Jour 11 (partie une).
Mardi.
Avec un sourire, je ferme la porte derrière mes parents. Ils viennent de partir pour quelques heures à la mer parce qu'aujourd'hui les températures sont un peu moins élevées que le reste de la semaine. Je n'ai pas voulu les accompagner, surtout parce que Harry et moi avons déjà prévu de passer l'après-midi ensemble.
Je termine de ranger les couverts de ce midi. Il est treize heures trente-deux, je me lave les mains et envoie un message à Harry pour l'informer que je me mets en route. Je ferme toutes les portes, laisse quelques fenêtres ouvertes, les volets baissés, et je prends mon vélo. Je n'en ai que pour une vingtaine de minutes à faire l'aller retour.
C'est au lac que je rejoins Harry. Il est déjà là quand j'arrive, assit dans l'herbe, le dos appuyé contre un arbre. Il se relève, je reste sur mon vélo et lui souris.
– Tu viens ?
– Où est-ce qu'on va ?
– Chez moi, je hausse les épaules, mes parents ne sont pas là jusqu'à ce soir et j'ai une piscine. Ça te dit ?
Un sourire timide apparaît sur son visage. J'ai pensé que, pour une fois, ça pourrait nous changer du lac. Il s'approche, je lui fais signe de grimper sur le vélo. Il s'assoit derrière la selle, sur le porte-bagages. Je pince mes lèvres, me mets correctement sur la selle et murmure presque :
– Tu ferais mieux de te tenir à moi si tu ne veux pas tomber.
Quelques secondes passent, puis je sens ses doigts se poser sur mes hanches, au-dessus de mon tee-shirt. Même s'il ne touche pas directement ma peau, je sens la chaleur de son contact. Ça me déconcentre un peu, je me racle la gorge et lui demande s'il est prêt, il me dit que oui et je commence à pédaler.
Ses mains s'accrochent à moi, à ma peau, à travers mon tee-shirt. Et quand on arrive et que j'arrête le vélo, je n'ai pas vraiment envie qu'il me lâche. Je le laisse avec celui de mon père, sors les clefs de ma poche et vais ouvrir la porte. J'invite Harry à faire comme chez lui le temps que j'aille ouvrir certains volets, maintenant que je suis revenu et la baie vitrée qui donne sur le jardin.
L'air circule, je propose à Harry un thé glacé maison. Il accepte, me suit en cuisine. Ses yeux observe partout autour de lui, je lui donne son verre et lui fais faire le tour de la maison. Je souris jusqu'aux oreilles quand il me dit qu'il adore la bibliothèque. Je lui montre le salon, le grand piano de ma mère, le bureau toujours en désordre de mon père, le grand jardin où nous prenons les repas l'été, le hamac où je m'allonge souvent pour y lire, et la piscine. Je lui fais voir ma chambre, il sourit à son tour en voyant tous les livres de Marguerite Duras empilés dans une seule et même étagère. Il me murmure que c'est moi, que ça me ressemble.
Je ne sais pas vraiment ce que ça signifie. Il y a des livres partout, dans ma bibliothèque, sur mon bureau, sur ma table de chevet, à terre près de mon lit, sur des étagères parce que je n'ai plus trop de place pour les ranger autre part. Quelques photos et posters sur mes murs, mes deux skates sur le côté de mon armoire où je range mes vêtements. C'est un peu désordonné, mais je m'y retrouve toujours.
On retourne dans le jardin. Harry pose son verre de thé glacé sur la table de terrasse, je le regarde et lui propose d'aller se baigner. Il hoche la tête et nous nous déshabillons, posons nos vêtements sur des transats avant de se jeter à l'eau. Enfin, moi je saute directement, lui préfère descendre par les petites marches. Je l'arrose quand même avant qu'il ne soit totalement dans l'eau, il râle un peu, je ris, il m'éclabousse.
C'est ce à quoi nous nous occupons une bonne partie de l'après-midi, nager dans l'eau entre des petites chamailleries, des rires, des discussions, apprendre à se connaître. Je ne sais pas trop à quoi ça sert, puisque dans cinq jours il ne sera plus là. Le vide l'aura remplacé. Mais je n'y pense pas. J'enfouis cette pensée au plus profond de moi, derrière un rideau de lumière que je voudrais ne plus jamais avoir à ouvrir.
Nous finissons par sortir de l'eau, la peau un peu fripée. Je vais chercher deux nouvelles serviettes étendues sur la corde à linge, accrochée entre deux arbres et j'en ramène une à Harry. Il se sèche un minimum avec, je passe la mienne autour de mon corps. Il s'assoit au bord de la piscine, les pieds dans l'eau jusqu'aux mollets. Sa serviette, humide, est étendue sur un transat. Je m'installe à ses côtés, les jambes croisées en tailleurs.
– Demain je fais une soirée, mes parents ne sont pas là ils dorment chez des amis. Si tu veux, tu peux venir. Il y aura quelques amis à moi, ce sera sympa.
