Trois ans déjà.
Il neigeait. Ce fut la première chose que je remarquai en me levant. La neige. Blanche poudreuse, elle n'avait pas fait acte de présence depuis trois ans. Je plaquai mon nez contre la fenêtre de ma chambre afin de mieux distinguer les formes de cette entité presque surnaturelle. Elle provoquait en moi plusieurs sentiments entremêlés. Hors d'atteinte. Elle m'avait manqué autant qu'elle me faisait mal à présent.
Je soufflai provoquant de la buée contre la vitre avant de descendre de mon lit en m'étirant. J'étais toute ankylosé par la nuit agitée que j'avais passé. Peuplée de cauchemars, elle m'avait transportée entre des mondes plus horrifiques et étouffants les uns que les autres. J'avais aperçu mon frère me tendre la main avec un doux sourire avant de me réveiller en sursaut tirer en arrière par une force inconnue.
Je descendis lentement les escaliers et pris mon petit-déjeuner, les yeux fixés sur le mur du salon. Il manquait plusieurs cadres depuis plusieurs années à cette fresque murale mais les parents n'avaient toujours pas songé à les remplacer. Après tout, c'était mieux ainsi. Je n'avais pas envie qu'ils changent quoi que ce soit à l'agencement des photos et ainsi suppriment toutes traces de celui qui avait un jour vécu dans cette maison avec nous.
Je débarrassai la table quand j'eus finis de manger. Les parents n'étaient pas encore descendus. Rien de bien surprenant, ils avaient pris un congé pour se faire un week-end en amoureux. Ils n'avaient sûrement pas envie de me voir. Même en ce 24 décembre. Tout en me brossant les dents, je vérifiai mes réseaux sociaux. La soirée du réveillon chez Fanny était toujours d'actualité. Tant mieux. Il y aura tellement de personnes que je n'aurais à penser à rien de spécial à part donner mon cadeau à quelqu'un à minuit.
Je ne voulais en aucun cas passer ce moment à me morfondre dans mon lit en regardant des vieilles photos. Je crachai avant de me passer de l'eau sur le visage. J'étais pâle comme la mort.
Je m'apprêtai chaudement pour sortir. Je pris son collier orné d'un S comme Slytherin, le regardai un instant puis l'enfonçais dans ma poche. Je déglutis. Surtout ne penser à rien.
Devant la porte, je mis mes bottes en fourrures et sortis. Il faisait extrêmement froid mais la présence de la neige atteignait cela. De temps en temps, je tendais les mains, attrapais presque quelques flocons et souriais puis je me rappelais ce que je faisais hors de mon lit et retirais ma main d'un air coupable. Je tripotais nerveusement le pendentif Harry Potter. Cela me détendait.
J'entrai dans une boutique de fleur et fis confectionner un beau bouquet de couleurs éclatantes et de senteurs enivrantes. Je payai le fleuriste et sortis du magasin mon achat dans les mains. Je le regardai sans le voir si bien que je faillis me faire renverser par une voiture. Le conducteur vociféra une insulte en continuant sa route. Même pas capable d'être poli la veille de Noël.
J'arrivai devant le lieu où se reposait mon frère, sa dernière demeure. Je poussai la grille rouillé à l'entrée du cimetière et parcourus un petit chemin jusqu'à l'emplacement de sa tombe. Je déglutis. Je n'étais pas venue ici depuis un bail. Un peu moins de trois ans.
Depuis son enterrement.
J'avais voulu l'oublier. L'effacer de mes souvenirs. Je n'avais pas réussis. Mon cœur battait à toute vitesse, je me sentais nauséeuse. Malgré l'absence de sa famille, quelqu'un était venu lui rendre visite et avait pris soin de l'emplacement. Un peu étourdie, je déposai la gerbe de fleurs et m'assis sur le tapis de neige face à sa stèle.
Baptiste. Mon frère. Mort. Tué par l'intolérance de mes parents. Mon indifférence face à sa douleur.
J'avais découvert que mon frère aimait les garçons presque par hasard. À la sortie du collège, j'étais partie acheter des bonbons au centre-ville au lieu de rentrer directement à la maison comme je le faisais d'habitude. Je l'avais surpris main dans la main avec un grand blond dégingandé, son petit-ami.
