Deux âmes solitaires

Assise sur les marches de son escalier, Charlotte regardait son père s'agiter devant elle. Il était habillé en noir, pantalon, chemise, pull, manteau et rangers noir d'encre de chine. Seuls exceptions :les écritures en lettre capitales blanches. L'homme attrapa son portable, et observa sa fille dans une expression de réflexion profonde.

- Je... vais chercher le chien et j'y vais.

Autre outil de travail dans sa profession nocturne "d'Agent Cynophile de Sécurité". Il passa devant elle, ouvrit la porte laissant un grand courant d'air froid entrer, et referma la seconde suivant sa sortie. Charlotte resta immobile une seconde, et se le leva. Elle déambula dans la petite pièce principale où un canapé, un meuble télé et un buffet dévorait l'espace. Dehors, elle entendit les voitures passer, et surtout, les pas de son père revenir. Elle retourna près de la porte, et ouvrit, découvrant la fine silhouette de son malinois. Elle l'appela, mais le chien ne broncha pas. L'homme ouvrit le petit portail blanc, puis la porte menant à la caisse du chien dans la voiture de service ; le chien bondit et s'y réfugia.Il ferma le tout, et se positionna près de la voiture, fixant une énième fois sa fille. Celle-ci se tenait de la même manière sur le seuil de la porte.

- Bisous ma chérie, passe une bonne nuit, et heu... Joyeux Noël !

- A toi aussi.

Il commença à ouvrir la portière mais se figea.

- J'oubliais, il reste de la dinde que ta mère nous a apporté. Elle est dans le four.

Charlotte esquissa un sourire.

- On parle bien de la dinde là ?

Il lui répondit avec le même sourire et le même ton moqueur.

- Bah oui... de ta mère, quoi !

Elle esquissa un rire, et il se retira en lui lançant un dernier "Bisous, bonne nuit". Elle referma la porte, frissonnante, et entendit la voiture se retirer tandis qu'elle récupérait un peu de chaleur de la maison. Elle inspira, et attrapa son portable qui attendait toujours sur une des marches de l'escalier. Elle envoya un message groupé à ses amis - un simple "joyeux Noël" - et deux autres pour sa sœur et sa mère avec un cœur à la fin. Elle reçut des réponses, n'y jeta que des coups d'œil peu intéressés, et elle se dirigea dans la cuisine.

Il était encore trop tôt pour manger, mais elle avait soif et froid.

Mais le clic de la bouilloire lui décrocha un sourire.

La nuit était belle. Enveloppée dans une épaisse couverture, elle fixait le ciel, son thé entre les mains et son portable dans la poche. Celui-ci vibra, alors qu'il s'était tut un quart d'heure plus tôt. Elle l'attrapa et le regarda. C'était un message d'un ami.

"Fête pas Noël cette année =( "

"Moi non plus." répondit-elle.

"C'est triste." reçut-elle au bout de quelques minutes.

Elle fixa l'écran pendant quelques secondes, et rangea l'appareil.

Non. Ce n'était pas triste.

Ça se passait et elle devait vivre avec. Ou plutôt sans.

Elle n'avait pas de souvenirs d'avoir fêté un vrai Noël : quand ses parents étaient encore mariés, ils travaillaient très tard et très tôt ; comme ils devaient dormir, ils reportaient Noël au week-end prochain. Après le divorce elle se retrouva avec sa mère. Les finances allaient mal et elle était grande. On se contenta d'un petit sapin, de décorations, et d'un poulet avec supplément foie-gras sur des toasts. Pas de cadeau, mais pourtant... bon sang,ce qu'elle l'avait aimé, ce Noël ! Puis, après le divorce, déménagement, et elle commença à vivre avec son père puisqu'il avait de meilleurs conditions de vie. Mais ça n'avait pas arrangé ces Noël : il travaillait avec des collègues plus jeunes, et leurs enfants plus jeunes que sa fille. Le père de Charlotte considérait ça normal, et elle-même ne lui en voulait pas ; elle aurait fait la même chose.

Elle était grande, elle n'avait plus besoin du rêve du père Noël.

Elle ferma les yeux, et se laissa engourdir par le froid, les lèvres au bord de sa tasse presque vide.

Nouvelles vibrations de son portable ; Charlotte soupira doucement.

- Ils vont pas me lâcher ce soir ?

Son ami revenait parler. C'est vrai qu'elle avait oublié de lui répondre.

"Je m'ennuie."

Il continua avant qu'elle n'ait pu penser à une réponse.

"Ça te dit on passe Noël ensemble ?"

La jeune fille se leva, et retourna dans la cuisine.

"Stp ?"

Elle abandonna sa tasse sur la table, et reposa la couverture là où elle l'avait prise dans le salon.

" S'il-te-plaiiiit !!"

Elle se figea au milieu de son salon, un peu agacée de sa persévérance.

"Pourquoi?"

