I - Celui qui sentait la peur

Miaule, plus fort, plus fort, encore. Ne laisse pas ta voix se taire.

Bruit de déchirure, la lumière inonda l'espace, il cligna à plusieurs reprises des yeux. Il se recroquevilla, les poils hérissés. Le froissement du plastique lui arracha un sursaut, il buta contre une surface solide. Il ne pouvait plus reculer. Une main à l'odeur inconnue approcha, il cracha. Son petit corps tremblait de froid, de faim, de peur. La main s'immobilisa. Elle repartit. Un nouveau faisceau de lumière l'aveugla. Il découvrit un deux-pieds au visage encadré de cheveux verts.

« N'aie pas peur, je ne te ferai pas de mal. »

Voix agréable qu'entoure la bonté. Ses mains le saisirent avec délicatesse. Il savoura la chaleur qui en émanait. Rassurante. Il se blottit dans le creux des paumes, incapable d'agir autrement. Il n'avait plus de force. Il miaula avec faiblesse. Le deux-pieds l'approcha de son torse. Aussitôt, une odeur métallique envahit ses narines. Sang. Blessure. Le sauveur a mal ? Il pressa son museau contre le flanc de l'être aux cheveux verts à la recherche de la source de ce parfum.

« Pas ici, le chat », dit-il en le repoussant avec une grimace.

Un effluve se dégagea brusquement de son corps. Étrange et inattendu, il s'envola aussi vite qu'il était apparu. Ne resta que ce vestige dans sa mémoire, âcre et inoubliable. L'odeur de la Peur. Il côtoyait cette odeur depuis longtemps. Il la sentait en permanence sur son pelage, elle collait à ses poils, s'accrochait de toutes ses forces. Ses ongles aiguisés se cramponnaient à lui. Fardeau depuis sa naissance, il découvrait qu'il n'était pas seul avec elle. La Peur se divisait, elle se partageait entre les vivants, sournoise. Ennemie silencieuse, elle ne se remarquait qu'au dernier moment. Elle paralysait et abandonnait sa victime, faible et pantelante.

Il miaula encore, petit cri pour appeler à l'aide. Le deux-pieds le caressa et le glissa sous le tissu de son vêtement. Les battements lents de son cœur résonnèrent à ses oreilles. Il se pelotonna contre la peau chaude. Sa truffe s'imprégna de son parfum boisé délicat, que recouvrait une entêtante odeur de cigarette. Apaisé, il se laissa bercer par le boum boum régulier et le bruit des pas sur le sol goudronné.

Soudain, une sonnette retentit. Il se tendit immédiatement, les oreilles dressées, les pupilles dilatées, le corps raidi. Il avait entendu la même sonnette auparavant. Juste avant que les deux deux-pieds ne le prennent en criant qu'il fallait s'en débarrasser et ne l'enfoncent dans du plastique. Il ne se souvenait que des secousses, puis du choc quand il avait heurté le sol. Il n'avait que miaulé et appelé depuis. Ses griffes avaient râclé la terre et le sac, mais rien n'y avait fait.

Puis le deux-pieds aux cheveux verts l'avait libéré. N'était-ce donc que pour le rapporter aux autres ?

« Il n'y a plus de danger, petit chat. Reste tranquille, tu me fais mal », dit-il à voix basse.

Sa main l'effleura à travers le tissu. Il tenta de se décontracter, mais ses muscles se tendaient sans qu'il ne puisse les contrôler. La Peur régissait ses actes. Une Peur si grande, si démesurée. Il percevait sa propre odeur, atroce, acide, l'effroi devenu Roi.

« Salut, Victor, entendit-il depuis la barrière du vêtement de son porteur. Je savais pas que tu venais, entre ! »

Il risqua un œil hors de son bouclier. Il aperçut une jeune deux-pieds aux cheveux longs, plus jeune que son deux-pieds aux cheveux verts. Elle avait dû s'adresser à lui, car il pénétra une maison qu'il ne reconnut pas. La Peur le relâcha quand il réalisa qu'il n'était pas chez les deux-pieds de ses souvenirs.

« Bonjour, Victor, dit une autre deux-pieds, plus âgée, celle-là. Liam est à l'étage, il prend une douche.

— Bonjour Fiona, dit cheveux verts. Je suis désolé de déranger...

— Tu es le bienvenu ici, Victor. Nous devons y aller, mais la maison est toute à toi. Je compte sur toi pour surveiller mon fils. »

Les prunelles du chat la scrutèrent alors qu'elle enfilait un manteau et appelait une série de noms. Quelques instants plus tard, trois deux-pieds masculins rejoignirent son sauveur et les femmes. Puis ils disparurent de son champ de vision, et il les entendit qui s'éloignaient. Des mains le saisirent et l'extirpèrent du tee-shirt. Elles le posèrent sur un canapé. Ses coussinets effleurèrent une surface douce qu'il ne reconnut pas. Désorienté, il agita ses moustaches. Il avança une patte, une autre. C'était doux. Épuisé, il renonça à comprendre et s'allongea en fermant les paupières.

« Vic', ça va ? »

Une voix grave le sortit du sommeil. Une odeur fruitée et humide l'accueillit. Un deux-pieds brun et grand se dessinait devant lui. Il se ramassa sur lui-même. De lui se dégageait une aura désagréable, malhonnête, sans gentillesse. Ventre à terre, il rampa jusqu'à son sauveur, assis à quelques dizaines de centimètres.

« C'est quoi, ça ? dit encore le deux-pieds en s'agenouillant près du chat.

— Je l'ai trouvé en venant. Il était dans un sac poubelle, au fond d'un fossé. Si je l'y avais laissé, il serait mort. »

Que signifiait ce mot, mort ? Quand il l'avait prononcé, l'odeur de la Peur était revenue.

« Tu comptes en faire quoi ?

— Mon père n'aime pas les animaux. Ni les humains, à vrai dire. Ce qui est vivant, il déteste, dit celui qui sentait la peur. Je me disais que je pouvais le laisser là... Tu as déjà des chats, non ?

— J'y vois pas d'inconvénient. Ça te va, monsieur le chat ? »

Il approcha son visage de lui, un grand sourire sur les lèvres. Sourire faux, détermina-t-il aussitôt. Son odeur, elle, ne mentait pas : il sentait le désintérêt.

« Tu dois me promettre quelque chose, Vic', dit-il en se détournant. Le jour où t'habiteras plus avec ton père, tu récupèreras ce chat. Il n'est ici qu'en location, mais c'est ton chat. Promis ?

— Promis », dit « Vic' » avec un joli sourire, vrai, celui-ci.

Le chat se hissa sur ses genoux. La Peur avait été remplacée par un parfum plus sucré.

« Il faut lui donner un nom », dit le deux-pied aux cheveux de jais.

Une main douce caressa son échine, il ronronna. Il ignorait ce qu'était un nom, pourtant il comprit son importance. Les deux hommes semblaient soudain plongés dans de profondes réflexions.

« Octave, dit finalement « Vic' ».

— Pourquoi ?

— C'était un empereur, Octave. Octave Auguste, premier empereur de Rome. Il devait être heureux, Octave, non ? » il se pencha sur le chat blotti sur ses cuisses. « Toi, en tout cas, tu dois être heureux. Tu seras heureux pour moi, d'accord ?

— Ça te va, le chat ? »

Ils parlaient de lui. Il cligna des yeux. Si le deux-pieds aux cheveux verts était satisfait, il l'était aussi.

« Parfait. Tu t'appelleras Octave, dans ce cas. »

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