Ce quelque chose de magique.

Cinq papiers dans le chapeau.

Ce n'est pas comme si j'avais une chance de tomber sur Marthe.

Lin pioche, cache son papiers derrière ses doigts fins. Elle essaye de ne pas laisser paraître un sourire, affiche une poker face mesurée. Fara pioche, passant ensuite une main dans ses cheveux crépus pour qu'ils retombent devant son front. Marthe pioche, affichant un sourire que je sais reconnaître comme faux. Julie pioche, visiblement peu intéressée par son bout de papier car elle ne le regarde qu'à peine.

Puis c'est mon tour.

Je pioche. Je n'ose pas regarder le prénom inscrit sur mon bout de papier, car je sais pertinemment que ce n'est pas celui de Marthe. Le Noël Canadien est vraiment une idée pourrie. J'aurais largement préféré faire un cadeau à une personne que j'apprécie plutôt que d'offrir un truc que j'aurais moi-même fait à quelqu'un que je n'aime pas.

Enfin, je n'ai pas le choix. Les quatre filles de l'unité d'hospitalisations pour adolescents sont pour ce Noël Canadien. Qui suis-je pour couper court à leurs envies ? C'est Noël pour tout le monde, après tout.

Après le solennel tirage de papier, c'est l'heure de préparer les cadeaux. Il est dix heures du matin, on est dimanche, on pourrait croire qu'il y aurait des soins (plus communément des consultations) mais les docteurs sont trop occupés pour travailler un dimanche. Car comme je l'ai dit plus haut, c'est Noël pour tout le monde, après tout.

- Léonard ? m'appelle Marthe en s'asseyant à côté de moi sur la table des travaux pratiques. Que ressens-tu ?

C'est une grande histoire, les "que ressens-tu ?" avec Marthe. Elle trouve que je ne communique pas assez, que je n'extériorise pas vraiment mes émotions. Alors, pour pallier ça, elle a décidé de me demander ce que je ressentais. Parfois, Marthe est bizarre. Elle est comme ailleurs, dans un univers parallèle qui se déroule exactement dans cet univers-là mais avec des modes de pensée différents. Elle est tout à fait capable d'être le style de personne à demander avant d'embrasser.

J'avoue, j'ai déjà pensé à l'idée de l'embrasser. À regarder ses yeux ambrés me sourirent. À passer ma main dans ses cheveux coupés par personne d'autre qu'elle-même lors d'un de ses moments de "déraillement", comme elle aime les appeler. J'ai déjà pensé à l'idée à caresser la courbe de son petit nez en trompette, à prendre son visage entre mes mains.

Mais ça serait tellement glauque de faire ça à l'hôpital. Et quand est-ce que ce serait possible ? Je ne risque pas de faire ça lorsque nous sommes dans la salle de thérapie, ou dans ma chambre où il faut laisser la porte ouverte quand on a un autre patient avec nous.

Quoi qu'il en soit, on n'est pas là pour ça. Marthe est malade, elle a besoin de soins. J'ai été malade, j'ai besoin de vérifications. C'est tout ; ça s'arrête là. Je ne vois pas pourquoi je parle encore de ça.

- Je ressens... de la sérénité ?

Elle me sourit, signe que ma réponse est satisfaisante. Car, grande chose à connaître à propos de ses questions sur mes émotions, c'est que répliquer qu'on ne ressent "rien" est critiquable, voire impossible pour Marthe. Quelque part, je comprends. Notre corps, même si ce n'est "que" physique, ressent des choses. Tout comme notre coeur. Alors certes, la sérénité revient souvent dans mon vocabulaire, mais au moins ça la satisfait.

Je la regarde prendre une feuille de papier et un crayon, commençant à esquisser une banderole de Noël. Pendant qu'elle fait cela, je regarde ce qu'il y a autour de moi. Lin et Julie s'occupent ensemble, tandis que Fara refuse de faire quoi que ce soit. Je crois qu'elle n'accepte toujours pas de passer Noël loin de sa famille et elle a bien raison. Je comprends que Marthe, Julie et Lin soient là, mais Fara et moi ? N'y avait-il pas un autre moment où nous hospitaliser, nous, les malades "physiques" ? Je n'ai rien contre les autres malades, je ne comprends juste pas pourquoi un fichu test pour mon cancer passé doit se faire à Noël et pas deux jours après.

Marthe m'interpelle, me demande de se prêter à son art thérapeuthique ; elle dessine très bien, je n'ai pas ce talent.

Le reste de la journée se passe dans le calme. En fait, je regarde plus Marthe créer des banderoles de Noël que je n'en fabrique moi-même. Mais Marthe est si douce et délicate lorsqu'elle dessine, elle a cet air concentré qui fait qu'elle est bien différente des moments où elle se sent "dérailler", comme elle dit. J'aime quand elle se sent bien, car c'est si rare depuis que je l'ai rencontrée, soit une semaine auparavant.

Je sais ce que vous vous dites : une semaine seulement et je suis déjà fou amoureux ? Déjà, je ne suis pas "fou amoureux", je suis juste sous le charme. Ensuite, une semaine à l'hôpital n'est pas la même chose qu'une semaine dans la vie réelle. Pour finir, Marthe est Marthe. Elle est une personne géniale et ce même si elle ne s'en rend pas du tout compte. C'est peut-être ça qui fait qu'elle a ce quelque chose de magique.

Le reste de la journée, nous accrochons tout au mur, au plafond, et la salle de vie ressemble à peu près à quelque chose de potable. Marthe s'assoit à mes côtés sur le canapé, après le dîner, et je constate qu'elle a revêtu une robe plus ou moins festive. Pour ma part, j'ai simplement mis une chemise, histoire de.

Et maintenant, la question qui fâche : pourquoi ne pas lui révéler mon amour, alors que tout est parfait autour de nous ? La musique de Noël, les banderoles fabriquées le matin même accrochées au plafond, les guirlandes allumées projetant une douce lumière jaune sur son beau visage... Mais je sais que ce n'est pas la vraie vie. Je sais que l'hôpital n'est pas la vie réelle pour elle. Marthe m'a déjà dit qu'elle n'avait pas l'impression d'être dans sa vie ici, alors pourquoi la forcer à l'être ? Pourquoi ne pas lui laisser profiter de sa soirée ? Pourquoi ne pas la laisser être dans sa bulle pour cette jolie soirée de Noël ?

Marthe a ce quelque chose de magique qui fait que mon coeur est capable de battre la chamade ou, au contraire, d'être totalement au repos à ses côtés. Marthe est unique. Marthe est magnifique.

Alors, sans vraiment réfléchir, sans penser qu'elle ne ressent peut-être pas la même chose pour moi, qu'elle pourrait en être gênée et que je ne veux pas cela, alors que Fara, Lin et Julie nous regarde, je penche la tête vers elle.

Et là, une chose incroyable arrive : je ne la vois pas paniquer. À la place elle me sourit.

Et son sourire demeura, je le sais, le plus beau d'entre tous.

***

Ce conte a été écrit par thesycamore et illustré par Philipineensucre! Tout le mérite de ce travail leurs revient. N'hésitez pas en commentaire à leurs dire ce que vous en avez pensé.

A demain pour le dernier conte :)

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