Jour 8.

Samedi.

Mon sac est encore plus chargé que celui de Jeudi. J'ai, moi aussi, pensé à prendre tout le nécessaire. La serviette, la crème solaire, de l'eau, mon short de bain que je porte sous mes vêtements.

Il est treize heures cinquante-cinq et j'attends Harry au même endroit que la dernière fois. Aujourd'hui, ma mère m'a demandé où j'allais avec une serviette de plage et un sac rempli. Je lui ai dis que j'allais à la mer avec quelques amis, elle n'a pas posé plus de questions. Elle m'a embrassé le front et m'a dit de bien m'amuser.

Ce matin, vers dix heures, Harry m'a encore confirmé sa présence. Ça m'a rassuré et j'ai passé la matinée à sourire, mon père me lançait des regards étranges que je faisais mine de ne pas voir. Mais je sais que lui n'est certainement pas passé à côté. Il voudra certainement connaître, bientôt, la raison de ma si bonne humeur ces derniers jours.

Je ne sais pas, cependant, si j'ai envie et si je suis prêt de parler d'Harry. C'est peut-être égoïste, mais je voudrais qu'il soit encore un secret. Mon petit secret de l'été. Je ne suis pas obligé de raconter notre rencontre à qui que ce soit, elle n'appartient qu'à nous, et dans sept jours, tout ça appartiendra au passé. Même si je pense que je me souviendrai toute ma vie de lui.

Comme Léo, comme le premier livre que j'ai lu, comme le premier roman qui m'a fait pleurer, je ne pourrai jamais l'oublier. Même si je le voudrais.

Harry est là à l'heure. Il arrive devant moi, son sac sur ses épaules et vêtu d'un tee-shirt Rolling Stones troué à quelques endroits, un short en jean. Ses cheveux sont détachés libre à l'air, ils bouclent un peu dans tous les sens et je ne peux pas m'empêcher de sourire. Il semble si mature et posé et en même temps il a encore cet aspect innocent, juvénile qui donne envie de le prendre dans ses bras pour le protéger.

Nous nous mettons en route jusqu'à la gare à dix minutes de marche, je ne souhaite pas être en retard et manquer notre train. Même si je ne doute pas qu'un autre passera encore dans une heure. Seulement, je suis déjà mort d'impatience d'y être.

Sur le trajet, je demande à Harry ce qu'il a fait hier. Il me raconte sa ballade au marché avec ses parents puis la visite d'un autre village voisin, puis il a passé la soirée à lire Le Ravissement de Lol V. Stein, au lac.

– J'ai voulu rester pour te voir, mais j'ai dû rentrer un peu avant le coucher du soleil. J'ai fini le livre quand je suis rentré à la location.

Il est allé au lac pour me voir. Je retiens, en vain, mon sourire et entre dans la gare. Il regarde autour de lui, visiblement en plein questionnement. Je l'emmène vers un guichet et demande deux billets en direction de la mer. Je donne simplement le nom de la ville où elle se trouve, l'homme nous les tend et nous donnons moins de cinq euros pour le trajet.

Harry m'interroge du regard, je lui réponds pas un bref sourire satisfait et il me suit jusqu'au quai. Le train entre justement en gare. Quand il s'arrête, nous laissons les passagers descendre, et nous montons afin de trouver une place. Ce n'est pas bien compliqué, nous la voiture vide et nous installons sur des sièges côte à côte.

Nous posons nos sacs entre nos jambes. Il n'y a que deux autres personnes dans le compartiment et le quai est loin d'être bondé. Harry observe par la fenêtre, je sors mes écouteurs de ma poche de pantalon. Les portes se ferment et le train démarre une minute après.

Je mets un écouteurs dans mes oreilles et en tends un à Harry, il le prend et me sourit. Je le laisse choisir la première chanson dans la playlist, et nous regardons tous les deux dehors.

Ensuite, je ne sais pas quand ni comment, mais je me suis endormi. C'est Harry qui me réveille, doucement. Je redresse ma tête de son épaule, rougis et me recule un peu en m'excusant, il me sourit. Nous sommes à l'arrêt et apparemment arrivé à destination.

J'arrête la musique, il me rend mon écouteur et je les range. Les joues encore brûlantes, je me redresse et prends mon sac pour qu'il puisse sortir aussi. Nous sortons du train, l'air est encore chaud mais plus respirable qu'au village. L'air de la mer se fait sentir. Et je crois qu'Harry s'en rend compte aussi.

Nous remontons le quai, sortons de la gare. Je n'ose pas le regarde. J'ai encore honte. Je me suis endormi sur son épaule et il ne m'a pas repoussé. Il m'a laissé faire.

