Fraternité de noël.

« Je suis homosexuel. »

Et voilà. Mon frère venait de lâcher une bombe à la table de ce repas de Noël en famille. Un long et lourd silence suivit son annonce.

Mes yeux passent sur le visage des invités. Ma grand-mère la bouche ouverte, choquée, maman à la limite de l'étouffement après avoir avalé son champagne de travers, mon père toisant mon frère d'un regard noir et la petite Julia qui, ayant senti la tension monter venait de se mettre à pleurer en se réfugiant dans les jupons de ma tante.

C'est sûr, Bastien a sûrement dû rêvé mieux comme accueil.

Mais même moi je demeure incrédule.

Les secondes se transformaient en minutes, le silence parfois couvert par la toux de ma mère.

Bastien entreprit de se rasseoir et enfonça sa tête entre ses épaules, probablement dans l'espoir de disparaître.

- Bon Barbara, la dinde va être toute grillée, va la chercher bon sang ! Dis mon grand-père avec sa délicatesse habituelle.

De tous ceux attablés, grand-père est le seul à qui cette information ne lui fait ni chaud ni froid. J'aurais souhaité réagir comme lui et juste attendre la suite du repas mais j'en suis incapable. J'essaie de ne rien laisser paraître mais intérieurement je suis choqué mais pas dans le même sens que mes parents.

Je suis choqué de ne pas l'avoir su avant. Je pensais connaître Bastien par cœur. Est-ce que ce n'était qu'une illusion ?

Il faut l'avouer, je me sens blessé, comme trahi ; ne me fait-il pas assez confiance ? Et à cause de ça je ne sais pas comment aller lui parler. J'ai l'impression de ne plus le connaître. Alors entre deux bouchées de légumes verts je lui jette des petits regards en coin.

Il n'est pas bien, c'est évident. Tout le monde semble l'éviter, personne ne lui adresse un regard, et même les enfants ont arrêtés de le solliciter pour qu'il vienne jouer avec eux.

- On va ouvrir quelques cadeaux ! proposa ma tante, Julia vient là mon petit cœur !

Elle demande à sa fille de trifouiller sous le sapin et d'en extraire trois.

- Alors voyons, un pour grand-père,un pour Raphaël, dit-elle d'une voix enjouée en me tendant le cadeau, et un pour Bastien.

Au moment de donner le cadeau à Bastien tout en évitant de croiser son regard, sa voix s'était baissée, se transformant presque en murmure.

Cette situation me révolte. Je ne les comprends pas. C'est décidé j'irai parler à Bastien après.

- Tu ouvres pas ton cadeau ? Tu as besoin d'aide ? Demanda doucement Julia me tirant de mes réflexions.

J'obtenais un casque audio tandis que mon frère, lui obtenait une belle montre offerte par grand-mère.

- Merci beaucoup mamie, elle est magnifique, dit-il timidement.

- J'aurais dû l'offrir à ton frère, rétorqua-t-elle sèchement.

- Non.

- Répète-moi ça Raphaël, me répond ma grand-mère avec autorité.

- J'ai dis non. Pourquoi vous êtes tous comme ça avec lui ? Vous et vos idées moyenâgeuses !Il ne vient pas d'avouer un meurtre quand même, il n'y a rien de grave !

- Excuse-moi d'avoir des idées rationnelles, rétorqua ma grand-mère.

- Vous n'êtes que des cons.

Je me leva et parti chercher mon blouson.

- Raphaël, où est-ce que tu vas ? s'affola ma mère.

- Je reste pas ici en tout cas! Bastien ? l'interpellais-je sa veste dans ma main.

- Volontiers, dit-il en se levant et m'adressant un sourire.

Tandis que maman essayait de nous dissuader, nous franchissions le pas de la porte et je pris un malin plaisir à claquer cette dernière.

Et ainsi nous étions enfin dehors.

On se mit à marcher sur quelques centaines de mètres au hasard dans les rues voisines.

- Wow, commenta Bastien de sa voix grave après un long silence.

- Oui je suis d'accord... Je suis désolé j'aurais jamais cru...

- Pourquoi tu t'excuses Raph' ? C'est pas de ta faute...

- Si, j'aurais dû te défendre dès le début plus rapidement.

- Tu étais surpris aussi, vu que tu n'étais pas au courant.

Je me mis à hésiter quelques instants sur ma prochaine question mais je tenta tout de même.

- Pourquoi tu ne m'avais rien dit ?

Bastien haussa les épaules.

- Je ne sais pas vraiment, je pense que j'avais peur de ta réaction.

- Que je réagisse comme eux ?

Il acquiesça, un air triste sur son visage.

