Jour 10.

Lundi.

Cela fait déjà plus d'une semaine qu'Harry est là. Les jours défilent trop vite et j'ai la sensation que nous n'avons passé qu'une toute petite poignée de ce temps ensemble. Je ne peux pas lui en vouloir ni lui en demander plus. Il n'est certainement pas venu pour rester toutes ses vacances avec moi.

Et pourtant, c'est lui qui m'envoie un message ce matin pour s'excuser de ne pas avoir été là au lac hier soir et me demander si l'on peut se voir cette après-midi. J'accepte immédiatement. Depuis quelques jours déjà, j'ai ce sourire qui ne quitte pas mon visage. Et ça ne passe pas inaperçu au regard de mes parents, mon père surtout. Il a toujours eu l'oeil pour ça.

J'arrive au salon pour prendre mon livre où je l'ai laissé hier. Le portable en main, je réponds à un message d'Harry. Je dois sourire sans m'en rendre compte, parce que la voix de mon père me fait lever la tête :

– Je peux te demander ce qui te rend si heureux ces derniers temps ?

Une fois mon livre récupéré, je verrouille mon téléphone et le range dans la poche de mon jogging. Mon père est debout, dos à ses bibliothèques, des papiers à la main et un stylo derrière son oreille. Parfois, il a regroupe tous les clichés d'un historien en lui-même, mais je pense que c'est pour ça que ma mère est tombée amoureuse de lui. Il est intelligent, passionné et dévoué. Autant dans sa vie professionnelle qu'amoureuse. De ce que je me souviens, je ne les ai vu réellement se disputer que deux fois, et ça n'a jamais duré bien longtemps.

Si jamais un jour je trouve l'amour, j'aimerais que ma relation soit comme la leur. Je ne veux pas leur ressembler absolument, mais je souhaite connaître et vivre le même bonheur. La même sensation d'un amour naturel. Ils n'ont jamais été très romantiques, ils se connaissent au quotidien avec leurs qualités et leurs défauts, ils ont appris à vivre avec les habitudes de l'autre et ça a l'air si simple vu comme ça.

– Je ne sais pas trop...

Je mens un peu. Au fond de moi, je sais que c'est Harry. Il s'est élevé, comme le soleil, au beau milieu de la nuit, au bord du lac et depuis il n'a jamais cessé de briller. Même quand il n'y fait pas attention, même quand il ne fait pas exprès, il brille tout le temps.

Ce n'est pas une lumière qui donne mal à la tête ou fait baisser les yeux, au contraire, c'est une lueur qui appelle, qui invite à regarder toujours d'un peu plus près.

– Honnêtement, je dirais que c'est un peu tout... je me sens juste bien.

– Je suis heureux d'entendre ça, souffle mon père, tu ne semblais pas dans ton assiette ces dernières semaines.

Ses mots me font repenser à la discussion que nous avons eu, tous les deux, un soir dans ma chambre il y a quelques jours seulement. Je ne peux pas dire que tout va changer, je ne peux pas affirmer que je ne chuterais pas à nouveau demain ou dans un mois, mais je sens que je suis sur une bonne voie. Peut-être pas la voie, mais certainement une qui y mène.

Mon père laisse ses papiers et son crayon sur son bureau encombré. Il s'approche de moi, pose une main sur ma nuque et je le regarde aussi.

– Je suis fier de toi Louis, tu sais ? Vraiment fier. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, avec ta mère, et je n'aurais jamais pu imaginer une meilleure vie.

Ses yeux brillent un petit peu, derrière ses lunettes et je vois un sourire creuser son visage sous sa barbe grise. Maman trouve que ça lui donne un air intellectuel, moi je pense depuis tout petit que c'est un vieux sage.

Je sens sur ma nuque ses doigts exercer une légère pression affective, je lui souris aussi. Parce que, même si je ne m'en rends pas forcément compte, ce sont des mots que j'ai besoin d'entendre. Pour me rendre compte que, même si je le pense très fort parfois, je ne suis jamais et je n'ai jamais été tout seul.

– Merci, je murmure sincèrement, mais pourquoi tu me dis tout ça ?

– Parce que... il souffle longuement et inspire, parce que j'ai l'impression qu'on ne te le répète pas assez parfois. On t'aime, ta mère et moi, on t'aime énormément.

– Vous me le dites et je le sais... Je vous aime aussi, papa.

Ma voix tremble un peu et j'ai la gorge nouée par les émotions. Il secoue doucement la tête et me prend dans ses bras. Je referme les miens autour de son corps chaud. Son étreinte me serre le cœur et me libère en même temps d'un poids invisible. J'enfouis ma tête contre son épaule, il me caresse les cheveux et je me mets à respirer son odeur. Pour me rappeler que, quoi qu'il arrive, mes parents et mes proches seront toujours là.

