Qui dois-je fuir?
Je vais me casser la figure. Je vais tomber dans un trou. Je vais glisser. Je dois marcher plus vite.
Ma vision était brouillée par la tempête furieuse, obscurcie par la nuit et le vent me sifflait dans les oreilles; néanmoins, je distinguais les contours des montagnes enneigées. Le froid m'engourdissait à tel point que je ne sentais plus mes mains, ça me gelait une partie de mes capacités cérébrales, ce qui m'empêchait de réfléchir correctement. Je ne savais même plus ce que je faisais ici mais je me rappelais qu'il y avait quelqu'un derrière moi, quelqu'un que je devais fuir. Je trébuchais, tombais par terre les mains devant ma poitrine, me relevais, me remettais à marcher. J'entendis une voix étouffée:
« Nagisa! »
J'hésitai entre utiliser le peu de mon énergie pour réfléchir ou accélérer la cadence. J'ai jeté un regard derrière moi, mais mon assaillant était à quelques mètres, ce qui suffisait pour le rendre trouble à mes yeux. Regardant droit devant moi, paupières mi-closes je me dis: « Allez, Nagisa. souviens-toi. »
*
Ça avait commencé il y a huit jours. Koro-sensei avait insisté pour que nous connaissions « les joies des classes de neige ». Le principe de ce type de sorties scolaires n'était pas répandu au Japon, et encore moins dans notre lycée pour prodiges, mais notre professeur n'avait rien en commun aux autres et il avait réussi à s'accorder une dérogation pour nous emmener au ski.
Bref. Malgré les réticences de certains, je ne voyais pas de mal à y aller. Vu que Koro-sensei était très réceptif à l'eau, il serait aisé de faire de nombreuses tentatives d'assassinat. Le jour du départ, je m'étais assis seul dans le bus, dans une place au fond, mes écouteurs dans les oreilles, plongé dans mes notes. Je sentis une présence à mes côtés alors je tournai la tête et manquai la crise cardiaque en voyant Karma penché sur mes notes, un sourire aux lèvres, l'air admiratif.
- T-Tu m'as fais peur!
Il ria.
- Moi, je te fais peur? C'est étrange d'entendre ça de la part d'un type qui élabore des tentatives de meurtre à longueur de journée.
- Je ne fais pas que ça de ma-
- Mais bien sûr. Tu es fait pour ça Nagisa-chan.
Je me suis empourpré. "Nagisa-chan"? Je détestais sa manie de me féminiser en permanence et il le savait très bien!
- C'est quoi, ce surnom?
- Ça ne te plait pas?
Il éclata de rire. Il passa une partie du trajet à me taquiner de la sorte puis, agacé, je finis par remettre mes écouteurs en laissant vaguer mon regard sur le paysage alors que l'énergumène à mes côtés s'endormait. Notre relation était bizarre. Il souhaitait me protéger des autres, même si il était le premier à m'embêter. Il semblait s'intéresser à moi, mais je savais qu'il s'intéressait avant tout à mes talents d'assassin. C'était un génie, mais d'autre part, il était loin d'être fiable et sain d'esprit. « Ce gars est un paradoxe à lui seul » avais-je pensé avant de m'endormir à mon tour. On nous a attribué des chambres de dortoirs à deux lits et bien entendu, il fallait que Karma et moi soyons placés dans la même chambre. En défaisant mes affaires, il m'avait demandé:
- Ça te dérange si je prends la couchette du haut?
J'allais lui répondre que non, bien sûr, ça ne me dérangeais pas quand il ajouta:
- ... je ne voudrais pas me faire assassiner dans mon sommeil. (il simula un frisson) Ça fait froid dans le dos!
- Karma, s'il te plait, ne te comporte pas comme ça les prochaines semaines ou je risque sérieusement de devenir dingue.
- Ne me tentes pas. J'adorerais te rendre dingue.
Je me suis tourné vers lui et lui ai lancé:
- Toi non plus, ne me tentes pas. Essaie un peu de redire de telles paroles et crois-moi que tu vas y avoir droit, à ta tentative de meurtre!
Victorieux, son sourire s'élargit:
- Ouah, c'est rare de te voir aussi menaçant! Ça me plait.
Et ce genre de scène avait duré tout au long de la semaine. Je détestais son manège. Je détestais le fait qu'il essayait de me manipuler et d'observer mes réactions en permanence. Il restait mon ami mais quand même, il abusait. Je n'arrivais pas à le comprendre, à saisir ses intentions et ça me perturbait.
