Quelques flocons de neige

« Et si le monde s'arrêtait ainsi ? »

Les doux flocons tombant d'un ciel gris clair uni.

Le vide.

La liberté ? Étai -ce à cela que ressemblait la délivrance ?

Non.

Non elle ne pouvait pas.

Même si sa vie n'avait plus que la même triste couleur que ce ciel, elle ne pouvait pas s'arrêter ainsi. Pas tant que le cœur de son petit frère battait encore. Et elle veillerait à ce que ce soit le cas encore longtemps.

Un pied après l'autre, elle descendit du rebord du toit en terrasse sur lequel elle se trouvait.

La porte qui donnait sur la cage d'escalier s'ouvrit à la volée. Les yeux du jeune homme essoufflé qui apparut criaient panique. Il l'avait vue au bord du vide depuis la cour en contrebas, et s'était précipité, espérant arriver à temps.

A présent, ses yeux montraient son soulagement.

« - Tu vas bien ?! »

Elle hocha la tête tout en l'observant.

« Améthyste » La couleur de ses cheveux.

« Prune » Celle de ses yeux.

« - Reo !... Pourquoi t'es partis comme ça, d'un coup, sans prévenir ?... »

« Diamant ? non. Topaze ? encore moins. pas du tout. Neige. Un flocon de neige. »

Et ses yeux.

« Noisette ? Argent ? peut être... »

Elle se reprit, secoua la tête, se rendant compte qu'elle s'était mise à fixer le nouvel arrivant.

Lui aussi. Sans s'en rendre compte.

« Ébène. »

« Et... azur ? Lapis lazuli ? plutôt, oui... » La couleur de ses yeux. A elle.

Il secoua la tête, se tourna vers l'autre.

« - Qu'est ce qui se passe ? Qu'est ce qui s'est passé ?

- Je...

- Je n'allais pas sauter, dit-elle d'un ton neutre.

« Il » se tourna cette fois vers elle pour la regarder à nouveau. Dans les yeux.

- Sauter ?

- Oui... mais je ne peux pas.

- Tu ne peux pas ou tu ne veux pas ?

- Je ne peux pas.

- ...

- Donc tu n'essayeras plus, pas vrai ?

L'Améthyste.

- Non.

Il soupira de soulagement, s'approcha, lui tendit la main.

- Je m'appelle Reo.

- Yuki, répondit-elle en la lui serrant rapidement.

- Tu as les yeux vides.

Elle sursauta. « Il » s'était avancé ; en silence ; elle ne l'avait pas vu.

- Tes yeux, reprit-il, ils sont beaux, mais il n'y brille rien. Pourquoi ? »

La jeune fille fut prise de court par cette demande. Ne sachant que faire, elle plongea son regard dans celui de son interlocuteur. Peut être y trouverait-elle une réponse ?

Cette tentative fut un échec. C'est pourquoi elle déclara :

« - Je ne sais pas.

Ce n'était pas vraiment un mensonge.

Voyant qu'il n'obtiendrait rien de plus, le jeune homme aux cheveux immaculés lui demanda alors :

- Yuki signifie neige, non ?

Puis, sans lui laisser le temps de répondre :

- C'est beau. Et puis, c'est amusant, tu me fais justement penser à un flocon...

Il tendit le doigt ; un petit flocon de neige vint doucement s'y poser, avant d'y fondre lentement.

- Tu voulais t'envoler, mais, au lieu de cela, tu aurais chuté, et ta vie aurait fondu en touchant le sol... Tes yeux sont aussi captivants que ces cristaux de glace. Pourtant, je peux y lire fragilité et froideur. De plus, ils ne brillent que de la lueur du jour qui se reflète sur eux... aucune autre lumière n'y est présente. Aurais-tu perdu le goût de la vie ? Pourquoi ?

- Nagi ! S'exclama son camarade.

Il s'appelait Reo, c'est bien ça ?

- Hm ? Fit celui qui avait été interpellé, en se tournant légèrement vers son ami.

- C'est pas quelque chose à dire en en faisant aussi peu de cas ! Continua ce dernier. Désolé Yuki. »

Elle ne répondit pas tout de suite. Sans qu'elle s'en rende compte, elle avait légèrement entrouvert la bouche. Elle n'en revenait pas. « Il » avait lu tout cela dans ses yeux et la neige qui tombait ?

...

Au fait, « Nagi » avait-il une signification ? Il faudrait qu'elle fasse une recherche.

...

Enfin, elle se rendit compte que Reo attendait qu'elle parle.

