Jour 12( partie une).

Mercredi.

La porte est déjà ouverte, j'entre dans la boutique et Léo relève la tête. Dès qu'il me voit, il sourit et fait le tour de la caisse pour venir me serrer dans ses bras. Je lui demande s'il ne meurt pas de chaud sous son gilet en laine, il secoue la tête et rit tendrement. Il prend des nouvelles de mes parents, puis s'assoit sur son tabouret en fronçant les sourcils.

– Ton jeune ami n'est pas avec toi aujourd'hui ?

Mes joues virent au rouge quand je me rends compte qu'il parle d'Harry. Ami. Ça me fait tout drôle. Je ne sais pas réellement si nous pouvons encore nous définir ainsi. En réalité, je ne sais pas ce que nous sommes. C'est un peu trop tôt pour le dire. Nous sommes Harry et Louis et ça nous suffit.

Mais... Maintenant, dès que je pense à lui, je n'ai plus en tête que notre baiser d'hier soir. Puis ses mots aussi. Il m'a dit qu'il ne m'abandonnerai pas et je le crois. J'ai envie de le croire. Son regard est toujours sincère.

– Non, il sort avec sa famille aujourd'hui.

– Quand est-ce qu'il repart, déjà ?

– Samedi...

Je préfère ne pas y penser. J'éloigne cette réalité le plus possible de mon esprit. Alors, je change de sujet. Je pose des questions sur les nouveaux romans qu'il a pu recevoir, il me les montre avec plaisir, j'en achète deux. Il m'emmène également dans sa réserve, à l'arrière de sa boutique. Un client est venu lui déposer un gros sac de livres qui est encore posé sur le bureau.

– Il doit en avoir une bonne trentaine, je n'ai pas encore eu le temps de les étiqueter, mais vas-y Louis, fais toi plaisir, dit-il en remuant sa main vaguement. Prends ce qui te plaît et je te les offre.

– Non, je refuse de repartir comme un voleur.

– Alors je te ferais un prix, si tu veux vraiment.

Léo lève les yeux au ciel et repart dans sa boutique. Je souris, amusé par son comportement. Si je l'écoutais, il m'offrirait tous les livres de sa librairie. Je crois que je suis l'un de ses clients les plus réguliers et fidèles, sans compter qu'il connaissait mes parents bien avant que je ne sois né.

Je commence à fouiller dans le sac, je sors les livres un par un par, lis les titres et les résumés. Au bout d'une dizaine, je tombe sur un Marguerite Duras que je possède déjà. Mais je le mets de côté avec un autre que j'ai choisi. Je l'offrirai à Harry ce soir quand il viendra à la fête.

Au final, après une vingtaine de minutes, je termine avec six livres en tout. Je termine de ranger le sac quand Léo entre à nouveau. Il apporte d'autres livres, une petite dizaine. Il prend le temps de tout faire, de toujours tout admirer et profiter d'une chose jusqu'à sa fin. Peut-être parce qu'il a déjà tout vécu, peut-être parce qu'il connaît la vie et qu'il n'a plus peur du temps.

Mais moi, le temps ça m'effraie. Ça m'effraie parce que je ne sais pas où je me vois dans deux ans, dans cinq ans, demain même, à la fin de la semaine, Samedi. Samedi Harry ne sera plus là et je ne sais pas si les choses auront encore du sens. Si la vie aura la même saveur. Si mon existence vaudra encore la peine d'être vécue. Je ne veux pas mourir, ça aussi ça me terrifie. Le vide. L'arrêt total. L'oubli. Mais ne rien ressentir, c'est un peu le début d'une mort lente et intense, comme arrêter de vivre certains jours.

Et je n'ai pas envie d'oublier. Oublier mon enfance, mes souvenirs heureux, ma rencontre avec mes amis, Zayn surtout, la première fois que j'ai su me lancer sur mon vélo sans mes petites roues, ma première cigarette, le premier livre que j'ai dévoré en seulement quelques heures, ma première gueule de bois, la tarte aux fruits rouges de ma mère, son parfum à la Fleur de Tiaré, ses morceaux de piano jusque tard la nuit, l'odeur du vieux papier dans le bureau de mon père, les fous rires avec mes amis, les heures entières à parler des livres et de la vie avec Léo, la découverte du lac, les vacances avec mes parents, les soirs à fumer au coucher du soleil et rire, danser avec eux jusqu'à ne plus sentir mes jambes.

