Raison XIII | 03

Raison XIII - Aimer, c'est s'évader. #03

A l'hôpital ~ BETHANIE & ACHILLE

ACHILLE

Les gardes avaient déjà descendu la moitié des marches menant en bas de l'immeuble dans lequel je logeais quand je me décidai à les suivre. Mon esprit était figé sur une seule et unique chose : Béthanie venait de sauter de la fenêtre de ma cuisine. Cette pensée m'obsédait et m'obnubilait, elle tournait en rond dans mon esprit tel un poisson enfermé dans son bocal. Mon cœur battait à tout rompre, je voyais à peine les marches que je descendais, si bien que je manquai de me casser la figure plusieurs fois, ratant plusieurs marches.

Béthanie avait sauté, elle avait sauté de la fenêtre de mon appartement, de chez moi.

Un sentiment atroce de culpabilité m'envahit et je sentis les larmes me monter aux yeux, me brouillant la vue. Je n'avais pas l'habitude de pleurer, mais ce qu'il venait de se passer juste devant mes yeux mettait ma sensibilité à rude épreuve.

Mon cerveau cartésien envisagea immédiatement la pire des situations. J'avais beau n'habiter qu'au second étage de ce vieil immeuble, une mauvaise chute pouvait entraîner l'irréparable. Mon estomac fit une petite danse peu agréable dans mon ventre, lorsque mon imagination me proposa des images de ce qui pouvait se trouver juste en bas. Je n'étais pas prêt à voir un mort en vrai, ceux des séries télévisées me suffisaient amplement.

Arrivé en bas, je fis claquer la vieille porte en bois et me précipitai à l'extérieur, ignorant totalement le concierge qui semblait tout affolé de cette agitation soudaine. Une fois dehors, le soleil m'éblouit violemment et je tanguai sur mes pieds, pourtant bien ancrés au sol. Le vent qui soufflait n'était pas agréable sur ma peau, pas plus que la chaleur harassante du soleil.

Je repérai les gardes de la clinique Saint Honoré à quelques mètres de moi. Ils semblaient encercler quelqu'un, mais de là où je me trouvais, je ne pouvais pas distinguer quoi que ce soit. Béthanie devait être au sol, très probablement blessée. Cette idée me fit frissonner et je fus obligée de détourner le regard, bien que je ne visse rien de concret.

Les gardes semblaient agités, ils parlaient forts, gesticulaient dans tous les sens. L'un d'entre eux était au téléphone, il parlait vite. Le docteur Sinclair se trouvait parmi tous les gardes, elle était accroupie sur le sol, penchée dans la direction de Béthanie. Soudain, un garde se recula et je pus distinguer la jeune femme, cette dernière fit un mouvement et je poussai un soupir de soulagement.

Elle n'était pas morte.

Je fis un pas en avant, afin de m'approcher, lorsque le directeur de la clinique s'interposa. Avant qu'il ne puisse dire quoi que ce soit, j'attaquai, du tac-au-tac :

— Laissez-moi passer.

Ma voix était plus sèche que ce que j'aurais voulu, mais j'étais à cran et le bref sentiment de soulagement que j'avais ressenti quelques secondes auparavant s'était envolé.

— Monsieur Beaumann, commença Monsieur Tullier avec une voix calme, qui me mit encore plus en rogne. Je vais vous demander de rester calme et de...

Ses quelques mots me firent exploser.

— Rester calme ?! m'exclamai-je, hors de moi. Une fille vient de sauter de la fenêtre de mon appartement !

Un rire nerveux se saisit de moi et je secouai la tête, plus qu'agacé. Ces gens débarquaient chez moi, prétendant rechercher une malade mentale et une fille sautait par la fenêtre de ma cuisine ; de quoi rester calme évidemment !

Mon sang battait furieusement contre mes tempes, de la sueur coulait le long de mon front et je tremblais de tous mes membres. Mon sang-froid m'échappait peu à peu et je me sentais perdre pied. Mes yeux étaient rivés sur le corps de Béthanie, un peu plus loin.

Comment allait-elle ?

Est-ce qu'elle était blessée ? Probablement.

Était-ce grave ?

— Monsieur Beaumann, reprit le directeur avec plus d'autorité. Nous devons conduire en urgence notre patiente à l'hôpital. Je pense qu'il vaudrait mieux que vous restiez ici, chez vous. Nous vous recontacterons.

— Quoi ? Mais, je...

