Raison I | 05

Raison I - Aimer, c'est comprendre. #05

Jour 5 - Comprendre.

Le matin, Teena se réveilla en sursaut. Elle poussa un cri de surprise quand elle reconnut J, juste à côté d'elle. Puis, son visage pâle passa au rouge pétant quand elle se rendit compte qu'elle s'était endormie sur l'homme. Un silence gêné s'installa entre les deux adultes, jusqu'à ce que Teena s'empresse de se lever, histoire de mettre un peu de distance physique entre elle et J. Ce dernier se redressa sur le canapé, pour se mettre en position assise.

Teena se dandinait d'un pied à l'autre, plutôt embarrassée par ce réveil inattendu. Elle n'osait pas regarder J en face. Sans vraiment savoir pourquoi, Teena se sentait sale et démunie. Elle avait la mémoire embuée mais petit à petit, les souvenirs lui revinrent. Elle et J étaient rentrés chez elle. Ils avaient du s'asseoir sur le canapé et...

— Est-ce qu'on a..., commença Teena, éperdue.

À vrai dire, son esprit refusait de lui exposer tous les faits d'hier soir. Devant le regard circonspect de J, elle se sentit encore plus mal.

— Non, finit par dire J. On n'a rien fait du tout.

Teena fut sûre d'avoir perçu dans la voix de l'homme un peu de reproches. Elle sentit son coeur se contracter à cette idée.

Soudain, oppressée par cette ambiance pesante, Teena se dirigea vers la porte d'entrée, mal à l'aise et fiévreuse. Au moment où elle posa sa main sur la poignée, J murmura, assez fort pour être sûr qu'elle l'entende bien :

— Tu vois, je te l'avais dit.

Teena, intriguée, fit volte-face, sourcils arqués.

— De quoi tu parles ?

J avait le visage fermé à toutes expressions. Il ressemblait à l'inconnu froid et distant que Teena avait accosté il y avait quatre jours. Pas à l'homme ouvert et gentil qu'elle avait emmené chez elle hier. Cette image lui fit mal au coeur.

— Je t'avais dit que tu te lasserais vite de moi.

Teena sentit son coeur se broyer sous ce reproche. Toute envie de partir l'avait quittée et la culpabilité l'envahit.

— Ce n'est pas... Je ne...

Pendant qu'elle s'embrouillait dans ses excuses confuses, J s'était levé. Il contourna sans un regard la jeune femme et ouvrit la porte de l'appartement, sans un mot. Teena réagit au quart de tour :

— Attends !

J se figea mais ne se retourna pas pour autant.

— Laisse-moi essayer.

J demeura immobile, le coeur battant, la respiration saccadée. Savoir Teena près de lui le mettait dans un état qu'il ne connaissait pas. Il tenta vainement de contrôler ses émotions, avant de rétorquer, aussi froidement que possible.

— Essayer quoi ?

— De te comprendre.

La voix de Teena ne fut qu'un murmure, mais elle se répercuta dans l'ensemble de l'appartement, sonnant comme une promesse. J lâcha la poignée et aussi soudainement que la dispute avait éclaté, il éclata en sanglots. Ce n'étaient pas des sanglots superficiels et dénués d'émotions, non, c'étaient les sanglots les plus déchirants et les plus douloureux que Teena avait entendu de toute sa vie. Elle eut l'intime conviction que c'était la première fois depuis bien longtemps que J se laissait aller ainsi, qui plus était, devant quelqu'un.

Maladroitement, mais doucement, Teena vint poser une main sur l'épaule de J. De l'autre main, elle s'empara du poignet de l'homme et le guida tendrement jusqu'au canapé qu'ils venaient de quitter. Elle le fit s'asseoir, tandis que J, confus de s'effondrer devant cette femme qu'il connaissait à peine, se laissa faire, tremblant.

Il passa bien dix minutes où ni la femme, ni l'homme ne dirent quelque chose. Pourtant, ces dix minutes furent les plus importantes et, lorsque que J releva enfin la tête et essuya ses larmes, Teena fut persuadé que quelque chose avait changé entre eux. Les pleurs de J les avaient rapprochés, bien plus que n'importe quels mots, ou n'importe quels maux.

— Je veux essayer de te comprendre, souffla à nouveau Teena.

J planta ses yeux dans ceux de la femme et murmura :

— Pourquoi toi ?

— Je ne sais pas, avoua Teena.

Elle décida de jouer la carte de la vérité.

— Je t'observe depuis bien longtemps, assis sur cette même table au fond du bar. Tu m'intrigues.

— J'intrigue tout le monde, répliqua J.

Teena se retint de soupirer. Pourquoi ne voulait-il pas comprendre qu'elle s'intéressait à lui, au delà de son apparence ?