Harry. Je ne peux pas oublier ma rencontre avec Harry. Je ne peux pas oublier ces deux semaines d'été. Je ne peux pas faire comme si elles n'ont jamais existé. Comme si elles ne m'avaient pas changé complètement. Il fait partie de mon histoire et je souhaite faire partie de la sienne. Je veux, qu'ensemble, nous continuons à l'écrire.

Je prends les livres. Il m'en fait payer la moitié, même si j'insiste pour lui donner des pièces en plus. Je les range soigneusement dans mon sac, celui d'Harry emballé avec soin par Léo dans un sachet en papier. Je passe par la petite supérette pour acheter de l'alcool et des biscuits pour ce soir. Il est à peine dix heures, je dépose tout à la maison.

Mes parents s'apprêtent à partir, ils me saluent et me souhaitent une bonne soirée, me priant de ne rien casser. Une fois seul, je prends les clefs, ferme les portes, les volets et monte rapidement sur mon vélo pour rejoindre Harry au lac. Même si nous allons probablement nous voir ce soir à ma fête, nous avons convenu de nous rejoindre ce matin. Je crois que nous avons besoin d'un moment à deux. Seuls.

Il est déjà là quand j'arrive, assit dans l'herbe. Je descends de mon vélo, prends le sachet avec son livre dans le petit panier à l'avant et m'approche de lui. C'est d'abord un peu étrange, on se salue d'un sourire, je lui fais un signe de la main, il penche légèrement sa tête sur le côté tandis que son sourire s'agrandit. Je ne sais pas si je dois me pencher pour l'embrasser, ou lui demander la permission comme lui hier, le serrer dans mes bras.

Je m'assois simplement à ses côtés, mon cœur bat la chamade. Je replie mon genoux, il frôle le sien au passage et je le laisse là, je lui tends le sachet.

– C'est pour toi.

Harry m'interroge du regard mais le prend. Ses doigts enlève délicatement le petit fil enroulé autour, il retire ensuite l'emballage et ses fossettes se creusent quand il découvre le livre.

Moi aussi, je souris comme un gamin. Il murmure mon prénom, me remercie plusieurs fois et se penche, pose un baiser sur le coin de ma bouche. Je reste immobile pendant quelques secondes, j'en oublie de respirer. Harry me regarde avec un petit air amusé. Après m'être raclé la gorge, je propose :

– On va se baigner ?

Il hoche la tête, nous nous levons en même temps et retirons nos vêtements pour simplement avoir notre short de bains. Nous posons nos serviettes près de nos affaires et nous courons à l'eau. Sa fraîcheur me fait du bien, je plonge directement mon corps puis ma tête. Quand je remonte à la surface, Harry est à côté de moi, le visage et les cheveux mouillés et lui tombant sur le front.

Je lui lance de l'eau au visage, il se frotte les yeux et se met directement à essayer de m'attraper. Je nage aussi vite que je peux. Nos rires résonnent au milieu de la nature. Le soleil se reflète sur la surface claire et plate du lac. Il n'y a que nous. Il n'y a qu'Harry.

Finalement, il parvient à me saisir doucement la cheville, il m'attire à lui. Je ne me débats pas. A son tour, il m'arrose. Nous rions encore, il semble si jeune et hors du temps. Mon sourire s'efface tandis que je le regarde. Sa beauté ne m'est jamais apparue aussi flagrante que maintenant. Le sourire éclatant, le rire lumineux, le visage lisse d'un bonheur qui n'a pas de prix. Le vert de ses yeux est teinté de bleu. Le bleu de l'eau. Le bleu du lac. Le bleu du ciel aussi. Les deux couleurs, intenses et pures, forment un mélange unique. Qui n'appartient qu'à lui.

Une poignée de secondes. Puis, je comble la distance entre nous, glisse une main sur sa nuque encore humide et son rire meurt contre mes lèvres. Ses doigts ne tardent pas à se poser sur ma peau, sur mes hanches nues sous l'eau. Mon corps entier frissonne et ne demande qu'à sentir la chaleur du sien. Nos ventres se frôlent, je me détache, reprends mon souffle, rougis, m'excuse, je me sens tout drôle, vivant.