Pour y être venu plusieurs fois avec mes amis, je connais le chemin jusqu'à la plage par cœur. Nous passons une grande place, quelques rues. Le bruit des vagues, l'odeur de l'eau salée. Aucun doute. Je pose enfin les yeux sur Harry quand nous arrivons face à la mer. L'immensité bleue.

Et il sourit. Il sourit vraiment. Il y a ses fossettes, comme l'autre jour au lac quand nous avons rigolé ensemble. C'est soudain, naturel, spontané. C'est si beau que je souris aussi.

Son regard embrasse tout autour de lui, les couleurs, les odeurs, les détails. Nous nous sommes arrêtés sur la digue pour qu'il puisse tout admirer. Ses yeux se posent finalement sur moi, un vert gorgé d'eau, celui de la mer. Je ne sais pas comment le décrire, il y a simplement toutes les nuances qui se mêlent dedans.

– Merci, je ne sais pas quoi dire je... merci Louis. Vraiment.

– Tu ne pouvais pas repartir sans voir la mer.

Je lui souris, il fait de même et nous nous regardons plusieurs secondes, avec seulement le bruit des vagues autour de nous. Je repense à ma tête sur son épaule toute à l'heure, je tourne le visage vers la mer et lui donne un petit coup de coude.

– Allez viens, la mer t'attend.

Nous marchons alors jusqu'à un banc pour retirer nos chaussures, Harry ne patiente pas et s'avance directement dans le sable chaud. Je le rejoins, mes baskets à la main. Je le regarde, heureux pour une chose si simple et ça me rend dans le même état que lui.

Je remonte jusqu'à l'eau à ses côtés, nous posons nos sacs sur le sable, pas trop loin de l'eau et notre vue. Mais, la plage est tranquille de ce côté là. Il n'y a jamais trop de monde, parce qu'elle n'est pas connue et qu'il n'y a pas tant de maisons ou bâtiments que ça autour.

L'eau est bleu claire, limpide, je crois qu'on peut voir nos pieds à travers. Harry se tourne vers moi et d'un regard on se comprend. Sans avoir besoin de se parler, nous avons tous les deux la même idée. Rapidement, nous retirons nos vêtements que nous posons sur notre serviette.

Quand nous ne portons plus que notre short de bain, je lui fais face. Le sien est jaune, il a retiré ses lunettes de soleil et je ne remarque que maintenant le petit médaillon qui pend à son cou. Je peux aussi découvrir de nouveaux tatouages sur son corps qui étaient cachés par ses vêtements, un sur le haut de son torse, deux oiseaux de chaque côté en-dessous de ses clavicules, une feuille de laurier sur sa hanche, juste à la ligne de son short.

Je m'attarde quelques secondes, le temps pour lui de plier ses affaires et nous allons ensuite jusqu'à l'eau. Je vois qu'il n'a qu'une hâte, y être. A quelques pas des premières vagues qui lèchent le sable humide, il s'arrête et me demande :

– Ça va être froid ?

– Peut-être, je souris, au début. Mais après, tu t'y habitues et c'est très agréable.

– Il y a des poissons ?

– S'il y a du mouvement, ils ne seront pas là. Mais promis, je reste à côté de toi pour surveiller s'ils ne veulent pas te manger.

Il lève les yeux au ciel quand je me mets à rire. Il sourit quand même, lui aussi, le regard rivé sur l'eau. J'ai retiré mes lunettes pour mieux voir les couleurs. J'attends qu'il avance pour me mettre à marcher moi aussi. Nous irons à son rythme, et s'il veut faire demi-tour au dernier moment, je le suivrais.

Mais Harry ne recule pas. Il se remet en route, et bientôt les vagues viennent s'abattre sur ses pieds, ses chevilles, ses mollets, ses genoux. Nous avançons dans l'eau, jusqu'à l'avoir au ventre, au bassin. Et puis, il plonge d'un coup sous l'eau. Sa tête disparaît quelques secondes, il revient à la surface, le visage et les cheveux trempés. Je souris si fort que ma mâchoire me fait déjà mal.

Quand il recommence, je le suis. Je plonge sous l'eau moi aussi. Le bruit des vagues n'existe plus. Seulement le silence de la mer, un bruit flou qui ne se décrit pas. Je n'aime pas ouvrir les yeux sous l'eau, alors je les garde fermés. Surtout à la mer.

Je remonte, Harry nage autour de moi, un sourire éclatant sur le visage. Un sourire d'enfant. Un sourire d'une première fois.

Nous nageons d'abord jusqu'à ne plus avoir pied, les vagues nous font bouger sur place et nous suivons leurs mouvements. De temps en temps, nous jetons un œil sur nos affaires. Mais si ce n'est une famille à quelques mètres et un couple de l'autre côté, il n'y a personne près de notre emplacement.

Ensuite, Harry se met à m'arroser, et nous nous chamaillons quelques minutes dans l'eau, nos rires mêlés au bruit de la mer.

