liberté

- ARRÊTE !!!

La voiture s'est immobilisée mais ma mère continue.

- Arrête de toujours dire que c'est de notre faute !!! C'est toi qui ne veux jamais nous parler, c'est toi qui te refermes toujours sur toi-même !

Je viens pourtant de lui expliquer pendant cinq minutes comment elle avait perdu ma confiance depuis plus d'un an.

- Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même pour ta solitude !

C'est vrai, ma sœur sera sûrement occupée par la prépa pour m'aider dans ce qu'elle a déjà traversé. Je serais seule au moins toute la soirée.

- Il faudrait vraiment que tu commences à te remettre toi en question !

La journée s'était bien passée pourtant, pourquoi avait-il fallu que ça prenne ce genre de tournure ? J'avais eu mon cours de flûte comme d'habitude, j'avais lu sur un banc face au conservatoire comme tous les jeudis, en attendant l'heure du cours d'ensemble. Puis j'avais retrouvé les autres flûtistes pour rigoler et jouer pendant une heure et quart.

J'avais apprécié les gouttes naissantes à ma sortie du conservatoire. J'avais observé avec joie la nuit déjà bien sombre. J'avais aimé sentir mes cheveux s'humidifier sous la légère pluie.

J'avais écouté la musique des larmes du ciel s'écrasant sur le toit de la voiture, tout en regardant la lune presque éclairée à cent pourcents.

Mais il avait fallu qu'elle parle, comme toujours. Qu'elle pose cette question qui ne la concernait pas et qui ne me concernait pas moi non plus. Puis il avait fallu qu'elle insiste alors que je lui avait dit avoir fait la promesse de ne rien dire.

Il avait fallu qu'elle m'accuse de ne jamais parler, de toujours tout garder pour moi. Et il a fallu que la discussion parte sur un sujet où encore une fois je n'ai pas été capable de maîtriser ma colère.

- ... ton père et moi sommes parfaitement d'accord pour dire qu'en ce moment tu dépasses les limites !!!

Mes larmes quittent mes yeux et entament leurs courses sur mes joues. Pourquoi faut-il que tous les adultes croient que la crise d'adolescence n'est difficile que pour eux. Pourtant ils sont tous passés par là en tant qu'adolescent !

Je ne la regarde pas et me contente d'attendre qu'elle finisse. Elle enlève les clés du contact et la lumière des phares disparaît en silence. Ne reste plus que la nuit noire, la pluie, et la cuisine éclairant faiblement ma droite.

Elle sort de la voiture et j'en fais autant. Je marche nonchalamment jusqu'à la porte d'entrée où je rentre à sa suite.

Mon père fait son apparition et me regarde de haut en bas avant de se tourner vers ma mère, je n'ai pas pris le temps de sécher mes larmes et je doute que la pluie se confonde avec elles.

Je dépose ma flûte et mon cartable à côté du meuble, mais je garde mon sac avec mes partitions, mon livre et mon carnet. Je ne veux pas qu'ils prennent quoi que ce soit.

- Elle a fait quoi encore ?

Je ne fais pas attention à la question de mon père et me baisse pour défaire les lacets de mes chaussures. Je n'entends pas la réponse de ma mère, mais j'entends la voix de mon père.

- De toute manière elle dramatise toujours tout.

Mon corps s'immobilise en réaction à cette phrase. C'était celle de trop.

Je refais le lacet que je viens de défaire, ouvre la porte en vitesse et commence à courir. Je serre mon sac contre moi, ouvre le portillon et sors dans la rue.

Cette fois-ci mes larmes volent derrière moi, se joignant à la pluie.

***

Je cours un certain temps, sans regarder où je vais. Je ne fais pas attention au nouveau décor inconnu, à l'arrêt de la pluie trop étrange. Je ne fais pas attention à l'absence de larmes, à la lumière naissante.

Puis enfin je sens le changement de sol, la nouvelle odeur. Je commence à fouler l'herbe douce que je recherchai.

Je relève les yeux et admire le paysage. Je ne suis entourée que de vert, couleur de l'espoir. Le sol, la source de la lumière, et le seul arbre se dressant au milieu de cette prairie.

