On s'imagine capable de beaucoup de choses, incapable de ne rien faire.
  On s'imagine en voyage, à profiter de la vie et à dormir chez l'habitant, comme on dit en France.
  On s'imagine que plus tard et ailleurs on sera capable de se lever aux aurores, de s'habiller en survêt' et de sortir dans la brume pour courir et se vider de nos pensées et de notre sueur. Le premier jour, on dira que c'est occasionnel puis on se rend compte que ce moment devient une routine, une routine qui fait du bien.
  Après le footing, on s'imagine rentrer là où on loge, cette maison où on a été généreusement accueilli.
  On s'imagine sous la douche, ce réconfort immense tant attendu depuis que le rythme des battements s'est accéléré.
  On s'imagine sous cette eau chaleureuse qui sent bon la mousse, parcourant notre corps nu, tombant jusqu'à nos chevilles endolories.
  On s'imagine attraper la serviette propre qui se languit au sol à côté du tapis et se sécher devant le miroir embué de la salle de bain.
  On s'imagine enfiler nos doux vêtements de coton, odorant la lessive.
  On s'imagine aller à la cuisine et ouvrir le frigo, à la recherche du beurre et de la confiture à la mangue.
  On s'imagine prendre deux mandarines et une banane sur le plan de travail et les déposer dans une assiette à dessert.
  On s'imagine découper trois tranches de pain avant de se poser, petit déjeuner en main et eau à la bouche, sur le hamac de la terrasse face au soleil levant.
  On imagine le bruit de pas dans notre dos, puis la cafetière qui se met en marche.
  On s'imagine croquer une tartine à pleines dents puis se retourner avec un grand sourire et adresser un "Halló !".
  On s'imagine embarquer côté passager de la Porsche Caïenne du buveur de café.
  On s'imagine arriver au bahut, passer de joues en joues, recevant deux baisers quotidiens, parfois doux et discrets, d'autres fois empoisonnant le tabac.
  Puis on s'imagine pénétrer dans l'enceinte du bâtiment, laissant les grilles derrière notre dos.
  On s'imagine vivre une agréable journée, aussi instructive qu'enrichissante.
  On s'imagine passer les grilles, une seconde fois, mais dans l'autre sens.
  On s'imagine rejoindre atelier de dessin, de théâtre ou encore de football.
  On s'imagine rentrer puis partager sourires et rires autour de la table garnie de bons plats.
  On imagine le jour tomber, le froid s'installer, les lumières s'éteindre.
  On s'imagine s'installer sur la terrasse, manteau sur le dos, ukulele dans les bras, chantant le coeur sur la main.
  On s'imagine s'assoir, sous la composition du ciel telle La Nuit Étoilée, méditant en silence.
  On s'imagine rentrer au chaud et s'allonger dans notre lit douillet.
  On s'imagine en train de rêver.
  On s'imagine capable de faire beaucoup de choses, incapable de ne rien faire.
  Mais à force de s'imaginer demain, est-ce qu'on vit aujourd'hui ?