Je n'avais rien pensé de particulier avant de les voir s'embrasser. J'étais restée bouche bée une bonne minute avant de rentrer chez moi l'esprit en ébullition. Je n'avais pas su comment réagir. Devrais-je le dire à quelqu'un ? En parler aux parents ? Ou même lui dire que je l'avais vu ?
Finalement, après avoir passé plusieurs heures à réfléchir, j'avais décidé de ne rien faire. Je l'avais observé attentivement pour savoir en quoi il avait changé mais je n'avais trouvé rien de particulier. Excepté le fait qu'il fumait et semblait beaucoup plus heureux, plus sûr de lui. J'en avais conclu que ce n'était pas grave.
Quelques mois plus tard, nos parents avait appris je-ne-savais par quel procédé satanique que mon frère fumait. Excédés par l'insolence dont il faisait de plus en plus preuve, ma mère lui avait fait visionner un film sur les méfaits du tabac et mon père lui avait donné une sonore et violente claque. Quelques jours après cet événement, ma mère avait fouillé la chambre de mon frère dans l'intention de trouver des choses illicites et était ainsi tombée sur une photo. Une photo de mon frère et son copain.
J'avais surtout entendu les parents hurler sur mon frère. Des horreurs, des insultes, des pleurs. Puis un claquement de portes. Mon frère s'était enfermé dans sa chambre.
Je ne n'avais jamais su ce que les parents avaient fait pour qu'il leur obéisse mais c'était le cas. Il ne sortit que pour aller au lycée et à son club de volleyball. Ils lui avaient privé également de son téléphone et de son ordinateur.
Un apparent calme régnait dans la maison. Les parents n'adressaient la parole à mon frère que pour lui donner des ordres et celui-ci les exécutait avec l'entrain du condamné à mort. Je ne le voyais presque jamais tant il ne sortait plus de sa chambre. Quand je l'apercevais, il avait toujours le visage éteint et parfois tuméfié. Il devait se faire battre par quelqu'un ou être extrêmement maladroit. Il vivait dans notre maison sans en faire partie. À l'écart.
Bien vite, je m'habituai à cette ambiance. Je n'y faisais plus attention et continuai tranquillement à vaquer à mes occupations. Un jour, les parents me firent venir dans la salle à manger et m'expliquèrent ce qui était contre-nature et ce qui ne l'était pas. Evidemment l'homosexualité en faisait partie. Ils me dirent une chose qui à cette époque me fila des angoisses. Si je fréquentais des personnes de ce genre, des personnes contre-natures, ils me renieraient immédiatement et me mettraient à la porte.
Je n'étais pas idiote, s'ils m'avaient dit cette phrase c'était avant tout pour me pousser à m'éloigner de l'influence fraternelle et me mettre en garde contre menace qui n'en était pas vraiment une. Néanmoins, c'était à cause de cette phrase que j'avais abandonné mon frangin au moment où il en avait le plus besoin.
Je déglutis et frissonnai, frigorifiée. Les yeux fixés sur la stèle, je repensais aux événements qui m'avaient amené là.
Un jour, un motard blond avait sonné à la porte à la recherche de mon frère. Ne sachant absolument pas qui c'était, je l'avais tout simplement regardé de mon air le plus placide.
- J'm'appelle Mathieu. C'est pas là qu'il habite ?
J'avais juste hausser les épaules en reconnaissant mon frère qui arrivait du volley. Quand il vit le grand blond, il se figea. Je me rappelai mal ce qu'il s'était passé ensuite mais les deux jeunes hommes s'étaient disputés. Mon frère ne voulais pas voir ce Mathieu de toute évidence.
Mon frère m'avait poussé à rentrer à la maison et je m'étais jetée dans les escaliers afin d'aller dans ma chambre les observer depuis la fenêtre de ma chambre. Ils avaient discuté longuement puis avait eu l'air de s'être réconcilié. En tout cas, c'était ainsi que j'avais interprété le baiser qu'ils avaient échangé.
Beaucoup moins surprise que la première fois, je m'étais simplement inquiété de savoir ce qu'allait faire les parents quand ils sauront que mon frère s'était adonné à un acte "contre-nature" devant leur maison. Ils n'avaient aucune raison de le savoir, m'étais-je rassurée. J'avais vu soudain mon frère lever la tête vers l'endroit où je me trouvais puis grimper derrière son blond sur une moto et partir.
