L'Hiver d'Ahar

  Imaginez vous. Il est 20 heures, un soir de janvier. L'année, le jour importent peu.

La neige tombe ce soir là. Comme tous les soirs, depuis deux ans. Comme tous les soirs, Ahar marche. Ahar a quitté son travail il y a dix minutes, il lui en faudra encore quarante pour arriver chez lui. Dans le silence de la nuit, Ahar pense. Il pense souvent, trop même. Plus jeune, on lui reprochait d'être trop pensif. Les adultes lui disaient qu'un rêveur ne ferait jamais avancer le pays, pourtant, pourtant Ahar n'était pas du même avis. Mais il savait, oh ! Il ne se faisait guerre d'illusions sur le devenir de sa vie. Il savait qu'un jour, il ne resterait que des gens comme lui. C'était un espoir que finalement, l'ignorance et la futilité s'en aillent et ne restent que la matière grise et la fierté de l'intellect.

Mais Ahar, en dépit de ses belles rêveries, n'était pas devin.

Comment, comment n'importe qui aurait pu prédire le terrible destin qui l'attendait, qui les avait tous attendus ?

Ahar frissonne. C'est pas nouveau, il a froid. Mais le frisson qui remonte le long de sa colonne vertébrale n'est pas dû aux températures anormalement basses.

Il venait d'une petite bourgade, vous savez, le genre qui n'a pas trop d'histoire, ou les gens se connaissent, où les enfants grandissent ensemble, baisent ensemble, se marient ensemble et fondent une famille ensemble. Un véritable petit écosystème. Son pays n'était pas vraiment ce qu'on pouvait considérer comme un pays dangereux, pourtant c'est bien son propre pays qui a payé les conséquences d'un conflit incompris par le monde entier. Mais de ce monde, aujourd'hui, il ne restait que des miettes. Des miettes comme Ahar.

Il continuait d'errer, seul. Son travail résidait à essayer de retrouver les survivants de la catastrophe, mais cela revenait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Son seul instructeur était un programme informatique, qui avait miraculeusement réussi a ne pas devenir fou, comme lui. L'unique présence, l'unique moyen de ne pas sombrer dans une folie sans fond, c'était cette putain de voix désincarnée qui ne pouvait que répéter ces même putains de phrases, pauvres, les seules qu'Ahar avait pu coder dans son algorithme.

Ahar n'avait jamais été quelqu'un de très apprécié. Outre sa rêverie insupportable pour beaucoup, il n'avait pas vraiment cherché à se lier aux autres, lesdits autres le trouvant beaucoup trop excentrique pour le considérer comme un potentiel ami. Mais en soi, cela ne le dérangeait guère. Ahar aimait passer du temps seul, et le nombre infini d'éventuels compagnons créés dans sa tête valaient bien les fades équivalents humains. Il trouvait ces idées de "sociabiliser" écoeurantes, et pensait qu'il valait mieux se concentrer sur des choses réelles que sur des liens relationnels purement fictifs. Ainsi était ahar. Méprisé par les autres, méprisant les autres, il était pourtant prédestiné à un grand avenir. Considéré comme un génie en ce qui concernait la stratégie et l'information, il était rentré dans un prestigieux institut qui formaient les futurs grands stratèges, comme lui. Mais alors qu"il allait entamer son cursus, elle arriva.

Ahar remonte son col, et ajuste ses lunettes. La neige ne doit pas le toucher. Mais la neige tombe, et s'incruste partout, comme de la poussière. Ainsi est fait le monde. Le monde nouveau. Le frisson qu'il ressentait auparavant recommence. Et son coeur commence à s'accélèrer et à battre, battre fort dans sa poitrine. Devant lui, une silhouette. Une silhouette humaine. Pour la première fois, cette fois ci il en est sur, Ahar est face à un humain.