Harry secoue la tête, penche son visage vers le mien et nos bouches se réunissent à nouveau. Il est lent, très lent, c'est presque une torture. Ses gestes doux, délicat, son baiser éternel, sa langue qui vient caresser la mienne, timidement, et me fait oublier de respirer. Mes doigts s'accrochent à ses cheveux, ses boucles humides, les siens à mon dos pour me coller à lui.

C'est mon corps entier qui se réveille et remue. Je sens. Je ne sens que lui. Je ne sens qu'Harry partout sur ma peau brûlante de son toucher. Sa bouche me donne l'impression de revivre, je peux apprendre à connaître les battements de son cœur quand je pose ma main sur sa poitrine, vifs et intenses.

Embrasser Harry c'est exactement comme embrasser une étoile filante. Refermer ses bras autour et laisser sa lumière nous envelopper et nous dévorer, exploser en nous et faire revivre chaque particule de notre être. Avec Harry, c'est ça. C'est sentir toutes les parties de mon corps se faire traverser par son souffle, par son énergie aussi ardente que celle d'un astre, me sentir exister sous ses doigts, contre ses lèvres. Harry c'est une pluie d'étoile sur mon corps, ma peau léchée par sa lumière.

Quand il se recule, je prends le temps de respirer. Mes paupières sont encore fermées et je sens les doigts d'Harry caresser ma joue, retracer la forme de ma pommette et ma mâchoire, s'arrêter sur ma nuque. Je frissonne des pieds à la tête, mes mains toujours à la recherche de sa peau.

– Tu n'es plus triste ?

Sa question me surprend un peu. J'ouvre les yeux, son visage est près du mien. Il me regarde, intensément, mais il y a toujours cette once de douceur dans son expression. Ses lèvres légèrement souriantes sont très roses, sûrement suite à notre baiser, et ses pupilles d'un vert foncé, celui de l'herbe après la pluie, avec une touche de soleil dedans. Harry a aspiré toutes les couleurs du monde, et leurs moindres nuances, pour les rassembler en lui. Elles ruissellent et resplendissent.

– Je ne sais pas, je hausse les épaules et secoue la tête, non. Pas maintenant en tout cas.

– Moi, il passe son pouce contre ma lèvre inférieure et parle tout bas, j'aime énormément te voir sourire.

Alors, je lui souris. Je lui souris parce que ses mots réveillent en moi tout ce qu'il y a de plus beau. Les lèvres d'Harry s'étirent, elles aussi, dans un sourire. Il se penche, me pose un léger baiser sur la bouche. Je comble à nouveau la distance entre nos corps et me noie dans ses bras quand ils se referment autour de moi. Ma tête est posée contre son épaule, je sens son souffle près de mes cheveux et j'aimerais rester tout le reste de ma vie ainsi. Je lui murmure tout bas, pour que lui seul entende :

– Toi aussi, Harry... tu es très beau quand tu es heureux.

Lorsqu'il pose ses lèvres contre mon front, je sens son sourire. Et ça suffit à alimenter mon bonheur. Je n'ai pas souvent l'occasion de le goûter, alors j'en profite.

Nous finissons quand même par sortir de l'eau. Dans l'herbe, j'étale ma serviette à côté de la sienne et me rapproche afin de poser ma tête sur son torse. Ses doigts se baladent, lentement, sur le haut de mon dos et mes épaules. Ma peau, encore humide, frissonne à son toucher. Je ferme les yeux, laisse les rayons du soleil, à travers les feuilles des arbres, me baigner de chaleur.

Je relève ma main posée sur son ventre et la monte vers son pendentif, je le prends entre mes doigts, passe mon pouce contre le dessin gravé minutieusement. Il a les yeux fermés, le visage sereine, sa respiration est calme, je pose mon menton contre le haut de son torse et le regarde.

– Je n'aurais jamais imaginé te rencontrer un jour.

Harry n'ouvre pas les paupières, mais je sais qu'il m'écoute. Un léger sourire prend forme sur ses lèvres, il continue de me caresser la peau en me gardant contre lui. Je suis presque allongé sur le ventre pour pouvoir l'admirer, baigné dans la lumière du soleil. C'est le genre d'image dont je ne pourrai jamais me lasser.