Quand les parents s'étaient inquiétés de son absence, très mauvaise menteuse ils avaient réussi à me tirer les vers du nez. Mon père avait alors prononcé sa sentence.
" Que cet ingrat, ce fruit infecté par le diable ne revienne jamais dans ma maison, s'il ne veut pas goûter à la fureur de mes poings."
Je n'avais plus vu mon frère après cet événement ni même entendu parler de lui. La seule chose qui avait changé était la guerre ouverte que mon père avait entamé contre quelques minorités. Soumise à l'autorité parentale, je ne disais jamais rien et l'avais laissé cracher sa haine.
Un soir du 23 décembre, mon frère avait sonné à la porte. Quand ma mère l'avait vu à travers le judas, elle m'avait simplement dit de lui intimer de partir et de ne pas en parler à papa. Un gros coquard lui décorait l'œil gauche.
- Joyeux Noël un peu en avance, petite. Tiens, sourit-il en me donnant une sucette au chocolat à moitié écrasée.
- Je suis plus une enfant.
- Bien.. tu me laisses entrer s'il te plaît ?
- Maman veut pas. Si tu entres dans la maison, papa va t'arracher la tête et la broyer dans un mixeur.
- J'ai nulle part où aller..
- Désolée, avais-je répondu en haussant les épaules, totalement impassible.
- Ils me détestent ?
- Je sais pas, peut-être.
- Toi, tu me détestes ?
- T'es toujours homosexuel ?
- Oui. Est-ce si mal ?
- Je ne sais pas.
- Tu ne me détestes pas ? m'avait-il presque supplié les yeux brillants.
J'avais haussé les épaules. Je ne voulais pas. Je ne voulais pas que mes parents me haïssent parce que je me rapprochai de ce frère banni. Je me sentais impuissante face à ce qui lui arrivait et ne voulait pas qu'il m'arrive la même chose.
Mon frère avait sourit tristement avant de m'ébouriffer les cheveux. Je n'avais jamais été vraiment proche de lui mais pourtant je ressentais une déchirure au cœur. Il s'était éloigné... éloigné... éloigné... Avant de ne plus être qu'une silhouette dans le paysage glacial d'hiver.
J'essuyai la larme qui coulait sur ma joue. Mon frère avait mis fin à ses jours le lendemain, le soir du réveillon. Il y a trois ans. Les parents avaient organisés un enterrement mais s'étaient ensuite efforcés de l'oublier. Il ne restait de lui que deux cartons entreposés dans le sous-sol.
C'était en fouillant ses anciennes affaires que j'avais trouvé le collier. La découverte m'avait bouleversée et j'avais éclaté en sanglots. Mon frère partageait la même passion que moi pour les livres retraçant l'histoire d'Harry Potter mais je ne l'avais jamais su.
Je n'avais pas appris à le connaître, trop obnubilée par mon nombril. Même en ayant vécu une douzaine d'années dans la même maison que lui, j'étais incapable de citer un seul de ses traits de caractères. La musique qu'il écoutait, les amis qu'il fréquentait ou son plat préféré. Quelques mois après sa mort, j'avais croisé Mathieu, je m'étais cachée et l'avais suivi jusqu'à chez lui. Je ne savais pas pourquoi. J'étais allée jusqu'à sa boîte au lettre pour connaître le numéro de son appartement puis je m'étais enfuie, rouge de honte.
Je n'étais qu'une idiote et une lâche. Ce dégingandé connaissait et comprenait sûrement mieux mon frère que je ne pourrais le faire. C'était maintenant trop tard. Je regrettais les sorties en vélos que nous faisions en famille pendant notre enfance. C'était l'un des seuls souvenirs complices avec lui que j'avais. Pathétique.
Je m'étais réveillée trop tard. Mon frère était mort, s'était suicidé et je ne pourrais jamais répondre véritablement à sa question. « Jamais je ne te détesterais, tu es ma famille. »
Un torrent de larmes dévalait mes joues tandis que je fixais toujours la stèle. Un flocon tomba dans ma main avant de fondre. J'étais gelée. Je devais rentrer à la maison. Je fis mes adieux à mon frère. Je murmurai des paroles d'excuses avant de partir de ce cimetière sans un regard en arrière.