Mais c'était avant ce jour. Ce matin-là, à l'heure du petit déjeuner, Kaede était venue me voir et, d'un mouvement imperceptible de la tête m'avait fait signe de la suivre. On était sur un balcon et ne portant qu'un simple pull, j'étais entrain de congeler. Savait-elle qu'il faisait moins de -15 degrés? Elle se tourna vers moi et planta son regard dans le mien. Elle paraissait un peu gênée. Peut être un peu triste, aussi.
- Nagisa... Tu sais, je suis ton amie, hein? Tu peux tout me dire, tu le sais ça?
Je l'ai dévisagé, surpris. Bien sûr que je le savais. Elle était ma meilleure amie ici, ce n'était pas nouveau. Elle détourna le regard.
- Je veux dire... tu n'as pas... à avoir honte. Je suis là pour toi.
- Kaede, une minute. De quoi tu parles?
Elle releva brusquement la tête.
- C'est les filles de mon dortoir. Elles... Enfin, pas mal des gens de la classe... Enfin, tout le monde, pensent que toi et Karma...
- Que moi et Karma quoi? demandai-je en penchant la tête sur le côté.
- Ben... que vous êtes... enfin, ensembles, quoi. Comme un couple.
Je l'ai dévisagé en clignant des yeux bêtement quelques instants avant de saisir. J'ai manqué de m'étouffer, ai reculé, déstabilisé, a failli basculer du balcon, me suis appuyé à la rembarre. C'était vrai que bien avant ce départ en vacances, les gens nous lançaient des regards étranges, dès que Karma et moi trainions ensembles. C'était donc pour ça? Mais ça n'avait aucun sens! On ne faisait jamais rien de suspect tel que se prendre dans les bras ou ce genre de choses! Mis à part le fait qu'on m'avait plusieurs fois fait la remarque sur le fait que je ressemblais plus ou moins à une fille, rien ne laissait croire que j'étais homosexuel et encore moins avec Karma... Lorsque je repris la parole, je ne pouvais pas empêcher ma voix de trembler.
- Dis-leur qu'ils se trompent. Karma est juste mon ami.
- Vraiment?
Elle ne semblait pas le croire.
- OUI, VRAIMENT! QU'EST CE QUE ÇA A DE SI INCROYABLE?
Que ce soit clair, je ne criais jamais.... Mais là, c'était un peu trop pour moi.
- Pour commencer, Karma à l'air de beaucoup t'apprécier. Plus que comme un simple ami. Tu n'as pas vu tout ce qu'il fait pour toi? Quand tu n'es pas là et que des gens disent du mal de toi, il passe son temps à te défendre. Il t'admire.
- Je-je ne vois pas ce qu'il y a de différent avec une relation amicale platonique, dis-je en me sentant rougir davantage.
- Et toi, Nagisa? Tu ne trouves pas ça bizarre que tu traines tout le temps avec lui? Je veux dire, il n'a rien de sympathique! Il est asocial, psychopathe, dangereux, violent. À part si tu es masochiste, je ne vois pas ce qui te pousses à...
Je l'ai coupé, sentant une sorte de... colère bouillir en moi. Qu'est ce qu'elle sous-entendait? Que je trainais avec Karma par pitié ou un truc dans le genre?
- Karma est quelqu'un de génial. Il me défend parce qu'il m'apprécie, point barre. Et par ailleurs, c'est ton avis personnel, qu'il n'est pas sympathique. Ce n'est pas sa faute si il est comme ça, okay? Ce n'est pas sa faute si presque personne n'est assez sympa pour devenir son ami! Ne prends pas ce ton condescendant, s'il te plait. Je traine avec lui parce que je pense que c'est quelqu'un de bien. Karma est mon ami parce que j'ai confiance en lui!
Elle baissa la tête, honteuse.
- D'accord. Excuse-moi, Nagisa. Je voulais juste te prévenir. Je... Ne supporte pas tout ce qu'ils disent dans ton dos.
Je lui ai lancé un sourire, ouvris la baie vitrée et, m'enfonçant dans le couloir qui menait à ma chambre, je lui dis:
- Ne t'en fais pas. J'ai l'habitude, après toute ces années.
La journée ne s'était pas trop mal déroulée. J'avais ignoré quelques personnes, histoire de ne pas paraître mal à l'aise. Enfin, j'avais surtout évité mon ami aux cheveux rouges. Je ne souhaitais pas lui faire la tête mais j'avais au moins besoin d'une journée pour avaler ce que les gens disaient sur nous. Le soir après le diner, je lisais un livre dans la couchette du bas. Je n'avais pas terminé un chapitre que Karma me lançait:
- Eh, Nagisa.