— Tu sais bien que ce n'est pas ce que je voulais dire.

J se terra dans le silence et se mordit la lèvre, se maudissant de se montrer si froid avec cette jeune femme. Pourtant, au fond de lui, il ne pouvait pas empêcher d'écouter cette petite voix qui lui criait de s'éloigner de la femme parce qu'elle finirait tôt ou tard par le délaisser et par lui faire mal. Mais, s'imaginer loin d'elle lui faisait déjà mal. Sans s'en rendre compte, J s'était déjà attaché, qu'il le veuille ou non.

— Commence par me dire ton nom. Ton vrai nom, demanda doucement Teena.

La main de la femme était toujours dans celle de J.

— Je ne sais pas, murmura J. Je ne sais plus...

Teena perçut tant de douleurs dans sa voix, qu'elle décida de ne pas insister. De son côté, J réfléchissait. Il sentait que Teena était différente. Peut-être qu'elle pouvait vraiment l'aider.

— Donne moi un nom, quémanda-t-il. Un nom qui te plaît. De toute façon, tu es la seule à t'en servir.

Teena fut touchée par cette attention, même si la dernière phrase de J la laissait mal à l'aise. Elle ne savait rien de la famille de J, mais elle sentait d'ici la solitude de l'homme. Délaissé. Voilà le premier mot qui lui venait à l'esprit pour décrire J.

— Hum. Que dis-tu de Jonas ? Mmm, non, ça ne te va pas. Alors... John ? Non trop banal. James, Jake, Jonathan,... Non, non et non. Peut-être Jean. Pffff encore plus banal.

Tandis que Teena réfléchissait à voix haute, J la regardait attentivement.

Concentrée, la jeune femme paraissait encore plus rayonnante. Ses cheveux roux lui tombaient gracieusement dans le dos, encore emmêlés par la nuit passée, mais avec un charme déroutant. Ses joues rebondies remontait sur son visage soigneusement parsemé de tâches de rousseur et son nez retroussé amusait J.

À vrai dire, Teena ne faisait pas partie de ce genre de femme juger comme était des "canons de beauté". Elle avait trop de tâches de rousseur, des cheveux trop ébouriffés, un teint trop pâle, une taille trop petite et un nez trop en trompette. Mais c'était justement tout ces petits "trop"que J aimait chez Teena.

— J'ai trouvé !

Le ton triomphant de Teena fit revenir sur Terre J, qui ne put s'empêcher de rougir en constatant que cela faisait presque dix minutes qu'il observait Teena.

— Joshuah. Avec un H à la fin.

Joshuah. Joshuah. J trouvait que ce prénom sonnait bien. Surtout quand c'était Teena qui le prononçait.

— J'aime bien, avoua-t-il avec un sourire.

Teena lui sourit, heureuse d'avoir pu arracher un sourire à l'homme sombre.

— Et bien, Joshuah, raconte moi ton histoire !

J se figea puis il se rappela que s'il voulait avancer, il devait faire confiance à Teena. Peut-être qu'en parler pouvait l'aider ?

— Mon accident a eu lieu...

— Non, le coupa Teena. Je ne veux pas t'obliger à parler de ça. Je veux juste te connaître un peu mieux. Parle moi de ta famille, de ce que tu aimes faire, de tes envies, de tes plans pour le futur...

J se sentit un peu mieux. En effet, il ne se sentait pas vraiment prêt à raconter ce jour à Teena, bien qu'il lui fasse désormais un peu plus confiance.

— Et bien, commença-t-il. J'ai vécu avec trois grands frères, j'étais le dernier de la famille. Mes parents étaient aimants et je dois avouer que mon enfance a été facile et heureuse. À l'adolescence, je me suis un peu rebellé contre mes parents, mais pas plus que d'autres adolescents. Un jour, je suis allé cependant un peu trop loin avec eux, alors ils m'ont mis à la porte, pour que je prenne conscience de mes actes. Voulant leur montrer que je pouvais très bien me débrouiller sans eux, j'ai cherché du boulot. La ferronnerie m'a aussitôt embauché, manquant d'effectifs à l'époque. J'y ai travaillé et j'ai commencé à gagner mes premiers salaires. J'étais juste heureux de pouvoir montrer à mes parents que je pouvais voler de mes propres ailes. Puis, il y a eu l'accident et je...

Joshuah ferma les yeux et sentit la main de Teena presser la sienne. Cela lui donna la force de continuer.