J'ai déjà invité Zayn, Colin, et quelques autres amis dans une conversation. A peu près tout ceux que je connais, sauf Norah. Elle me fait bien comprendre qu'elle m'ignore de toute manière elle n'aurait même pas lu le message comme il vient de moi.
Harry se mord la lèvre, fixe l'eau, je ne peux pas lire son regard. Il semble hésiter, alors je lui fais comprendre que ce n'est pas une obligation.
– Mais si jamais tu viens, tu pourras dormir ici. On a une chambre d'ami, ce sera plus simple et je serais soulagé de savoir que tu ne rentres pas seul dans la nuit. On ne sait jamais ce qui peut arriver, même ici... je hausse les épaules. Après, tu peux rester seulement une ou deux heures et tu ne dois pas forcément boire non plus si tu n'aimes pas ça...
– Je viendrai.
Il m'interrompt en souriant, me regardant à nouveau. Je hoche la tête et lui fait savoir que ça me rend très heureux. Et c'est vrai. Je suis content qu'il vienne à ma soirée. Elle en sera d'autant plus appréciable. Ce sera aussi l'occasion de le présenter à mes amis, surtout à Zayn. Je pense qu'ils pourraient bien s'entendre tous les deux. Il me dit de lui envoyer l'heure par message demain.
Mon sourire reste sur mes lèvres alors que je baisse les yeux vers l'eau de la piscine. Un bleu transparent, clair, limpide. On reste au bord un moment, on parle de l'art et de nos peintres préférés. Quand nous sommes secs, nous remettons nos vêtements et je fume une cigarette au bord de la piscine avant de rentrer. Au moment où je tourne la tête, je vois Harry baisser son portable et sourire.
Je m'approche de lui en haussant les sourcils, il rougit un peu. La cigarette est presque terminée, je l'écrase dans le cendrier de la table de jardin. Je viens à ses côtés, lui donne un petit coup d'épaule pour le taquiner et lui demande s'il me prenait en photo. Il se mord la lèvre, me tend son téléphone avec le cliché qu'il vient de prendre de moi.
Pendant une dizaine de secondes, je regarde la photo sans rien dire. La couleur bleue de l'eau de la piscine tranche avec le rouge et le noir de mes vêtements. Je regarde à l'horizon, la cigarette dans la main gauche et le visage sérieux.
Quand je lui dis qu'elle est très réussite, ses joues virent davantage au rouge. Je n'insiste cependant pas plus que ça. Il range son téléphone et je lui propose un bout de tarte aux mûres. Il est seize heures quarante trois.
Tandis que je coupe deux parts, j'entends des notes de musique depuis le salon. Je prends les deux assiettes et m'approche, je reconnais le piano. Lorsque j'arrive dans la pièce, un sourire étire mes lèvres. Harry est debout devant le piano, il fait courir ses doigts sur les touches blanches et noires, entame une mélodie, mais s'arrête et se redresse quand il remarque ma présence.
– Tu sais en jouer ?
– Je connais quelques morceaux, il prend l'assiette et me remercie, désolé de m'introduire comme ça. Il est juste très beau.
– Non, vas-y. Je t'en prie, il sert à ça.
Je pose mon assiette sur le bord de la table basse et m'assois sur le tabouret, je fais signe à Harry de venir. Il hésite un moment, pose son assiette aussi et prend place à côté de moi.
– Je regarde souvent ma mère jouer, elle adore ça, j'aimerais savoir en faire moi aussi. J'ai toujours trouvé sa musique douce et bouleversante.
Il hoche la tête, je passe le bout de mes doigts contre des touches, appuie sur une au hasard qui laisse échapper un son grave. Je fais une petite grimace, le rire silencieux d'Harry me parvient aux oreilles. Ses mains sont encore posées sur ses cuisses, je tourne la tête pour le regarder et lui donne un léger coup de coude.
– Tu veux bien me jouer quelque chose ?
– Quoi ?
– Le morceau que tu aimes le plus.
Harry laisse ses yeux traîner sur mon visage, je baisse les miens vers mes genoux. Au bout d'une longue minute, il tend les bras. Je regarde ses doigts qui commencent à bouger sur les touches et le son qui en sort, lent, mélancolique, triste je dirais même.
Je relève le regard vers lui pour l'observer. Le sien est fixé sur ses mouvements, il sait ce qu'il fait, il connaît ce morceau par cœur, il aime le jouer, il aime le vivre. C'est une musique qui passe dans tout son corps, ses épaules, son visage...
Je pourrais l'observer ainsi pendant des heures, mais les notes se meurent déjà au milieu du salon, elles semblent encore résonner même quand il ne joue plus.
Nos yeux se rencontrent, je souris, il repose ses mains sur ses cuisses.
– Harry... c'était magnifique, je m'exclame dans un souffle admirateur, dis moi tout de suite ce que tu ne sais pas faire ça sera plus simple !
