⌜𝕠𝕟𝕫𝕖⌟

Bonne lecture !

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L'air est chaud, aujourd'hui.

Étouffant, brûlant, insupportable. Deux heures pour manger, pour reprendre sa respiration après avoir cuit comme des œufs dans leurs salles de classe du matin. Les vieux bâtiments sont affreusement mal foutus. Les fenêtres ne s'ouvrent pas en grand, et les murs sont aussi fins que du papier de verre.

Allongé à côté de lui, perpendiculairement, la tête sur sa cuisse, Eren tourne une page de son livre. Jean se demande comment il peut avoir la force de porter quoi que ce soit à hauteur de son visage : lui n'est plus bon qu'à s'allonger dans l'herbe et ne plus bouger.

À moitié à l'ombre, à moitié au soleil, et entièrement à la merci de cette foutue chaleur qui va le rendre fou. Son short et son t-shirt ne sont d'aucune utilité. Il se mettrait tout nu s'il le pouvait.

Jean soupire.

— Eren ?

— Quoi ?

— Tu lis quoi ?

— L'un des livres au programme.

— Au programme de quoi ?

Jean est certain d'avoir vu la couverture. Et de ne jamais avoir entendu parler de ce gros pavé.

— Au programme de la fac que je veux rejoindre l'année prochaine. Je prends de l'avance.

— Beaucoup d'avance, ouais.

Il soupire, et le silence revient. Des gars jouent au foot non loin de là, et c'est à peine croyable de pouvoir se mouvoir ainsi par ce temps. Des cris, des tires, et des filles qui encouragent faussement en ricanant.

Eren tourne une nouvelle page.

— Eren ?

— Quoi ?

Jean hésite. Il sent Eren se retourner un peu vers lui.

— Quoi ? répète-t-il.

— Je... je me demandais juste....

Il hésite à nouveau. C'est pas vraiment ses affaires. A-t-il envie de connaître la réponse ?

— Quoi ? répète à nouveau Eren et sa patience commence à s'effilocher.

Jean regarde le ciel, au-dessus, à moitié caché par les branches des arbres sous lesquels ils sont.

— Comment tu t'es fait ça ?

Le silence lui répond. Puis :

— Ça quoi ?

— Ta marque, comment est-ce qu'elle est devenue comme ça ?

La tête d'Eren ne bouge pas de sa cuisse, mais Jean le sent se tendre. Il n'a jamais demandé : au départ par respect, puis par peur de le voir se vexer. De le voir se fermer à nouveau, et redevenir un petit con colérique (ce qu'il est toujours, mais plus vraiment avec lui).

— Si tu veux pas le dire, c'est pas grave, hein. Je demandais juste parce que.... et bien parce que c'est pas —

— Comment tu sais que je suis pas né comme ça ?

Jean se souvient de ce qu'il lui a dit, ce jour-là pendant la partie de foot. Il se mord la lèvre.

— C'est le cas ?

— Non. C'est mon père. J'avais 8 ans.

L'air encore un minimum détendu de Jean disparaît complètement. Son ventre se tord, encore et encore, jusqu'à devenir affreusement douloureux. Il sent le lien tirer, tirer fort, puis son cœur commence enfin à ralentir et il inspire profondément.

— Pourquoi ? souffle-t-il.

Il y a sûrement de meilleures questions. Comment ? Est-ce que ça dure toujours ? Est-ce que tu es en sécurité, Jaeger ?

— Parce que ma mère est morte cette année-là. Que c'était son âme sœur. Et que ça l'a détruit.

Il entend quelque chose dans la voix d'Eren, dans le ton détaché, dans le regard qui reste tourné vers le ciel. Il a envie de tendre la main pour la poser dans ses cheveux. C'est juste là, à portée de bras. C'est peut-être pas le moment. Ou c'est peut-être un peu trop le moment, justement.

— Eren....

— Je vis chez Armin depuis mes 10 ans. Son grand-père est adorable. Il lit beaucoup. Mikasa habite la maison juste à côté.

Il détourne le sujet. Plus ou moins. C'est encore un peu le sujet, mais pas tout à fait. Jean attend, patiemment : le soleil tape, le vent souffle, les feuilles bougent. Il serre les lèvres.

— Il pleurait tous les jours. Il a arrêté de travailler. Il était médecin, tu sais ? Un bon, apparemment. Chirurgien.

Une nouvelle pause.

— Un jour, il a juste vu ma marque. La sienne était devenue terne, presque grise. C'est comme ça, quand ton âme sœur meurt. Il la voyait tous les jours dans le miroir, et ce jour-là c'est la mienne qu'il a vue. C'était l'hiver. Le tisonnier n'était pas loin, et la cheminée était allumée. Tu devines la suite.

Malheureusement, Jean imagine un peu trop bien pour que ça soit réel. Il voit des images derrière ses paupières. L'endroit où la tête d'Eren est appuyée contre sa jambe le picote. Un cri, des pleurs, un fer chauffé à blanc. Une voix peinée qui lui demande d'arrêter de pleurer.

Jean inspire profondément.

La première fois qu'il a vu Eren, il a juste eu envie de pleurer.

— Je suis désolé, dit-il.

Car il l'est.

— C'est pas grave. Ça fait longtemps.

— Ça veut rien dire. Je suis quand même désolé.

— Je sais même plus à quoi elle ressemble. Parfois je me dis que j'aurais du prendre une photo, ou quelque chose comme ça.

Jean se mord la lèvre. La voix d'Eren est toute petite.

— Peut-être que ça a détruit le lien. On connaît pas encore toutes les influences d'une marque. Peut-être que je suis passé à côté, et que je ne le saurais jamais.

Il déglutit. Jean tend lentement la main : doucement, tout doucement, puis ses doigts effleurent les cheveux d'Eren.

Il caresse doucement. Les paupières d'Eren se ferment. Il sourit avec douceur.

Eren ne dit rien de plus.

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Des bisous !

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