Raison XIII | 02

Raison XIII - Aimer, c'est s'évader. #03

Dans le salon ~ ACHILLE

A peine avais-je mené la jeune femme dans mon propre lit, qu'elle s'était aussitôt assoupie, sa tête s'enfonçant dans mon oreiller. Elle semblait totalement épuisée et vidée de toute énergie, comme si elle avait manqué de sommeil pendant plusieurs jours. Malgré ses quelques explications bancales, je n'avais pas saisi qui elle fuyait et ce qu'elle faisait dans cette forêt toute seule. La femme qui la poursuivait et qui lui voulait du mal restait un mystère non résolu.

Maintenant qu'elle s'était endormie, je me tâtais vraiment à appeler la police et une ambulance. Une part de moi – celle qui était rationnelle et qui suivait avidement mes cours de pharma – me hurlait d'appeler le plus vite les urgences, mais une autre partie, plus intense bien que moins étendue, me disait de ne pas le faire, pour ne pas risquer de perdre sa confiance.

Quelle confiance ? railla ma conscience. Cette folle psychopathe va t'égorger dans ton propre sommeil !

Je fis taire ma petite voix rationnelle et tenta de me concentrer sur ce que m'avait dit la jeune femme. Alors que j'essayai de me repasser dans ma tête la conversation que je venais d'avoir avec cette inconnue, une idée me vint. Je m'empressai de me diriger vers la salle de bain, où j'avais entreposé les vêtements de la jeune femme. Même si je me sentais mal de faire ça sur le coup, je me mis à fouiller les poches de son pantalon, à la recherche de je-ne-sais-quel indice qui me permettrait d'en apprendre plus sur elle. Les seules choses sur lesquelles je tombai, ce furent un mouchoir usagé, un vieux paquet de chewing-gum à la framboise et une espèce de figurine, qui ressemblait à un ours, à moins que ce soit une chèvre. Le doute planait.

Alors que je m'apprêtai à abandonner mon idée, un petit éclat dû à la lumière attira mon attention. Je glissai ma main dans le bout de tissu d'où provenait le petit éclair lumineux et en tira une espèce de gourmette. Elle semblait assez ancienne, ou du moins très abîmée. Il était écrit en lettres majuscules le prénom BETHANIE. Je me demandai s'il s'agissait d'elle ou bien de quelqu'un d'autre. Peut-être était-ce la femme qu'elle essayait de fuir ?

Un bruit strident me tira brutalement de mes pensées. Mon sang ne fit qu'un tour lorsque je compris que le bruit venait de ma chambre. Le cœur battant la chamade, je me dirigeai vers la source du bruit, sans même prendre garde que je tenais encore en mains la gourmette de la mystérieuse Béthanie.

J'ouvris la porte à la volée, sans savoir à quoi m'attendre. Mon estomac se souleva lorsque je remarquai mon miroir brisé sur le sol et la mystérieuse jeune fille allongée sur les débris, saignant de toutes parts. Son souffle était court, saccadé et des larmes dévalaient ses joues creusées par la souffrance et la panique. Affolé, je m'approchai d'elle et, faisant fi des bouts de verre, je m'agenouillai à ses côtés. Je posai une main sur son bras, réflexe que j'eus pour tâter son pouls. Ce dernier était rapide mais régulier.

— Elle était là...

La voix faible de la jeune femme résonna dans mon esprit, tandis que mon cœur continuait sa course folle dans ma poitrine.

— Qui ça ? lui demandai-je en paraissant d'être aussi calme que possible.

Les yeux de la fille s'ouvrirent d'un seul coup et elle se redressa brusquement. Surpris, je manquai de tomber en arrière. Alors qu'elle commençait à bouger précipitamment, je lui saisis le poignet.

— Fais attention, il y a des débris coupants de partout.

Elle sembla alors seulement constater l'étendue des dégâts et elle se mit à pleurer de plus belle. Surpris, j'essayai de la consoler maladroitement :

— Ne t'inquiète pas pour le miroir, je n'y tenais pas vraiment.

Elle secoua la tête, comme si elle se fichait royalement de ce que je racontais :

— Ce n'était pas moi. C'est elle qui l'a brisé.

Sa voix tremblait fortement.

— Elle ? questionnai-je le cœur battant. La même femme à qui tu essayais d'échapper dans la forêt ?

Ses yeux se plongèrent dans les miens et je fus anéanti par toute la souffrance et la peur que j'y décelai. Son regard était si profond et si absorbant que je ne pus m'y détacher sans qu'elle détourne les yeux.