Il n'était jamais tombé amoureux. Jamais. Ahar était issu d'une famille de la classe moyenne, enfant adopté n'ayant jamais connu ses parents biologiques, puis trimballé entre un père croulant sous les responsabilités et une mère alcoolique. Moqué à l'école, il s'était néanmoins trouvé un ami dans son cursus tertiaire, un an avant son entrée à l'institut. L'ami en question étant quelqu'un de plutôt sociable, il s'était rapidement retrouvé entouré d'une foule de gens. Mais cela étant, il était toujours resté proche de son ami, développant pour lui peu à peu de l'affection. Mais cela s'était arrêté net au stade de la tendresse, puisque l'heureux élu se mit en couple avec une amie d'enfance. Blessé, Ahar perdit définitivement foi en l'homme, en tout cas... jusqu'au moment ou elle arriva dans sa vie.

L'émotion d'ahar est palpable. Alors qu'il s'apprête à héler la silhouette qui redonne enfin de la matière à ses recherches qui plus le temps passe, s'avèrent vaines, l'inconnu se retourne. Les espoirs d'Ahar s'effondrent.

Tout avait commencé de manière classique. Deux états, en tension depuis un moment sur la détention de mines d'uranium, concrétisèrent leur dépréciation en une guerre. Dans ces moments là, l'un des deux états est souvent pris comme mouton noir par l'opinion publique. Et par des alliances qui se mettent en place, le conflit ne tarda pas à s'internationaliser. Une troisième guerre mondiale... Cette fois ci, pas de problème de territoire, comme la première, pas d'idée de vengeance et de domination mondiale comme la deuxième, mais bien un problème de ressources. Dans le monde, l'uranium était véritablement devenu une ressource inestimable, comme l'était le pétrole auparavant. Le marché de l'uranium étant devenu extrêmement lucratif, nombreux furent les pays à vouloir rapidement posséder ce minerai si précieux. Ainsi était le pays d'Ahar, désireux de voir ses réserves augmenter, décida de lancer l'exploitation du minerai sur des terres de frontières floues, mais riches, très riches en uranium. La pays voisin, conscient de l'enjeu de ce territoire ambigu, le réclama à son tour. Et ainsi démarra une guerre, dont l'issue serait fatale. Mais le reste du monde ne pouvait pas le deviner, jusqu'au moment ou elle arriva.

Ahar commence à courir. Loin d'être une présence rassurante, l'humain s'est mis en tête de le pourchasser, pris d'une folie dont l'unique coupable était cette arrivante, ou plutôt, cette déferlante. L'homme se tient courbé, on distingue une bosse proéminente sur son dos. Sur son visage, des taches de dépigmentation piquent son arcade sourcilière gauche, sa pommette droite, et son menton, ou des maigres poils parviennent à pousser, mais les pauvres se battent en duel. Comment revivre quand le monde qui vous entoure est mort pour de bon ?

Les temples hindous, les palais musulmans, les ors et icônes byzantines. Ahar avait toujours eu une fascination pour l'histoire antique. Autrefois, beau, sublime et puissant avait été le monde. A présent, poussière, froid, noirceur, folie, mort... Ainsi étaient les mots qui créaient le monde d'aujourd'hui. Parfois, c'est vrai, il se laissait aller à imaginer un monde autre, dans un univers parallèle, parmi des centaines d'autres, un monde rempli de couleurs, de motifs, de soleil, de lumière ! Cela faisait si longtemps qu'il n'avait pas vu de lumière, à part celle, froide, désincarnée, morte finalement elle aussi, de son ordinateur et des diodes qui alimentent les circuits sommaires d'électricité. Un monde, ou l'Homme n'aurait pas cédé à la pire des cruautés, à la pire des folies, consentant à laisser de côté l'alléchante possibilité de réduire à néant toute société humaine à coup d'ogives nucléaires.

Les exemples avaient pourtant été nombreux... Hiroshima, 6 août 1945. Un jour qui changea la face du monde. Nagasaki, deux jours plus tard . Les Hommes se rendirent compte que la science pouvait être à double tranchant : aidant à préserver et à sauver la vie, et de l'autre... A en détruire d'avantage que le pourrait la grande faucheuse elle-même en suivant simplement le cours de la vie. Puis Tchernobyl. Horreur sans nom, décriée par tant d'Hommes, mais tout simplement non-ignorable. Bien d'autres suivirent, comme Fukushima, en mars 2011.