Je n'eus pas vraiment le temps de protester. Toutes mes émotions, mêlées au soleil qui tapait fort, me montèrent à la tête et en seulement quelques secondes, je me sentis tomber, mes jambes ne répondant plus aux stimuli envoyés par mon cerveau. Je sentis vaguement que l'on me retint avant que je ne chute complètement.

— Monsieur Beaumann ? Vous m'entendez ?

Je hochai la tête. Des étoiles dansaient devant mes yeux et j'avais l'impression de m'être pris un sortilège d'Endoloris, tant mes muscles étaient tendus et douloureux. Même si j'avais descendu seulement quelques marches, j'ai la sensation d'avoir gravi l'Himalaya.

— Vous êtes sous le choc, m'expliqua Monsieur Tullier. Il faut vous reposer. Voulez-vous que j'appelle vos parents, ou quelqu'un d'autre ?

Je secouai négativement la tête, mon caractère solitaire prenant le dessus. En plus de cela, je ne voulais pas inquiéter mes parents ou mes amis avec cette histoire sordide et, quelque part, je voulais aussi garder cela pour moi. J'avais peur que mes parents refusent que je prenne des nouvelles de Béthanie, ce que je ferais sans hésitation.

Mon esprit était encore un peu flou et la suite des évènements me parut passer à la vitesse lumière. Tout ce dont je me souvins, c'était ce sentiment de vide et de solitude qui m'envahit lorsque Monsieur Tullier claqua la porte de mon appartement, après s'être assuré que j'allais bien et que je n'avais besoin de rien. Au loin, une sirène d'ambulance criarde résonnait, faisant concurrence aux bruits de travaux de la rue adjacente.

Avec difficulté, je me levai et me dirigeai vers la cuisine. Je restai figé quelques instants sur la fenêtre toujours ouverte, puis brusquement, j'allais la refermer. Je poussai un long soupir et enfonçai mes mains dans les poches de mon pantalon. Ma main droite rencontra alors un objet, métallique que je tirai de ma poche : il s'agissait de la gourmette de Béthanie. Un violent sentiment de culpabilité m'envahit si bien que je dus me mordre la lèvre pour ne pas gémir. J'aurais dû l'empêcher...

Me sentant sale et démuni, je décidai de prendre une douche. Le filet d'eau glacé parvint à me refaire prendre conscience de la situation actuelle. Fatigué, je laissai couler quelques larmes, qui se confondirent à l'eau de la douche. Je sortis de la douche et m'enroulai dans ma serviette de bain, avant de venir me placer devant le miroir. Je ne reconnus presque pas le jeune adulte qui se trouvait devant moi. Son visage était défiguré par une inquiétude constante et il semblait avoir été privé de sommeil depuis plusieurs jours. Je ne pus m'empêcher de penser qu'il y avait seulement vingt-quatre heures, tout était si normal.

Soudain, mes yeux se posèrent sur le bord du miroir. Je plissai les yeux, avant de reconnaître une écriture tremblante, que la buée de la douche avait fait ressortir. Sept lettres étaient clairement distinctes.

« Aide-moi. »

La buée commençait déjà à effacer les lettres écrites à la va-vite, mais elles étaient restées ancrées en moi. Sept lettres écrites comme un cri du cœur, un véritable appel à l'aide. Comment avais-je pu manquer cela ? Comment n'avais-je pas pu remarquer que Béthanie avait plus besoin d'aide que ce qu'elle montrait ?

La phrase écrite grâce à la buée se répétant en boucle dans ma tête, je m'habillai avec les premiers vêtements, attrapai mon sac à dos où je fourrai mes papiers d'identité, ainsi qu'un pull, me saisit des clés de ma voiture et sortit de mon appartement, en faisant claquer la porte derrière moi.

¨¨¨¨

BETHANIE

Des voix indistinctes me parvenaient par vague. Des flashs s'imposaient à mes paupières encore fermées. Des odeurs de désinfectants agressaient mon odorat sensible. Des lanières en cuir me brûlaient les poignets. Je n'avais pas besoin d'ouvrir les yeux, je savais où j'étais.

Des flashbacks me revinrent à l'esprit. Je me souvins ce qu'il s'était passé la dernière fois que j'étais ici, dans ce bâtiment flambant neuf. Elle était là, tout prêt. Elle était prête à attaquer, à prendre possession de moi. Avec toutes mes forces, j'avais essayé de la stopper, de l'éloigner. Comme m'avait tant répété la psychiatre, j'avais concentré toutes mes pensées sur les événements heureux de ma vie. Cela ne l'avait pas fait fuir. J'avais échoué. Une fois de plus.