« - Ah... Non, c'est rien... Et d'ailleurs... Nagi, c'est ça ? Pour répondre à ta question... Pourquoi ? Je ne sais pas trop... Je trouve que la vie a la même couleur que ce ciel, qu'elle n'est qu'une goutte d'eau dans l'immensité de l'océan... Je ne pense pas que ma vie ait une grande valeur... Je continuerai tout de même de vivre jusqu'à ce que mon petit frère n'ait plus besoin de moi, mais ensuite ? Elle n'a déjà pas beaucoup de sens, mais après ? Aurais-je encore une raison pour continuer à vivre ? Personnellement, je trouve que le gris est une couleur terne, sans grand intérêt, alors...

- Je ne suis pas d'accord, la coupa soudain son interlocuteur. Le gris n'est pas une couleur terne et sans intérêt ! Il en existe de multiples nuances. Il peut être clair, sal, lumineux, sombre... De plus, il peut servir à peindre l'ombre d'une fleur sur un mur blanc, à dessiner les reliefs des nuages et ceux des montagnes... Il peut être la couleur d'un simple trait de crayon, mais qui se transformera petit à petit en un magnifique croquis. Pour moi, le gris est une couleur simple, mais à la beauté complexe. »

Cette fois, ce n'était plus seulement Yuki qui avait la bouche entrouverte, Reo aussi, totalement prit de court par les propos de son ami. Il faut dire qu'il n'avait pas les aires d'une personne s'exprimant habituellement de manière poétique... La jeune fille l'avait déjà croisé plusieurs fois sur les marches d'un escalier, mitraillant un pauvre homme n'ayant aucune chance sur son téléphone. Reo, quand à lui, connaissait plutôt bien la nature de son ami : fan de jeux vidéos, flemmard... très flemmard... Mais il ne l'aurait jamais imaginé déclarer ce genre de choses...

Yuki fut la première à se reprendre :

« - Je... Peut être. Toutefois, je maintiens que je ne trouve toujours pas de véritable raison pour continuer à vivre dans ce monde entièrement gris, aussi belle soit cette couleur à tes yeux...

- Dans ce cas, si d'autres couleurs y apparaissaient, y verrais-tu une nouvelle raison pour t'accrocher à la vie ?

- Et comment ces couleurs apparaîtraient-elles ?

- Réponds d'abord à ma question, et j'en ferai de même avec la tienne ensuite.

Elle soupira.

- D'accord... Alors... c'est possible, oui... Réponds-moi, maintenant.

Une esquisse de sourire se forma un instant sur les lèvres du jeune homme.

- Tu pourrais rencontrer une ou plusieurs personnes qui apporteraient leur touche de couleur... A partir de là, peut être tes yeux se remettront-ils à briller et ressentiras-tu ces sentiments qui font qu'on trouve que la vie est belle et qu'elle vaut le coup ?... Petit à petit, de nouvelles nuances apparaîtront dans ton regard, et tu trouveras peut être le monde plus coloré... »

C'était surprenant, fascinant...

A chaque fois qu'il lui parlait ainsi, elle était complètement prise de court... découvrait quelque chose qu'elle n'aurait pas pu imaginer...

Sous les flocons, les prunelles du jeune homme prenaient des reflets argentés. Son regard, lui, était toujours aussi neutre, blasé. Était-ce vraiment cette personne qui se trouvait devant elle qui venait de prononcer ces mots qui avaient résonné en elle comme un espoir ? Et, à ces paroles, pouvait-elle y croire ?

« - Tiens ? Ton regard... exprime enfin quelque chose..., remarqua Nagi.

- Pardon ? Fit la principale concernée.

Le garçon aux cheveux blancs allait dire quelque chose, mais il fut coupé par la sonnerie marquant le début des cours.

- Mince! On va être en retard ! S'exclama soudainement Reo. Nagi ! Dépêches-toi ! Lui intima-t-il en le prenant par le poignet . Ah ! Et, Yuki..., continua le jeune homme. Tu devrais en faire de même. Et puis... ça te dirait de nous rejoindre ici pour manger, à la pause ?

Puis, sans lui laisser le temps de dire quoi que ce soit :

- Super ! A tout à l'heure, alors !

- Attends ! » commença-t-elle.

Trop tard. Il avait déjà disparut, entraînant son ami derrière lui.

La jeune fille soupira. Puis, elle se dirigea vers l'endroit où elle avait laissé son sac à dos, le ramassa, avant de décider de se hâter pour se rendre en cours.

Les pensées se bousculaient dans son esprit. Sa discussion avec ce jeune homme aux cheveux de neige lui avait laissé une étrange sensation... Cependant, elle n'aurait pas su dire laquelle...


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