C'est seulement quand la voix de notre mère nous interrompt qu'on se détache doucement. On se recule à peine qu'elle arrive déjà vers nous, les bras grand ouverts et une moue sur le visage :

– Alors vous faîtes des câlins dans votre coin et vous ne m'appelez même pas ?

Je vois mon père rire, ma mère lui sourire. Ses bras fins se referment autour de moi, de nous. Je suis protégé au milieu de leurs corps chauds, réconfortants. Je ferme à nouveau les paupières et me laisse bercer par ce moment qui semble hors du temps.

Quand ils échangent un baiser, je me recule et fais mine de dégoût en partant. Ma mère lève les yeux au ciel, mon père rit et je souris.

Je souris toute la journée et encore quand Harry me rejoint au lac. Il a son sac sur les épaules, ses lunettes de soleil à la main, une chemise ample à moitié ouverte sur son torse nu et un short de bain. Je me redresse dans l'herbe, lui fais un signe de la main. Il me sourit, lui aussi, et s'assoit à côté de moi.

Pendant que je termine ma cigarette, il lit la quatrième de couverture du roman que j'ai emmené avec moi. Il passe son pouce contre les pages jaunies, le repose, me regarde, puis demande :

– On va se baigner ?

– Dans le lac ?

Il hoche la tête, je me lève, écrase ma cigarette sur le bord d'une poubelle plus loin et la jette dedans. Je reviens vers lui et lui dit que le premier à l'eau gagne. Il se redresse presque aussi vite et c'est à celui qui sera le plus rapide.

Je retire mon tee-shirt, il passe sa chemise au-dessus de sa tête, j'enlève mes baskets, lui les siennes et il est déjà dans l'eau alors que je viens seulement d'ôter mon jean.

J'entre et commence à l'arroser, il rit, plonge sous la surface, j'essaie d'attraper sa cheville, il m'échappe, je souris. Je lui nage après et nous allons loin, jusqu'à ne plus avoir pied. Là, je m'agrippe à son épaule et essaie de le faire couler, sans vraiment que ce soit un grand succès. C'est plutôt lui qui passe une main brûlante et douce à la fois sous mes jambes et me fait basculer dans l'eau. Je remonte à la surface presque aussi vite, tousse un peu, il me regarde quelques secondes pour s'assurer que tout va bien et je me mets à rire.

On s'éclabousse encore plusieurs minutes, puis on nage simplement, calmement, en faisant la conversation. Ses cheveux lui tombent devant les yeux, il les repousse avec ses doigts, où il n'y a qu'une bague à l'annulaire, et une verni dans les tons lavande sur ses ongles.

– Elle est très jolie cette couleur là.

Ses sourcils se froncent, il ne comprend pas de quoi je parle. Alors, je tends la main et prends la sienne entre mes doigts, à plat au-dessus de l'eau. Harry me sourit au bout d'une poignée de secondes, pour me remercier, je crois deviner un rougissement sur ses joues, mais je ne dis rien de plus. Je lâche sa main et continue à nager jusqu'au bord.

Nous retournons à nos affaires, je sors une serviette de mon sac et lui la sienne. On s'allonge dessus, comme à plage, sauf que là ce n'est pas du sable ou des galets mais de l'herbe et ce n'est pas la mer non plus. Cependant, c'est presque aussi agréable.

Je tourne la visage vers Harry, il a les yeux fermés, un bras derrière sa tête et un rayon de soleil qui descend sur son menton, une partie de son épaule. Sa peau brille sous la lumière intense, comme un précieuse poignée d'or qu'on aurait effritée sur son corps. La chaîne est toujours là, autour de son cou, je me tourne sur le côté pour mieux le voir et murmure :

– Il représente quelque chose en particulier, ce pendentif ?

Ses paupières s'ouvrent, le vert de ses yeux se mélange au bleu clair du ciel un court instant et il les pose ensuite sur moi. Harry monte ses doigts contre sa chaîne, ils touchent le petit bijou dont la couleur est celle de l'or usé. Je ne vois pas bien le dessin d'ici, et je ne veux pas m'approcher non plus. S'il veut m'en parler, il le fera.

Il joue plusieurs secondes avec, le repose contre sa peau légèrement bronzée et se met à raconter, à voix basse,

– C'est à ma grand-mère, elle me l'a donné à mes dix-huit ans. Il représente un trèfle à quatre feuilles et doit me porter chance et courage. Elle l'a porté quasiment toute sa vie jusqu'à ce jour là où elle me l'a offert.

– Oh c'est vraiment attentionné de sa part, je souffle en souriant, est-ce que tu as l'impression que ça fonctionne ?