Soudain, une bouffée de chaleur m'envahit et je fus soudainement consciente de mon propre corps. Mes nerfs s'activèrent et je pris connaissance des blessures que la chute m'avait causé. Je me souvenais de cette chute, mais ce souvenir ne m'appartenait pas. Il était à elle. Elle m'avait faite sauter.

Sur le creux de mon coude droit, je sentais une petite démangeaison si bien que je devinais que je devais être sous perfusion. Je sentais un bandage m'entourer le crâne, un plâtre cloisonner ma jambe droite. Comme la douleur était absente, je devinais aisément que je devais être sous morphine.

Avec quelques difficultés, je parvins à ouvrir les yeux.

— Béthanie ? Vous m'entendez ?

La voix de ma psychiatre parvint à mes oreilles mais elle paraissait loin et dérisoire. Je hochai quand même la tête ayant pris l'habitude de ces réveils chimiques. Ce mouvement pourtant si élémentaire me provoqua une vague de douleur dans le corps entier.

— Evitez tout mouvement brusque, me conseilla le médecin d'une voix douce. Votre chute vous a provoquez quelques blessures.

Je l'écoutai sans vraiment l'entendre, mes pensées étaient focalisées sur elle. Encore. Je me demandai si un jour j'arriverai seulement à passer ne serait-ce qu'une seule journée sans qu'elle m'épie, sans que je sois constamment obligée d'être aux aguets.

Un infirmier entra dans la salle, suivi de près par deux médecins, aux airs sérieux et fermés. Ma psychiatre s'écarta, laissant place aux professionnels. Ceux-ci m'examinèrent sous toutes les coutures ; je me laissai faire, ayant l'habitude d'être ainsi manipulée. Ils prononcèrent à peine quelques mots et ces derniers étaient si barbares qu'ils échappèrent à ma compréhension. L'infirmier, plus aimable, changea mes draps, vérifia ma perfusion et se permit même de me demander comment je me sentais. Je ne connaissais pas ce jeune homme.

— Vous êtes nouveau ici ?

L'infirmier resta quelques instants interdits avant d'hocher la tête. Soudain, une vague de souvenirs m'embarquèrent et un prénom me vint en tête. Achille. Mon esprit encore embrouillé par la morphine et les multiples médicaments mit quelques temps à mettre un visage sur ce prénom.

— Achille, murmurai-je à l'attention de l'infirmier.

Ce dernier fronça les sourcils et me demanda de répéter.

— Où est Achille ? Comment va-t-il ? Est-ce que... oh mon dieu ! J'ai sauté de sa fenêtre, n'est-ce pas ? Est-ce que...

— Béthanie ! Béthanie ! Ma belle, regarde-moi. Regarde-moi.

Sentant que je cédais peu à peu à la panique, ma psychiatre venait de pousser sans ménagement le nouvel infirmier pour se poser près de moi. Elle déposa sa main contre la mienne et je l'agrippai de toutes mes forces, comme à une bouée de secours.

— Tout va bien, d'accord ? Tout va bien.

Sa voix calme et intentionnée parvint à me calmer un petit peu.

— Achille ? demandai-je d'une petite voix, déjà fatiguée par tous ces sentiments.

— Il va bien, m'assura la psychiatre avec un sourire. Il est chez lui et se repose.

Je voulus hocher la tête, mais la douleur m'en empêcha. Au lieu de ça, je vis le plafond tourner et mon environnement trembler. Quelques instants plus tard, je m'évanouis.

¨¨¨¨

ACHILLE

Lorsque j'arrivai à l'hôpital, je fus accueilli froidement. Le premier médecin avec qui je m'entretins me demanda poliment de rentrer chez moi. Peu décidé à abandonner si vite, je l'ignorai et patientai dans le hall d'entrée, attendant que son attention se déporte de moi. Lorsqu'il eut le dos tourné, je m'enfonçai dans le premier couloir que je trouvai, en quête de Béthanie. La retrouver m'obsédait et je craignais le pire. Dans quel état allais-je la trouver ?

Plus je m'enfonçais dans le bâtiment psychiatrique, plus les pièces du puzzle s'assemblaient et l'horrible vérité m'éclatais au visage. Je comprenais peu à peu les évènements qui avaient eu lieu hier et aujourd'hui et au lieu de m'apaiser, cela me terrifia davantage. Béthanie souhaitait échapper à quelqu'un et ce quelqu'un n'était personne d'autre qu'elle-même. Elle était traitée ici pour bipolarité. Cette femme qui lui voulait du mal, c'était elle-même, son côté sombre. Peut-être que j'aurais mieux fait de rester chez moi et de laisser tomber cette histoire, comme me l'avait gentiment conseillé le directeur de l'hôpital. Peut-être que je risquais gros en venant ici. Mais quelque chose me poussait à ne pas abandonner. Quelque chose me forçait à ne pas la laisser tomber.