Nous sortons de l'eau en même temps. Je m'allonge sur ma serviette, Harry s'assoit sur la sienne. Il remet ses lunettes de soleil et moi ma casquette. Je ne demande pas, c'est lui qui me parle des livres de Marguerite Duras, il les a lu tous les deux. L'Amour ce matin,

– Il n'était pas long, je l'ai dévoré en une heure et demi.

– Tu aimes alors ?

– Oui, sa voix est assurée et il hoche la tête, oui on dirait qu'elle a écrit ces histoires pour moi.

– C'est ce que j'ai ressenti aussi.

– Est-ce que tu as lu tous ses livres ?

– Presque. Et il ne m'en manque plus qu'un pour tous les avoir dans ma bibliothèque.

Je l'entends changer de position, j'ouvre les yeux et tourne la tête vers lui. Il s'est allongé sur le ventre, sa tête sur ses mains croisées devant lui, le visage tourné vers mon côté. Son regard est posé sur moi, le vert de ses yeux celui de la menthe délavée.

Au-dessus du murmure des vagues, on se met à parler. De la littérature, des mots de ce que ça représente pour nous. Je lui raconte la lecture comme un refuge, une échappatoire au monde réel, un moyen de me sentir encore vivant. Quand je lui demande ce qu'il fait pour oublier, l'expression sereine sur son visage prend l'allure d'une légère grimace et il hausse les épaules.

– Je ne sais pas, je n'ai pas vraiment de... refuge ?

Il prononce ce mot comme s'il ne savait pas ce qu'il voulait dire, comme s'il le découvrait, comme la mer aujourd'hui, et mon cœur se serre à l'intérieur de ma poitrine.

– Qu'est-ce que tu fais alors, quand tout va mal ?

– Je fais avec.

Sa réponse est si simple et naturelle qu'elle me coupe le souffle, j'ai du mal à ravaler ma salive. Je regarde les grains de beauté timides sur son visage, les tâches de rousseur qu'on voit à peine, seulement si on est assez proche de lui, ses cheveux qui lui tombent sur le front et le côté du visage, les boucles encore humides et une goutte glisse parfois de ses mèches à sa peau, se meurt dans les plis de son cou.

Et quand je le regarde je me dis que ce n'est définitivement pas juste. Pas juste du tout. Il ne devrait pas faire avec. Il n'a pas besoin de faire avec. Il pourrait trouver quelque chose qui, lui aussi, un instant, une heure, une journée, le rend pleinement heureux, l'emmène autre part que l'endroit d'où il souhaite s'échapper.

– Parfois quand ça ne va vraiment pas, le soir surtout, je mets mes écouteurs et je lance le bruit de la mer sur internet. Ça m'aide à faire taire mes pensées et à trouver le sommeil.

– Est-ce que ça te fait du bien d'être ici aujourd'hui ?

– Oui, ses yeux se fixent sur moi, oui ça me fait énormément de bien.

– Alors c'est peut-être ça ton échappatoire.

Son sourire me répond, à demi caché contre son bras, mais je le vois quand même et ça me rassure un peu. Sa peau a la couleur du soleil et du sable mélangée, un peu brillant aussi avec l'eau de la mer, il semble avoir bronzé depuis la première fois où je l'ai vu à la lumière du jour.

Nous nous reposons, sans vraiment parler, pendant un moment, jusqu'à être sec. Je regarde l'heure sur mon téléphone, bientôt dix-sept heures. Nous sommes restés déjà un long moment sur la plage. Je propose à Harry d'aller se rafraîchir et manger un petit quelque chose, il hoche la tête, se redresse, mais me demande quand même si l'on pourra venir se baigner une dernière fois avant de partir. Je lui assure que notre journée n'est pas terminée et il m'offre le plus beau des sourires.

Après s'être rhabillé, avoir rangé nos sacs et remonté jusqu'à la digue, nous allons dans un café au bord de la mer. C'est celui où nous allons généralement avec mes amis pour se détendre après la nage. Nous nous asseyons à la terrasse, Harry ne lâche pas des yeux la mer. Un serveur vient prendre notre commande, je demande une menthe à l'eau et Harry un thé glacé à la framboise des bois.

Je fouille dans mon sac à mes pieds et sors une cigarette du paquet et mon briquet. Je l'allume, tire dessus puis déjà le serveur revient avec nos boissons. Nous partageons la note en deux. Harry se met aussi à chercher dans son sac, il en sort son appareil photo et capture les mouvements de la mer. Je suis certain qu'il viendra tout près des vagues pour les immortaliser en détail tout à l'heure.

– Mon grand-père ne va pas en revenir quand je vais lui montrer ces photos là.

– Tu pourras lui dire que tu as réalisé un de tes rêves.