— Ça m'a brisé. Dans tous les sens du terme. À l'époque j'avais une copine. Elle m'a lâché après les premières opérations que j'ai subies. Mes parents s'en sont tellement voulus de m'avoir poussé à travailler qu'ils n'arrivent plus à m'adresser la parole sans en avoir les larmes aux yeux. Mes amis, même s'ils essayaient de m'aider, ne me regardaient plus comme avant. Alors j'ai décidé de tout plaquer. J'ai coupé tout contact avec le monde extérieur. Pendant trente-cinq jours, je ne suis pas sorti de chez moi. Trente-cinq jours sans voir la lumière du jour. Puis, je ne sais pas ce qui m'a poussé à sortir, mais un beau jour, je l'ai fait. J'ai marché dans la rue, sans but, pendant plusieurs heures et je suis tombé sur ce bar. Le bar où tu travailles. On était samedi soir. Et la routine s'est installée. La suite, tu la connais.

Teena hocha péniblement la tête. L'histoire de Joshuah l'avait bouleversée. Elle ne pouvait pas s'imaginer qu'une vie, en apparence parfaite et banale, pouvait basculer en si peu de temps.

— Que s'est-il passé à la ferronnerie ? J'ai... j'ai entendu dire qu'ils t'avaient licencié ?

Même si Joshuah était surpris, il ne le montra pas. Au fond, savoir que Teena s'était renseigné sur lui le comblait.

— Après l'accident, une enquête a été ouverte. Le patron a pris peur pour son entreprise et m'a licencié. J'ai porté plainte, mais le procès a vite été gagné par la ferronnerie. Trop puissant contre mon petit avocat.

— Je suis désolée que ça se soit fini comme ça.

Joshuah haussa les épaules.

— Peut-être, mais si je n'avais pas été licencié, je n'aurais jamais connu votre bar.

Teena se sentit rougir et elle rit, mal à l'aise.

— Et alors ? De toute façon, tu ne bois même pas notre café.

— Je déteste le café, répliqua Joshuah avec un sourire.

— Alors qu'est-ce qui t'amène tous les samedis soirs là-bas ?

Joshuah avait juste envie de répondre"toi", mais il se dit que d'une, c'était une réplique un peu clichée qui empestait les mauvais films à l'eau de rose et dedeux, il n'avait pas le courage d'avouer à Teena qu'il l'appréciait.

— Je ne sais pas. Un peu tout, dit l'homme, préférant rester vague sur le sujet.

Alors que le silence se creusa petit à petit, Joshuah se sentait pour la première fois depuis longtemps calme et détendu. C'était un peu comme s'il venait tout juste de trouver ce qui lui avait tant manqué depuis toutes ces années.

Soudain, Teena se leva, fouilla dans quelques tiroirs et revint, armée d'une feuille de papier et d'un stylo. Elle revint sur le canapé et, prenant appui sur sa cuisse, elle se mit à écrire frénétiquement sur la feuille. Intrigué, Joshuah l'interrogea :

— Qu'est-ce que tu écris ?

— Attends que je finisse.

Curieux mais pas impatient, J se tut et laissa faire Teena. Au bout de quelques minutes, la jeune fille lui tendit la feuille, recouverte d'encre bleue.

— C'est la liste de tout ce qu'il faut que tu fasses impérativement.

J fronça les sourcils et ses yeux se mirent à parcourir la feuille de papier.

"Choses que J doit absolument faire :

-Aller voir ses parents.

-Pardonner ses amis.

-Demander au patron du café si elle peut l'embaucher.

-Bannir les pulls à capuche.

-Sourire au moins trois fois par jour.

-Toujours avoir de l'espoir.

-Aller taguer la ferronnerie."

La dernière chose fit rire Joshuah. Il s'empara alors du stylo qu'avait délaissé Teena, puis écrivit une dernière chose sur la feuille. Ce fut au tour de Teena de devoir attendre pour voir ce qu'il avait écrit. Impatiente, elle finit par regarder ce qu'il avait écrit par dessus son épaule et son coeur fit un petit bond dans sa poitrine.

"Aimer Teena."

J reposa le stylo et se tourna vers la jeune femme dans les yeux étaient rivés sur la dernière phrase de la feuille de papier. Avec une tendresse nouvelle, J posa sa main sur le bras de la jeune femme. Par inadvertance, sa manche remonta et les yeux de Joshuah se posèrent sur l'écriture datant d'il y avait quatre jours. Le J qu'il lui avait écrit était toujours là, à peine effacé.

— Tu l'as gardé, murmura-t-il plus pour lui-même que pour Teena.

La jeune femme voulut dire quelque chose, mais elle fut coupée par les lèvres de J se déposant sur les siennes.

Maintenant, J en était sûr, il avait enfin trouver ce qui lui manquait pendant toutes ces années.

FIN

•°•°•

Voilà,  c'est la fin des aventures de Teena et J ! J'espère que ça vous a plu !

On se retrouve dimanche avec une autre nouvelle !

Merci pour tout !

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