Harry me lâche des yeux et les pose sur le ciel face à lui. Aucun nuage. Du bleu. Partout. Comme à la mer. Pendant un long instant, il semble se perdre dans ses pensées. Je pose mon menton contre ma main et l'observe. D'un coup, il me paraît si jeune, triste et loin de tout. Il finit par hausser les épaules.

– Je suppose, je ne sais pas vraiment si j'y crois à ces choses là, en fait... je n'ai peut-être encore jamais eu le droit à ma chance. Mais j'aurai aimé lui demander ce qu'elle en pense. Je n'ai pas eu le temps, elle est... décédée deux mois après mon anniversaire.

Ma gorge se noue et je fronce les sourcils, il ferme les paupières, je m'excuse d'avoir posé ces questions. Il secoue la tête, me sourit du bout des lèvres sans me regarder et je m'allonge à nouveau sur le dos. Je me sens trop bête, alors je me tais.

Un silence passe entre nous, il n'est pas lourd ou gênant. Plutôt... reposant. Quand les bruits de la nature se font moins denses, je n'entends plus que la respiration d'Harry.

– J'ai l'impression de l'avoir toujours avec moi quand je le porte, une part d'elle du moins... alors, je ne l'enlève jamais. C'est un souvenir qui me suit.

– De là où elle est, je suis certain qu'elle est fière de toi.

– Pourquoi ?

Je tourne la tête vers lui, il a ouvert les yeux pour me regarder. Le soleil caresse maintenant le côté de sa joue, embrassé un grain sur sa peau lisse, passe entre quelques mèches de ses cheveux.

– Parce que tu es une personne formidable.

– Tu ne peux pas dire ça, il souffle, tu ne me connais pas assez.

– Je n'en ai pas besoin.

Avant qu'il ne puisse rajouter quoi que ce soit, je me redresse et regarde autour de moi. Il reste allongé, mais je sens encore ses yeux posés sur ma peau. Je ne dis pas cela pour lui faire plaisir. Je le pense. Je n'ai pas besoin d'être ami avec lui depuis des années pour savoir qu'il est une personne extraordinaire. Quand il laisse ses barrières tomber, quand il s'autorise à sourire, rire, quand il accepte que je m'approche un peu plus de lui. Et je ne sais pas, peut-être qu'il se sent comme moi quand nous nous retrouvons à deux, vivant.

Parfois, je sens une goutte qui tombe de la pointe de mes cheveux et finit sa course le long de mon dos, elle dévale contre ma peau et me fait frissonner. Mon corps sèche et je n'ai pas envie. Je veux aller me baigner à nouveau, regarder les étoiles se refléter sur l'eau du lac et dans les yeux d'Harry, que la nuit ne se termine jamais, qu'à la fin de la semaine prochaine il ne me quitte pas.

Je l'entends bouger, se redresser et quand je tourne la tête, il est à ma hauteur. Il a un genou replié et son menton posé dessus, il me regarde. Harry fait souvent ça, me regarder sans rien dire. Pendant de longues minutes parfois. Comme s'il essayait de lire en moi.

C'est assez intimidant, alors je détourne souvent les yeux et fais mine de ne pas le remarquer. Mais mes joues se mettent toujours à chauffer et rougir un peu, malgré moi. C'est juste... Je ne saurais pas l'expliquer. L'intensité dans son simple regard et toute son attention portée sur moi, je n'en ai pas l'habitude.

– Louis, il dit finalement, tu es quelqu'un de formidable, toi aussi.

Même si je n'ose pas vraiment, je le regarde. Il me sourit, j'ouvre la bouche pour parler, la referme, souris à mon tour. Je finis par secouer la tête et ajouter :

– Ouais, je souffle en souriant davantage, tu dis ça uniquement parce que je t'ai emmené à la mer avoues ?

Il hausse les épaules, un air amusé prend place sur son visage. Je lui donne un léger coup de coude qui nous fait rire en silence. On ne parle plus pendant plusieurs minutes ensuite, c'est comme un silence où l'on se comprend sans avoir besoin de mettre des mots dessus. On observe des personnes se baigner dans le lac plus loin, on entend leurs rires, leurs cris.

Quand on se quitte, il est presque dix-hit heures trente. Harry doit rentrer à sa location et rejoindre ses parents. Je termine de mettre mes chaussures, il est déjà tout habillé, ses cheveux partent dans les sens et bouclent plus que d'habitude à cause de l'eau.

Harry me remercie, je ne sais pas réellement pour quoi, mais moi aussi. Je crois que c'est pour notre discussion de tout à l'heure, et tout ce qu'on s'apporte mutuellement, sans vraiment s'en rendre compte. En d'une même voix, on se dit :

– A demain.

Et, malgré la petite voix en moi qui me crie de ne pas m'y accrocher, je souris à cette promesse.

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