Chapitre 1.
J’observe par la fenêtre et soupire. Un nouveau mois de décembre commence à Little Falls. Ma ville natale, dans le Minnesota, est une bourgade de quelques milliers d’habitants où les gens sont plus communicatifs, plus joyeux que dans les grandes cités. Ils apprécient se parler et s’occuper des affaires des autres. J’aime y vivre malgré les commères comme les sœurs Waterford qui tiennent le journal local, le maire qui désire se faire réélire pour la troisième fois et où la vie privée des uns ne s’arrête pas aux rumeurs des autres.
La neige tombe plus fort depuis quelques minutes, les ouvriers de la ville devront encore aider les touristes à se dépêtrer des routes. Bien qu’elles soient dégagées plusieurs fois par jour, ces pauvres citadins auront comme chaque hiver des problèmes pour se déplacer. Le bruit augmente derrière moi, des chuchotements, des rires qu’ils essaient de retenir. J’efface le sourire de mon visage avant de me retourner. Ces petits monstres ne doivent pas croire qu’ils m’amusent sinon ils en profiteront.
— Madame ! m’interpelle Jack. J’ai fini mon dessin. Vous voulez le voir ?
Je leur ai laissé une demi-heure pour colorier ou s’occuper comme ils le désirent. La fin de l’année nous permet d’être un peu plus légers dans le programme. De plus, ils sont si jeunes qu’un moment de distraction leur est bénéfique. Ils écouteront mieux ma leçon après la récréation. Ils apprennent les lettres de l’alphabet, ce qui est difficile pour certains.
— Oui, avec plaisir.
Son dessin représente sa maison où un grand sapin prend toute la place. Je peux y discerner ses parents, lui et sa petite sœur, tous tracés en bâton et à des tailles différentes. C’est mignon, adorable. Sur le toit, un gros monsieur en rouge porte un cadeau. Sûrement le père Noël.
Je garde les yeux fixés sur la feuille plus longtemps qu’il n’en faut vraiment pour tout découvrir. Du coin de l’œil, je surprends sa silhouette trépigner dans l’attente de mon verdict. J’ai tellement envie de lui révéler le grand secret, lui crier à lui comme à ses petits camarades que son cher père Noël n’existe pas. C’est un mensonge de plus que nous inventent les adultes pour nous obliger à être de gentils enfants. Mais je ne peux pas dire ce que j’ai sur le cœur. La mission de briser leurs illusions ne me revient pas. Ce n’est pas parce que je déteste Noël que j’ai le droit de dire la vérité à des petits bouts de cinq ans.
Mes lèvres se relèvent avec difficulté. Mon sourire doit être tout sauf naturel. Heureusement, le garçon a des paillettes dans les yeux qui l’aveuglent.
— C’est très bien Jack ! Tu devrais dessiner quelque chose en plus.
Comme des sapins, une étoile… tous ces symboles de bonheur mensongers qui représentent cette période. Il reprend son œuvre et cours à la table basse pour terminer. Je le vois s’emparer des gommettes et des paillettes. Tirant la langue, il s’applique de tout son cœur. Mes autres élèves commencent à s’agiter. C’est l’heure de la pause. Le bruit de la sonnerie vient confirmer que la récréation débute. Ils sautent sur leurs petits pieds et courent vers le couloir chercher leurs manteaux.
— Un peu de calme, on n’oublie pas les écharpes, bonnets et gants, crié-je par-dessus le brouhaha.
Je ris devant leur frimousse impatiente d’aller jouer dans la neige. Ces chéris me remontent le moral pendant cette période. Leur innocence et leur croyance aveugle réveillent une nostalgie du temps où moi aussi j’aimais les fêtes de Noël. Je ferme la tirette d’une veste jusqu’au cou, remets un pompon à l’endroit, retrouve un gant perdu dans une manche puis quand ils sont tous prêts, j’ouvre la porte et les laisse courir en hurlant dans la poudreuse qui recouvre la cour de l’école.