- Mmh?
- Tu me fais la gueule?
Oh non.
- P-Pourquoi tu me demande ça? demandai-je, soudainement stressé.
- Parce que c'est la première journée où tu ne m'adresses pas la parole. Je crois que tu n'as même pas daigné m'adresser un regard, dit-il d'un ton qui ne laissait paraître aucune de ses émotions.
Souplement, il se laissa glisser de la couchette du haut et atterrit juste devant moi sur ses deux pieds, me dominant de toute sa hauteur. J'ai détourné le regard et il sourit.
- Tu vois? Tu le fais à nouveau! (il reprit brusquement son sérieux) Je t'écoute. Qu'est ce que j'ai fais de mal?
Je me suis obligé à fixer ses yeux. Ses prunelles plongées dans les miennes, il essayait de scruter le moindre de mes mouvements, la moindre de mes réactions. Me considérait-il comme un ami ou comme un assassin?
- Tu n'as rien fait de mal, Karma. Je te le jure. C'est juste moi qui ai été... Hum, qui est...
- Laisse moi deviner: « C'est juste moi qui est - hum - perturbé par les rumeurs qui courent entre toi et moi. » m'imita-t-il en prenant une voix plus aigüe que la sienne.
- Tu es au courant?
- Bien sûr. Tu sais, il n'y a que toi ou un aveugle qui ne peut même pas voir que toute la classe parle dans ton dos.
J'ai poussé un sourire, me suis apprêté à me lever quand, d'une main, il me repoussa sur le lit. Je lui ai lancé un regard incompréhensif mais il resta là à me fixer, le regard pour une fois grave, penché sur moi, une main sur ma poitrine.
- Je suis curieux, Nagisa. Pourquoi cette histoire te perturbe tant?
- Quelle question! Ce n'est pas agréable que toute la classe se moque de nous dans notre dos!
- Pour toi, être assimilé à moi est une insulte?
Je tremblais en le voyant s'approcher davantage. J'essayais de le repousser de toutes mes forces, mais même si Karma était mince et pas si musclé que ça, avec mon 1m59, je ne pesais pas lourd à côté de lui.
Je ne veux pas lui donner raison. Je ne veux pas utiliser mes "capacités" pour me libérer.
- Karma! Lâche-moi, ça suffit!
- Je t'ai entendu quand tu parlais avec ta copine, ce matin. Tu pensais vraiment ce que tu as dit sur moi?
J'ai croisé à nouveau son regard pour voir quelque chose de différent de d'habitude. Il était sincère, il était quelqu'un d'autre. Moins sûr de lui. Comme le jour où Koro-sensei l'avait réprimandé pour son « mauvais » score à l'examen. Depuis quand être sûr de ce que je ressentais pour lui faisait partie de ses priorités? Quoi qu'il en soit, mon cœur s'est serré et j'ai arrêté de me débattre.
- Oui, je le pensais vraiment. Tu es quelqu'un de bien, Karma.
Il fit un petit sourire en coin.
- Je suis heureux que tu penses ça de moi.
Il s'approcha davantage et avant même que je me rende compte de ce qu'il se passe, il m'embrassa. La surprise me fit entrouvrir les lèvres. Alors que ses mains étaient posées sur ma poitrine, elles remontèrent à mes joues. Ce ne fut qu'après quelques instant que je compris et, attrapant un faux couteau planqué sous mon oreiller, je lui plaça sous la gorge. Ça ne pourrait pas l'égorger mais un coup sec pourrait aisément lui faire très mal. Néanmoins, il s'écarta juste assez pour que nos lèvres ne se touchent plus.
- C'est quoi, ça? demanda-t-il en me souriant.
- Je ne me rappelle pas t'avoir accordé la permission de m'embrasser.
- Normal. Je ne te l'ai pas demandé.
Et revoilà le Karma de d'habitude. Celui qui me prenait pour un jouet, celui qui se contrefichait des sentiments des autres. Celui que je détestais. Peut être que l'éclair de sincérité que j'avais perçu en lui n'avait été qu'un mirage ou un jeu d'acteur pour avoir ce qu'il voulait obtenir.