Un rire timide s'échappe d'entre ses lèvres, je crois voir ses joues se colorer de rose. Il me remercie, je n'insiste pas et regarde à nouveau l'instrument devant nous. J'essaie de reproduire les notes du début, elles ne semblaient pas si compliquées, mais c'est un échec cuisant. Harry me regarde faire en secouant la tête, un sourire amusé dessiné sur ses lèvres.
J'ai eu beau passer du temps à admirer ma mère, je n'ai jamais su jouer du piano comme elle sait le faire. Ses doigts volent et coulent sur les touches, elles lui appartiennes, elles sont une extension de son corps. Et c'est la même chose pour Harry. Il s'exprime de cette manière, par la musique.
– Tu peux m'apprendre le début, s'il te plaît ?
– Tu es certain ? Il sourit. Tu vas le casser, ce pauvre piano si tu continues.
Son rire est prêt de mon oreille, je me pince les lèvres. Je le regarde, lève les yeux au ciel, il hoche la tête et je le laisse me montrer les premières notes. C'est fluide. Il le fait avec lenteur, pour que je puisse suivre et reproduire. Ma mélodie n'est pas aussi belle, je rate la fin et m'embrouille un peu au départ.
Une deuxième fois, il me montre. J'essaie à nouveau. Je soupire, le résultat n'est pas meilleur. Il sourit, prends subitement mes doigts dans les siens et les pose sur une touche. Mon corps se fige légèrement, je me concentre sur ce qu'il dit, mais c'est compliqué. Il y a mon cœur qui bat si fort que je l'entends partout en moi et ma respiration qui se coupe plusieurs secondes.
– Non, regarde, il souffle près de mon oreille, il faut que tu appuies là, ensuite tu passes sur celle-ci au fond avec ton autre main et tu finis avec la noire.
Je ne bouge pas. Il me parle avec douceur mais je ne comprend rien, je fixe nos doigts qui se touchent, nos peaux qui se frôlent, brûlantes. J'avale ma salive, il finit par retirer sa main. Je me racle la gorge, cligne des paupières et bouge les doigts pour tenter de reproduire les notes. Je n'entends pas vraiment ce que je fais. Malgré tout le sang qui afflue à mon visage, je crois que j'ai réussi parce qu'il me sourit en hochant la tête.
Ensuite, il continue de me montrer la suite. Je ne suis pas très doué et je suis un très mauvais élève, mais ça l'amuse. Alors, on continue. Je ne comprends pas tellement où je dois placer mes doigts et à quel moment et penser à notre proximité quelques minutes avant n'arrange rien.
Il recommence à chaque fois, il reprend depuis le début. Ses doigts viennent toujours trouver un moyen de chercher les miens, de toucher ma peau. Et ça me déstabilise.
– Tu es vraiment un mauvais élève Louis.
– Apparemment, j'étais effroyable à l'école. Je ne savais pas tenir en place, je bavardais tout le temps et j'en faisais voir de toutes les couleurs aux professeurs.
– J'ai du mal à y croire, dit-il sur un ton ironique en retenant un sourire.
– Au lycée, je séchais les cours pour aller lire dans les couloirs ou à la bibliothèque.
Ses mains parcourent les touches, délicatement, produisant les fantômes des sons auxquels je ne prête même plus l'oreille. J'ai toute son attention, je sens son genou contre le mien maintenant qu'il est tourné vers moi pour me regarder et l'ardeur dans ses yeux m'envoie des vagues énormes dans tout le corps.
Il me murmure un rebelle du bout des lèvres qui nous fait tous les deux pouffer de rire. Je lui donne un petit coup avec mon épaule, il continue de jouer son morceau et je demande :
– Quoi, tu n'as jamais fait de bêtises toi peut-être ?
– A l'école ? Non, pas que je sache. J'étais sage comme une image.
– L'élève parfait, hein ?
– Exactement.
– Ça ne m'étonne pas.
Je souris quand ses yeux rencontrent les miens, plein de malice et d'éclats.
– Pourquoi ?
– Tu es toujours très calme et réservé, je marque une pause en le regardant. Je crois que j'aurais adoré t'avoir comme ami.
– Mais je suis là maintenant.
La manière dont il prononce cette phrase, sa voix grave et lente, me fait monter des frissons dans le corps. On ne dit rien pendant plusieurs secondes, je hoche simplement la tête. Il détourne les yeux et reprend sa leçon.
Il fait courir ses doigts sur les touches, je les suis des yeux et tente de me rappeler de chaque note. N'importe qui aurait déjà abandonné, parce qu'Harry a raison, je suis vraiment le pire des élèves. Mais, il ne semble pas s'en lasser. Surtout quand je râle parce que je n'y arrive pas.
On rigole comme des enfants, j'aime faire n'importe quoi sur les touches pour l'entendre rire si près de moi. Je pourrais faire ça toute la journée.
Seulement, notre moment est interrompu quand j'entends du bruit dans le couloir, à l'entrée et la voix de ma mère.
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