Le chanteur
« Merde » ! S'écria Arlazar, plus fort qu'il ne l'aurait voulu. Il se sentait mal d'avoir juré aussi bruyamment, mais il avait été surpris. Peu de chose surprenait encore Arlazar. Ce démon mineur, aux quatre ailes rouges et le corps noir luisant, se faisait vieux. Il avait vécu de nombreuses situations depuis leur débarquement massif sur terre. Il s'était essayé à moult méthodes de torture, avait participé à deux ou trois massacres et même dirigé pendant 35 ans un club dédier à l'art de la peinture surréaliste. Mais entendre son chef pousser des vocalises lui faisait toujours quelque chose. Ce n'était pas que son supérieur chantait faux (il avait, heureusement pour tout le monde, dépassé ce stade avec moult efforts sur les semaines précédentes) mais plus qu'il.... Chantait mal ? Il écrivait ses textes lui-même et composait aussi la musique tout. Et... tout sonnait étranges. On sentait qu'il n'avait pas la fibre musicale... Arlazar dû interrompre son fil de penser, dérangé par la voix forte et grave de son maître : « Arlazar que veux-tu enfin !? Ne reste pas planter devant la porte comme un crétin ! ». Prenant sur lui, le vieux démon avança au milieu de la pièce avant de s'incliner bien bas, son dossier tendu devant lui, et justifia prestement sa présence « Je vous apporte les documents relatifs à l'étage 4 et à l'avancé des travaux de construction du canon géant ». Une expression d'ennui profond apparut sur le visage du maitre des lieux qui s'exprima « Bien bien pose ça par ici, fit-il en désignant rapidement de la main une table déjà surchargé, mais dit moi plutôt ce que tu penses du vers suivant : "Je suis le maître des morts, grand fière beau et fort" ». Arlazar soupira intérieurement en se déplaçant vers le meuble précédemment choisi et se lança dans un hésitant « Ça me semble...mmmm » Il cherchait un meilleur mot que "mauvais" et décida donc plutôt de gagner du temps. « Je pose le dossier entre le certificat de régularisation pour chien agressif de grade 4 et celui sur les demandes de rénovation de la cantine de service ? » demanda t'il innocemment. « Mmm oui oui, lui rétorqua l'intéressé, mais répond moi plutôt ! » N'ayant plus l'espoir d'esquiver la question, Arlazar se lança donc « Je dirais que.... C'est... Simple ? » Il serra instantanément les dents en réflexe mais, heureusement pour lui, son chef acquiesça en soupirant « Ouais... C'est vrai que c'est pas très inspiré ». Le démon sentait qu'il devait s'échapper de cette situation au plus vite et commença donc à reculer vers la sortie alors que son chef se lançait dans une nouvelle complainte. « Oui mais alors que pense-tu du vers suivant ? Il fait "Ha que le monde est beau !" Attend non heu... ». Mais avant que son supérieur n'ait eu le temps de reprendre sa phrase, Arlazar se précipita hors de la salle en lâchant un rapide « c'est très bien mais je suis occupé bon courage » et referma la porte dans un soupir de soulagement. Il estimait son travail déjà assez complexe comme cela pour qu'il n'ait pas à écouter les horribles chansons qu'inventait ce néophyte.
Son devoir enfin accomplit Arlazar s'apprêta à retourner à ses occupations quand soudainement débarqua son collègue Iluraz. Le démon aux tentacules écarlates, un dossier sous le bras, se dirigeait dans sa direction avec un regard plein d'appréhension. Mais son visage s'illumina lorsqu'il aperçut son ami. « Salut vieux frère ! Alors il a encore essayé de te chanter une de ses créations ?! lança le nouvelle arrivant.
_Oui encore, répondit Arlazar dans un soupir, et c'est toujours aussi minable...
_Il faut dire qu'il a été le premier surpris en apprenant qu'il allait devoir se lancer dans la chanson.
_Je me souviens encore du bruit que ça avait fait quand il avait reçu la lettre du conseil de l'ordre.
_C'est vrai qu'il est à l'ancienne... La torture, la violence brut, foncer sur les ennemis recouvert de peinture de guerre tout en criant des insultes...
_C'est vrai qu'on s'amusait bien à l'époque... Mais c'était pas la joie tous les jours... Tu te souviens d'Orgalim ? Il avait mal fini lui... Ou Ziru ? Il remarche, mais il n'est pas prêt de sortir de l'hôpital. Bon, se remémora Iluraz, il y a eu des circonstances aggravantes pour ce pauvre Zuri.
_Oui c'est vrai maintenant que tu le dis... On en a prit des belles nous deux aussi à l'époque hahaha.
_Oui, mais tout ça c'est fini. Maintenant on joue sur les maisons de dettes, les fraudes d'assurances, les arnaques boursières... C'est plus propre j'imagine...
_Oui et puis toutes les histoires avec les supers héros et du coup... Les chansons.
_C'est un peu sorti de nulle part ça quand même cette histoire de chanson, releva le démon au tentacule, mais au final tout le monde a accroché très vite. Il faut dire que ça rend quand même bien une bonne chanson en début de combat.
_Oui c'est vrai. Mais le chef il était pas au courant.
_Enfin... Iluraz baissa la voix, regardant autour de lui. Parler du chef précédent étais tabou. C'est plutôt l'ancien chef qui fut surpris.
_C'est vrai que tu étais dans la pièce au moment où s'est arrivé. Continua Arlazar sur le même ton.
_Oui j'étais à la trompette et à peine le temps de lâcher la première tierce pour moi, et le premier couplet pour lui, que l'ancien boss s'est retrouvé encastré dans le mur façon moustique sur pare-brise !
_On aurait peut-être pu le voir venir quand même. Avança Arlazar. L'actuel chef était quand même rentré par un mur en beuglant "je viens pour boire ton sang et manger tes os" et en criant des insultes en barbares.
_Pas faux... On sentait que, déjà à l'époque, c'était pas son fort la parlote. S'amusa Iluraz.
_Ça c'est bien vrai »
Un temps passa, les deux amis ricanant des malheurs de leur chef, puis Arlazar reprit la parole
« Quand on y pense, au lieu de passer du temps à essayer d'apprendre à chanter, il pourrait juste aller exploser le visage de chacun des autres grands méchant.
_C'est vrai que, à part le Seigneur rouge ou la Veuve noir, il n'y en a plus beaucoup qui savent se battre.
_Faudra lui en parler... Mais après tout... Il fait tant d'efforts pour trouver un refrain correct.
_C'est vrai qu'il travail dure... »
L'ouverture brutal de la porte de la salle du trône, et l'apparition soudaine de deux mètres dix de muscle et de violence, mit fin à leurs beaux discours. Mais cette vision n'était rien face à la terreur que leurs inspiraient son visage, rayonnant de la joie de celui qui voulait présenter son dernier couplet. Et, avant qu'ils n'aient eu le temps de bégayer une excuse aléatoire, leur chef se lança dans un tonitruant « Ecoutez moi ça ! Franchement là, ça déboite ! ». Levant les yeux au ciel, Arlazar hésita brièvement à lui parler de leur dernière idée, mais il y renonça. Le chef avait vraiment l'air content de lui pour une fois. Et puis entre l'écouter chanter et charger sur un champ de bataille couvert de sang et de sueur... Il risquait moins de se blesser ici. Encore que... Ziru n'était toujours pas sortit de l'hôpital.
Nathan Chagnon 30/10/2020
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top