Le cadeau d'une vie.
Je suis nerveuse. Je suis dans l'auto, à me triturer les mains. J'essaie de bloquer les mauvaises pensées qui viennent à moi. Je prends de grandes respirations et tente d'appliquer les techniques de relaxation que ma thérapeute m'a apprises. Je n'ai jamais été aussi nerveuse à l'idée de voir ma famille.
- Tu es certaine de vouloir qu'on y aille ? me demande Aryane.
J'acquiesce en souriant légèrement.
- Si ça se passe mal, on pourra toujours partir, continue-t-elle.
- Je sais, ajouté-je. Je te ferai signe si ça devient insupportable.
Je tente un regard rassurant dans sa direction. Aryane a tout tenté pour que nous ne venions pas fêter Noël avec ma famille cette année. Elle a peur que ça se passe mal, comme il y a deux ans. J'ai dû lui faire toutes sortes de promesses pour que nous venions. Je lui ai assuré que j'étais prête. C'est en précisant que j'en avais besoin qu'elle finît par accepter.
Je me penche vers ma copine. Après l'avoir embrassée, je murmure contre ses lèvres que tout ira bien, puis lui sourit à nouveau. Elle soupire et hoche la tête.
- Allons-y, alors, dit-elle.
Elle prend les clés et sort de la voiture. Je l'imite. Nous n'oublions pas de prendre les cadeaux avant de nous diriger vers l'entrée. Aryane glisse un regard vers moi, inquiète. Cette femme m'attendrit à un tel point, c'est incroyable. Je lui souris à travers les flocons blancs qui tombent du ciel. Je commence à croire qu'elle est plus inquiète que moi.
Je cogne à la porte. Il y a beaucoup d'activité dans mon ventre en ce moment. Je sens les chenilles sortir de leurs cocons et s'envoler dans mon estomac. Elles se sentent captives et frappent les parois de mon estomac. J'expire longuement pour les calmer.
On ouvre. C'est ma mère, surprise.
- Nathan ?
- Noémie, répondis-je calmement.
Elle tique à l'entente de mon prénom. Elle semble un peu mal à l'aise, mais ouvre tout de même, un sourire étrange aux lèvres. Aryane et moi entrons. Ma copine salue ma mère de la tête. Je la sens crispée.
Nous ne nous faisons pas la bise. Nous restons les trois dans l'entrée, un air bizarre au visage, à se balancer de gauche à droite.
- Martine ! qui est arriv...
Mon père s'interrompt en me voyant. Il fige quelques instants puis se ressaisit.
- Je ne croyais pas que tu viendrais, avoue-t-il d'un ton neutre.
Aryane se rapproche de moi et, de sa main libre, me caresse doucement le dos, comme pour me dire de rester calme.
- Surprise ! lancé-je. Je suis Noémie, enchantée, blagué-je en lui tendant une main.
Je vois l'ombre d'un sourire qu'il réprime rapidement. Mon père a toujours aimé mon étrange humour.
Il tend sa main en retour, ce qui émeut visiblement Aryane, qui tente de se cacher dans mon dos, sans succès.
Nous enlevons nos manteaux, tuques et bottes et allons dans le salon, où ma famille est réunie. Quand j'entre, ils deviennent tous silencieux et tournent leur attention vers moi. Je me sens extrêmement mal à l'aise, j'ai l'impression d'être une étrangère. Je n'ai pas du tout l'impression d'être dans ma propre famille. C'est comme si j'étais sur une scène et que toute la salle était tournée vers moi en attendant mon show. Je commence à suer et avoir chaud. Mon cœur palpite et mon ventre badtrip.
- Aryane, aide-moi à mettre vos cadeaux sous le sapin, demande ma mère en me prenant certains cadeaux des mains.
Aryane s'active tandis que le reste de ma famille reste là, à me regarder. Ma respiration s'accélère. J'ai la tête qui tourne, je ne me sens pas bien. C'était une mauvaise idée de venir, j'aurais dû rester chez moi.
Je sens une grosse main se poser dans mon dos et me retourne. Mon père fixe un à un les membres de ma famille, sérieux.
- On ne dit pas bonjour ? dit-il fermement.
Tous les regards se détournent de moi et un « bonjour » murmuré se fait entendre. Je me sens étouffée. Mon père me fait un clin d'œil et fait signe à ma mère, qui a finit de placer les cadeaux. Elle demande alors l'attention de tous pour prononcer un genre de discours maladroit.