*****
La fin de la journée de cours a sonné, après avoir rangé ma classe, je me dirige vers la place principale de Little Falls. J’adore me déplacer à pied après le travail. Ça me donne le temps de décompresser et de reprendre contact avec des adultes. J’ai rendez-vous avec ma meilleure amie, Victoria. Vicky, pour ses amis. Elle tient une boutique de décoration et de souvenirs dans le quartier. Pour elle, ce mois est un des plus importants de l’année. Les touristes se jettent sur les montages artisanaux. Ils sont tous émerveillés par son talent de faire naître la magie de Noël avec quelques bougies, ficelles et branches de sapin. Je dois reconnaître que c’est magnifique, même si je me casserai plutôt le bras que de lui en acheter pour garnir ma porte ou mon salon. Elle le sait et ne m’en veut pas.
Mes pas écrasent le reste de neige sur le trottoir et je saute au-dessus de la flaque qui longe la route. Je traverse la place verdoyante en été, qui devient lumineuse et magique en hiver pour le festival des lampions.
La ville met un point d’honneur à créer la meilleure ambiance de fêtes et c’est réussi. La musique de chants de Noël diffusée en boucle agresse mes oreilles. Les devantures des magasins sont décorées de vert et rouge, de branches de houx, de rubans dorés et de personnages féeriques. Le facteur se déguise, les habitants s’interpellent en souriant, les enfants courent partout et se battent à coup de boules de neige.
Une image idyllique de notre contrée, un cliché joyeux et bien heureux comme dans les films. Tout le monde adore cette période. Enfin, tous sauf moi.
— Bonjour mademoiselle Lyra, crient d’anciens élèves.
Ils s’arrêtent quelques instants dans leur guerre de neige pour me saluer, puis repartent aussi vite.
— Bonjour, mes chéris ! Bientôt en vacances, vous êtes contents ?
— On a surtout hâte de recevoir nos cadeaux.
Je me mords l'intérieur de la joue pour ne pas repliquer une horreur, mais je ne résiste pas à une petite pique.
— Il faut avoir été sage pour ça !
J’évite une boule glacée et me précipite en riant vers le salon de thé où m’attend Vicky. Elle déteste son prénom, donc je n’utilise que son diminutif. Seuls les plus vieux de notre ville prononcent encore son patronyme complet. Elle ne les corrige pas par respect bien qu’elle serre les dents d’irritation.
Le tintement de la clochette accueille mon entrée dès que je pousse la porte. Une bonne odeur de pâtisserie fait gronder mon estomac. L’endroit est cosy, les tables sont recouvertes de nappes à carreaux, les chaises et banquettes sont confortables.
Derrière le grand comptoir décoré aux couleurs de cette période de fin d’année et d’un présentoir de petits gâteaux se trouve le gérant.
— Bonjour Lyra ! Vous êtes toute jolie aujourd’hui.
— Bonjour Stan. Merci.
Je ricane en pensant que les autres jours, je ne dois pas être au mieux de ma forme avec une réflexion pareille.
— Victoria a déjà commandé, je t’apporte ton thé dans un instant, m’informe-t-il.
Le vieil homme aux cheveux argentés frotte un verre et désigne notre coin habituel du menton.
Je lui envoie un baiser de loin et me dirige vers mon amie. Elle se lève et nous nous embrassons.
— Tarte au citron ?
— Bien sûr, je te connais, rit-elle en reprenant sa place.
Elle observe par la fenêtre les gens passer. Ils sont comme un téléfilm où le son serait coupé. C’est apaisant et un peu comme un reflet de la réalité.
— Oui, tout à fait. Tu regardes quoi ?
Je tourne les yeux dans la même direction et je peux mieux voir certains habitants travaillant sur la place. Je n’y avais pas prêté attention en arrivant. Je remarque qu’ils tendent une banderole entre les deux plus grands arbres.
« Festival des lampions, Little Falls »
« Concours de sculpture de glace »
— Un concours ?
— Oui…
— Voilà pour vous mes jolies, l’interrompt Stanley en posant un plateau rempli de bonnes choses et de deux tasses de thé.
Nous le remercions, puis j’agite un doigt vers mon amie pour qu’elle continue son explication. Je prends une cuillère de mon dessert préféré et le garde un instant sur ma langue pour savourer la douceur piquante du citron. Je ferme même les paupières et soupire.