Et heureusement je suis la seule à pouvoir en profiter.

Je m'approche de cet arbre aussi solitaire qu'imposant. J'y repère des prises et commence l'ascension jusqu'à la branche la plus basse, tout de même située à plus de deux mètres du sol.

Je m'y assieds et m'adosse au tronc, une jambe posée sur la branche, une autre pendant dans le vide. Je sors de mon sac mon livre du moment, Terrienne de Jean-Claude Mourlevat. Il ne me reste qu'un ou deux chapitres, et sûrement l'épilogue.

Je commence la lecture, me plongeant immédiatement dans le livre,et je le dévore en un instant, ne pensant plus qu'à ça. Puis je le referme.

Je plonge mon regard dans le paysage et repense à toutes les images que j'ai imaginées avec ce livre. C'était une très bonne lecture, vraiment plaisante, que je n'aurai jamais découvert sans le club imaginaire du CDI de mon lycée.

Le seul défaut que je pourrais lui trouver, ce serait la fin. Elle est trop joyeuse, ce qui me paraît dommage. Et sûrement injuste aussi, mais ça c'est encore autre chose.

Je repose mon livre dans mon sac et prends mon carnet et mon stylo à la place.

Je l'ouvre en son milieu, là où il y a la première page de libre. Je débouche mon stylo et commence à graver des mots.

J'écris un poème, sur la liberté, notion très complexe, liberté que j'aurais partiellement atteint avec cette fuite. Je défoule mes émotions dans ce poème, ma tristesse, ma colère, mon mal être...

Je suis parfaitement consciente que mes problèmes sont mineurs par rapport aux problèmes d'autres personnes, mais ça ne m'empêche pas d'en devenir malade. Chaque personne ressent les choses à sa manière après tout.

J'avais une vie tranquille jusqu'en troisième, peu de choses me contrariaient. Et le changement a été trop gros, trop rude. Malgré tout mes efforts, je ne suis pas assez forte. Je me suis brisée en moins d'un an et depuis j'essaie de récupérer les morceaux, en vain.

Je pose le point final de mon poème, le relis, souris. Je ne suis pas une poétesse mais ça n'a pas non plus une mauvaise forme, je suis fière de moi.

Je passe de l'écriture du poème sur la page de droite, à l'illustration sur la page de gauche. Je n'ai qu'un crayon dans mon sac, je ne pourrais pas représenter la lumière verte toujours présente, mais je peux représenter le reste, l'arbre solitaire au milieu de la prairie. Ses branches bougeant librement sous la force du vent.

Ce même vent qui actuellement arrive à faire bouger mes cheveux.

Ayant fini je referme le carnet et range le tout dans mon sac. Je laisse tomber ma tête en arrière et observe le ciel au travers des feuilles. L'obscurité s'est de nouveau installée, mais le vert est toujours visible.

Haut dans le ciel, la lune est pleine et blanche. Et pourtant elle éclaire l'herbe d'un vert brillant.

Je garde mes yeux perdus dans les étoiles jusqu'à ce que mon ventre me sorte de ma rêverie. Il gargouille violemment, la faim se fait ressentir. Je n'aurai peut-être pas dû partir aussi loin. Je suppose que ma famille a déjà mangé.

Je reste tout de même de nombreuses minutes à observer le ciel pas trop influencé par les lumières artificielles puis je me reprends.

Il est temps pour moi de partir d'ici.

Je me relève sur ma branche, lance un dernier regard depuis les hauteurs et me tourne vers le tronc.

Je repère rapidement ce que je peux saisir et me lance sans réfléchir plus longtemps.

Rapidement mes forces me quittent, je tombe lourdement sur le sol et me cogne la tête. J'essaie de ne pas perdre la couleur verte du regard, mais je ne vois plus que du gris.

L'espoir a disparu, sans me laisser le temps.
Mes cils se rabaissant, mes yeux se refermant.
J'arrive à les rouvrir, mais trop péniblement.
L'écarlate s'étend, sur le blanc éclatant.

________________________________

Voilà pour la nouvelle du concours de Sun_in_the_Night21

J'espère qu'elle vous a plu et que ce n'était pas trop long ou trop court.

A+

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top