J'acceptais ma peine et avait laissé mes larmes se déverser. Il me restait maintenant à m'intéresser aux personnes qui m'entouraient et à vivre avec la culpabilité. La soirée de ce soir m'y aiderait peut-être.
Une petite fille arriva vers moi en courant. Elle glissa sur du verglas et avant que je ne puisse l'attraper, elle tomba violemment sur les fesses. Elle semblait avoir cinq/six ans. Sa bouche forma un parfait O. Elle devint toute rouge et avant qu'elle ne commence à hurler face à la sensation désagréable de la chute, je l'aidai à se relever et lui chuchota en encouragement. Je souris.
- Tes parents ne sont pas là ?
- Ze sais pas, zozota-elle en postillonnant. Adorable.
Un peu inquiète pour la gamine, je restai avec elle. Je lui posai des questions bateaux sur la neige en attendant que quelqu'un ne vienne la chercher. Quelques instants plus tard, sa mère sortit d'une boutique paniquée et soupira de soulagement en voyant sa fille saine et sauve.
- Je t'ai déjà dit de ne pas sortir du magasin quand je fais les courses Marguerite !
- Excusez-moi Mademoiselle, grimaça la maman avant de partir en tenant fermement la main de sa fille.
Marguerite se tourna vers moi et me souhaita un « joyeux Noël » tout en sautillant pour garder l'allure de sa maman. Attendrie devant cette vision, je les observai s'éloigner. Mon sourire s'estompa quand la petite famille fut hors de vu.
Il était l'heure d'aller chez Fanny. J'avais mis du gloss et un pull rouge pour être dans le thème de Noël. J'attrapai une boîte de chocolat, souhaita une bonne soirée aux parents et sortis de la maison. Il avait arrêté de neiger depuis plusieurs heures mais la poudreuse n'avait pas fondue. Tant mieux.
En arrivant, un gars déjà alcoolisé me fit la bise et me déposa un bonnet rouge sur la tête avant de se volatiliser dans la foule. Je me sentais légèrement euphorique. J'observai la figure de tout le monde attentive en éclatant de rire de temps en temps. Pourtant, je n'avais pris que du Sprite. Je sortis prendre l'air.
Un gars totalement saoul s'approcha de moi en titubant.
- Woh putain ! Tu s'rais pas d'la famille de c'te tafiole de Baptiste Darraz ? Tu lui ressemble de fou. Qu'est-ce qu'il devient c'te pédé, toujours à sucer des bites ?
Je clignai lentement les yeux sans dire un mot. Un léger bourdonnement résonnait dans mes oreilles tandis que le jeune homme continuait à parler.
- Ça fait au moins trois ans que j' lui ai pas défoncé la gueule, ça manque ! Faudra dire à cette sale merde que j'attends toujours les vingt balles que j'ai demandé, ricana-t-il. Bon, j'retourne à l'intérieur.
Il me tira la joue avec violence avant de s'éloigner. Je ne comprenais pas ce qu'il venait de se passer. Les yeux écarquillés, mes jambes flageolaient et je tombai à genoux. Mon cœur battait à toute vitesse et des étoiles dansaient devant mes yeux. Ce gars avait insulté mon frère de plusieurs noms et avait avoué l'avoir tapé. Je n'avais pas réagis. Comme d'habitude, j'étais restée muette.
Je n'arrivais même pas à pleurer. Mes yeux secs me brûlaient. Je m'étais tue face à ce cliché de brute. Je n'avais pas défendu mon défend frère face à ce salaud. Je n'avais pas pu.
J'étais minable. Je quittais la maison lentement. Je me sentais comme engluée dans de la pâte d'arachide. Une fois hors de cette fête, je me mis à courir vers chez moi en essayant de ne penser à rien. Une fois face à la maison où j'habitais, je n'osai pas entrer en entendant le rire de ma mère qui traversait la fenêtre. Elle semblait heureuse et avait totalement oublié son premier enfant. Sa chair. Comment une chose pareille pouvait être possible ?
Je retournai sur mes pas et m'assis sur un banc près de la place du marché. J'ouvris la boîte de chocolat que j'avais toujours dans les mains et attrapa un chocolat au lait fourré de caramel fondant. Délicieux. Je fermai les yeux et sentis un truc froid se poser sur mon nez. Il s'était remis à neiger. Je ne bougerai pas quitte à ressembler à un bonhomme de neige.