- J'espère quand même que toute la soirée ne se passera pas comme ça, enfin ! L'atmosphère est lourde pour tout le monde à force que vous agissiez ainsi. Nathan est peut-être devenu Noémie au niveau physique, mais il – elle, pardon, reste la même personne. Ça fait deux ans qu'on ne l'a pas vue. Si vous n'êtes pas à l'aise avec la situation, si vous trouvez plus important le changement de corps de ma fille plutôt que les retrouvailles familiales et que cela vous empêche de profiter, je vous inviterais à quitter les lieux. Je veux que Nath – que Noémie se sente à l'aise.
Un silence lourd s'ensuit. Je suis émue par ce que ma mère a dit. Bien qu'elle se soit quelques fois trompée, ce qui est compréhensible puisque nous n'avons pas eu de contact pendant un moment et qu'elle n'est donc pas habituée, l'effort qu'elle fait me va droit au cœur. Elle me sourit bienveillamment.
Mon cousin se lève.
- Je suis désolé, mais je ne tolèrerai pas ça. C'est contre nature et je ne veux rien avoir à faire avec ce genre de personne, crache-t-il. Viens Mégane, on part. Je vais le dire aux enfants.
Il sort de la pièce et monte à l'étage. Sa femme me regarde, désemparée, puis le suit.
- Jérémie ! Attend !
Ma grand-mère tapote la place que son petit-fils a laissé libre pour me faire signe de m'y asseoir. J'y vais, la tête baissée.
- Ne t'en fais pas pour lui, murmure-t-elle. S'il n'est pas prêt à t'accepter comme tu es, c'est son problème. Il n'est pas le bienvenu.
Elle dépose sa main sur ma cuisse et la serre.
Ma grand-mère était la première personne à qui j'ai avouer ma réalité. Je n'ai jamais perdu contact avec elle. Mon grand-père n'acceptait pas du tout la vérité et il est décédé d'une crise cardiaque peu après mon coming-out. Je me suis longtemps sentie coupable, je croyais que c'était ma faute, mais mamie m'a toujours dit que ceux qui ne m'accepte pas comme je suis, ne me mérite pas dans leur vie. Elle était triste certes lors du décès de son mari, mais elle m'a avoué que mon bonheur lui importait plus que son époux. Je crois aussi qu'il n'a pas toujours été très correct envers elle.
Mamie a aidé mes parents à mieux accepter le fait que je sois transsexuelle et elle m'a aidé à payer pour mes opérations. Elle tenait absolument à ce que je sois bien dans mon corps. C'était un de ses buts de vie, quand elle a appris que je me sentais étrangère dans le corps de garçon que j'ai eu à la naissance.
Elle nous donnait des nouvelles, à Aryane et moi, du reste de la famille. C'est aussi elle qui nous a poussées à venir cette année. Elle m'avait dit que la famille était prête.
Quelques instants plus tard, nous entendons les enfants de mon cousin pleurnicher. Jérémie descend les escaliers quatre à quatre et sors de la maison en claquant la porte, non sans avoir pris son manteau et mis ses bottes d'hiver.
Mégane revient ensuite dans le salon, avec les enfants.
- Jérémie souhaite partir, mais Virginie, Mathias et moi restons.
Nous nous sourions.
- Bon, et si nous donnions le premier cadeau ? propose mon père.
Les autres hochent la tête.
- Noémie, tu recevras le premier cadeau. C'est un cadeau de la part de nous tous ici.
Je hausse les sourcils, surprise. Mon regard se promène entre mes parents, ma grand-mère, mes oncles, tantes, cousins, cousines. Ils semblent tous heureux et sereins.
Aryane, qui s'était assise à mes côtés, me prend la main, heureuse elle aussi.
Mon père s'approche de moi, une enveloppe à la main. Je la prends et l'ouvre sous les yeux excités de ma famille.
C'est une lettre gouvernementale disant accepter mon changement de nom et de sexe aux yeux de la loi.
Je relève la tête et regarde mes parents, les yeux plein d'eau.
- Joyeux Noël, me chante ma famille en cœur.
***
Ce conte a été écrit par marianne-l et illustré par golightlies! Tout le mérite de ce travail leurs revient. N'hésitez pas dans les commentaires à leurs dire ce que vous en avez pensé :) A demain pour un autre conte!
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