Le petit flocon triste

En cette nuit du 24 au 25 décembre 2222, tout est bien calme.
La neige recouvre encore un peu l'Antarctique, sur lequel veillent gentiment quelques météorologues de la station internationale Adèle 18.
Il y a déjà quelques années que les humains ne célèbrent plus Noël : il se sont sentis gavés de présents à s'offrir entre eux, et ont considéré que le plus beau cadeau était d'avoir sauvé la planète Terre, du moins les 22 % qui demeurent encore vivables.
Quelques énergumènes, cependant, continuent encore à partager, le 25 décembre à midi, un repas amélioré en famille : soit physiquement pour ceux qui sont proches, soit virtuellement pour ceux qui sont dispersés un peu partout dans ce qui reste du monde.

A 2 heures 22, comme chaque nuit, le météorologue de garde sort de la station, à bord de son cyber-scooter des neiges, pour aller faire sa ronde aux alentours, sur les 22 km² affectés à sa surveillance. Rien à signaler, sauf au kilomètre 22, où il perçoit comme un gémissement provenant du sol enneigé. Avec précautions, mais attisé par la curiosité, il se penche sur le sol, et il entend alors, très distinctement, même à n'en pas croire ses oreilles, une voix qui lui dit : « Ah, comme c'est triste, comme c'est triste... ! ».
N'écoutant que son bon cœur de scientifique, il sort son microscope électronique portatif à pile sol-air, et le braque sur l'endroit d'où vient cette étrange voix.

C'est là qu'il découvre un tout petit flocon de neige, qui lui redit toute sa tristesse. Et le flocon lui raconte :
« Je faisais partie d'un beau nuage de neige, qui avait pour mission d'accompagner le Père Noël clandestin (oui, car il existe encore, bien qu'il se cache pour ne pas être pourchassé par les brigades anti-rêves de la police internationale de la pensée correcte). Mais, au moment où nous devions tomber sur le sol, pour masquer les pas des rennes et le sillon du traîneau, l'autorisation d'aneigir m'a été refusée.
J'ai bien voulu discuter, argumenter, négocier, mais rien à faire : on me réclamait le paiement d'une taxe spéciale de 2,22 euros. Impossible à trouver, cette monnaie n'a plus cours, seuls les antiquaires en possèdent encore, et je n'avais pas le temps d'attendre l'ouverture de leurs magasins, et, même en ligne, je n'avais pas l'autorisation requise pour en commander !
Alors on m'a laissé tomber – c'est le cas de le dire –, sur ce bout de banquise australe, et me voilà tout désemparé, tout inoccupé, inutile.... Et je sens que, si ça continue comme ça, je vais bientôt fondre, quel malheur pour moi ! »

Notre brave météorologue, ému par cette détresse, prit très doucement avec lui le petit flocon triste, le mit à l'abri dans son réfrigérateur portatif auto-centrifugé à rotation compulsive, et l'emporta en secret dans la station.
Depuis, on raconte que chaque nuit, à 2 heures 22, il se lève et parle à son réfrigérateur. Ses collègues le prennent pour un simple d'esprit ; mais, comme il ne manifeste aucun autre signe de dérèglement, et que ses qualités professionnelles sont reconnues, on le laisse tranquille.
Quant au petit flocon, il est heureux, il lui arrive même parfois de discuter avec ses cousins, les œufs en neige, lorsque passe à ses côtés une omelette norvégienne.

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