"Je m'ennuie !!" "STP STP STP !!! "

Elle soupira et monta dans sa chambre.

"J'ai compris, je bouge. On se retrouve où ?"

"Centre-ville ? Devant la mairie ?"

C'était plus près de chez lui que chez elle. Mais il ne savait pas où elle vivait quand elle connaissait au moins sa rue. Elle lâcha un ok, et retira sa robe de chambre. Elle enfila rapidement un collant - pour lutter contre le froid- et un jean, un t-shirt, sous-pull et partit se coiffer. En cette magnifique saison, ses cheveux étaient électrique et flottaient dans les sens. Elle se les brossa vite-fait, ne les attacha pas et enfila son pull par-dessus. Au moins, maintenant, ils étaient coincés dans le col. Elle attrapa sa paire de chaussures qui traînait dans sa chambre, ainsi que son portable et descendit les escaliers. Puis elle attrapa ses clés, et appela son père. Elle lui lança l'information presque d'une traite, à laquelle il répondit par un "ok, pas de soucis, fais gaffe, et ferme la maison." Raccrocher, sortie, maison fermée, elle se mit à marcher dans la rue silencieuse et glacial. Elle se figea au bout de quelques pas, et annonça son départ à son ami, lequel répondit par un simple ok.

- Vingt heures cinquante-sept. Murmura-t-elle pour elle-même.

A vingt-et-une heure sept, elle arrivait tout juste à la mairie.Elle avait mit dix minutes, mais pas de signe de son ami. Elles'assit sur le bord de la fontaine éteinte, et attendit.

"J'y suis."

"Presque!"

Elle se plongea un peu plus dans le col de son manteau. Elle entendit, au loin et presque camouflé, une chanson de Noël, et se rappela une version japonaise qu'elle avait trouvé sur Internet. Elle se souvint qu'elle l'avait sur son portable, et la mit, à bas volume, et commença à chantonner avec son portable.

- Bouh. Fit sinistrement Adam.

Charlotte bondit et étouffa ses insultes. Il rit et mima un parent avec une voix faussement en colère.

- Voyons, faut pas être vulgaire le jour de Noël ! Sinon tu seras sur la liste noire du Papa Noël !

- C'est bien pour ça que je me retiens !!

Ils se fixèrent une seconde.

- Attends, sérieusem- ... ?

- Non, je pensais que t'allais me parler des gens autour, qui sont au calme... J'ai pas eu le temps de t'écouter en fait.

Il pouffa de rire, et il s'assit sur le bord de la fontaine où elle était quelques instants plus tôt.

- Oh bon sang..., dit-il enfin en s'essuyant une larme qui n'était pas là, ce que tu peut-être sotte.

- C'est pour ça qu'on m'aime, non ? Répliqua-t-elle innocemment.

Il la fixa, neutre et presque mort émotionnellement. 

- Non, en fait c'est pour ton seize de moyenne. On espère que tu nous donnes les réponses, mais non.

- J'ai quatorze. Marmonna-t-elle

- Et j'ai neuf, et les autres ont entre douze et huit. Donc chut,j'ai raison, tu es une intello. Point.

Elle leva les mains en signe de résignation, et se rassit. Ils observèrent le ciel étoilé quelques instants, avant qu'elle ne reprenne, un peu plus doucement.

- Pourquoi tu fêtes pas cette année ?

- Mes parents couvrent ma petite sœur de cadeau, et ça me gave... il imita ses parents. Elle est petite, elle est jeune, elle croit encore au père Noël, il faut qu'elle reçoive pleins de cadeaux !

- Jaloux, va.

- Complètement. Mais plus que la tonne de cadeaux, c'est la différence dans leur regard et dans leur parole. Alors avant qu'ils aient pu franchement me gonfler, je me suis barré.

Charlotte se tut quelques instants avant de murmurer tout bas.

- Je suis pas une si mauvaise compagnie que ça, quand même !

- Non, mais il fait super froid.

Ils restèrent immobiles quelques instants, puis virent tout deux, en même temps, une étoile filante. Adam brisa le silence en premier.

- Je te souhaite de rencontrer l'amour de ta vie.

Elle s'écarta de lui en le fixant.

- Qu'est-ce que j'm'en fous de mon âme sœur, je suis aromantique !

- C'est bien pour ça ! Que tu puisses briser son petit cœur !

Elle sourit, et murmura à son tour.

- Je te souhaite que tu te réconcilies avec ta famille.

- Pourquoi ?

- ... Je parle presque plus à mon père. C'est juste bonjour,au-revoir, merci, j'ai fais les courses, fais la vaisselle, bonne nuit, bonne soirée. C'est... vide. Alors, non, je n'ai pas de regards de haine, ou de je ne sais quoi, mais je n'ai rien. Pas d'importance.

Il entrouvrit la bouche pour parler, mais ne trouva pas immédiatement les mots.

- T'es beaucoup trop sérieuse, 'tain... Je me sens bête moi maintenant.