— Oui.

Le souffle court, j'aidai la fille à se relever et la fit s'asseoir sur mon lit.

— Reste-la, je vais voir s'il n'y a personne d'accord ?

Je me levai et sentis sa main me retenir. Je tournai la tête et elle murmura :

— Si tu la vois, tues-la.

Je ravalai ma salive lorsque je compris qu'elle ne plaisantait pas en prononçant ces mots. Ce fut à ce moment ultime que je me mis à réellement avoir peur. J'hochai la tête pour qu'elle me lâche, et me dépêchai de quitter ma chambre. Je fermai la porte derrière moi et fermai les yeux tout en m'appuyant sur la porte en bois. Soudain, un doute s'insinua en moi. Et si elle avait raison ? Et si cette femme était chez moi ?

Aussitôt la paranoïa enclenchée, chaque bruit me fit suspecter la présence de quelqu'un dans mon appartement. Le cœur battant à mille à l'heure, je fis quelques pas en direction de la pièce principale. Mes yeux analysèrent rapidement mon alentour, sans trouver quelconque indice en faveur de cette présence mystérieuse. Je m'approchai à pas de loup de la cuisine et y entrai brusquement. Personne.

Par mesure de précaution, j'attrapai un couteau. Au même moment, je perçus des bruits de pas derrière mon dos. Je me figeai et ma poigne se durcit autour de l'arme blanche que je tenais. Mes jointures blanchirent sous la pression tandis que mon sang battait fortement contre mes tempes. Je me retournai alors rapidement et brandis mon arme, qui s'arrêta à quelques centimètres seulement... de la jeune femme que j'avais recueillie.

La pression retomba brutalement et je manquai de défaillir. L'adrénaline qui coulait pure dans mes veines ficha le camp si bien que je dus me retenir au buffet pour ne pas tomber.

— Tu m'as fait peur ! m'exclamai-je.

Les yeux de la femme étaient rivés sur le couteau que je tenais, toujours pointé sur elle. Je m'empressai de baisser ma garde et de poser le couteau sur la table.

— Désolé, j'ai cru qu'il y avait quelqu'un.

— Elle est partie, dit-elle seulement.

Je ne savais pas comment elle savait cela, mais je décidai de la croire malgré tout. Cette dernière fit demi-tour et sortit de la cuisine, avec une démarche chancelante.

— Béthanie ? tentai-je.

Sa silhouette frêle se figea mais elle ne se retourna pas.

— Je... j'ai trouvé cette gourmette dans la poche de ton pantalon. Je me disais... enfin peut-être que c'était ton prénom.

La femme se remit à marcher en direction du salon. Elle ne me lança pas un regard si bien que je crus qu'elle n'allait pas me répondre. Pourtant, au bout de quelques longues minutes, elle articula :

— C'est le prénom que m'ont donné mes parents.

Ce n'est pas vraiment la réponse à laquelle je m'attendais mais je ne m'en formalisai pas. Sentant que je pouvais creuser un peu plus, je repris :

— Je peux t'appeler Béthanie ? Ou tu préfères autre chose ?

Je n'obtins aucune réponse de la part de la jeune femme, qui était occupée à regarder avec attention les photos de moi et de mes potes, datant des vacances dernières. Une idée me vint alors :

— Comment t'appellent tes amis ? Tu as un surnom ? Si tu préfères, je peux...

Je me tus lorsque je remarquai que des larmes remplissaient ses yeux. Elle m'évita du regard et souffla lentement :

— Je n'ai pas d'amis.

Sa voix fébrile m'atteignit en plein cœur et ma gorge se noua. Je tentai tant bien que mal de réconforter cette âme perdue.

— Oh et bien, tu sais, ce n'est pas si grave. Je.... je n'ai pas beaucoup d'amis non plus. Juste deux ou trois.

Cela sembla l'apaiser un petit peu, car elle sécha ses larmes et se détourna des photos. Comme elle ne semblait pas très bavarde, je décidai de la laisser seule un instant.

— Je vais ramasser les morceaux de miroir dans la chambre, annonçai-je.

A ma grande surprise, Béthanie me répondit :

— Je vais t'aider.

J'acquiesçai d'un signe de tête, tâchant de ne pas laisser paraître ma surprise.