– Parfois, je me dis encore que tu n'es pas réel. Que tu n'es que le fruit de mon imagination et que quand je vais me réveiller, tu ne seras plus là, tu n'auras jamais existé.

Mes doigts tracent des cercles, sur sa peau, autour de son pendentif. Il ouvre les yeux, me regarde, ses caressent cessent pendant plusieurs secondes.

– Louis...

Il passe le dos de sa main contre ma joue, je soupire, ferme brièvement les paupières. Je voudrais que ce temps précieux et compté passé avec lui soit éternel, qu'il n'ait pas à retourner chez lui, à me laisser qu'avec un arrière goût de nos moments sur la langue, qu'avec le souvenir de sa bouche contre la mienne et la couleur de son sourire.

– Je suis là, j'existe et toi aussi. Tu es tout ce qu'il y a de plus vivant sur terre. Tu ne peux savoir...

Un léger soupir sort de sa bouche, il baisse le visage vers moi pour mieux me regarder. Le vert de ses yeux est encore plus foncé qu'il y a quelques minutes au milieu de l'eau. Je veux m'y noyer et ne plus jamais en quitter les profondeurs.

– Tu ne peux pas savoir à quel point tu es vivant. Moi, il glisse ses doigts contre mon menton, moi je le vois. La première fois que nos chemins se sont croisés, tu m'as paru tellement lumineux et rayonnant. Je pensais que le soleil s'était couché sur toi ou que toutes les étoiles venaient se réunir dans ton regard pour y briller. C'est tellement niais, mon dieu...

Un sourire apparaît sur le coin de mes lèvres quand il se met à rire doucement. Il est si jeune, réfléchit. Je pose un baiser sur le bout de ses doigts, pour lui faire comprendre qu'il a toute mon attention.

– Pourtant c'est vrai, c'est la première impression que j'ai eu de toi. Et je l'ai encore, aujourd'hui, maintenant. Cette lumière ne te quitte jamais, parfois elle est moins intense, moins présente... Mais si on prend le temps de te regarder, on peut toujours la voir. Dans tout ce que tu es.

– C'est pour ça que tu me fixes souvent ?

Ses joues se colorent de rose, je souris davantage et joue avec ses doigts. Je le taquine, il le sait, mais il ne peut pas s'empêcher d'être un peu gêné. Il hoche la tête, me regardant droit dans les yeux.

– Oui, il avoue du bout des lèvres, tu es fascinant.

Je lève les yeux au ciel, il tire légèrement sur mes doigts en me certifiant qu'il est tout à fait sérieux. Même si je ne parviens pas à comprendre ce qu'il trouve d'intéressant chez moi, je le crois. Surtout quand il me regarde avec cette ardeur là, celle qui brûle ma peau pour m'atteindre directement au cœur.

Je me penche pour embrasser ses lèvres, mes doigts légèrement serrés autour de son pendentif. Il glisse les siens dans mes cheveux encore mouillés. Nos bouches se cherchent et se répondent, dans une lenteur excessive. Aucun de nos gestes n'est jamais pressé. Parce que nous voulons nous donner l'illusion d'avoir l'éternité.

Sa langue a un petit goût frais de menthe, je pourrais m'y perdre et ne plus jamais revenir à la réalité. Ce ne serait qu'Harry. Harry partout et son parfum à la vanille, son petit sourire timide, ses boucles foncés, sa peau dorée de soleil, ses tatouages que je m'amuserais à retracer avec mes doigts, mes lèvres, le son de son rire pour me rendre heureux et ses bras autour de moi à la taille du monde entier.

– Tu crois qu'il peut nous porter chance, à nous aussi ?

Je lui pose cette question dans un murmure, quand nos lèvres se séparent. Il me regarde et sourit, sincèrement, véritablement, parce qu'il y croit.

– Oui, Louis. On a le droit d'en avoir une.

– Comment peux-tu en être certain ?

Son regard s'adoucit, il reste silencieux quelques secondes. Ses doigts rejoignent les miens autour de son pendentif, chauds. Il touche le collier, lui aussi, et me tient presque la main en même temps. Ensuite, il prononce ses mots de façon détachée pour que j'en comprenne chaque note, pour que j'y crois comme lui :

– Parce que je refuse de croire que je t'ai rencontré pour que notre histoire s'arrête dans trois jours.

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