– Grâce à toi.

La cigarette entre les doigts, je lui souris et hausse légèrement les épaules. Ses cheveux sont encore plus ébouriffés que tout à l'heure, certainement à cause de l'eau.

– Ce n'est pas loin du village, autant en profiter.

– Mais tu n'étais pas obligé et...

– J'en avais envie, je l'interrompt doucement, je n'étais pas venu depuis un moment en plus.

– Tu viens souvent ?

– Oui, l'été surtout, avec mes amis.

Il porte le verre à ses lèvres et boit une gorgée, quand il repose son verre, son regard est sur moi. J'ai l'impression, parfois, que ses yeux me brûlent la peau depuis que je me suis réveillé la tête contre son épaule. Ou alors c'est moi qui invente tout ça.

– Pourquoi tu n'es pas venu avec eux aujourd'hui ?

– C'est toi que je voulais emmener. Ils ont déjà tous vu la mer.

– Mais ce sont tes amis.

– Donc, je n'ai pas le droit de m'en faire de nouveau ?

Je le vois se redresser légèrement dans son siège, ses paupières ne clignent plus et il fronce les sourcils. Un sourire se dessine sur le coin de mes lèvres et je continue de fumer.

– Tu veux vraiment être ami avec moi ?

– Oui, si ça te va. Pourquoi ça a l'air de te tracasser autant ?

Harry met un moment à répondre. Je sais qu'il ne m'ignore pas, il joue avec l'objectif de son appareil, fait tourner la paille en papier dans son verre et hausse les épaules.

– Parce que je n'ai jamais eu énormément d'amis, je ne suis pas... très doué pour ça.

– Moi je trouve que tu t'en sors plutôt bien.

Il me sourit pour me remercier. Mon regard est fixé sur la mer face à moi, je tire une bouffée de ma cigarette, elle est presque fini, je l'écrase dans le cendrier.

Après plusieurs minutes, au-dessus du bruit apaisant de l'océan, il me dit :

– Moi aussi, ça me ferait plaisir d'être ton ami.

Je tourne la tête vers lui, il a arrêté de s'occuper de son appareil photo pour me regarder. Très sérieusement. Mon sourire s'agrandit et je lève alors mon verre pour qu'un trinque sur cette nouvelle amitié.

Comme je le pensais, Harry va prendre des clichés au bord de l'eau. Discrètement, je sors mon portable et capture, à mon tour, le moment parfait où il prend une photo. J'en prends plusieurs au cas où et range mon téléphone dans mon sac.

Ensuite, on va se baigner un peu. Ça nous rafraîchit. Quand on sort une demi-heure plus tard, on se sèche le corps au soleil, on se repose, on ne parle pas vraiment, on se rhabille et on quitte la plage. Harry la regarde une dernière fois, nostalgique, je souris un peu tristement et frôle son bras du bout des doigts.

– Hey, ce n'est pas la dernière fois que tu verras la mer.

Il hoche la tête, détourne le regard et nous rejoignons la gare avec beaucoup moins d'entrain que ce matin. Harry n'a pas envie de dire au revoir à la mer et moi à notre journée.

Dans le train, nous reprenons les mêmes places, il y a un peu plus de monde qu'à l'aller. Je sors mes écouteurs, Harry me sourit quand je lui en tends un. Je lui dis,

– Promis, je ne m'endors pas sur toi cette fois.

Il me donne un léger coup de coude en riant, tandis que je lance une musique au hasard, les joues légèrement rougies. Des chansons calmes nous accompagnent le long du trajet. Je ne me repose pas contre son épaule, mais nos genoux se touchent et restent l'un contre l'autre jusqu'à l'arrivée.

Quand on sort de la gare, je le raccompagne jusqu'à la petite place pour ne pas qu'il se perde. Le soleil commence à se faire moins fort. Je regarde l'heure sur mon téléphone, il est presque vingt heures dix. Nous arrivons sur la place, quasiment vide, je me tourne vers Harry et lui souris.

– Bon, c'était vraiment une belle journée il faud...

Je n'ai pas le temps de terminer ma phase, il s'approche de moi, m'attire contre lui et me prends dans ses bras. Ce n'est pas une simple accolade ou un câlin. Je sens dans mon dos ses doigts qui s'accrochent légèrement à moi et la manière dont il me serre contre lui.

Pendant une poignée de secondes, je ne fais rien, surpris par son geste. Mais je lui rends ensuite son étreinte, mes bras se referment autour de sa taille et mon nez presque dans le creux de son cou.

– Merci Louis.

Harry souffle ses mots contre mes cheveux, je sens mon corps entier frissonner. Il me le répète encore. Je ferme les paupières et souris. Sa peau a l'odeur de l'eau salée de la mer, du sable et de la vanille.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top