Mais voilà, les hommes n'apprennent jamais assez de leurs erreurs, et ce n'est que quand le pire arrive que l'on peut enfin considérer le futur en faisant totale abstraction de ces bien mauvais événements.

C'est ainsi que la face du monde changea.

Ahar se retourne, l'Homme a cessé de le suivre. Il dodeline de la tête en errant dans la ville, les pieds lourds.

Il réajuste son masque, il sera bientôt chez lui.

Il se rappelait encore du jour. 16 mars. Un beau jour de printemps. Il faisait beau et chaud ce jour-là, les arbres fleurissaient timidement, on entendait les oiseaux gazouiller. Un vent léger balayait les nuages épars dans le ciel bleu, on aurait dit un tableau d'un peintre impressionniste.
Personne ne se serait douté. Personne ne s'était douté.

Personne.

Ahar pousse la porte. Allume la lumière.

Déclenche le sas de décontamination.
pose son manteau.
Son deuxième manteau.

Ses chaussures.

Ses lunettes.
Son Bonnet.

Et son Masque.

Il passe la deuxième porte, et se pose sur le sofa défraichi qui lui fait office de lit.

La pièce est petite et spartiate, pas de décoration, seulement des meubles utiles. Le temps ou l'on pouvait trainer une après-midi entière chez Ikea ou chez Maisons du Monde est désormais révolu. Il se penche devant son garde manger. Hésite.
Un cassoulet froid, des coeurs d'artichauts ou une purée informe ? De toute façon, aucun n'est bon, ces vielles boites de conserve sont vraiment atroces, mais c'est tout ce qu'il restait...

14 heures 48. Ahar s'est fait enfermer par ces camarades de l'école dans la cave, plaisanterie de mauvais goût, mais malheureusement, il n'est guère apprécié par les autres.

14 heures 49. Il essaie de sortir, aucun succès.

14 heures 49. Ministère des armées. Un homme chuchote au ministre une idée meurtrière.

14 heures 50. Ahar crie.

14 heures 50. Palais présidentiel. Un coup de téléphone. Une valise qui est saisie.

14 heures 52. Ahar crie toujours.
14 heures 52. Palais présidentiel. Une main s'abat sur un bouton d'activation.

14 heures 52 et 54 secondes. Base militaire. Un missile se lance.

14 heures 52 et 56 secondes. Une bombe nuléaire est larguée.

14 heures 53.

14 heures 54.


14 heures 55.


14 heures 56. Un grondement sourd se fait entendre au dessus de la tête d'Ahar.

14 heures 56 et 32 secondes. Une deuxième bombe se lance, riposte ennemie.

14 Heres 57. Le monde s'arrête.

Seuls quelque uns, comme Ahar, ont miraculeusement survécu. Les autres sont morts, balayés par l'impact. En seulement quelques secondes, le monde connu a disparu, à jamais. Quelques autres, survivants, ont été gravement brûlés, Abîmés.

Qu'Advient-il après le déluge ? La solitude.

ET avec elle, la folie.

Ahar, se couche.
Il rêve.
Demain, tout recommencera, à l'identique.

Et ainsi marche Ahar.

Ainsi marche le monde.

FIN




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Bonjour à tous ! Voici ma "nouvelle" nouvelle (ahah) ! Recemment, j'étais tombée sur une playlist, c'est celle qui est dans le média, qui abordait la notion d'hiver nucléaire. Cela m'a beaucoup inspirée, et voilà un petit nouveau fragment de mon imaginaire ! 

D'ailleurs, j'ai changé le titre et la couverture de ce recueil, qu'en pensez vous ? 

N'hésitez pas en tout cas à laisser un petit vote ou commentaire, j'aime avoir des retours sur ce que j'éris ! 

Merci de m'avoir lue,

Xoxo, 

Folle rêveuse

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