Quelques mots...


   Le fils d'un jardinier avait, depuis quelques temps, une douleur qui le blessait au plus profond de son cœur. La main sur la poitrine, son visage se tournait par une brise fraîche vers une jeune fille qui habitait le village voisin. Ses cheveux, toujours enrobés d'un fin tissu de laine et abîmés par le dur labeur de la campagne, se laissaient emporter par le vent d'automne devant le jeune garçon ébloui. Le bleu des yeux du garçon brillait alors, et cette présence dessinait un fin sourire sur son visage, creusant ses joues rougies. C'était la beauté de cette demoiselle qui rendait son cœur malade. Un sentiment qu'il n'avait jamais ressenti le tiraillait depuis que cette fille venait d'arriver dans l'auberge du camp. Il découvrait peu à peu cette affection qu'il ressentait pour elle, peut-être de l'amitié, peut-être de la tendresse... Pourtant, il savait très bien que c'était plus fort, mais n'osait jamais prononcer si haut ce mot si doux commençant par un "A" suivit d'un son qui, lorsqu'il le soufflait, le faisait embrasser l'air. Le temps, déjà si effacé dans cette campagne égarée, ralentissait, et s'arrêtait lorsque le regard des deux jeunes gens se croisait. Plus rien autour d'eux n'existait alors. Les oiseaux se taisaient pour laisser parler leurs esprits, l'incessant brouhaha du marché devenait étonnamment plus calme... Il ne restait plus qu'eux.

Le garçon se demandait jour après jour pourquoi il n'allait pas la voir, lui avouer ce qu'il ressentait. Il se sentait faible à l'idée de laisser passer ce temps pendant lequel elle aurait pu trouver quelqu'un de mieux, de parfait... Des élans de courage le prenaient parfois, mais sa timidité prenait toujours le dessus. Il partait tous les jours dans un champ lui cueillir des fleurs, et l'attendait chaque matinée sur la grande place où elle avait l'habitude de passer pour acheter son pain. Mais chaque jour, il restait muet, impassible sur son banc de pierre, la regardant avec attention... Et rien ni personne ne pouvait lui voler ses moments où sa solitude et son éloignement le rendaient heureux. Il rêvait du jour où il pourrait enfin lui parler, face à face pour lui dire ses inquiétudes, et ses envies soudaines de l'embrasser, de la serrer contre lui et de sentir son souffle sur sa peau, mais il savait qu'il s'abstiendrait par pudeur. Il imaginait cette scène, son quotidien embelli par sa présence.

Toujours curieux et excité à l'idée d'en savoir plus sur elle, il récoltait des informations sur la jeune fille dans le voisinage sous le regard attendrit des anciens, et plus farouche des femmes. Car il ne le savait que trop, il avait fait chavirer le cœur de beaucoup des jeunes habitantes de son village, pour sa beauté, et pour sa bonté, car tout le monde le savait: le cœur du jeune homme renfermait quelque chose de précieux et de rare, un amour pour les autres qui l'amenait à toujours les aider, les soutenir avant de penser à lui, que ce soit en un jour ensoleillé qu'en un terrible jour de pluie. Il évitait les femmes qui jouaient de leur charme, car certaines l'avaient même supplié de l'oublier cette "étrangère au village", mais rien ne pouvait le faire dévier de son objectif.

Il apprit un jour de la boulangère que celle qu'il aimait se prénommait Hélène. Hélène... Quel joli prénom... se répétait-il en boucle dans son esprit. Le nom de la jeune fille l'important peu, tant qu'il détenait de quoi la prénommer lorsqu'il se déciderait enfin à la rencontrer. Hélène aimait les belles choses de la vie, les relations humaines, la chaleur d'une confidence, le bien-être d'une proximité. Elle avait l'habitude de tourner les boucles de ces cheveux autour de ses fins doigts lorsqu'elle ne savait que dire, et ce geste faisait fondre le cœur du jeune homme. Hélène avait perdu ses parents, mais pas sa joie de vivre qu'elle ne cessait de transmettre. Elle adorait la ville, et ce qu'elle entendait par "ville", c'était tout simplement le rassemblement d'une communauté, et elle aimait plus que tout ce marché qu'elle fréquentait tant, ou l'odeur des produits frais se mêle aux joyeux bavardages des habitants. Mais un jour, Hélène ne passa plus par ce marché. Elle n'alla plus acheter son pain, ni le lendemain, ni le surlendemain, et pourtant, le jeune homme était toujours au rendez-vous, patient en attendant d'apercevoir la belle. Il sentait un vide au plus profond de son être et inquiet, il prit nouvelles chez la boulangère. Elle lui apprit que la jeune femme se reposait dans une maison de soin, où elle guérirait d'une maladie très rare. Ces simples mots brusquèrent le jeune homme, qui paniquait à l'idée que l'endroit ne soit plutôt une maison de fin de vie, et il courut rejoindre celle pour qui son cœur battait tant.

Il arriva brusquement dans la pièce où il vit la belle malade, allongée sous un drap blanc près d'une fenêtre. La lumière naissante du printemps traversait la vitre et illuminait le visage pâle de cette jeune fille fragile. Ses cheveux prenaient des reflets dorés, et sa beauté naturelle faisait toujours battre le cœur du pauvre homme. Il s'assied près d'elle avec beaucoup de délicatesse, et posa sa main sur la joue de la belle, comme on cueille une fleur, ou comme on soigne une plante sur le point de faner. Il s'occupait d'elle avec une délicatesse qui se retrouvait dans le sourire de la jeune fille. A cet instant là, ce n'est pas le garçon qui tenta de la rassurer, mais la jeune fille qui se jeta dans ses bras. Ses mains s'agrippèrent au cou du jeune homme et sa tête se posa sur son épaule. Il sentait le cœur de celle qu'il aimait battre, intensément et harmonieusement. Il lui glissa un mot si sourd et profond que personne ne put l'entendre autour. Ils s'échangèrent un regard dévoilant chacune de leur émotion, et elle le lui rendit pas un fin et tendre baiser. C'était comme si leurs corps ne signifiaient plus rien, comme si la parole n'existait plus, comme si leurs esprits ne formaient plus qu'un, comme s'ils étaient nés pour vivre ce moment qui resterait gravé dans leur mémoire. Et, après avoir détaché voluptueusement ses lèvres des siennes, elle s'éteignit dans ses bras.


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