A force d'errer dans les couloirs, je finis par tomber sur un jeune infirmier qui me demanda si j'avais besoin d'aide. Fatigué de marcher sans but, je lui demandai s'il savait où se trouvait Béthanie. A ma grande surprise, il m'indiqua une salle, se trouvant un étage plus haut. Soulagé et impatient, je ne le laissai pas finir de me parler et me précipitai vers les premiers escaliers que je croisai.

Arrivé à l'étage désigné par le jeune interne, je courus dans les couloirs en regardant de part et d'autre, cherchant le bon numéro, ignorant les remarques des employés qui se demandaient ce que je faisais ici. Transpirant et l'air perdu, je devais avoir l'air d'un malade échappé de surveillance, mais je m'en fichais.

Quand enfin j'arrivais à la salle-dite, je manquai de défaillir à la vue du spectacle qui s'offrait à moi. Béthanie était là, sur le lit d'hôpital. Elle semblait sérieusement blessée et surtout en proie à une puissance démoniaque. Tandis que trois infirmiers tentaient de la maintenir, une femme, l'air paniquée, préparait une seringue, rempli d'une substance rosée effrayante. Béthanie poussait des cris d'animal enragé, elle hurlait à s'en déchirer les cordes vocales et se débattait comme si sa propre vie en dépendait. L'adrénaline semblait lui avoir fait oublier toute douleur. Brusquement, un des infirmiers chuta en arrière, la libérant d'un bras. Béthanie saisit avec hargne les cheveux du second aide-soignant qui poussa un cri de douleur et la lâcha. Le troisième, seul et impuissant ne parvint pas à la retenir. Malgré ses blessures, malgré sa simple blouse d'hôpital, malgré son air totalement épuisé, Béthanie prit ses jambes à son coup. Elle sortit de la pièce et au moment où elle croisa mon regard, une lueur de lucidité sembla reprendre possession d'elle. Elle marqua un temps d'arrêt de seulement quelques secondes. Cette lueur, assis brève fut-elle me transperça de tout mon être.

— Béthanie ?

Les pupilles de Béthanie se dilatèrent et tout semblant de lucidité s'échappa de son être. Elle m'esquiva et poursuivit son chemin. J'entendis à peine les cris des membres de l'hôpital. La femme sortit en trombe de la salle, tenant en l'air sa seringue, hurlant des ordres incompréhensibles.

Alors, mon cerveau se mit en mode « off » et, sans hésiter, je me joignis à la cohue et me précipitai à la suite de Béthanie. Je fis fi de tout l'environnement qui m'entourait ; tout ce qu'il m'importait désormais était de trouver Béthanie et de la sauver. De la faire revenir à elle. Cette femme, qui avait blessé les infirmiers, ce n'était pas elle.

Je finis par débouler dans un hall chaotique. Béthanie courait parmi tous ces gens, les évitant tous, poussant ceux qui étaient sur son passage. Mon cœur fit un salto dans ma poitrine quand je constatai qu'elle allait bientôt atteindre la sortie. Sans hésiter, je grimpai sur le premier meuble que je trouvai (qui s'avéra être le bureau d'une secrétaire) et hurlai en puisant l'air de tous mes poumons :

— Bethy !

Le temps sembla alors se suspendre. L'espace d'une seconde, Béthanie se stoppa. Ce fut assez pour moi de me précipiter vers elle. Lorsque j'arrivai à sa hauteur, elle fit volte-face. Une vive douleur enflamma mon bas ventre et je poussai un cri. Mes yeux se posèrent par réflexe sur la source de la douleur. La main de Bethy tenait fermement un scalpel, enfoncé sauvagement dans mon ventre. La vision de tout ce sang qui s'échappait de mon corps me fit tourner de l'œil. Mes jambes ne supportèrent plus mon poids et je tombai à la renverse, entraînant la faible Béthanie avec moi. Je sentis une main se poser à l'arrière de ma tête, juste avant qu'elle ne se fracasse par terre. Je compris quelques instants plus tard que c'était celle de Bethy. Tout devint flou, la douleur s'accrut brusquement. Avant de perdre pied, je crus entendre parmi ce chaos :

— Ach...

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