— Tu n’es pas venue à la session du comité de la ville vendredi dernier. Et… hum… comment te dire ?
Vicky s’agite sur son siège et se frotte la nuque. Quand elle se comporte de cette manière, je sais que je ne vais pas aimer la suite. J’avale vite et prends une grande respiration.
— Vas-y ! Accouche ! Qu’est-ce qui a été décidé ? De quoi aurais-je dû être au courant ?
— Eh bien, ils… on a voté, se corrige-t-elle sous mon regard foudroyant, pour qu’une personne s’occupe de la bonne marche du concours de sculpture de glace qui durera une semaine.
Elle évite de me fixer dans les yeux et froisse sa serviette.
— Je sens venir le coup fourré.
— En fait, tu as été désignée volontaire. Tu as un don pour l’organisation et pour gérer les gens. Tout le monde était d’accord.
— Même toi !
Trahie par ma meilleure amie.
— Tu sais que je n’aurais pas accepté si j’avais été présente ! Je déteste toutes ces fêtes, cette ambiance et cette gentillesse hypocrite.
Je massacre ma part de tarte et émiette le biscuit qui accompagnait ma tasse. Je bous de l’intérieur, elle me connaît. Elle est une des seules à avoir une idée de l’origine de ma répulsion pour le père Noël et les traditions autour du sapin.
— Tu n’étais pas là et comme on dit : les absents ont toujours tort !
Elle recule en riant quand je lui balance un chocolat du décor de table à la tête.
— Sérieusement, tu es la meilleure et tu seras en congé dans deux jours. Tu auras le temps. Pas besoin d’aimer un événement pour l’organiser.
Je hausse les épaules sans répondre, elle a raison. Je me suis défilée pour lire tranquillement et je paie ma paresse. Le karma !
— OK, je le ferai. Merci de me prévenir quand même.
Je souris pour bien montrer que je ne lui en veux pas.
— J’ai été désignée pour te mettre au courant. Ils ont craint ta réaction, cette bande de peureux !
Nous rions et reprenons notre dégustation après avoir recommandé une part de dessert pour moi.
— Au fait ! J’ai une mission de plus pour toi, s’exclame mon amie.
— Mhhh !
— Tu vois notre nouvel habitant, ton voisin ? Le sexy Joshua Gardner, l’ex-star de la NLH* ? (*Ligue Nationale de Hockey)
— Oui, il vient d’emménager dans l’ancienne maison des Levy. Je ne lui ai pas encore parlé, mais de ce que j’ai vu de loin, il est assez sociable. Il discute avec tous ceux qu’il croise.
Au contraire de moi qui suis casanière. Je ne lui dirais pas que je l’ai observé de derrière les rideaux de ma cuisine. Ce mec a la carrure qui va tout à fait avec sa précédente carrière. En plus, il a un beau sourire sous sa barbe blonde bien taillée.
— J’étais certaine que tu l’avais repéré, se moque-t-elle.
— Bon, j’avoue, mais tu seras déçue. Il ne m’intéresse pas du tout ! Il a déjà décoré sa maison, tu te rends compte ! Les lumières, les guirlandes, la couronne de sapin sur la porte, même des rênes en bois sur la pelouse !
Je fais semblant de vomir et Vicky éclate de rire. Ses beaux yeux verts pétillent de joie.
— C’est dommage, les mères au foyer et les touristes vont te jalouser pour rien, car tu as été élue pour… elle imite un roulement de tambour avec ses doigts sur la nappe, pour être sa conseillère. Joshua sera le parrain et président du jury. Il a aussi décidé de créer une statue de glace. Tu es au courant qu’il s’est reconverti dans l’art et la sculpture plus précisément ?
Je m’étrangle sous la surprise. Il me faut une minute pour arrêter de tousser. Les larmes coulent sur mes joues. Vicky tapote le dos de ma main avec une mine soucieuse, mais je repère une étincelle amusée au fond de ses pupilles. Aucun respect ni pitié pour moi !
— Tu me le paieras !
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