Un vieil homme noir à la longue barbe blanche s'arrêta devant moi. Il avait l'air inquiet.
- Vous allez bien jeune fille ?
Je haussai les épaules. Comme toujours, je ne savais pas. L'homme s'assit à côté de moi et me sourit. Il sentait le chocolat chaud.
- Quelqu'un d'aussi jeune que vous ne devrait pas se retrouver seul pour le réveillon de Noël. Où sont vos parents ?
- À la maison, en amoureux. Ils ne veulent pas de moi. Ils ne m'aiment sûrement pas, ajoutai-je amèrement.
- Ne dîtes pas une chose pareille. Je suis certain que ce n'est pas vrai ! Je ne connais aucun parent qui n'aime pas son enfant.
Je secouai la tête. De toute façon, je n'avais pas envie de passer le réveillon avec eux. Je ne m'en sentais pas capable. Je lui offris un chocolat qu'il refusa poliment. Pas du tout vexée, je le croquai avec enthousiasme. Chocolat blanc avec à l'intérieur du coulis de fraise. C'était meilleur que ce que je pensais.
- Beaucoup d'enfants se sentent abandonné par leurs parents mais c'est avant tout un problème de communication. Noël est une fête où on accepte les défauts de ses proches et on apprend à les connaître. Où on pardonne, on partage et on aime. Ce n'est pas simplement la fête commerciale que de plus en plus de personnes aiment décrire. C'est un moment important dans l'année, un moment figé dans le temps. Un moment qu'il ne faut pas rater en restant seul avec des pensées moroses.
- Pourtant vous aussi êtes assis sur ce banc, seul.
- Oh moi, il faut que je me prépare à partir. J'ai beaucoup de travail cette nuit mais je serais accompagné pour cela et je sais que ceux que je compte faire apportera beaucoup de joie.
Il se leva, me tendit la main et me tira. Debout, j'éternuais avant de souhaiter une bonne soirée au charmant vieil homme.
- Joyeux Noël jeune fille ! Si vous avez un problème, n'hésitez pas à m'en parler. Demandez Nicholas Rismas et j'accourrai.
Il s'éloigna avec un rire amusé. Je fixai son dos un instant avant de me retourner. Je savais où je devais aller. Auprès de quelle personne je voulais m'excuser. Quelle personne que je voulais connaître.
J'arrivais devant l'immeuble et me rendis compte qu'il fallait un code. Mince. J'allais devoir attendre que quelqu'un sorte ou entre. Vu l'heure et le jour, j'étais dans la panade.
Un homme était assis par terre à quelques mètres. Il avait un grand sac à dos à côté de lui et regardait son téléphone d'un air morose. Il devait avoir la vingtaine.
- Excusez-moi, vous habitez ici ? demandai-je poliment.
- Jusqu'à il y a une heure, oui. Pourquoi ?
- Vous pouvez me dire le code s'il vous plaît ?
- C'est 3478C11.
- Merci bien ! Joyeux Noël.
Il hocha simplement la tête et reporta son attention sur son téléphone portable. Je restai un instant devant lui à l'observer l'esprit en ébullition puis je tapai le code.
Devant l'appartement, j'hésitai. Peut-être avait-il déménagé ? Je déglutis mais pris mon courage à deux mains et sonnai. Plusieurs fois. Puis, il ouvrit la porte. Il n'eut pas l'air de savoir qui j'étais et me détaillai avec attention en fronçant un sourcil.
- Désolé mais j'ai pas un sou à donner à une asso...
Il s'arrêta brusquement en voyant le pendentif que je portais. Il revint à mon visage qu'il observa attentivement.
- Je-je.. Bonsoir. Désolée de vous déranger à une heure si tardive.
- Tu peux me tutoyer, souffla-t-il.
Il me fit entrer dans son petit trois pièces. Son salon était très décoré. Il y avait des guirlandes, des boules de Noël, des petits Père Noëls dansants partout. Son sapin était plutôt petit mais il était arrosé de fausses neiges comme les vitres. Il y avait un unique cadeau sous l'arbre de Noël. La télévision était allumé sur TF1.
- Tu t'appelles comment ? me demanda le grand blond.
Je lui murmurai mon prénom et je souris nerveusement en l'entendant me donner le sien.
Mathieu m'apporta un verre et me demanda ce que je voulais.