Elle pouffa de rire et mit son bras autour de ses épaules.

- Bon alors, reprit-il, je te souhaite de trouver la bonne personne,platoniquement. Un, ou une super pote. Voir mieux que ça. Une sorte de petit ami platonique.

- J'vous ai déjà vous. Toi, et tous les autres du lycée.

- Polygame va.

Ils rirent de bon cœur, avant que le portable d'Adam ne se mette à sonner. Charlotte se redressa pour la laisser atteindre sa poche ;puis soupira.

- C'est ma mère.

Il jeta un coup d'œil à son amie, et décrocha.

- Allô ? ... Je suis dehors. Oui, deh- ... Avec Charlotte, devant la mairie... oui, dehors. Il roula des yeux. Ok... Ok... (il soupira et acquiesça une dernière fois avant de raccrocher). Bon, je savais pas que t'étais une fée, ou une magicienne, mais bravo.

- Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ?

- Ma petite sœur, Alice, elle pleure et hurle comme une folle parce que "grand-frère n'est pas là". Bravo.

Il applaudit un instant, et regarda la nuit autour de lui. Malgré les lampadaires, il y avait cette douce obscurité, étrange et presque rassurante, presque lumineuse. L'air était plus agréable,la colère au fond de lui-même dissipé. Il savait que ça reviendrait, mais ça irait, les mots de Charlotte lui reviendrait entête et il sourirait.

- Bon !

Il se tapa sur les cuisses et se leva. Il se tourna vers son amie qui se levait aussi.

- Je vais rentrer, du coup. Murmura-t-elle.

Il la salua. Il enfouit les mains dans ses poches, et sentit un petit objet du bout de ses doigts gantés. Il le sortit de sa poche, et,découvrant la petite boîte rouge il étouffa un juron. Elle n'était déjà plus en vue.

- Charlotte !!

La jeune fille se retourna en sursautant. Adam courait derrière elle.

- Bon sang, tu marches beaucoup trop vite... hum...

Il se redressa et inspira profondément pour reprendre son souffle.

- Ou plutôt tu n'as pas du tout d'endurance. Gloussa-t-elle.

- Oui aussi, enfin.

Il lui tendit la petite boîte avec un ruban doré un peu froissé.

- De la part de tous tes petits amis platoniques.

Charlotte garda la chose dans sa main quelques instants, ne sachant que faire.

- C'est un cadeau, tu sais, ça s'ouvre.

- Oui mais... pourquoi ?

Il rit, recula de quelques pas et tourna sur lui-même pour lui montrer la ville.

- C'est Noël bon sang ! On se fait des cadeaux, c'est normal !!

- Mais j'ai rien pour toi !

- Ton vœu, ça me suffit.

Elle sentit ses rouges s'empourprer, et enfouit son nez dans son col.Elle attrapa une extrémité du ruban, avant qu'il ne la coupe.

- Et aussi... Tu peux venir à la maison. Alice sera très contente de te voir, et, en fait... c'est ma mère qui l'a proposé... . Et puis, si je viens à me disputer à nouveau avec eux, au moins j'aurai pas à traverser toute la ville pour revenir.

Leurs regards se posèrent sur une petite chose blanche qui tombait délicatement devant eux. Ils levèrent les yeux, et sourirent.

- Tu vois, il neige ! J'ai pas besoin de plus de cadeau ! Allez ! On y va !!

Elle consulta son portable. Deux heures cinq du matin.

Elle sentit l'ivresse de la nuit lui chauffer encore un peu les joues. A moins que ce ne fut les deux verres de cidre ? Elle n'aurait pas su dire.

Elle se laissa choir sur son lit, et aperçut la petite boîte carmin et son ruban or qu'elle venait juste de déposer sur la petite commode. Elle se redressa et la saisit. Délicatement, du bout des doigts, elle tira sur une extrémité, et le nœud se défit. Tout aussi doucement, elle entrouvrit la boîte,et vit un pendentif, une sorte de petit dragon argenté presque enroulé sur lui-même, une petite pierre verte émeraude entre ses serres et sa queue. Charlotte sourit un peu plus et porta le bijou dans sa main, et aperçut aussitôt un petit papier tombé à terre. Elle rangea soigneusement le dragon et prit al note qu'elle déplia et lut.

"Joyeux Noël Lolotte !!

On te souhaite les meilleurs vœux que tu puisses recevoir, beaucoup d'amour, beaucoup de chances et tout ce que tu voudras !!

Passe de bonnes vacances avec de gros bisous !!"

Elle sentit une larme couler sur sa joue, tandis qu'elle fixait le papier, l'écriture manuscrite et colorée, et les nombreuses signatures.

Comment avait-elle pu douter durant tout ce temps que ce n'était pas un moment si magique ?

***

Conte écrit par AiriRevie et le dessin a été fait par Lamalien . Tout le mérite de cette histoire et de son illustration leurs revient!

A demain pour un prochain conte!

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