nouvelle est issue d'un prompt glané sur un discord d'écriture : Décrivez un(e) inconnu(e) que vous avez croisé, et inventez lui une histoire. Votre récit doit commencer au moment de votre rencontre et/ou l'inconnu(e) doit vivre une journée extraordinaire.
Cette nouvelle a pour unique prétention de répondre à ce challenge. Bonne lecture, et bonne découverte !
***
C'est à la Gare Montparnasse, entre un Starbucks et un escalator que ma perception du monde a basculé.
Le temps était gris – pour ne pas dire pourri – et le ciel maussade oscillait entre froid et humidité, sans parvenir à se décider. Je m'étais réfugiée dans les tréfonds de la gare pour me réchauffer les mains avec un cappuccino extra large. J'étais recroquevillée sur une chaise vissée au sol grisâtre, déçue de ma boisson : elle était aussi chère que mauvaise. Qu'est-ce qui m'avait pris de payer une telle arnaque, déjà ?
C'est alors que je la vis.
Moi.
Elle discutait avec je ne sais qui, accrochée à son sac vert fluo. C'était moi. La même taille, la même stature, les mêmes cheveux noirs bouclés relevés dans ma coiffure signature. Les mêmes mèches colorées en bleu, histoire de prétendre que je ne suis pas comme les autres. Son visage était en forme de cœur, comme le mien, à moitié dissimulé par des lunettes, toutes aussi rondes que les miennes. Seule sa tenue ne me ressemblait pas, et elle ne paraissait pas à l'aise dans sa chemise ajustée - je ne l'aurai pas été non plus, à sa place. Son pantalon tailleur, un peu trop grand, tombait sur des rangers usées par le temps et le manque d'entretien. Mon parfait reflet.
Ça m'a fait comme un coup au ventre, une nausée violente accompagnée d'un vertige.
Car – la pensée idiote m'est venue comme une évidence - si j'étais là-bas, manifestement prête à partir en voyage, qu'est-ce que je faisais ici, avec mon cappuccino moisi, et pourquoi diable étais-je dans un corps qui n'était pas le mien ?
L'inconnue s'est détournée, et je me suis regardée partir.
***
Violette emporta avec elle une sensation bizarre, qui lui collait à la peau comme un filtre gluant. Un instinct étrange et paranoïaque, qui lui soufflait que quelqu'un, quelque part, était en train de la fixer.
Elle baissa la tête et se fit discrète : avec un peu de chance, l'individu dont elle sentait peser le regard se désintéresserait d'elle. Si ça se trouve, il n'y a personne. Juste une sale impression, née du stress du voyage.
Antoine lui emboîta le pas, tirant à sa suite leur valise, trop légère par rapport à sa taille. Ils se frayèrent un chemin jusqu'aux métros, et louvoyèrent dans la marée humaine composée de costards-cravates et de fonctionnaires désabusés. Le banc humanoïde coulait avec empressement le long des couloirs, réagissait à la moindre perturbation dans un ensemble coordonné, à peine troublé ici et là par l'éventuel traîne-la-patte, le passager qui changeait soudainement de direction après s'être trompé d'embranchement. La cohue se calmait vite, les visages anonymes absorbés dans la masse, emportée dans le floc envahissant qui finissait par vomir la foule sur les quais étriqués.
Violette et Antoine se retrouvèrent serrés dans une rame de la ligne 4, la jeune fille penchée sur la valise afin d'échapper à un coude qui s'enfonçait cruellement dans son dos. Ils se sourirent dans cette épreuve commune, et se laissèrent être chahutés de droite et de gauche tandis que le train les emmenait à toute vitesse vers la ligne 14.
Ils y sortirent et se retrouvèrent dans un nouveau sarcophage de modernité. Une odeur aigre vint leur chatouiller les narines, et Violette enfila son masque pour atténuer l'agression olfactive tandis qu'Antoine affichait une mine dégoûtée. Un passager qui allait à contre-sens lui rentra dedans et lui lança tout son mécontentement à la figure – la jeune fille lui adressa un sourire d'excuse, et se rendit compte un peu trop tard que son masque dissimulait ses bonnes intentions. Tant pis, l'homme était déjà passé à autre chose, et eux devait encore continuer.
Ils dépassèrent une caravane de touristes qui faisaient grise mine, et Violette ne put retenir un sourire devant leur expression déçue. Les étrangers déchantaient souvent de Paris, la célèbre Ville de l'Amour, aux milles et un pigeons et aux odeurs citadines... surprenantes.
一 Tu penses que ça va être comment, Genève ?" demanda la jeune femme.
一 L'enfer sur terre." grommela son collègue. "On va se faire assassiner par tout le monde. J'espère que tu gères bien le harcèlement car on va y avoir le droit.
一 Je veux dire, la ville. Les transports en commun. Ça va être propre, ou comme ici ?
一 Ha ça ! En cette période, la Suisse c'est magnifique. Je préfère les paysages sauvages mais même leurs villes valent le détour. Surtout autour de l'ONU : c'est vaste, élégant - pas pédant pour autant, d'ailleurs - mais on s'y sent bien.
Ils coururent un peu, manquant soudainement de temps. Ils trouvèrent leur voie et sautèrent presque dans le train – cette fois-ci, Violette bouscula un homme qui se tenait bêtement dans le passage, et profita du plaisir égoïste d'être, pour une fois, celle qui s'offusquait. Il ne réagit pas.
Elle aida Antoine à hisser leur valise dans le porte-bagage, mais garda son sac à dos. C'était son accessoire porte-bonheur, son charme qui faisait venir le soleil après l'orage. Il avait survécu à ses déménagements, ruptures et études, et elle s'y accrochait aujourd'hui comme à un vieil ami. Elle avait tout vu, tout vécu à ses côtés, et l'antiquité portait les cicatrices de multiples raccommodages.
Puis la jeune fille se précipita vers les sièges, et vola à Antoine la place côté fenêtre. Il ouvrit la bouche d'un air outré, mais elle le prit de nouveau de court :
一 Merci de ton don désintéressé !
一 Tu es une sale voleuse, oui.
一 Je préfère optimisatrice. J'ai envie de découvrir les paysages et toi, de tranquillité.
Il grommela sans rien trouver à répliquer, et se laissa tomber dans le siège restant, les bras croisés. Violette se vautra dans sa victoire, puis sortit de son sac un livre. D'un coup, Antoine se pencha en avant pour le lui arracher des mains.
一 Hé !
L'exclamation attire aussitôt les foudres de trois passagers. Violette se tassa sur elle-même en grimaçant, et repris dans un chuchotis :
一 Rends-moi ça !
一 Rends-moi ma place d'abord.
Elle tenta de reprendre son bien, mais Antoine était trop grand, et il parvint à tenir le précieux ouvrage hors de sa portée : elle n'arrivait même pas à atteindre ses poignets, à moins de s'humilier complètement ! D'autres passagers commençaient à les regarder avec insistance, et Violette dut s'avouer vaincue. Cette fois-ci, ce fut au tour de son ami de lui décocher un rictus victorieux.
一 Merci de ta généreuse contrepartie. J'allai m'ennuyer, sans ça.
一 Et moi alors ?
一 Tu as des paysages à regarder.
La jeune fille jura entre ses dents serrées. Bien décidée à bouder, elle se tourna vers la fenêtre, et le rire moqueur du brun tinta dans ses oreilles. Vexée, elle sortit son casque pour le visser sur ses oreilles et se coupa définitivement de la moquerie de son partenaire.
(à suivre...)
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