Maintenant arrivés sur la grande rue, nous marchions lentement, une ambiance pesante régnait. C'est plutôt triste comme Noël. Il voulait se faire accepter tel qu'il est pour arrêter de se cacher, ça aurait été un merveilleux cadeau et au final, il reçoit tout le contraire.

- Au fait tu as eu un très joli pull par tonton dis donc ! dis-je ironiquement dans l'espoir que cela engage une conversation plus joyeuse.

- Oh ouais je suis sûr tu en es jaloux ! Je te le passerai si tu es gentil avec moi !

- Quoi ? Mais je suis toujours gentil ! lui répondis-je en prenant un air faussement choqué.

- Est ce que c'est vraiment nécessaire que je te rappelle qu'il y a 2 ans tu avais mangé tout mes chocolats de Noël ?

Je me mis à rigoler suite à ce souvenir.

- J'étais petit, m'en veux pas !

- Raph' t'avais 14 ans !

On se mit à rire tout les deux en cœur. Je me souviens qu'il m'en avait voulu pendant plus d'un mois et qu'il ne voulait même pas que je m'assois à côté de lui à table !

- On en parle de la fois où tu m'avais découpé des photos de famille parce que j'avais cassé ta manette de Wii ?

Bastien rigola de plus belle et moi aussi.

- Oui c'est vrai je me souviens encore de la tête de maman ! Et faut que je t'avoue un truc...

Il prit un air très sérieux et poursuivit :

- Si maman n'a jamais eu ta photo individuelle cette année-là c'est parce que je l'avais planquée, et au moment où j'ai voulu la rendre je l'ai pas retrouvée. Mais j'ai remis la main dessus il y a pas longtemps quand j'ai trié mon tiroir à dessins, tu pourras regarder je l'ai discrètement calée dans l'album photo orange.

- Oh non ! C'était toi ?! C'est à cause de toi que maman m'avait fâché parce qu'elle pensait que je les avais perdues ! Traître !

- C'est toi qui dit ça ?

Nos rires ne s'arrêtent plus, je suis sûr qu'on nous entend du bout de la rue.

Ça se voit que Bastien avait besoin de rire, il a l'air heureux, ou en tout cas il a l'air d'oublier ce repas catastrophique.

- Il fait quand même vraiment froid,commenta Bastien, ça te dis on va boire un truc ?

- Tu en connais beaucoup toi des magasins qui sont ouverts un 25 décembre ?

- Et toi tu en connais beaucoup toi des machines à café qui ferment les jours fériés ?

Je lui souris. Un petit silences'installe entre nous deux mais contrairement au précédent, lui est confortable, car le sourire a retrouvé nos lèvres.

Malgré cette ambiance plus légère une question me brûle les lèvres, je ne peux m'en empêcher je suis beaucoup trop curieux.

- Et... du coup tu as quelqu'un ?

Il me jette un regard en coin et me répond d'une voix posée :

- Non, mais ce n'est pas ce qui compte le plus. Ce qui importe vraiment c'est que maintenant je m'assume tel que je suis, même si je pense que je ne devrais pas être défini par une orientation sexuelle particulière. Mais je me sens quand même plus moi maintenant que je l'ai dit.

Je lui souris sincèrement. Au loin, on peut déjà entendre les musiques typiques de Noël diffusées en boucle par le haut parleur de l'hypermarché.

- Là-bas, dis-je à Bastien en pointant mon doigt en direction de la machine à café située à l'entrée de la grande surface.

On se mit à avancer plus vite, pressés de se réchauffer avec un bon café.

Bastien commanda un café noir et moi un cappuccino.

On se posa sur des blocs de pierre postés à quelques mètres de la machine, nos mains autour de nos gobelets en plastique fumants.

- Qu'est-ce qu'on va faire en rentrant à la maison? demandais-je.

- J'en sais rien et honnêtement j'ai pas envie de savoir, arrête de poser des questions, profite du moment Raphaël et laisse moi boire mon café, dit-il amusé.

Quelques instants plus tard, les douces notes de Jingle Bell Rock se mirent à résonner dans le parking vide. Bastien se mit à dandiner de la tête et des épaules puis finit par se lever, et improvisa une petite danse.

Je me lève, entraîné à mon tour, et me mit à chanter. Et contre toute attente, Bastien ne fit aucune remarque sur le fait que je ne pourrais jamais participer à la Nouvelle Star.

Tous deux emportés par la légèreté de la musique et de ce moment partagé ; nous sommes à présent tous les deux en rythme, rigolant de nos voix de casseroles, dansant maladroitement, probablement ridicules, mais heureux.


***

Ce conte a été écrit par _cec-ile_ et Chxchu, l'illustration est de layla126! Tout le mérite leurs revient et n'hésitez surtout pas à leurs laisser vos avis en commentaire sur leur travail.

A demain pour un nouveau conte :D

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top