Je ne savais pas pourquoi mais ça m'atteignit énormément, plus que ce n'importe qui de la classe E pourrait dire. Ça me fit tellement mal que je sentis les larmes me monter aux yeux. Alors que je pensais avoir enfin trouver quelqu'un comme moi, je me rendais compte qu'il n'en était rien, que, au contraire, nous étions infiniment différent l'un de l'autre. Mes synapses ne fonctionnaient plus de la même façon, alors je ne réfléchis pas comme j'aurai du le faire. Je ne feignit pas l'indifférence. D'un geste imperceptible, fidèle à ma réputation de « serpent » je me suis glissé sur le côté et suis parti, les mains dans les poches et les cheveux devant les yeux vers la sortie. J'entendis Karma m'appeler, parler d'une histoire de tempête qui allait se lever, que je ferais mieux de prendre une veste ou un truc de ce style, mais je n'en avais cure: j'accélérais le pas, encore. Je sentis les larmes rouler sur mes joues, alors je me mis à courir.
J'entendis des pas derrière moi mais je m'en moquais. Je ne voulais plus le voir, je voulais le fuir.
*
C'était donc Karma derrière moi. J'ai pesté avant de crier de toutes mes (faibles) forces:
- Dégage, idiot!
Je vis une lumière, ça me donna un peu de courage et j'accélérai. C'était un petit chalet de refuge, une veilleuse brillait sur le palier. On devait vraiment être loin de notre hôtel pour être au niveau d'un chalet de refuge. Combien de temps avions nous marché? Une heure? Plus? Je n'en avais aucune idée. Quand j'étais parti de l'hôtel, la tempête ne s'était pas encore levée alors que maintenant, elle faisait rage. À bout de souffle, je me suis écroulé sous le porche, ignorant le fait que Karma allait sûrement arrivé et qu'il allait me...
- Qui tu traites d'idiot?
Il se rua sur moi, s'agrippa des deux mains sur mon pull, essaya de me plaquer contre un mur mais il y avait une porte derrière moi. Nous basculèrent donc tous les deux sur le parquet du chalet. À califourchon sur moi, en serrant davantage la poigne, il me hurla:
- C'est toi, l'imbécile! Non mais tu te rends compte que tu aurais pu mourir de froid? Plusieurs fois, même? Bon sang, je ne te savais pas si irresponsable! Qu'est ce qui t'as pris?
Je n'avais jamais vu Karma perdre ses moyens de cette façon. Ses yeux étaient consumés par un mélange de fureur et d'angoisse, de la neige était emmêlée à ses cheveux, son visage était très pâle. Je voulais crier aussi mais j'étais à bout de forces. Je lui ai demandé:
- Pourquoi tu m'as suivi?
- Une tempête de neige se profilait. T'aurais pu crever, faible comme t'es.
Il leva un poing comme pour me frapper mais se ravisa. À la place, il poussa un soupir et semblant reprendre son calme habituel, se leva pour fermer la porte par laquelle s'engouffrait la neige.
- Je crois qu'on est bloqué ici pour la nuit.
Doucement, je me suis relevé sur mes coudes, sentant petit à petit retrouver l'usage de mes muscles. Je devinais que de très sérieuses courbatures allaient me parcourir, d'ici le lendemain. Je me suis passé une main sur le front avant de souffler:
- Ça n'a pas de sens.
Le roux pencha la tête sur le côté.
- Qu'est ce qui n'a pas de sens?
- Pourquoi Koro-sensei ne vient pas nous chercher? On est ses élèves! Pourquoi nous laisse-t-il frôler la mort de cette sorte?
Il y eut un blanc.
- Aucune idée, dit-il en haussant les épaules.
Alors qu'il cherchait des couvertures il me lança:
- Reste pas assis sur le sol comme ça. Vas allumer la cheminée.
À côté de la cheminée, il y avait un paquet d'allumettes. Alors que j'en grattais une et la lâcha dans les bûches, Karma revint et me dit:
- Déshabille-toi.
J'ai senti es joues devenir écarlates.
- Quoi?
Il afficha un sourire amusé.
- Tu as l'esprit déplacé! Quel sale petit pervers! Je parlais de ton pull. T'es trempé.
Je me suis exécuté et il me balança une couverture épaisse. Je sentis des mains dans mes cheveux et je le vis entrain de tripoter mes couettes.
- Je peux savoir ce que tu fabriques?
Il me regarda quelques instants sans ciller avant de dire:
- Ouais, t'as vraiment un esprit déplacé. Pire que moi.
- Karma!
- Je te détache tes cheveux. Ils vont jamais sécher si tu les laisses comme ça.
J'ai baissé la tête. Pourquoi prenait-il soin de moi comme ça? C'était ridicule, mais à la fois... Oserais-je dire que ça me faisait plaisir?