- Peu importe.
- Tu bois de l'alcool ?
- Euh.. j'ai déjà bu du cidre, murmurai-je gênée.
- Ah... J'ai du jus d'orange ou du thé.
Il me servis un verre de jus avant de s'affaler à côté de moi sur le canapé. Il me regardait droits dans les yeux alors que je me demandais pourquoi alors que son appartement était si décoré, il passait le réveillon seul. Quelqu'un lui avait peut-être posé un lapin.
- Pourquoi es-tu venue ici ?
- Je.. je. Pour Baptiste. Je voulais m'excuser au nom de mes parents du supplice que nous lui avons infligé en ne l'acceptant pas tel qu'il était.
- Tu ne crois pas que ce soit trop tard pour les excuses ? Elles auraient dû arriver bien avant, quand elles avaient encore un sens. Maintenant, elles sont inutiles. Surtout adressées à moi.
Pourquoi étais-je vraiment là ? Parce que je voulais que quelqu'un m'accorde ce pardon. Je voulais pouvoir avancer. J'avais besoin que quelqu'un me dise que malgré ma dernière conversation avec Baptiste, je n'étais pas responsable de sa mort. Je n'étais pas venue ici pour des raisons nobles mais motivée par l'égoïsme comme toujours.
Je ne dis pas cela au blond. Je me mis simplement debout et m'apprêtai à sortir de cet endroit. Je n'avais rien à faire ici. Mathieu m'attrapa le bras, m'empêchant ainsi de partir. Je le regardai d'un air interrogateur.
- J'ai des petits gâteaux de toutes les couleurs en forme de dinde dans le frigo. Tu veux pas rester pour les goûter ?
J'hésitais mais restais devant l'intensité de son regard. Pendant qu'il sortait des couverts, il continua à parler.
- Tu passes pas le réveillon avec tes parents ? Perso, j'peux pas. J'ai un rituel pour la période de Noël. Le 23, je fais pleins de courses. J'achète des cadeaux, des décorations et à bouffer. Le 24, je décore et je cuisine. Le soir, je reste seul en paix avec moi-même et fais le point sur mon année. J'essaie de savoir si j'ai été sage puis j'mange. Et à partir du 25, je vais chez mes parents une semaine et on enchaîne les dîners de famille. Désolé, j'suis un peu pipelette. N'hésite pas à me couper si il le faut ! Tiens ton assiette.
Le petit gâteau semblait bourré de sucre mais très appétissant. Je l'engloutis en une vitesse record. Il me resservit deux dindes bleus. Lui ne toucha pas à son assiette et éteignit la télévision.
- T'aime bien ?
- C'est super bon !
- J'aime pas trop les trucs sucrés mais il dégage une odeur assez agréable.
Nous discutâmes un moment de choses banales. De d'autres qui l'étaient moins. De temps en temps, je riais aux histoires qu'il me racontait. C'était un jeune plutôt homme ordinaire mais très sympathique. Nous n'abordâmes pas le sujet de mon frère mais peu avant minuit, il l'évoqua.
- Noël était ma fête préférée. Ça l'avait toujours été mais Baptiste lui n'aimait pas trop et était toujours un peu mélancolique à cette période. Je ne sais pas à quoi c'était dû. À sa mort, il me l'a transmis cette mélancolie. En cette période, je me sens horriblement triste et seul.
C'est sympa d'être venue et d'être restée. Mon appartement semble moins terne et déprimant.
Il se frotta le coin de l'oeil et enchaîna sur un autre sujet. Je ne dis rien. Je m'approchai simplement de lui et déposai ma tête sur son épaule comprenant sa peine. Même si nous ne nous connaissions pas vraiment, nous étions liés par le même événement tragique.
Il lança une playlist de Noël. Une chanson douce s'éleva dans la pièce. Mon hôte se mit debout et m'invita à danser. J'acceptai avec plaisir. Je marchai plusieurs fois sur son pied mais il sourit sans s'en offusquer. Je chantonnais et crus voir quelqu'un par la fenêtre.
Il était minuit et le père Noël venait de passer.
***
Ce conte a été écrit par hikaru78 et illustré par Lamalien! Tout le mérite de ce travail leurs revient. N'hésitez pas en commentaire à leurs dire ce que vous en avez pensé.
A demain pour un nouveau conte :D
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