A deux, nous regroupâmes et ramassâmes les débris qui jonchaient le sol de ma chambre, en tentant de ne pas se blesser. Lorsque tout fut rentré en ordre et que le miroir était dans un sac poubelle avec tous ses morceaux, Béthanie prit la parole :

— Quels sont les surnoms que l'on donne habituellement à quelqu'un qui s'appelle Béthanie ?

Sa question me prit au dépourvu si bien que je mis quelques instants avant de trouver quoi répondre :

— Eh bien, je... je ne sais pas vraiment. Je ne connais pas de Béthanie, mais j'imagine que l'on peut...

Devant la déception qui emplissait les traits de Béthanie, je repris, plus confiant :

— Bethy. Bethy, ça peut être pas mal. Qu'est-ce que tu en penses ?

Béthanie hocha la tête et un léger sourire étira ses lèvres. Je me fis alors la réflexion qu'elle était jolie lorsqu'elle souriait.

J'allai poser la sac poubelle auprès de la porte et Bethy me suivit jusqu'au salon où elle prit place sur le canapé.

— Et toi ? Tes « deux trois » amis, ils t'appellent comment ?

J'eus un sourire en notant qu'elle avait repris mon expression de toute à l'heure et répondis :

— Généralement, ils m'appellent Ach.

— Ach, répéta Bethy. J'aime bien.

Je lui souris et elle me rendit mon sourire.

Soudain, quelqu'un toqua à la porte. Bethy se figea brusquement et je décelai aussitôt une peur intense grandir en elle.

— Ne t'inquiète pas. Ça doit juste être un livreur qui s'est trompé d'étage.

Je me dirigeai vers la porte d'entrée et l'ouvris, le sourire aux lèvres... sourire qui retomba aussitôt lorsque je vis un nombre imposant de personnes aux airs sérieux s'étalant devant la porte de chez moi.

— Heu, bonjour ? tentai-je. Que puis-je faire pour vous ?

Les personnes étaient au nombre de huit. Six d'entre elles étaient visiblement armées, en position d'attaque. Ma gorge se noua et je repensai bêtement au couteau laissé sur la table de la cuisine et au temps qu'il me faudrait pour m'en saisir pour me défendre. Mon esprit chassa l'idée. Je serais mort bien avant d'avoir pu ne serait-ce qu'atteindre la cuisine.

Un homme mûr prit la parole :

— Monsieur Beaumann ?

Il portait un costume élégant, agrémenté d'un insigne qui m'était familier. Sa chemise blanche était impeccablement repassée et rentrée dans son pantalon de costume, fraîchement passé à la blanchisserie. Un air sérieux s'affichait sur son visage, renforcé par ses cheveux grisonnants, courts et entretenus.

— C'est moi, répondis-je à la fois hésitant et surpris qu'un tel homme connaisse mon nom de famille.

Mon regard se posa alors sur le visage de la femme qui se tenait juste à côté. Ses cheveux roux étaient parfaitement rangés dans un chignon rien réalisé, aussi bien que son maquillage léger camouflant les marques que le temps avait laissé sur son visage. Malgré cela, son air restait bienveillant. Elle me sourit et pris la parole :

— Je suis le docteur Sinclair, je travaille à la clinique Saint Honoré et voici Monsieur Tullier, le directeur de la clinique.

Elle désigna l'homme qui avait prononcé mon nom de famille il y avait quelques instants. A la mention de la clinique, je reconnus son logo accroché au costume de Monsieur Tullier, le fameux insigne qui me semblait familier. Je compris alors le statut si important de l'homme qui collait parfaitement à ses habits et sa prestance.

— La clinique Saint Honoré ? ne pus-je m'empêcher de remarquer. Vous voulez parler de l'hôpital psychiatrique qui a ouvert il y a peu dans le coin ?

— Oui, c'est bien cela, acquiesça le docteur Sinclair, avant d'enchaîner sur le vif du sujet : Nous sommes à la recherche d'une jeune patiente qui aurait échappé à notre surveillance pas plus tard que ce matin.

Mon cœur rata un battement et mon cerveau fit aussitôt le lien. J'ouvris la bouche, sans trop savoir ce que j'allais pouvoir répondre lorsqu'un bruit sourd me parvint, provenant de l'intérieur de mon appartement. Je m'engouffrai aussitôt à l'intérieur, suivi par les six gardes armés, le docteur et le directeur de la clinique Saint Honoré.

Un cri de surprise m'échappa lorsque je me rendis compte que la fenêtre de la cuisine était ouverte, les rideaux battants au rythme du vent, et que Béthanie avait disparu.

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