- Karma.
- Ouais? dit il en défaisant ma deuxième couette.
- Je ne te comprends pas.
Il me sourit alors que je m'écartais de lui.
- Tu n'es pas le seul.
- Arrête ça. Pourquoi tu m'as embrassé toute à l'heure? Tu ne ressens rien pour moi! Tu ne trouves pas ça malhonnête de se comporter de la sorte?
- Ça serait malhonnête si ce baiser signifie quelque chose pour toi. C'est le cas?
Quel manipulateur.
- Non mais je... Je t'apprécie-
Il me coupa.
- Nagisa, arrête un peu tes conneries. Tu m'apprécies pas. T'es gentil. Tu as pitié de moi. Tu as pitié du pauvre Karma qui est détesté par tout le monde.
- Je t'apprécie pour ce que tu es, crétin! Et toi... Toi, tu ne me le rends pas. Toi, tu ne me vois que comme un divertissement. Je suis quoi, à tes yeux? Un bon assassin? Un type ridicule dont tu peux facilement prévoir les réactions? Un autre idiot de la classe E bien inférieur à toi et à tes dons de prodiges? C'est ça?
Je me rendis compte que je pleurais. J'hoquetais quelques instants avant de reprendre.
- Je ne dis pas que ta vie est plus simple que la mienne, car ce n'est peut être pas le cas, j'en ai conscience. En revanche... tu ne peux pas dire que je ne t'aime pas.
Lorsque je lui ai jeté un regard, je fus surpris de voir son expression. Ses yeux étaient troubles, il arborait un sourire triste. J'allais lui dire que j'étais désolé mais il déclara:
- C'est la plus belle déclaration que j'ai jamais entendu, Nagisa-kun.
Il essaya de plaisanter mais comme si il n'y arrivait pas, il dit:
- Tu es plus que ça pour moi. Tu es mon seul ami. Tu es le seul qui ne m'ai jamais considéré comme bizarre. Je... (il essaya de sourire) Je crois que les autres ont peut être raison. Peut être que je t'aime plus qu'en simple ami. Peut être.
Mon coeur se serra. Je ne savais pas quoi ressentir. La seule chose que je savais, c'est qu'une brûlure à la poitrine envoyait des décharges électriques dans tout mon corps. Je ne savais pas si c'était agréable ou pas. Laissant tomber des mèches de cheveux devant mes yeux, je lui dis:
- Je n'ai rien de spécial.
- Peut être pas, en effet.
- Tu l'avais dit toi même, je suis un dangereux assassin.
- C'est vrai.
- Je suis un garçon.
Il ricana.
- Ça, c'est pas évident, mais j'avais remarqué.
Je serrai les poings. Quel abruti! Je ne pu contrôler ma voix et, levant la tête, je lui ai crié:
- Alors pourquoi, Karma? Pourquoi moi?
Et quelque chose de dingue se produisit. Devant le sourire qu'il affichait, je le revis ce jour à la gare. Ce jour où il m'avait offert un sourire dément quand il avait déclaré qu'il allait tuer Koro-sensei coûte que coûte. C'était le même sourire aujourd'hui. Il y avait quelque chose dans ses yeux, quelque chose au coin de sa bouche qui était différent mais globalement, c'était le même. Je compris que le Karma que j'aimais et celui que je détestais n'était qu'une seule et même personne. C'était pour ça que j'étais aussi confus. Il était à la fois ce dont j'avais besoin, quelqu'un qui comprenais ce que je ressentais, quelqu'un qui m'apprenais à être une meilleure personne et ce que je souhaitais fuir, une partie obscure de moi-même que je souhaitais refouler. Il s'approcha de moi si près qu'il fut obligé de baisser les yeux.
- Je ne sais pas. Parce que tu es quelqu'un de fort. Quelqu'un que j'admire, peut être.
Je ressentis encore plus de décharges électriques. Je comprenais pourquoi Koro-sensei nous laissait là, aussi. Il souhaitait qu'on se trouve une motivation. Jusque là, je voulais le tuer pour la récompense et la satisfaction d'avoir réussi un objectif après tant d'efforts. Et si... Et si je trouvais une autre raison? Une raison qui me motiverait à vouloir le tuer pour sauver quelqu'un? Une raison qui me donnerait envie de vivre? Pensait-il que je trouverais cette motivation en Karma? Malgré l'impression désagréable de me faire manipuler, je ne pouvais le nier: notre professeur avait vu juste, une fois encore.
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